On peut avancer sans prendre trop de risques que l'incipit du livre de Daniel Mendelsohn Les Disparus s'inscrira de manière durable dans la mémoire littéraire. Le livre commence ainsi: "Jadis, quand j'avais six ou sept ou huit ans, il m'arrivait d'entrer dans une pièce et que certaines personnes se mettent à pleurer."1Le lecteur surpris aimerait savoir tout de suite pourquoi cet enfant suscite les larmes mais il devra attendre plusieurs pages; il apprendra d'abord que cela se passait à Miami Beach en Floride au milieu des années 1960, que les personnes concernées étaient pour la plupart vieilles et juives, et enfin qu'elles accompagnaient leurs pleurs d'une phrase: "Oh ! Comme il ressemble à Shmiel !"2 Tout ce que sait alors l'enfant Daniel, c'est que Shmiel était le frère aîné de son grand-père maternel et qu'il a été tué avec sa femme et leurs quatre filles par les nazis. Cette phrase laconique "tué par les nazis pendant la guerre" va donner naissance à un livre de six cent cinquante pages, le temps d'apprendre comment sont morts ses parents et comment ils ont vécu. Les Disparus raconte l'histoire de la quête de Daniel Mendelsohn, de son voyage dans le temps et dans l'espace pour redonner vie à ceux qui ont été assassinés. Ce livre n'est pas un roman, il s'agit d'une histoire vraie, d'un récit autobiographique mais il y a là l'œuvre d'un écrivain, l'invention d'un style, d'une écriture singulière; il faut aussi souligner d'emblée l'originalité de la construction du texte où alternent les souvenirs personnels et les analyses de passages de la Torah.