MANOUCHIAN LE POÈTE

Serge Venturini


LITTÉRATURE POÉSIE
Date de publication : avril 2007

Un charmant petit enfant
A songé toute une nuit durant
Qu'il fera à l'aube pourpre et douce
Des bouquets de roses.

Missak Manouchian, Premiers vers

Lorsqu'il faut tracer sa vie sur un chemin de pierres et de ronces,
on ne peut pas être toujours un gentil écolier qui obéit.
Lettre de Martin Keller, 20 novembre 1944.

Qui était Missak Manouchian ? Qui se cachait derrière ce front étendu, sourcils épais, ces yeux noirs pleins de défis, ce nez puissant, cette bouche hardie aux lèvres fermes, ce menton expressif, cette vigoureuse figure taillée à la serpe, cet énergique visage massif tout pétri de tensions saillantes ? Homme au cou large, visage à la peau mate qui me fait penser à celui de l'homme d'Orihuela, Miguel Hernández mort en 1942 ; faciès de terre, de fils de paysans endurcis qui auraient tant plu sans doute au sculpteur Camille Claudel.

- Un homme fier d'un seul bloc -, un hardi dur à cuire, un inflexible résolu ; à la fois un insurgé, un stratège, un militant ouvrier, un poète et surtout, - un homme rude et chaleureux. Un homme d'abord, un humain sans haine. Ses derniers mots à Mélinée le prouvent, s'il faut encore des preuves.

Je suis passé hier au 11 rue de Plaisance, son dernier domicile connu, tout près d'ici, entre la rue Didot et la rue Losserand. Son itinéraire a été celui d'un errant entre le génocideur turc et le bourreau nazi, d'un orphelin déchiré certes, mais sans cesse entreprenant, intrépide et déterminé, et ceci dès l'enfance, en raison du génocide arménien perpétré par le gouvernement des Jeunes-Turcs en 1915. Si son dernier regard s'est tourné vers l'Arménie car il était Arménien, il mourut pour son pays d'accueil, en vrai patriote. "Bonheur à ceux qui vont nous survivre, a-t-il écrit, et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain."

Même si "la mort n'éblouit pas les yeux des partisans", je le vois, je l'entends crier, ce 21 février à midi, au Mont Valérien, à l'ultime instant de quitter ce monde, avec ses camarades : "Vive la France !" La France était selon Missak la "Terre de la Révolution et de la Liberté."

Les massacres des Arméniens se répétaient en raison des relations conflictuelles de la Turquie musulmane avec l'Occident chrétien. Le 1er septembre 1906, Missak voit le jour dans le petit village de Adyaman, au bord de l'Euphrate, hier partie arménienne de l'Empire ottoman, pays kurde de la Turquie aujourd'hui. Ses parents sont des paysans et il fut élevé dans le deuil et le souvenir de ces massacres. Son père meurt dans une action de défense, pendant un massacre organisé par les militaires turcs. Sa mère meurt aussi quelques années plus tard d'une maladie due à la famine, aux privations, au chagrin qui affectaient les populations de ces réfugiés apatrides.

- 1915-1918 : génocide des Arméniens.

Témoin de ces massacres, le jeune Missak, âgé de neuf ans, devient introverti et timide. Il commence à écrire des poèmes à douze ans. Accueilli par des Kurdes, il n'oubliera pas les victimes d'un autre génocide quand il rencontrera d'autres martyrs, les juifs dans la résistance. Orphelin comme des milliers d'autres enfants, il fut recueilli dans une institution chrétienne à Djounié, sous le protectorat français de Syrie, dans un orphelinat où il y apprendra des rudiments de culture.

Dans un poème, Privation, Manouchian révélait ceci :

Quand j'erre dans les rues d'une grande ville,

Ah ! Toutes les misères, tous les manques,

Lamentation et révolte, de l'une à l'autre,

Mes yeux les rassemblent, mon âme les recueille.


En 1924, à 18 ans, il quitte Beyrouth et débarque à Marseille avec son frère Karapet. Son frère décède en 1927. Orphelin de nouveau, désormais solitaire avec un immense chagrin, il fonde même deux petites revues littéraires arméniennes en 1930. Il monte à Paris. Mille métiers, mille misères, il était menuisier, le voilà tourneur chez Citroën... Dans un poème de l'ancienne anthologie de la poésie arménienne par Rouben Melik (1973), Le miroir et moi, on peut lire ces vers :

Comme un forçat supplicié, comme un esclave qu'on brime

J'ai grandi nu sous le fouet de la gêne et de l'insulte,

Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…

Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !
(Traduction Gérard Hékimian)

     
  • Paris, 31 mars-21 avril 2007
  • NB : à tous ceux qui auront des informations supplémentaires, merci de me contacter.
  • avril 2007

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