N'oublions pas Claudette Colvin, Rosa Parks et M Luther King JR

Gérard Sarda

Avertissement :
J'avais écrit initialement une version à peine différente du texte qui suit, en décembre 1995. Jamais publié jusqu'ici, il a seulement été distribué à quelques amis et connaissances.
J'en ai modifié ci-après l'économie générale, quelques passages aussi, et l'ai allégé pour le publier en 2010 à la rubrique "en ligne" proposée par mon éditeur, l'Harmattan, dans son catalogue, en tant qu'auteur du livre " Le procès Konhu en Nouvelle Calédonie une nouvelle affaire Outreau ?". Je laisse tout ce qui a conservé selon moi son actualité, en particulier les éléments historiques nécessaires à sa compréhension.
J'en autorise la citation, partielle ou intégrale, avec mention d'origine bien sûr.
Plus de 55 ans après la décision de la Cour Suprême des Etats Unis, le racisme n'a pas disparu loin s'en faut, pas plus aux Etats Unis que dans bien d'autres endroits de la planète, alors même que pour la première fois dans l'histoire, un citoyen noir a accédé à la Maison Blanche.Ce fléau demande quelquefois une certaine circonspection pour être combattu, ce qui exige de ne jamais baissé la garde.
Mon texte de 1995, portait comme titre " Il y a 40 ans, C Colvin, R Parks et M L King, Jr, aux avant postes du combat pour les Droits civiques aux Etats unis". Il avait été gracieusement "tapé" chez elle par l'épatante Andrée Maugin qui déchiffrait les manuscrits comme personne et assurait alors le secrétariat général de l'IUFM de l'académie de Nantes.
En voici donc ma nouvelle version, actualisée et raccourcie.

Plus de cinq décennies se sont écoulées entre les actes de désobéissance civile de noirs américains et l'accession de Barak Obama à la présidence des Etats Unis.
Héritage de l'esclavage pourtant aboli après la guerre de sécession, l'abominable doctrine dite "de l'Egalité dans la séparation" avait eu, jusqu'en 1954, un caractère "officiel, légal, constitutionnel".
"Ma famille et moi, on était originaires de King Hill, le faubourg le plus pauvre parmi les plus pauvres. On ne faisait pas partie des initiés, je veux dire par là qu'on n'était pas des Noirs de la classe moyenne pour lesquels il n'était sûrement pas question d'ériger en modèles des gens de notre milieu". C'est ainsi que se présente, en 1995, la quadragénaire Claudette Colvin dans l' interview qu'elle donne, le 29 novembre 1995 au quotidien "USA Today".
En 1954, elle est une illustre inconnue, une adolescente de 15 ans. Son institutrice, Géraldine Nesbitt, à qui elle rend hommage, encourageait ses élèves à "penser par elles-mêmes" indiquera-t-elle au journaliste. Le 2 mars 1955 dans l'après midi, alors qu'elle est assise, immobile, dans un bus, Robert Cleer, le chauffeur, lui demande de céder sa place et quitter sa rangée pour permettre à des lycéens blancs de s'installer. Elle refuse. Son attitude ne surprend pas vraiment celles de ses camarades qui connaissaient un peu son état d'esprit. Simplement, elle ne supporte plus de voir sa mère qui hait la situation terrible que subissent les gens de couleur, faire assaut de politesses à l'égard des blancs. Alors, sans plus de réflexion et d'un seul mouvement, elle refuse obstinément d'obéir.
Du jamais vu ! Son refus fige de stupéfaction tous les passagers, noirs et blancs. "Il faut que tu changes de place", insiste le chauffeur.
"L'école des blancs et l'école des gens de couleur, le restaurant pour blancs et le restaurant pour les gens de couleur…" ; ainsi vivaient les habitants de Mongomery et de bien d'autres villes et bourgs du sud des USA, séparés. Finalement, les bus avaient un bien maigre avantage :gens de couleur et blancs se partageaient les sièges, distingués par rangées. Les blancs occupaient les rangées de devant et les gens de couleur celles du fond. Il n'était pas question de voir un noir sur une même rangée qu'un blanc et pour faire face aux fluctuations d'effectifs, quelques rangées intermédiaires pouvaient être exceptionnellement attribuées à des passagers de couleur, à condition qu'ils cèdent leur place à des blancs à la demande! La plupart du temps, ni un voyageur blanc ni le chauffeur ne disait mot tant la règle en vigueur était intériorisée par ceux qui en souffraient. De toute façon, des panonceaux, déplacés de rangée en rangée par le chauffeur selon la situation, indiquaient clairement à chacun où s'installer. La pratique de la loi raciste applicable en Alabama était en la matière parfaitement codifiée.
Dans les années 90, un de mes collègues d'alors, Monsieur Stindel, se souvenait qu'à l'occasion d'un voyage qui, dans sa jeunesse, l'avait conduit dans le sud des Etats Unis, il s'était fait vertement rabrouer par le chauffeur et les passagers blancs d'un autobus car il avait eu l'extrême audace de céder sa place à une maman noire portant son bébé dans les bras. Humiliante dans les écoles,les restaurants ou les cinémas, la ségrégation raciale l'était davantage encore dans les bus où, paradoxalement, la "séparation" n'était pas totale.
Mais pour revenir à Claudette, adolescente rebelle, personne dans le bus, n'a compris son attitude. Ses camarades ne sont pas loin de penser qu'elle a un grain. Quant aux voyageurs noirs plus âgés, ils ressentent cette initiative comme une provocation plus susceptible de leur attirer des ennuis supplémentaires, comme par exemple des conditions d'accès plus sévères dans des bus, par ailleurs confortables et fiables, que de remettre en cause la séparation des races..Pour les blancs, pareil refus d'obtempérer constitue une gravissime infraction.
Un autre lycéen noir va pourtant faire entendre sa solidarité, en ces termes défaitistes: "la seule chose qui lui reste à faire c'est d'en finir avec sa vie de négresse".A peine a-t il poussé ce cri de désespoir que deux policiers se sont engouffrés dans le bus. Ils trainent Claudette hors du bus. Celle-ci se débat et hurle. Ils sont "assourdis par ses cris et ses vociférations" indiquent les archives de la police. Elle est emprisonnée sur le champ mais sortira vite, son père ayant réglé la caution demandée pour sa libération. Un procès suivra, et la NAACP(National association for the advancement of coloured people) décide de soutenir les Colvin.
Cette action isolée de désobéissance civile va donner des idées à d'autres. Et d'ailleurs, quand, en 1995, Claudette Colvin fait appel à ses souvenirs et à ce qu'elle ressentit à l'époque, elle fait part au journaliste d' "USA To-day" d'une sorte d'amertume. Parlant de celles et ceux qui ont finalement repris son initiative en lui donnant une toute autre ampleur, elle déclare : "Le boycott c'était leur affaire", et brisant alors un long silence, elle ajoute : "ça serait bien si on se rappelait un peu aujourd'hui de l'action que nous avons menée. Ca me ferait plaisir si mes petits enfants réalisaient que leur grand-mère s'est battue pour quelque chose, il y a bien longtemps".
Si Claudette Colvin a ouvert la voie au boycott, celui ci n'a pris une forme organisée que 9 mois après son action d'éclat. Pour l'historien Louis E. Lomax, "ce qui était devenu possible neuf mois plus tard ne l'était pas neuf mois plus tôt"(dans "The negro revolt",a signet book, 1963).L'affaire fera quelques vagues, même si la SCLC, "Southern Christian leadership conference", sa section de Montgomery en particulier, saura en tirer des leçons. Des organisations de femmes noires implantées en Alabama prennent aussi bonne note de l'évènement.
Claudette finira par adhérer à la section locale de la NAACP mais pour autant, l'idée du boycott ne surgit pas tout de suite dans l'esprit de ses dirigeants, ou plutôt, l'idée fait son chemin mais est vite contestée : pour nombre d' adhérents, cette "gaminerie", si elle était étendue, ne déboucherait que sur l' interdiction infligée aux gens de couleur d'utiliser les bus.
Dans les locaux de la NAACP, Claudette va rencontrer une veuve élégante, une mère de trois enfants qui travaille dans un grand magasin de vêtements. En 1955, cette quadragénaire est une responsable écoutée. Le premier décembre, 9 mois après Claudette, Rosa Parks que son statut social avait probablement fait échapper jusque là à la fréquentation des bus au profit d'un véhicule particulier, va se comporter exactement de la même manière que l'adolescente. Mais là, l'initiative a fait l'objet d'une préparation minutieuse,et c'est une sacrée différence.
Quand, le 5 décembre, Rosa Parks se voit condamnée à une amende de 14 dollars, 20 000 usagers de couleur vont réagir en refusant de monter dans les bus. Le boycott durera plus d'un an et le mot d'ordre ne sera levé que lorsque les lois prônant la ségrégation dans les transports en commun auront été déclarées non conformes à la Constitution américaine, dans le droit fil, du reste, de l'abandon auparavant, sur décision de la Cour suprême, de la doctrine de "l'égalité dans la séparation".
Claudette Colvin, dont j'espère avoir, à ma modeste échelle, rappelé le rôle initial, Rosa Parks à qui revient incontestablement la maternité du boycott des autobus de Montgomery, Martin Luther King Junior, porte parole emblématique de cette action collective majeure, ont ainsi fait tourner en avant la roue de l'histoire, avec l'appui également, de divers mouvements chrétiens, comme l'indique l'historien américain David Garrow dans son ouvrage, "Bearing the cross".
Leur œuvre a une portée universelle. Elle est hélas, loin d'être achevée.
Repris à Nouméa le 29 août 2010 d'un texte initialement écrit à Nantes en décembre 2005. Gérard Sarda


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