Article publié dans la revue Psychothérapies, mars 2023 sous le titre : Les deux formes de méditation.
Résumé
Le terme méditation est imprécis car il connote des expériences différentes. Nous avons cherché, dans un souci de clarté, à inventorier et classer les divers types de méditation. Les méditations peuvent se répartir en deux catégories : les méditations d'autohypnose et la méditation de pleine conscience. Les premières cherchent à reproduire, dans un contexte individuel, le schéma de l'hypnose caractérisée par la passivité du sujet hypnotisé. Les méditations d'autohypnose exige donc le lâcher prise et ses corollaires : mise en veilleuse de la conscience, abolition de la volonté et de l'esprit critique, répétition machinale d'une formule ou d'une séquence sonore. La conscience, au contraire, comme Maine de Biran l'a montré, est toujours le fruit d'un effort. Elle inaugure la réflexion et clive la personne. La méditation de pleine conscience s'oppose donc point par point aux méditations d'autohypnose.
Cette opposition est, peut-être, l'indice révélateur d'une polarité du psychisme. Les méditations d'autohypnose pourraient constituer des retours à la vie animale, inconscient normal et de constitution, sous-jacent à la vie humaine selon Maine de Biran ; les méditations de pleine conscience exercent au contraire des aptitudes plus récentes et participent à leur restauration lorsqu'elles ont été endommagées par la maladie. Ces deux méditations se complètent. En outre, à la lumière des neurosciences, elles autorisent, toutes les deux, l'espoir de modifier le cerveau dans le sens d'un progrès.
Abstract
The term meditation is imprecise because it connotes different experiences. For the sake of clarity, we have sought to list and classify the various types of meditation. Meditations can be divided into two categories : self-hypnosis meditations and mindfulness meditations. The former seek to reproduce, in an individual context, the pattern of hypnosis characterised by the passivity of the hypnotised subject. Self-hypnosis meditations therefore require letting go and its corollaries: the silencing of consciousness, the abolition of the will and of the critical mind, the mechanical repetition of a formula or a sound sequence. Consciousness, on the other hand, as Maine de Biran has shown, is always the result of an effort. It inaugurates reflection and cleaves the person. Mindfulness meditation is thus point by point opposed to self-hypnosis meditations.This opposition is, perhaps, a revealing indication of a polarity in the psyche. Self-hypnosis meditations could constitute returns to the animal life, the normal unconscious underlying human life according to Maine de Biran; mindfulness meditations, on the other hand, exercise more recent abilities and help to restore them when they have been damaged by illness.These two meditations complement each other. Moreover, in the light of neuroscience, they both allow for the hope of modifying the brain in the direction of progress.
Actuellement la méditation est à la mode, en psychiatrie, mais aussi comme gymnastique mentale dans une perspective de développement personnel. Mais quelle méditation ? Le concept de méditation connote des expériences très différentes. Nous avons cherché, dans un souci de clarté, d'inventorier les diverses méditations et d'en préciser la nature. Au terme de cette recherche, il nous a semblé que toutes les méditations se répartissent en deux types : l'autohypnose et la pleine conscience. Elles ne sont pas seulement différentes : elles s'opposent point par point. Cette opposition est, peut-être, révélatrice d'une dualité fondamentale de l'esprit.
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1 La méditation de pleine conscience : champs d'application.
La pleine conscience absorption dans le présent
La pleine conscience est définie, généralement, comme une concentration sur le présent. Ainsi, j'observe une rose : je prends conscience de la gradation de nuances de sa couleur, de son odeur prononcée ou fugitive, de la texture fragile de la fleur opposée à la dureté de la tige et à l'agressivité des épines. Ou bien je me concentre sur une action simple, comme ma respiration. Je prends conscience de l'entrée et de la sortie de l'air dans mes narines, des mouvements de ma cage thoracique : respiration ventrale, médiane, haute ou complète. J'observe également son rythme : respiration lente et profonde ou rapide et légère. Mais point n'est besoin de recourir à des exercices artificiels pour pratiquer la pleine conscience : les gestes de la vie quotidienne y suffisent amplement à condition de les effectuer dans l'esprit requis, absorption dans la tâche actuelle sans polluer l'attention par des considérations sur l'avenir ou le passé. Ainsi "Il y a deux manières de laver la vaisselle ; la première, c'est laver la vaisselle pour avoir des assiettes propres ; la seconde, c'est laver la vaisselle pour laver la vaisselle" 2. Pendant ma pratique, je suis totalement absorbé par l'exercice et le reste du monde est, pour moi, provisoirement aboli.
Son utilisation en psychiatrie et dans la vie quotidienne
Pour cette raison la pleine conscience présente un intérêt psychiatrique, tout particulièrement contre les récidives de dépression. En effet, l'ancien malade reste vulnérable : les idées tristes qui nourrissaient sa maladie peuvent l'assaillir à nouveau et perturber un équilibre encore fragile. C'est pourquoi il est bon de fixer son attention sur des représentations inoffensives. C'est dans cet esprit que le psychiatre, Christophe André, présente à ses malades de sainte Anne un large éventail d'exercices de pleine conscience. Un des plus connus est la concentration sur un grain de raisin sec. Le patient est invité à observer avec la plus grande attention, sa texture, sa forme, ses reliefs, son poids, son goût. Absorbé dans sa concentration, il échappe aux ruminations douloureuses du passé ou aux anticipations anxieuses. Il peut réduire sa consommation d'anxiolytiques en attendant de s'en passer comme en témoigne ces propos d'une jeune patiente :
"Aujourd'hui, en grande partie grâce à la méditation, j'ai baissé ma consommation de médicaments. J'espère arrêter bientôt, mais j'avance pas à pas." 3
Ce recours à la méditation serait aussi efficace qu'un traitement antidépresseur pour la prévention des rechutes dépressives. À l'université de Toronto, un groupe de 84 patients, en rémission de dépression depuis 7 mois mais encore sous antidépresseur est divisé en 3 parties. Dans la première, on a remplacé les antidépresseurs par la méditation de pleine conscience. Le second groupe poursuivait la prise d'antidépresseurs. Dans le troisième, un placebo remplaçait la méditation. Les taux de récidive de la dépression, sur une période de 18 mois, s'est élevé à 27 % dans le groupe avec antidépresseur, à 28 % chez ceux qui suivaient la thérapie basée sur la méditation de pleine conscience, à 71 % dans le groupe placebo. 4
La pleine conscience introduction à l'expérience spirituelle dans le bouddhisme
Mais l'exercice de pleine conscience n'a pas seulement une finalité psychiatrique. Dans certaines pensées orientales, il constitue une introduction à l'expérience spirituelle. Ainsi, la concentration sur la respiration est un exercice essentiel de l'ascèse bouddhiste. Dans le Zen, l'exercice du Zazen est censé conduire à l'expérience libératrice, le Satori. Le pratiquant doit adopter une posture corporelle qui fait l'objet de prescriptions très précises dont le but est de maintenir la colonne vertébrale rigoureusement verticale. Le rythme respiratoire est également codifié : il doit être naturel et privilégier l'expiration. L'attitude mentale est l'essence de l'exercice : le pratiquant doit s'absorber dans les sensations éprouvées à l'occasion du maintien de la posture et de la respiration. Il doit bannir le vagabondage mental. Toutefois, il est recommandé de ne pas s'opposer, de front, aux pensées parasites mais de constater avec indifférence leur passage dans l'esprit comme les nuages dans le ciel. Dans la branche Soto du Bouddhisme Zen, le Zazen a pris une importance essentielle car il révélerait au pratiquant l'essence même du Zen. 5
Quoi qu'il en soit, la pratique intensive de la méditation chez les moines bouddhistes est un facteur d'équilibre et de sérénité. En étudiant leur cerveau, on a découvert que le cortex préfrontal gauche de ces spécialistes de la méditation est beaucoup plus actif que chez 150 sujets témoins, non entraînés. Or, d'autres études ont montré que cette région du cerveau était plus active chez les personnalités positives et optimistes alors que ce chez les sujets d'humeur pessimiste ou dépressive, c'est le cortex préfrontal droit qui est activé. L'humeur équilibrée et sereine des moines bouddhistes viendrait de leur aptitude à activer davantage leur cortex préfrontal gauche par la méditation. 6
La pleine conscience est le résultat d'un acte volontaire
La pleine conscience est une lumière qui nous éclaire : elle nous découvre mille aspects, d'abord inaperçus, de l'objet observé. Mais cette lumière procède d'un acte qui la conditionne, donc la précède. En effet, la définition de la pleine conscience par son seul rapport au présent est insuffisante. Remarquons d'abord qu'on vit nécessairement dans le présent et chacun, qu'il le veuille ou non, est cantonnée "ici et maintenant". Dira-t-on que dans l'expérience de la pleine conscience, le pratiquant oriente sa pensée sur l'actualité vécue au lieu de se projeter vers un avenir ou un passé ? Ce n'est pas toujours vrai. Ainsi, une concentration sur la planification rationnelle d'un projet est un exercice de pleine conscience. Inversement, l'obsessionnel qui rumine sa souffrance est bien tourné vers un présent douloureux, mais ne pratique pas la pleine conscience. Par contre s'il prend un recul par rapport à son trouble pour l'objectiver, afin de saisir les conditions de son apparition, comment il évolue, les possibilités de l'atténuer, il entre dans la pleine conscience. Celle-ci est donc, fondamentalement, une activité ; et c'est cette activité qui engendre une lumière.
Vérifions-le sur des exemples simples : je ne peux pas entendre clairement sans écouter. Un discours dans une langue étrangère reste pour moi un assemblage sonore confus. En effet, nous ne distinguons les mots que dans la mesure où nous pouvons parler intérieurement le discours. De même, je ne peux pas voir distinctement sans regarder. Par contre je ne ressens pas les habits que je porte car je n'exerce sur eux aucune activité.
Remarquons cependant que l'attention, acmé de la pleine conscience, enveloppe aussi une passivité. En effet, elle est attente et accueil : découverte des multiples facettes de l'objet dans la perception, révélation de l'idée qui nous éclaire dans la réflexion. Or ces fruits de l'attention ne dépendent pas de notre seul pouvoir comme en témoigne souvent notre impuissance à comprendre, à créer, ou même à bien voir. Ils nous sont seulement, quelquefois, octroyés comme une grâce. C'est en ce sens que Malebranche a écrit que "l'attention est une prière naturelle que l'âme adresse à la vérité". Un acte d'attention, bien qu'essentiellement actif enveloppe aussi un abandon au pouvoir de l'autre, et, par conséquent, une certaine passivité.
2 Conscience et effort chez Maine de Biran 8
Analyse de la sensation chez Maine de Biran
Maine de Biran a approfondi la nature de cette activité dans son analyse de la sensation. Une sensation pleinement consciente est une perception. Or, pour Maine de Biran, elle constitue un état déjà complexe car il résulte de la conjonction de deux fonctions différentes : un phénomène physiologique qui génère une impression sensorielle et une activité qui s'exerce à son propos.
La seule impression sensorielle, sans l'activité, est toujours confuse, comme l'atteste le port de nos vêtements. Supposez une impression sensible devenue assez vive pour occuper toute ma faculté de sentir : je m'identifie à elle, mais je ne la connais pas comme en témoigne une douleur aiguë. Pour que le moi s'éveille à la conscience, il faut qu'il cesse de s'absorber dans l'affection pour s'en donner une représentation, qu'il passe du vécu au connu. On a alors une perception. Celle-ci n'est pas un vécu dans lequel je m'absorbe mais un objet que je pose comme une chose extérieure à moi. Toute connaissance crée une distance. L'analyse biranienne retrouve donc un lieu commun de la pensée philosophique : "toute conscience est conscience d'objet". Ainsi je perçois la glace et la neige comme deux objets hors de moi et leur froideur commune, la dureté de l'un la mollesse de l'autre comme des attributs de ces objets.
L'expérience de l'effort source de la pleine conscience
Or, c'est toujours une activité qui génère l'objet. Maine de Biran désigne cette activité comme "une force hyper organique". Il entend par là qu'elle n'a pas pour origine un déterminisme naturel mais un acte de volonté dont je me sens la cause. Ainsi, contrairement à la douleur que mon corps m'impose dans une maladie que je subis, je m'éprouve l'auteur de la souffrance ressentie à l'occasion d'un effort athlétique aux limites de mes capacités. Je me sens, en effet, libre de le continuer ou de le suspendre. Toute conscience suppose un acte de volonté libre analogue.
Quelle est la nature de cet acte ? C'est un mouvement inauguré et poursuivi contre une résistance et par conséquent un effort.
Ainsi, une impression tactile totalement passive, par exemple celle produite par un objet quelconque posé sur la main reste confuse. Mais les mouvements de la main qui palpe l'objet permettent de clarifier cette impression initiale. Ainsi les degrés variables d'une résistance, cédant plus ou moins à la pression des doigts, sont pour nous les signes de la dureté, de l'impénétrabilité, de la malléabilité des corps. Dans le moindre effort que je fais pour élever, pénétrer, retenir un corps, se révèlent ses caractères : poids, consistance, mollesse ou fluidité. En se portant au devant de la sensation, le mouvement l'enrichit et l'éclaire. Le toucher se complète par le travail d'analyse de la main. Elle décompose les masses, diversement résistantes, distinguent leurs propriétés et leurs nuances.
"En vertu de leur mobilité, les doigts se replient, s'ajustent sur le solide, l'embrassent dans plusieurs points à la fois parcourant successivement chacune de ses faces, glissent sur les arêtes et suivent leur direction. Ainsi la résistance unique se divise en plusieurs impressions distinctes ; la surface s'abstrait du solide, le contour de la surface, la ligne du contour ; chaque perception est complète en elle-même et leur ensemble est parfaitement déterminé." 9
Le mouvement analyse donc l'impression initiale. Et la clarté et la distinction de celle-ci croissent dans l'exacte mesure où la motilité se développe. C'est donc le mouvement qui construit la perception.
Maine de Biran montre qu'il en est de même pour les autres sens. Un discours n'est clairement entendu, comme on l'a vu, qu'à la condition d'activer les schémes moteurs de la langue dans laquelle il est prononcé. La vue est éduquée par les mouvements de la main. Un œil immobile est pratiquement un œil aveugle.
Vie humaine et vie animale selon Maine de Biran
La pleine conscience enveloppe donc toujours deux composantes : une impression sensible et une activité qui s'exerce. Maine de Biran appelle cette activité effort. Cette désignation peut surprendre car l'effort suppose une résistance à affronter et il y a, semble-t-il, des activités sans résistance. Mais l'effort leur reste sous-jacent et il reste masqué sous ses résultats comme nous l'apprend la pensée objective : lorsque j'affirme que la glace est dure et que la neige est molle, je réalise ces propriétés naïvement comme des qualités de la chose : je crois que c'est en elle-même que la glace est dure, en elle-même que la neige est molle. Mais ce sont là des non-sens puisque la dureté et la mollesse ne se comprennent qu'en fonction d'un effort de pénétration et d'une résistance. L'objet est le fruit de l'effort ; il n'est que l'obstacle atténué.
La conscience enveloppe donc une dualité. C'est pourquoi Maine de Biran reprend à son compte la formule d'un psychologue de son temps : 10 "le vivant est simple dans la vitalité, mais double dans l'humanité". C'est en effet la pleine conscience qui caractérise l'homme. Mais elle est toujours le fruit de l'effort qui introduit un clivage dans la personne. Lorsque la volonté cesse de s'exercer, la conscience s'estompe et l'homme retombe dans la vie animale. Pour Maine de Biran cette vie infra consciente constitue un mode réel d'existence, celui de l'animal. Celui-ci "sent sans se savoir sentant comme il vit sans se savoir-vivant". Mais cette vie animale est sous-jacente à la vie humaine dont elle constitue le soubassement. C'est en quelque sorte un inconscient normal, ou de constitution par opposition à l'inconscient psychanalytique qui dépend des aléas de l'existence humaine. Nous portons l'animalité en nous comme nos racines profondes. Nous la retrouvons chaque fois que la volonté s'abolit.
La pleine conscience n'est pas seulement conscience du présent
Nous retiendrons des analyses de Maine de Biran l'idée que la pleine conscience est toujours le produit d'un effort. Il n'est donc pas suffisant de la définir par la seule conscience du présent. Certes, cette dernière est la condition nécessaire pour y accéder : on ne fait pas effort dans le passé ou dans l'avenir mais on agit au présent. Cependant, cet ancrage nécessaire dans le présent n'est pas une condition suffisante pour accéder à la pleine conscience : comme on l'a vu une conscience du présent que n'éclaire aucune activité peut occuper totalement l'esprit sans être une pleine conscience authentique. C'est donc manquer l'essentiel que de la réduire à la seule expérience du présent. Il ne suffit pas de vivre "ici et maintenant" pour y accéder mais il faut agir. Cette action peut être une activité musculaire qui s'exerce contre un obstacle ou plus modestement l'effort d'attention du patient qui s'efforce d'objectiver les qualités sensibles du grain de raisin sec qu'il décrit à son médecin. Il enveloppe l'exercice de "la force hyper organique" qui seule est la condition nécessaire et suffisante de la pleine conscience.
Confirmation par les données modernes de la physiologie
Les conclusions de l'analyse philosophique de Maine de Biran sont confirmées par les avancées récentes de la physiologie. L'effort agit sur les muscles striés. Ils constituent, selon Jacobson, 11 les "lieux de la volonté et de la liberté de l'homme". Or, les investigations-électrophysiologiques indiquent que toute perception est accompagnée par une contraction de ces muscles. En effet, les données sensorielles ne suffisent pas à constituer la perception. Un autre facteur est nécessaire : l'activité neuromusculaire indispensable pour constituer la sensation en perception, c'est-à-dire appréhender l'objet. On peut mettre en évidence son rôle essentiel par l'expérience suivante : si un observateur entraîné fixe le mot imprimé en accommodant au-delà de lui, le mot et son sens sont perdus et il voit seulement les caractères imprimés. Même si le mot est simple et familier. Pour récupérer le mot, il doit tendre ses muscles du langage intérieur pour dire le mot et ses muscles oculaires pour accommoder sur le mot.12 L'activité neuromusculaire est donc indispensable pour achever la perception. Celle-ci exige la collaboration d'une impulsion ascendante d'origine sensorielle et d'un contrôle sensoriel descendant. Un physiologiste américain tire la leçon de ses observations dans des termes qui évoquent les critiques de Maine de Biran contre les psychologues de son temps sur la notion de sensation :
"On ne peut espérer comprendre les relations centrales essentielles de la perception en considérant le système nerveux comme un récepteur passif des informations sensorielles. Le système nerveux doit avoir une influence sur ses entrées, non seulement en les sélectionnant, mais en fournissant les principales "constantes" sans lesquelles l'information serait chaotique". 13
Ainsi, comme l'affirme Jacobson : la perception est toujours un effort. 14
Mais il faut aller plus loin. L'effort est solidaire non seulement de toute perception consciente, mais aussi de toute image et de toute pensée. Jacobson a montré que les muscles oculaires agissent, lors de la visualisation imaginaire, de la même façon que lorsque la personne voit l'objet. Plus généralement, on note toujours des contractions musculaires lors d'une activité mentale quelle qu'elle soit. Ces contractions ont fait l'objet de mesures précises par des appareils adéquats ; on a pu vérifier que les activités mentales diminuent, et vont jusqu'à disparaître avec la décontraction, notamment celle de la musculature de l'œil et de la parole. Ainsi, un sujet bien entraîné, parvient à accéder au vide mental, non par la mise en œuvre d'un procédé ésotérique, mais en affinant sa sensibilité proprioceptive de manière à repérer et à réduire les plus minimes contractions. L'individu qui se décontracte sous des conditions contrôlées à des niveaux proches de zéro 15 a un visage vide d'expression. Les yeux, même s'ils sont ouverts, ne regardent pas. Il est libéré de toute émotion et même de perception ou réflexion. Notons enfin que l'anatomie apporte une confirmation à ces expériences. On a découvert qu'un important organe sensoriel, le fuseau neuro-musculaire était contrôlé par le système nerveux central. 16 Ces observations convergent toutes pour attester le lien essentiel entre l'effort et la conscience.
La méditation de pleine conscience est une gymnastique mentale
Les exercices de pleine conscience constituent, en quelque sorte, une kinésithérapie mentale. De même que les mouvements de kinésithérapie, bien qu'artificiels, ont pour but de rétablir une motricité normale, les exercices de pleine conscience tendent à promouvoir une pensée authentique au service d'une activité réfléchie. Et, de même que les mouvements de kinésithérapie musclent le corps, les exercices de pleine conscience musclent le cerveau. En effet, on sait, maintenant,17 que l'activité cérébrale se réorganise, en fonction des expériences de chacun, jusqu'à un âge avancé. Chez un pianiste qui s'entraîne régulièrement, les réseaux de neurones sollicités par cette activité se renforcent, de nouvelles connexions s'établissent, les zones du cerveau dédiées au mouvement des mains vont même s'épaissir au fur et à mesure que la dextérité augmente. Mais cette neuroplasticité ou capacité du cerveau à remodeler ses connexions en fonction de l'environnement et des expériences vécues par l'individu ne s'opère pas, uniquement, après à un entraînement physique. Elle peut aussi être le résultat d'un travail mental comme la méditation. Avec l'I.R.M. on s'est aperçu qu'un entraînement régulier de 8 semaines, à la méditation pouvait créer une modification anatomique du cerveau tout comme un entraînement sportif modifie le corps pour améliorer nos performances. En effet, on observe une diminution de la taille de l'amygdale. Cet organe cérébral, activé pendant les périodes de dépression et de stress est un véritable centre de l'anxiété. Les exercices de pleine conscience permettraient de régulariser son fonctionnement et de réduire son volume. La méditation n'opérerait donc pas un simple changement pendant l'exercice mais induirait une modification fonctionnelle et anatomique du cerveau qui s'inscrirait dans la durée. 18
Cet impact de l'esprit sur le corps n'est pas l'apanage de la seule méditation de pleine conscience. On le retrouve, en effet, dans d'autres formes de méditations. Le cardiologue Herbert Benson, dans ses recherches sur le stress, à l'université de Harvard, a mis au point un procédé pour déclencher "le réflexe de relaxation" 19. Il s'agit, en fait, d'une procédure très proche de la méditation transcendantale. 20 Son équipe étudie un groupe de 26 personnes, après huit semaines d'entraînement pour apprendre à induire une réponse de relaxation en méditant. L'analyse des échantillons de sang a montré que la relaxation par la méditation modifiait sensiblement l'expression de nombreux gènes. On observe une plus forte activation des gènes impliqués dans le métabolisme général des cellules et notamment des gènes responsables de la sécrétion d'insuline, hormone essentielle dans leur consommation d'énergie. À l'inverse les gènes impliqués dans les effets toxiques du stress sont moins activés. 21 Dans la même perspective de recherche épigénétique, à l'université de Wisconsin - Madison, le Docteur Perla Kaliman étudie les effets d'une journée intensive de pleine conscience sur les gènes impliqués dans l'inflammation. 22 L'analyse des échantillons de sang montré que les gènes pro-inflammatoires se sont moins exprimés chez les personnes ayant médité pendant une journée que dans le groupe de contrôle. Il est donc possible que la méditation soit un traitement anti-inflammatoire : c'est une piste prometteuse actuellement explorée par les chercheurs.
3 L'autohypnose 23
Rapport de l'auto hypnose avec la pleine conscience 24
L'auto hypnose, comme la pleine conscience est un exercice de méditation. Mais elle en constitue l'opposé. C'est par là que leur comparaison peut être éclairante, comme la mise en évidence des deux pôles de l'activité méditative.
Bénéfices de l'hypnose : détente, calme, possibilité de suggestions.
L'autohypnose est une hypnose produite dans un contexte individuel. Quel est l'intérêt de ces états ?
On avait observé depuis longtemps la parfaite détente d'un sujet en état d'hypnose. Dans l'échelle de Davis et Husband, la relaxation physique complète caractérise le degré 5 du premier stade de l'hypnose : l'état hypnoïde (Chertok, p. 136). 25 Weitzenhoffer 26 note que : "Généralement… l'apparence du sujet dès le début de l'hypnose est celle d'une personne endormie. La plupart du temps, la relaxation est si complète que le sujet s'effondre sur le sol, comme s'il s'évanouissait" (p. 95). Mais c'est Schultz qui a établi le caractère déterminant de la détente musculaire dans l'hypnose. L'inventeur du training autogène constate chez tout patient en état d'hypnose une importante baisse du tonus résiduel et une augmentation du calibre des vaisseaux sanguins périphériques. Cette relaxation musculaire et vasculaire exprime l'essence de l'hypnose qui est, fondamentalement, un état de repos. Et c'est pourquoi le training autogène cherche à reproduire par autosuggestion les caractéristiques somatiques de l'hypnose : la détente musculaire et vasculaire. L'avantage de l'exercice est une possibilité de récupération rapide dans des circonstances de surcharge de travail, de problèmes professionnels ou personnels, d'insomnies. Cette impression de repos est confirmée par des données objectives.
L'électromyogramme montre un abaissement très net du tonus résiduel de repos, vécu par le sujet comme une impression de lourdeur et de chaleur dans les membres. L'hypotonie musculaire s'accompagne d'un état hypométabolique corrélatif d'un apaisement du système sympathique. De plus, au cours de la détente, la consommation d'oxygène diminue : le rythme de la respiration est deux fois plus long qu'au repos. Mais le sujet n'est cependant pas essoufflé, car il s'agit d'un phénomène naturel qui résulte de la réduction de l'activité métabolique cellulaire. On note également une diminution du débit cardiaque ainsi que du rythme du cœur : cette conséquence de la réduction de la consommation d'oxygène est le signe d'un profond repos métabolique. On constate aussi une diminution de la tension artérielle. La température centrale chute d'environ 0,3 °C, comme dans le sommeil, ce qui est encore un signe d'hypométabolisme. Et la diminution du taux d'acide lactique dans le sang est plus rapide au cours de la relaxation que dans le repos normal ou même le sommeil. Ainsi, l'impression de repos profond éprouvée par le pratiquant de l'autohypnose est objectivement confirmée par les données physiologiques. 27 Sur le plan du vécu, le bénéfice d'une vingtaine de minutes de relaxation authentique est comparable aux effets d'une substance ou d'un médicament relaxant et euphorisant sans en présenter les inconvénients et les dangers.
Un autre avantage du vécu hypnotique est l'obtention du calme. Le stress en effet est toujours lié à des crispations corporelles. L'anxiété, ou même une simple inquiétude, suscite toujours des réactions corporelles de défense. Il est donc normal que des états fondamentalement caractérisés par un abaissement de tonus résiduel soient des expériences de calme intérieur. C'est ce que confirme le tracé électroencéphalographique.
On remarque chez le pratiquant l'apparition d'ondes alpha. Au fur et à mesure des progrès de la détente, l'amplitude de ces ondes augmente et leur fréquence diminue ; parfois apparaissent aussi des séries d'ondes thêta. Ces données constituent le signe objectif de calme, car il n'y a pas d'alpha (ou très peu) dans les états anxieux. Dans la plupart des états profonds de relaxation, l'alpha persiste après l'ouverture des yeux, contrairement à ce qui se produit habituellement dans le sommeil.
Il semblerait donc que la relaxation constitue la parfaite antithèse des mécanismes du stress et de l'anxiété : "L'état de relaxation est avant tout un état anti-émotion, c'en est sa meilleure définition". (Brenot, p. 24). 28 Elle constitue donc l'arme la plus efficace pour faire face à des situations anxiogènes. En témoigne cet exemple tiré du protocole d'une patiente juive :
"J'avais en 1929 suivi un training autogène et j'ai pratiqué la relaxation quotidiennement durant plusieurs années. Je supportais plus facilement et plus longuement fatigues et efforts. J'eus cependant l'occasion d'utiliser le training en une période particulièrement critique de ma vie.
"Victime de la persécution raciale, j'eus à traverser sous Hitler des temps d'épouvantables angoisses. Mais toujours la décontraction me permit, lorsque le danger était passé, de retrouver ma tranquillité d'âme et d'accumuler ainsi de nouvelles énergies. En 1942, je dus quitter ma maison pour ne pas être déportée et je me trouvais en danger de mort imminente. Je vécu alors, pendant deux ans et demi, dans l'illégalité, au milieu des dangers, d'angoisses et de privations ; par exemple je devais rester seule dans l'obscurité d'un appartement à chaque bombardement. C'est alors que le training autogène montra toute son efficacité. Je ne sais pas si j'aurais pu faire face à ce retour constant de l'horreur, car ce n'était pas seulement la bombe que je redoutais, mais je craignais surtout d'être blessée et par là même de créer des difficultés importantes aux personnes qui m'hébergeaient pour me sauver de la Gestapo.
"À chaque début d'alarme, je sentais monter en moi une angoisse épouvantable, mais chaque fois également, je réussissais à la rendre supportable par des exercices décontraction. Je pouvais ainsi devenir très calme, hors de toute crainte, jusqu'à ce que l'attaque soit à proximité immédiate. À ce moment-là, le training ne pouvait naturellement plus m'aider mais dès que l'attaque s'éloignait, je retrouvais très rapidement mon calme intérieur.
"Je passais les derniers jours et les dernières nuits de la guerre dans un bunker de Berlin : sans nourriture, dans des conditions hygiéniques indescriptibles, et avec la certitude qu'on nous ferait sauter quand la position deviendrait indéfendable. Le commandant, ayant été fusillé par ses propres hommes, ceci n'arriva heureusement pas"Dans ces jours terribles, les exercices du training me furent d'une aide très grande. J'ai l'impression que c'est en grande partie grâce au training autogène que j'ai pu traverser ces années de terreur sans conséquences psychiques graves" 29
On comprend que la relaxation puisse être d'un grand secours pour l'orateur, l'acteur, le professeur, le sportif en situation de compétition ou encore lors d'un examen médical pénible, avant une intervention chirurgicale redoutée ou une rencontre décisive. En effet, ses bénéfices se prolongent plusieurs heures après l'entraînement. Il est donc possible de se préparer à une situation stressante pour l'affronter avec calme.
Notons enfin que l'hypnose favorise la suggestion : un sujet en état d'hypnose est capable de réaliser par ce moyen des prouesses hors de portée de la volonté normale. Schultz a montré que l'état autogène ouvrait la possibilité d'autosuggestions personnalisées répondant à des problèmes particuliers. Lorsqu'il s'agit d'apporter une amélioration à des troubles fonctionnels déterminés, le patient devra choisir une formule spécifique avec l'aide de son médecin. 30 Mais dans un cadre de normalité et une simple perspective de maîtrise personnelle, il peut choisir seul une autosuggestion adaptée à son cas. Ainsi, le timide pourra s'imprégner par la répétition de la formule "l'audace m'est facile" ; le fumeur assujetti au tabac répétera, en état de relaxation, "la cigarette m'est indifférente".
Le vécu hypnotique apparaît donc comme un outil de récupération nerveuse, de maîtrise émotive et un auxiliaire de la volonté.
Moyens de l'hypnose
L'hypnose fait appel à un hypnotiseur. Pour comprendre le processus de l'hypnose il faut déterminer son rôle. Il ne dispose d'aucun pouvoir magique pour agir sur l'esprit de son patient. C'est à juste titre qu'Erickson a condamné comme ridicule le mythe de l'hypnotiseur tout-puissant imposant sa volonté à l'hypnotisé. Il apporte seulement une solution au problème central de l'hypnose qui doit concilier deux exigences difficilement compatibles : un abandon total et une fixation mentale.
Le lâcher-prise, en effet, est essentiel à l'hypnose. Les procédés pour la produire ont été codifiés par les premiers expérimentateurs ; ils n'ont guère été modifiés par la suite et, comme le note Chertok "les principes n'ont pas changé depuis quatrevingts ans". Leur dénominateur commun est une consigne de renonciation à l'effort, une invitation à l'abandon. Cela est d'abord manifeste dans les indications relatives à la position physique du candidat à l'hypnose. On sait que celui-ci est généralement couché ou du moins confortablement installé. On lui prescrit de se laisser aller, de se détendre. Cette détente doit être à la fois physique et morale. Le sujet est invité à n'opposer aucune résistance, à faire taire son sens critique, à s'abandonner, bref à dormir. Cette suggestion de sommeil se retrouve constamment dans les procédés d'induction hypnotique. Sous l'effet des suggestions de l'hypnotiseur, le patient réalise l'idée qu'il a du sommeil. Or, ainsi envisagée, dans ses seules résonances subjectives, l'idée de sommeil a une signification claire et universelle : elle implique la renonciation à l'effort, l'abandon, bref, le contraire de la volonté.
Mais le vrai sommeil produirait une perte de conscience ou un vagabondage onirique. Ce n'est pas le cas dans l'hypnose, où l'esprit du patient reste concentré sur les suggestions de son hypnotiseur. Or nous savons, depuis Maine de Biran que toute conscience implique un effort. Il paraît donc contradictoire, pour un même sujet, de se focaliser sur une pensée tout en lâchant prise.
L'hétérosuggestion apporte une solution à cette difficulté, puisque ce n'est pas la même personne qui se détend et qui maintient la représentation dans l'esprit : le patient peut rester complètement relâché pendant que son hypnotiseur lui suggère une pensée et la maintient dans son esprit par une "répétition douce" 31. Il n'a pas à assumer simultanément, comme dans l'autosuggestion, deux tâches opposées. C'est en raison de cette facilité, due au partage des tâches, que l'hétérosuggestion a pu être considérée comme le prototype de la suggestion. Elle est facile car il suffit de s'abandonner à l'hypnotiseur.
Moyens de l'autohypnose
Dans la méditation d'autohypnose, c'est la même personne qui doit assumer ces deux rôles contraires et c'est ce qui explique les caractères particuliers de cette méditation : le méditant doit concilier un total lâcher prise, condition nécessaire de l'efficacité, de l'hypnose, avec une pensée, sans laquelle il n'y aurait pas de méditation. Cette double exigence constitue la clé qui permet de comprendre le problème que doit affronter et résoudre toute méditation d'autohypnose.
La solution consiste à répéter, pendant un certain laps de temps, une suite de sons, éventuellement une phrase, en respectant une condition : l'abolition de l'effort. Déjà, le père de l'autosuggestion, Émile Coué, recommandait de réciter sa formule 32 "d'une façon aussi simple, aussi enfantine, aussi machinale que possible, par conséquent sans le moindre effort… sur le ton employé pour réciter des litanies" 33. Et c'est pour éviter l'effort qu'il recommande de ne pas fixer l'attention sur son propos et de le prononcer "avec les lèvres assez haut pour entendre ses propres paroles" : en effet, la concentration sur une parole intérieure génère plus de tension qu'une simple audition. Dans ce contexte de lâcher-prise, il importe peu que ce support sonore ait ou non une signification. Et c'est pourquoi, dans des méthodes orientales comme le japa-yoga ou dans la moderne méditation transcendantale, le mantra répété est dénué de sens et se réduit à une pure suite sonore. Il importe toutefois que cette suite constitue une unité mélodique, une Gestalt sonore comme une phrase musicale où les notes perdent leur individualité au profit d'un rythme : le pratiquant ne perçoit pas le mantra comme une succession de sons séparés mais comme le refrain d'une chanson par laquelle il se laisse bercer. La méditation transcendantale n'est pas intellectuelle mais musicale. Elle implique un abandon à la grâce de l'exercice tout comme l'hypnotisé s'abandonne à son hypnotiseur.
Ce procédé est ancestral : nous avons montré ailleurs 34 qu'on le retrouve à toutes les époques et dans toutes les civilisations. L'humble croyante qui égrène son chapelet comme le chant toujours recommencé d'un même refrain s'abandonne à la volonté de Dieu comme l'hypnotisé à son hypnotiseur. Il en va de même, dans l'Hésichasme, pour le pratiquant de la "prière du cœur" qui répète des milliers de fois le nom de Jésus, en état de lâcher prise. Le Dhikr est dans la spiritualité musulmane l'analogue de la prière du cœur chrétienne. Dans le bouddhisme, le pratiquant du Nemboutsou s'en remet "au pouvoir de l'autre" pour renaître dans "le pays pur". Et, "la méthode Coué" constitue une forme laïcisée de l'abandon religieux.
4 Conclusion
L'autohypnose et la pleine conscience sont deux méditations opposées
Elles s'opposent par les démarches mises en œuvre. L'effort est, comme on l'a vu, consubstantiel à la pleine conscience. Tout au contraire l'autohypnose cherche à retrouver, autant que possible, la totale passivité du patient hypnotisé. Sa consigne essentielle est donc le lâcher prise.
Elles s'opposent également par leur visée. La méditation de pleine conscience cherche à restaurer la normalité, tout d'abord, en détournant l'attention du patient anxieux ou déprimé des pensées susceptibles d'alimenter son trouble. Mais plus fondamentalement, à long terme, elle lui apprend la maîtrise de l'attention. En outre, elle l'introduit dans la pensée objective : le malade de saint Anne qui inventorie avec précision les caractères du grain de raisin sec découvre dans cet exercice psychiatrique que toute conscience est conscience d'objet et que la découverte de l'objet est le fruit d'un effort. Il fait un premier pas dans la vie intellectuelle élémentaire, c'est-à-dire dans la normalité.
Dans l'autohypnose, au contraire, le sujet sacrifie provisoirement cette normalité pour tirer parti des avantages de l'hypnose : il met sa conscience en veilleuse, suspend son sens critique et son autonomie et s'en remet "au pouvoir de l'autre". Ces deux méditations sont donc opposées.
Bilan de recherche
Le concept de méditation connote des expériences différentes que l'on a tendance à confondre car elles sont désignées par le même nom. Nous avons d'abord cherché à les distinguer et à les situer les unes par rapport aux autres. Cet effort de clarification est le premier but de notre recherche. Peut-on aller plus loin ?
Les méditations de pleine conscience et d'autohypnose ne sont pas seulement différentes : elles sont contraires. Ce rapport d'opposition est significatif : ces deux expériences antagonistes semblent révéler deux pôles de la vie mentale et nous découvrir par la même sa structure. Les méditations d'autohypnose sont des plongées dans l'inconscient normal et de constitution que Maine de Biran caractérise comme la vie animale, sous-jacente à la vie humaine. Elles ne consistent pas à créer un pouvoir artificiel par une gymnastique mentale mais à retrouver notre fond primitif 35 par l'abolition provisoire d'un acquis plus récent de notre évolution : l'activité consciente et réfléchie. La méditation de pleine conscience, au contraire, est un outil pour restaurer cette conscience réfléchie lorsqu'elle est amoindrie par la maladie ou une fatigue passagère. Ces deux méditations sont donc opposées ; elles apportent l'une et l'autre des bénéfices différents ; elles se complètent. En outre, à la lumière des neurosciences, elles autorisent, toutes les deux, l'espoir de modifier le cerveau dans le sens d'un progrès.