Il faut habiter poétiquement le monde.
Hölderlin
Gaddàay gan ? / Quel exil ?
L'Exil Gàddaay Gi (L'Harmattan 2003), le nouveau recueil de poèmes en wolof de Daouda Ndiaye désigne un fléchage car d'exils, il y en a plus d'un. L'ouverture (Ubbite) est proverbiale, comme ce fut le cas pour L'Ombre du Baobab Kepaarug Guy Gi (L'Harmattan 1999) : « la béy daa dundee ba mat sikket man na caa dee » / « le bouc peut se suffire, sa vie durant, de l'herbe qui l'a nourri depuis qu'il est né »2. Nul besoin d'expliquer la métaphore, les candidat(e)s à l'exil en saisiront aisément le sens. Sauf que le poète ne se fait pas moraliste et emploie le proverbe pour signaler le manque à l'origine : « waaye béy gisatul ñax te lekketu kese masukoo nax » / « mais le bouc ne voit plus d'herbe et une calebasse vide ne peut le bercer / berner» . Là aussi, le renvoi est sans équivoque et s'appuie, par ailleurs, sur la rime choisie par le poète (ñax/nax) dont le premier terme fait allusion, par écho phonique, à ce qui fait défaut chez ceux et celles qui s'exilent : ñaxx/ la sueur, le travail. Immigration économique s'empresserait-on à dire, donc quête d'une vie meilleure et non-nécessité de sauver des vies menacées, comme si « la pauvreté, les sécheresses, les guerres, les famines, le sida, le paludisme persistant, les exigences de l'ajustement structurel »3 et les déséquilibres de la mondialisation n'avaient pas dépassé le stade de simples menaces en Afrique. Ceci est une vision de l'exil, la face évidente, attendue, d'un texte écrit par un Africain avec un tel titre. Et il faut en louer la position ouvrante dans le recueil. Mais il y a une autre version, que je m'en vais chercher, d'abord, à la quatrième de couverture de L'Exil Gàddaay Gi.
« Tout exil exige, en amont, un rituel, une offrande, un sacrifice. C'est à l'ombre du baobab, temple mythique et mystique de la parole que Daouda Ndiaye fit son offrande lyrique», y lit-on. D'un site symbolique et hautement connoté (la fonction essentielle de cet arbre qu'est le baobab en Afrique), le poète amorce une migration, phénomène non moins connoté (l'affluence diversement perçue d'Africains dans les pays du Nord). Mais le poète n'est pas sociologue, encore moins statisticien. Par conséquent, ne le cantonnons point dans une complainte socio-politique, dans un état des lieux poétisé, de ce que d'aucuns sont si prompts à nommer, en Afrique, la fuite des cerveaux et des forces vives, et, en France, "le problème de l'immigration", clandestine, se donnent-ils l'honneur d'ajouter, pour sauver leur sensibilité humanitaire quant à la problématique de la vie en Afrique. L'exil dont il est question pour le poète est, avant tout, un exil autorisé (ce qui disqualifie, d'emblée, toute clandestinité). Le visa est délivré par les mânes. D'où le retour que j'opère ici sur le voeu4 émis à l'ombre du baobab, l'aveu inaugural du poète. En effet, dans L'Ombre du Baobab Kepaarug Guy Gi, Daouda Ndiaye écrit dans son ("Ubbite"/"Ouverture") : "nañu dëp séet tont li ca kepaarug guy gi" / "retournons chercher une réponse à l'ombre du baobab". Une question avait donc été posée ou s'était imposée. Laquelle ? Est-ce celle énoncée, à la suite du proverbe légendaire « nit nitay garabam » / « l'homme est le remède de l'homme » : "Lu nit war a sentu ci nit ?" / "Qu'est-ce que l'homme doit attendre de l'homme ?" A laquelle le poète s'est confronté en menant une réflexion avec et contre les traditions d'Afrique et d'ailleurs. Ou bien celle, souterraine, plus intime, au coeur même de l'entreprise du poète : l'écriture. Avec celle-là, l'exil se dessine et le retour à l'ombre du baobab signifie un recours à une parole spécifique, celle qui a nourri l'homme devenu écrivain, celle qui a construit le jeune homme établi en France. Cette parole, c'est le wolof. Il n'est pas question, du moins ici, d'un débat sur les langues nationales au Sénégal, orales à l'origine et écrites par la suite, ou
Daouda Ndiaye