Sur le pont, presque à mi-chemin, j'aperçus une jeune femme d'une éblouissante beauté tant par sa parure que par son parfum. Pieds nus, elle s'approcha à pas lents pour me parler. Je m'arrêtai en haut du pont, saisi d'effroi tant sa magnificence et sa grâce étaient stupéfiantes. ― Qui es-tu ? questionnai-je. D'une voix douce, elle me répondit :
"Je suis ta Daénâ…"
Voyant la stupeur sur mon visage de terre, privé de sang, elle s'empressa d'ajouter, comme pour me rassurer : "Je suis celle que tes pensées, tes paroles, tes actions ont faite."
Aucune parole ne put s'échapper de mes lèvres, comme paralysées. Comprenant mon embarras, elle prit mes mains de marbre dans ses mains brûlantes et me dit avec son calme imperturbable :
"J'étais aimée, tu m'as faite plus aimée encore, j'étais jeune et belle, tu m'as faite plus belle encore, mes yeux étaient mi-clos et tu m'as ouvert les yeux."
Sa voix légère semblait venir d'ailleurs, ― peut-être celle d'une étrangère zoroastrienne.
Et, elle m'embrassa, ses mains serraient les miennes, son sang était de feu et elles me communiquaient toute leur chaleur. Je retrouvai mes sens et mes esprits, le sang coulait de nouveau dans mes veines.
Ses lèvres m'ont laissé une amertume de sel marin. Comme une brûlure au visage. Une blessure d'estafilade. J'avais un goût de sang à la bouche.
Mes lèvres remuaient de nouveau, ces lèvres hors d'atteinte qui saignent, ― déchiquetées.
Je traversai avec elle le pont tel un danseur, chantant un air mélodieux à tue-tête, comme font les marcheurs puissants au-dessus des abîmes peuplés de fugitives rencontres.
Paris, le 16 avril 2008