Un an après le référendum, alors que la confiance dans la classe politique française est au plus bas et l'inquiétude vis-à-vis de l'avenir au plus haut, il est temps de s'affranchir d'une science politique convenue. Temps de se débarrasser d'une expertise décrédibilisée qui, depuis le 21 avril 2002, ressasse sans cesse les mêmes banalités triviales et vides de sens : crise de la représentation, vote protestataire, mal être social… Il est temps de penser l'Europe en se détachant des analyses simplistes et dépassées de la démocratie française. En réalité, ce sont toutes les démocraties européennes qui patinent depuis que l'embrayage européen se grippe. Quelle est l'origine de cette panne ? La complexité du système européen ? L'élargissement ? La défiance des européens ? Et si l'Union européenne souffrait moins d'un rejet des citoyens que de l'incapacité des élites à fonder une nouvelle utopie ?
Utopie et idéologie
Dans son livre, "L'Idéologie et l'Utopie", Paul Ricoeur analyse les rapports dialectiques entre contestation de l'ordre établi (l'utopie) et imposition d'une norme commune (l'idéologie) qui fondent la démocratie. Selon Ricoeur, l'idéologie et l'utopie sont des structures ternaires qui se répondent et s'opposent. A un premier niveau, qu'il nomme pathologique, l'idéologie est une dissimulation, une distorsion de la réalité, tandis que l'utopie est une fuite hors de la réalité. A un second niveau, l'idéologie a pour fonction de légitimer l'autorité établie, au risque d'une distorsion de la réalité. Risque que combat l'utopie, puisque, dit Ricoeur, elle a pour fonction d'exposer le problème de crédibilité des systèmes d'autorité. Enfin, à un troisième niveau, l'idéologie est une matrice de l'intégration sociale, alors que l'utopie, en proposant des variations imaginaires sur le pouvoir, le gouvernement, la famille ou la religion est une forme de subversion sociale. On le voit, il s'agit bien de penser une tension, un équilibre instable, à chacun des trois niveaux entre utopie et idéologie. La recherche de l'équilibre entre utopie et idéologie fortifie la démocratie, mais si le déséquilibre est trop fort, la démocratie vacille. C'est alors que surgissent la nostalgie et le mythe…
Nostalgie et Mythe
La nostalgie est, d'un point de vue étymologique, le mal du retour, "un état de tristesse causé par l'éloignement du pays natal", elle est aussi, enseigne le Trésor de la langue française, un trouble pathologique qui, au dix-neuvième siècle, signalait "le regret mélancolique d'une chose, d'un état, existence que l'on a eu ou connu, désir d'un retour vers le passé".
En 1957, Roland Barthes reprend à Claude Levy Strauss l'idée d'un lien entre mythe et idéologie. Le mythe est définit comme étant une opération symbolique qui vise à maintenir une idéologie en la naturalisant "Nous sommes ici au principe même du mythe : il transforme l'histoire en nature" (p. 237). […] "Or cette démarche, c'est celle-là même de l'idéologie bourgeoise" (p. 251).
Le mythe est une sécrétion de l'idéologie qui vise à maintenir les choses en l'état. Il permet donc de combattre la nostalgie qui est elle même d'autant plus forte que l'utopie est faible.
Utopie et Mythe
Il y a dans toute utopie une dimension mythique qui vise à faire croire que l'avenir souhaitable est déjà une réalité désirable. C'est ce qui explique que certaines utopies, comme hier le libéralisme, devienne parfois idéologie. De même la force du mythe tient en ce qu'il possède une dimension utopique. Il ne parvient à naturaliser le présent qu'en valorisant et explicitant des promesses à venir que le présent contient déjà. C'est pourquoi le mythe est souvent investit par des militants progressistes qui, cherchant à prendre aux mots les promesses qu'il contient parviennent parfois (rarement) à libérer l'utopie.
Le mythe européen de la société de l'information
Dans l'Union européenne, les élites ne parviennent plus à penser, depuis la chute du communiste, une alternative au libéralisme. Elles s'affrontent sur les variantes possibles de l'idéologie (de l'ultra libéralisme au libéralisme social), variantes qui ne sont pas équivalentes, mais qui ne constituent aucunement une alternative à cette idéologie. Dès lors, une partie des citoyens, celle qui est broyée par le système en place, ne trouve plus d'offre politique pouvant lui offrir un avenir. Dès lors, elle se retire de l'espace public et/ou se réfugie dans une nostalgie d'un temps idéalisé où le chômage et la mondialisation n'existaient pas. Cette nostalgie devient xénophobe car elle compense l'insécurité économique par la sécurité identitaire. Du coup, elle est combattue, à bon droit, par les élites. Faute d'utopie, ces dernières proposent un avenir européen mythique "une société de l'information et du savoir". Or, ce mythe possède la particularité de conjuguer idéologie libérale, déterminism