UN IMMENSE POÈTE DE L'AMOUR : SAYAT-NOVA

Ressusciter Sayat-Nova (1722-1795)

Serge Venturini


LITTÉRATURE POÉSIE
Date de publication : décembre 2006

Aime l'écriture, aime la plume, aime le livre. Sayat-Nova
La véritable biographie d'un poète est dans ses vers. Joseph Brodsky

Traduire enfin Sayat-Nova en langue française, "Haroutine" en arménien, du mot - " Haroutioun " : Résurrection, - d'où l'origine de son prénom.

Ressusciter Sayat-Nova donc, ce poète arménien de la Transcaucasie du XVIIIe siècle, comme Sergueï Paradjanov avait déjà tenté de le faire avec son film-tableaux en 1968, La couleur de la grenade. Sayat-Nova vécut à la cour de Géorgie, musicien, poète et troubadour, il laissa un dîwân selon les Orientaux ou un daftar, écrit en trois langues, en arménien dialectal de Tiflis mâtiné de langue persane, en géorgien et en turc. Ses odes arméniennes sont consacrées surtout à l'amour, et plus précisément à son unique élue, la Dame de son cœur, sa Nazanie, - l'Inégalée, sans doute la belle princesse Anna Batonachvili, sœur du roi Irakli II de Géorgie.

Jean-Jacques Rousseau avait dix ans et Denis Diderot onze quand Sayat-Nova naquit. Voltaire écrivait la première version de La Henriade. Sayat-Nova mourut un an après l'exécution d'André Chénier et de Fabre d'Églantine, deux ans avant la naissance d'Alfred de Vigny et quatre ans avant la mort de Beaumarchais. Quant au marquis Donatien Alphonse François de Sade, il achevait d'écrire sa Philosophie dans le boudoir.

Ce daftar, livre de renom de l'Asie mineure au Proche-Orient, a été écrit avec une grande modernité en langue arménienne, géorgienne et azérie. Sayat-Nova, - ce bâtisseur de ponts entre les cultures, fut si chèrement acheté comme serf par son roi. Il acheva sa vie, amant désespéré face à cette dame inaccessible, insensible, mais non sainte, n'écrivant plus, comme simple moine copiste du nom de Salomon, au monastère d'Haghpat en Arménie d'aujourd'hui où il fut assassiné par les soldats d'Agha Mehmet Khan, après avoir refusé d'abjurer sa foi. Traduire Sayat-Nova en langue française n'a jamais été entrepris en raison de sa difficulté. La traduction de cette œuvre est un périlleux travail. Traduire cette langue élégante et profonde du XVIIIe siècle est un pari difficile. C'est une lourde tâche qui relève parfois du pur miracle, celle de vouloir traduire le mystérieux, - l'insaisissable.

Traduire un poète, c'est tout d'abord l'aimer, puis chercher à comprendre par tous les chemins - un esprit, une culture ancienne, une langue riche aux origines diverses, voire ici plusieurs langues. Traduire est une tentative de serrer le sens au plus près, par fidélité au sens premier sans volonté consciente d'interprétation, sans volonté de métamorphoser le texte en quelque chose d'autre que le texte à son origine. Point donc de broderies orientalistes ici, de celles qui ont tant dégradé la poésie arménienne en traduction. Le sens, - rien que le sens, - fondateur de toute musique. La musique, seule mesure, unique métrique de la poésie.

J'ai traduit Sayat-Nova comme un frère.

Ce long travail hautement musical s'interrompt à peine, lors de ces longues heures d'été où s'achève l'œuvre émergée des épreuves de la sixième version. Il ne cesse de m'interroger sur la fragile mission du passeur entre les langues, les cultures et les siècles, tâche toujours inachevée, jamais satisfaisante… Ce siècle des cœurs sensibles, pour Arthur Rimbaud, se révèle capital pour bon nombre de civilisations. Et, nous avons bien, ici, un poète majeur à la mesure de son siècle ; ses poèmes lyriques par excellence tantôt graves et joyeux, tantôt profonds et légers, méritent une interrogation d'envergure, ce grand Œuvre soulève de riches questionnements. Son dîwân ou daftar n'est-il pas de la belle ouvrage d'universelle portée ?

Il y a du glacier chez Sayat-Nova, et il faut le gravir. Du feu et de la glace. Brûlure de la dure plaie, blessure toujours ouverte, homme à vif, cœur sensible. Sa couleur, - le rouge cramoisi, amarante ou pourpre. Sa voyelle, le i, - i rouge. D'un rouge strident, saturé, parfois injecté de sang, aveuglant, Rossignol aveuglé.

Rubis et sang, - pur diamant.

Pierre de sang, - Ô merveille.

Le style de Sayat-Nova est une mosaïque unique de langues, de notes colorées, de tonalités différentes, où l'expression lyrique faite de notions abstraites côtoie des mots d'une rage concrète.

     
  • Serge Venturini, Paris, 2001 - Ficabruna, Haute-Corse, août 2006
  • décembre 2006

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