Le concept d'amour platonique désigne, dans le langage courant, un amour privé d'accomplissement charnel. Cette interprétation de la pensée de Platon est inexacte. La fin de l'amour, enseigne le Banquet, c'est "la génération dans la beauté" : celui qui est transporté d'amour aspire à se survivre dans sa postérité et veut obtenir par la génération un équivalent de l'immortalité. Mais surtout elle est caricaturalement réductrice.
Le Banquet est le récit d'une discussion sur l'amour entre les convives d'un banquet. Le discours de Socrate en constitue l'apport philosophique essentiel.
L'éros, montre Socrate, est essentiellement désir. Or on ne désire qu'une chose qu'on n'a pas. L'amour est donc la soif d'un bien dont nous sommes privés et dont la privation nous fait souffrir. Que désire-t-on ? Ce qui est bon et beau. On voit par là que l'éros est suscité par la valeur de son objet. L'émerveillement éveillé par la grâce d'un visage ou la perfection d'un corps, l'admiration pour des qualités intellectuelles ou morales hors du commun sont des expressions de l'éros. Pourquoi désirons-nous les choses belles et bonnes interroge Socrate ? Pour être heureux répond le Banquet car "la possession des choses bonnes nous rend heureux". L'éros est donc fondamentalement égoïste : un être qui serait tout à la fois physiquement disgracié, mentalement handicapé, méchant, bref sans valeur, ne peut être aimé d'éros puisque il ne nous apporte aucune joie(1).
Bien que la définition de l'éros autorise une application très générale, (certains sont amoureux des affaires, d'autres de la gymnastique ou de la science remarque Socrate) l'usage en a circonscrit le sens à l'amour sexuel : c'est de lui que traite le Banquet. Le thème majeur en est le récit que donne Socrate de son initiation, au temps de sa jeunesse, à la philosophie de l'amour, par Diotime, prêtresse de Mantinée.
Celle-ci veut révéler à Socrate que la visée de l'amour dépasse infiniment l'objet sur lequel il s'est provisoirement arrêté. Mais l'amant l'ignore et croit naïvement être épris d'un être singulier. Diotime va aider Socrate à dissiper cette illusion et à prendre conscience de son vouloir profond. Elle remplit en quelque sorte à l'égard de Socrate le rôle d'un psychanalyste : elle l'aide à dégager la signification, d'abord inconsciente, de son vécu. Toutefois, contrairement à la psychanalyse, le sens dégagé ne renvoie pas à des événements accidentels de l'histoire individuelle, mais à la vocation essentielle de la personne.
Une révélation de cette envergure ne peut se faire que progressivement ; elle comporte des étapes ordonnées. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre la progression initiatique du Banquet. À l'amoureux d'un beau corps, le guide montrera qu'il y a de la beauté donnée ailleurs, tout aussi digne de son amour que l'exemplaire singulier qui l'a séduit. Lorsqu'il sera convaincu que son amour s'adresse à la beauté physique en général, on lui montrera alors, en dehors d'elle, des beautés spirituelles, plus fascinantes encore, beauté des occupations et des styles de vie. Puis, le guide prolongera l'ouverture de sa perspective, en lui dévoilant à côté de la beauté des conduites la beauté des sciences. D'élargissement en élargissement, le candidat à l'initiation finit par contempler "l'océan du beau" au regard duquel son amour initial apparaît dérisoirement limité. Il est alors mûr pour la révélation intuitive du terme de l'initiation : le Beau absolu, source de toutes les beautés particulières et moteur de tous les amours. Ainsi, l'expérience mystique ou du moins son premier moment, la découverte amoureuse de Dieu, constitue le terme de l'initiation. Mais elle était potentiellement présente dans les amours ordinaires qui visent inconsciemment l'absolu, mais dont l'élan avorté ne parvient pas à son terme.
L'influence de la méditation platonicienne sur l'amour a été considérable. Elle a inspiré, dans l'Antiquité, la conception aristotélicienne du premier moteur, "qui meut comme objet du désir", puis, à travers Plotin, le néoplatonisme. Elle est la source d'une grande tradition mystique, perpétuée de siècle en siècle, depuis certains pères de l'église jusqu'au théâtre de Claudel, pour laquelle l'amour de la créature est la voie vers l'adoration du créateur (2). Car, selon la formule de Malebranche, l'amour a en lui "du mouvement pour aller plus loin".