« C’est alors qu’un poète me sauve », est-il ici écrit. Où, dans quel monde pourrait-il donc suffire de dire « Amour » pour être sauvé? Est-il encore possible qu’une voix de poète prie plus haut que l’horreur, plus fort que la dévastation ?
Oui, nous dit Nicole Barrière, quand cette prière est l’écho du cri d’un enfant. Les enfants, eux, le savent que plus haut que les avions qui crachent des bombes il y a le ciel , celui « imaginé », celui « bleu et blanc », celui « illuminé » ou encore celui « ébloui ». Peut-être est-ce celui des « prêtres » ? C’est certainement celui du rêve dont les poètes devraient connaître le chemin. Car les enfants rêvent, malgré tout, en Irak, en Tchéchénie, en Afghanistan, en Palestine, en Afrique, malgré les seigneurs de la guerre, malgré les ombres et malgré le feu, malgré les sanglots de la guerre ; ce rêve est têtu qui dit la possibilité de l’amour, qui dit que l’on peut être sauvé et seuls restent indifférents à sa promesse ceux qui sont « assis dans le fauteuil du diable ». Car les enfants croient : ils croient en la poésie. Et, poétesse, Nicole croit : elle croit en l’enfance.
Ceci est donc un livre pour les enfants. C'est-à-dire pour les vulnérables. C’est pour eux que s’écrivent ces mots de colère contre les guerres qui humilient la terre humaine ; c’est à eux qu’est dédié cette tendre exploration de « la langue [où] travaille l’humain », de ce « rêve à décrypter d’une nouvelle grammaire d’espoir et d’amour » ; c’est pour eux que chantent aussi ces mots de désir, ces mots nés de rencontres où s’échangent des caresses, et où « il nous souvient du verbe aimer ». Ces vers sont tracés pour les enfants que les guerres des adultes envoient comme petits réfugiés là-bas, au-delà des frontières, à errer sur « les pistes où il n’y a pas d’école », dans les rues où ils apprendront à dormir.
Il s’agit ici de chanter l’amour et donc d’engager la poésie. Car comment veut-on qu’il n’y ait pas en poésie d’engagement, de message ? Voilà l’étonnement de Nicole Barrière. Comment pourrait-elle, alors qu’elle est fille du rêve, accepter le malheur, ou alors parler d’autre chose et s’installer, indifférente, dans le fauteuil du diable ? Au commencement de sa « transe poétique » Nicole Barrière rappelle cet engagement premier du poète ‘d’aimer à perdre la raison’ et dont Jean Ferrat a fait une chanson. Sa poésie exprime que l’autre face de ce même engagement est de faire en sorte ‘que le malheur succombe ‘. C’est au nom de l’amour qu’il faut donc crier contre l’humiliation, contre l’injustice, contre les occupations. Il lui faut prier « Amour » pour la paix, pour la vie, pour le désir. Non pas d’abord pour on ne sait quelle Révolution. Mais simplement parce qu’il ne faut pas laisser seul le cri d’un enfant.
Souleymane Bachir Diagne
juin 2004
Souleymane Bachir Diagne
Professeur de Philosophie
Université de Dakar et Chicago