Dans le bahut de la Tante Marguerite
Dans cette maison ancienne
Très ancienne
Plus ancienne encore que le chemin de fer
La route
L'eau
L'électricité
Et le tout à l'égout
La vaisselle s'ennuie et désespère
D'être si peu installée
Pour la cérémonie vitale
Les verres roses de l'entre-deux guerres
Péniblement rassemblés un à un
Et au hasard de la multiplicité des modèles
Parfois la paire ou davantage
O le miracle
Les assiettes Arts Déco aux motifs stylisés
Dédaignés des ogres et des gloutons
Trop occupés à leur dévoration
Pour louer la beauté de leur auge
Les raviers marchandés
Dans les soupentes sombres des brocanteurs avisés
Visités
Un service à café fabriqué par un fou
Les anses sont des tritons verdâtres
Parsemés de taches noires
Et sur le flanc des tasses
Toutes différentes
On voit des paysannes en costume
Exhiber leurs rubans
Tandis que sur d'autres
Leurs compagnons
Vestes et chapeaux
Redressent fièrement leurs têtes de seigneurs
Un plat long oblong
Où dans les frondaisons bleues
Reposent de paisibles oiseaux
Des bols tournés par les potiers des environs
Vous vous donnez la peine
De les fabriquer leur dis-je
Je peux bien moi prendre celle
De vous les acheter
Ils s'étonnent
Mais moi non
Car je sais
Que leurs rires desormais résonneront toujours
En écho
Dans leurs parois de grès
Dans le bahut de la Tante Marguerite
Dans cette maison ancienne
Très ancienne
Plus ancienne encore que le chemin de fer
La route
L'eau
L'électricité
Et le tout à l'égout
Qui ont sans faiblir ni défaillir
Devant l'ampleur de la transformation
Modernisé le rupestre village
Tapi là depuis bien avant nous
Dure et perdure
Ce trésor accumulé
Les oeuvres de ceux et celles qui tant ont oeuvré
Ouvriers artisans techniciens ingénieurs
Serviteurs de la puissance de la matière
Humbles soumis à la puissance matérielle
Dans les usines fabriques ateliers remises ou hangars
Et soufflant tout au dessus d'elles
Lorsque en raclant les portes
Contre la paroi de bois blanc
J'ouvre ce meuble modeste et tutélaire
Le témoignage
De mon tenace et pathétique effort
Pour conserver
Cette ultime trace
De la présence humaine