"Ainsi se taisait le paysage, de la façon dont se tait toujours tout paysage.
Ainsi parlait le paysage en langue paysage, à voix très basse et répétitive pour
ceux qui se trouvent y vivre, c'est-à-dire en même temps le constituer. Et
Ozalide était toute bouleversée par lui qui, pourtant, ne se savait nullement
bouleversant, ignorait qu'il eût même des intentions en ce sens et des intentions
tout court, ne savait pas même qu'il y eût une Ozalide en son sein qui,
partiellement, le constituait. Le paysage n'avait pas un mot plus haut que
l'autre, et pas un mot moins haut non plus. Il avait son vert wagon, son vert
tendre des pousses de mûrier, son vert violent de coupoles de mosquée, son vert
menthe dans le thé. Le paysage avait le blanc cassé par l'usage et par le temps
de ses façades chaulées, le gris de ses moellons non crépis et le rouillé des fers
d'attente. Il avait la rumeur, faite de cigales et autres grillons, de moteurs à
explosion, de cris de commerçants dans les rues marchandes, d'enfants voleurs
d'étincelles parcourant à cloche-pied les cours des écoles. Il avait ce mélange
d'odeurs, un tiers de pétrole brûlé, un tiers de melons d'eau et de figues, un tiers
de fumée de chibouk ou de barbecue. Sa poésie était faite par presque tous les
sens, le toucher étant ici tout immatériel, à moins de considérer comme telle la
sensation des pieds nus sur la pierre encore c