Un fauteuil de rhumatologue est une chaire surplombant un long défilé de personnes chagrinées par des problèmes existentiels à deux étages, indisposition biologique d’une part, encombrement psychologique d’autre part. Je ne peux y voir la moindre solution de continuité. J’ai vite appris, pour ne pas tomber dans le réductionnisme, à me méfier de la science ciblée apprise à l’université. Sa méthode est certes efficace pour généraliser et montrer des repères essentiels, mais n’indique jamais comment faire le chemin inverse, c’est-à-dire retrouver la spécificité de chaque embarras individuel.
Je remarquais également que les processus mentaux conscients ne sont pas véritablement au pouvoir chez la personne, puisque les mettre précisément au courant d’une anomalie dans l’hygiène de vie et obtenir leur accord pour y remédier ne change généralement pas grand chose. Pourtant, si je regarde en détail les comportements, j’y trouve toujours une cohérence. Quel est donc cet espace de décision qui fait de nous un animal logique en se permettant d’ignorer sa partie la plus raisonnante ?
L’idée est inconfortable car elle implique que ma propre conscience ne dispose pas du libre-arbitre qu’elle imagine. Longtemps j’en fus détourné, et j’ai fini par l’aborder avec un esprit enrichi par l’expérience mais quasi-vierge de connaissances préalables sur les théories du psychisme. Je connaissais la trinité freudienne d’une façon très superficielle, trouvais la psychanalyse plutôt suspecte en raison de ses succès irréguliers et aussi rapides que le… divan dépourvu de roulettes, déjà battu facilement à la course par un gastéropode.
Certainement est-ce cette naïveté littéraire qui m’a ouvert la confection d’une théorie de la personne aussi originale que le Stratium, dont je ne soupçonnais pas à l’origine les prétentions à l’exhaustivité. Au départ, je n’avais aucune idée de Grande Oeuvre en attente de ma petite personne, puisqu’il ne s’agit même pas de ma spécialité. Mais la cohérence de la structure que j’édifiais m’a aspiré, comme j’imagine un mathématicien fasciné par une démonstration parfaite. Tous les ouvrages que j’ai fini par ouvrir sur le sujet de la personne humaine se sont insérés avec une aisance étonnante dans mon lego neurologique, comme s’ils n’attendaient que cette étagère. Les questions irrésolues qu’ils renferment se sont éclairées. Je n’avais aucun effort à faire.
Les approches classiques appartiennent à deux catégories : neurosciences et phénoménologie. Elles sont présentées comme incompatibles et luttent férocement. C’est pour moi une chose incompréhensible. Comment prétendre que le problème corps-esprit est difficile ? Nous voyons ce couple fonctionner partout. Nous en connaissons toutes les extrémités, contrairement au véritable problème difficile qu’affrontent les physiciens dans l’infiniment petit.
Il m’apparut que la séparation corps-esprit est un problème politique. Ôter cette frontière est permettre à l’adversaire de pénétrer sur ses terres propriétaires. J’en ai conclu que l’une et l’autre armée de spécialistes opérait par réduction, et que la vérité résidait dans le no man’s land les séparant.
Il fallait aussi une structure établissant la jonction entre la continuité du fonctionnement biologique et la discontinuité psychologique. La polyconscience, société intérieure de nos concepts, représentations et mythes située juste à l’orée de la conscience, joue ce rôle, négociant les attributions de comportements aux intentions sur le principe de la célébrité.
Les détails et d’autres principes fondamentaux de notre édifice neurologique auto-organisé vous apparaîtront à la lecture de Stratium et de ses successeurs. Cette théorie s’étend comme une pieuvre. Elle glisse ses tentacules au sein de toutes les sciences humaines. Elle s’auto-critique afin de ne pas devoir les rétracter trop souvent.
Hmm… tout ceci n’est-il pas mortellement sérieux ?
Vous avez raison. Aussi, pour finir, et vous permettre de vous enfuir facilement de mes ouvrages, je vais vous révéler le point le plus intime de ma psychobiographie, la source même de mes intentions :
Je suis sorti par le siège.
Mon premier cri a été un gaz.
J’essaye tant bien que mal de me rattraper depuis.
Votre méfiance est-elle désormais correctement en éveil ?…
Jean-Pierre Legros est un médecin rhumatologue né en 1960 à Paris, exerçant actuellement à Nouméa, scientifique, philosophe et écrivain, qui développe depuis une dizaine d’années un espace théorique unifiant sciences humaines et physiques par leur outil commun d’analyse : notre esprit.
www.rhumatopratique.com/wp/polyconscience/
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