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LA VILLE COMME PROCESSUS (recension 1)

Revue Écologie et Politique - n° 54 - avril 2017
Note de lecture par Michèle Descolonges (sociologue)

Clément-Noël Douady,
La ville comme processus.
Derrière la forme urbaine, quelles dynamiques ?
Essai, L'Harmattan, Paris, 2016
Peut-on rendre compte des dynamiques urbaines par la modélisation ? Tel pourrait être un second sous-titre de l'ouvrage que nous offre Clément-Noël Douady, qui entreprend d'énoncer les paramètres majeurs dont pourrait tenir compte une modélisation. Il annonce limiter son ambition à l'étude du réseau des rues, mais il entreprend de fait un repérage qui va bien au-delà. Il dispose en ce domaine d'une longue pratique d'urbaniste qui l'a conduit principalement en France et en Chine.
C'est a posteriori que nous observons le "perpétuel mouvement" de la ville, expose un premier chapitre, intitulé "Préliminaires". Pourtant un processus est à l'œuvre, organisateur dans la durée des voies de liaison, répondant selon l'auteur à une "géométrie triangulée", de l'utilisation du site, quadrillé de rues se croisant, que l'on observe dès l'Antiquité, des enclosures, c'est-à-dire de ce qui organise l'intérieur et l'extérieur de la ville. Un premier point à noter est que "ces éléments se retrouvent dans de nombreux plans de ville à travers le monde", et à travers l'histoire, en dépit des contextes culturels et sociaux. À l'appui, des schémas de "ville quadrillée" nous sont proposés. On notera la photo d'une reconstitution du plan parfaitement circulaire de la ville mésopotamienne de Mari, la cité-État datant d'environ 2 900 ans avant notre ère, à l'intérieur de laquelle un quadrillage peut être observé. Le voisinage d'avec la vue aérienne de la ville de Bram, située dans l'Aude, témoigne de l'existence d'une "circulade" médiévale.
Les "composantes du processus" présentées au deuxième chapitre montrent les emboîtements entre des noyaux urbains, constitutifs des villes, des voies de liaison et des réseaux, qu'il est possible de schématiser par "le point, la ligne et le réseau" et d'en montrer la continuité. La notion d'enclosure souligne la dynamique de la protection et de la vulnérabilité, se calque sur la ville et la campagne, désigne schématiquement ceux que l'on protège, ceux que l'on délaisse. Ici, l'introduction de la notion de "pouvoir" serait sans doute utile. Il est évidemment intéressant de rendre compte, comme l'a réalisé le sociologue américain Mike Davis dans ses travaux sur la ville de Los Angeles, des évolutions du phénomène de l'enclosure et des rapports de forces qui les génèrent : villes vidées de leur centre, délaissées aux plus pauvres, et reconstitution de gate-cities. En retour, quels en sont les effets sur les voies de liaison, sur leur contrôle ? Est-ce la "complémentarité" qui guide la répartition des implantations à l'intérieur ou à l'extérieur de l'enceinte, comme tend à le montrer un ancien document de la ville de Xi'an (Chine), présenté dans l'ouvrage ? Et que penser de la localisation de ces enclosures que sont les prisons, les camps de réfugiés et les camps d'internement, les espaces et structures d'enfermement qui, tout à la fois, excluent et sont censés protéger ? Et, finalement, qui et qu'est-ce qui est exclu, qui et qu'est-ce qui est inclus ?
Les deux chapitres suivants, respectivement intitulés "Facteurs géographiques" et "Facteurs humains", visent à montrer l'enrichissement de la trame de base (noyaux urbains, voies de liaison, réseaux locaux discordants) par des "dynamiques complémentaires". Ce sont notamment celles du site et des possibilités de protection naturelle, comme à Avignon, installée dans un coude du Rhône, ou à Carcassonne, dont la citadelle construite sur une éminence est préservée grâce à l'absence de construction sur les pentes. L'exemple des villes de vallée, présenté ici grâce à des vues aériennes de Chengde (Chine) et de Tulle (Corrèze), indique la prééminence de la nature du site sur le statut des inspirateurs.
Il est bien difficile de répondre à la question, posée sous l'énoncé "Motivations" : "Mot de la famille de moteur, qui met en mouvement (à source d'énergie). Quelles sont donc ces forces qui poussent les humains à agir sur le territoire, s'y déplacer, s'y incruster, s'y enfermer ? À en exploiter les surfaces pour y cultiver, y construire ? Se combattre et se protéger ?" Le thème des limites ou frontières se dessine davantage dans ce chapitre, offrant, me semble-t-il, une lecture de l'ouvrage dans son ensemble. Ce sont bien les logiques de protection des humains qui prédominent dans les choix opérés en matière de création de noyaux urbains. Protections édifiées contre les intempéries, les climats, les possibles prédateurs, les manières de faire des humains sont égrenées par Clément-Noël Douady. Que l'enclosure réponde aux dangers du moment, ou qu'elle soit la composante d'un groupe constitué, comme le furent les légions romaines, le moment où elle est saisie ne préjuge pas totalement de son avenir et dit peu de son passé. L'auteur écrit joliment à ce sujet : "Un coup de zoom arrière, et tout se transforme : les rues de Milet et de Manhattan conduisent à la mer ; Pékin s'arrondit ; Richelieu se dilue dans la campagne, Brasilia s'émiette… Un coup de zoom plus avant, et la vie reprend ses droits : à Kyoto on peut se glisser dans les ruelles ; dans le vieux Xi'an remarquer des clans organiques dans chaque maille ; au cœur de Chandigarh découvrir deux anciennes cités emboîtées, l'une carrée et cardinale, l'autre arrondie."
Avec cet ouvrage, nous sommes très éloignés de la patiente, parfois modeste quant à ses sources et cependant riche et pionnière Histoire de la France urbaine dirigée par Georges Duby à la fin des années 1970. Loin de sa mise en perspective de l'histoire urbaine par rapport à l'histoire rurale, loin aussi d'un retour sur les notions de progrès et de liberté dont les villes, à la différence des campagnes, seraient porteuses. Au fil des cinq volumes, les auteurs montraient que l'urbain n'était pas réductible aux seuls facteurs économiques, et que l'actualité des aménagements urbains des années 1970 méritait d'être éclairée par le temps long des groupes humains.
Peut-être est-ce là la rançon de l'intention modélisatrice ? Les dynamiques urbaines sont réduites dans la ville comme processus à des régularités morphologiques observables dans le temps et dans l'espace. Dès lors, peut-on parler de "dynamique" ? Cependant, en introduisant (dans le chapitre "Croissance et avatars") la notion d'"impermanence", autrement dit d'instabilité, puisée dans son expérience chinoise, l'auteur témoigne, par une écriture interstitielle, que l'analyse ne peut faire fi d'un recours à des notions élaborées par de nombreuses disciplines. Ce qui élargit singulièrement le champ des "régularités". Un travail interdisciplinaire, en somme, peut-être représentatif d'une nouvelle écologie urbaine, qui mobilise des techniques du numérique et les articule parfois difficilement avec la parole.
Michèle Descolonges

Michèle Descolonges (sociologue)

REVUE ÉCOLOGIE ET POLITIQUE - N° 54 - AVRIL 2017, avril 2017

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