L'effort du poète vise à transformer vieux ennemis en loyaux adversaires.
René CHAR, 1943-1944
MOI L'INVECTIVEUR, MOI L'EMPORTÉ, je veux invectiver mes adversaires, m'élancer contre nos ennemis. Selon Diderot, on n'a recours aux invectives que quand on manque de preuves. Contre nos adversaires, - les ennemis de la poésie, - au sens le plus large, ce ne sont pas les preuves qui manquent.
Qu'ont-ils fait les tenants de la poésie d'aujourd'hui chez Gallimard et à la revue Europe, pour mener combat au nom de la résistance de la vraie poésie, - de la poésie vivante ?
Ne nous est proche que ce qui est excès, lançait Tsvétaïéva ! Leur poésie maigrelette et fadasse d'égoïstes et de cyniques ne représente pas cette force vive et pleine d'impétuosité venue des cinq continents.
J'aime les attaques d'Antonin Artaud, les malédictions jetées à un monde en perdition. Dans une lettre du 17 septembre 1945, Artaud stigmatisait son temps. Ces lignes, à quelques détails près, auraient pu être écrites pour notre époque :
" Les gens sont bêtes. La littérature est vidée. Il n'y a plus rien ni personne, l'âme est insane, il n'y a plus d'amour, plus même de haine, tous les corps sont repus, les consciences résignées. Il n'y a même plus l'inquiétude qui a passé dans le vide des os, il n'y a plus qu'une immense satisfaction d'inertes, de boeufs d'âme, de serfs de l'imbécillité qui les opprime et avec laquelle ils ne cessent nuit et jour de copuler, de serfs aussi plats que cette lettre où j'essaie de manifester mon exaspération contre une vie menée par une bande d'insipides qui ont voulu à tous imposer leur haine de la poésie*, leur amour de l'ineptie bourgeoise dans un monde intégralement embourgeoisé, avec tous les ronronnements verbaux des soviets, de l'anarchie, du communisme, du socialisme, du radicalisme, des républiques, des monarchies, des églises, des rites, des rationnements, des contingentements, du marché noir, de la résistance."
[*C'est nous qui soulignons]
Certes, il ne faut pas confondre la hargne littéraire avec des paroles violentes de haine. La haine n'est pas de mon côté, elle habite ceux qui nuisent par leur pouvoir et qui entravent par leurs amis et autres acolytes convaincus, vifs défenseurs de l'Institution, - ces gens qui pourrissent la vie - de ceux qui ont des choses à dire et qui savent de quoi ils parlent.
Car, né de la douleur, né de la compréhension des êtres et des choses, et surtout né de la colère, je sais de quoi la vie et la poésie sont faites. Où sont donc les Armand Robin de nos jours ? - Mais, que les ennemis de la poésie prennent garde ! Les fantômes reviendront leur demander des comptes. À ensevelir vivant un poète, ces maudits auront à faire à leurs lecteurs lointains.
Et, la lumière ne se fera que sur les tombes.
Un poète comme Mahmoud Darwich n'a pas de leçons à recevoir de ceux-là mêmes qui arborent la haine, comme certains, - la rosette à la boutonnière. Voyons ce qu'il écrit :
"La poésie m'a appris qu'on ne combat jamais la haine avec les objets de la haine, ni la guerre avec la guerre. Plus la vocifération se fait violente plus le chuchotement est nécessaire… Ce que le poète peut offrir de plus beau à la Palestine, c'est d'arriver un jour à décrire la fleur de l'amandier…".
On ne se débarrasse pas des poètes par le mépris, le silence, par une absence de réponse à leur courrier, à leur livre, ou par l'indifférence lors de leur décès. Qu'on les assassine ne résout rien ! Qu'on jette leur corps à la fosse commune, non plus ! Leurs paroles vont leur propre chemin, - et ils n'y peuvent rien y faire ceux qui les ignorent. La fleur de l'amandier fleurira et refleurira, avec ou sans Printemps des poètes.
- Et, nous n'avons que faire donc de leur Printemps.