Texte rédigé dans le cadre du stage Cofrens "Lire la ville" 1998 organisé par l'Ambassade de France à Singapour (Attachée linguistique Valérie-Lai Tehio) et animé par CND et Fabien Ansel.
LIRE SINGAPOUR
Un Français dans la ville
Jouant le jeu du stage, je sors avec Fabien et cherche dans les rues alentour (quartier résidentiel proche du centre) ce que la ville nous donne à "lire".
Des rues courbes (et qui rendent l'orientation difficile), conduite à gauche, automobilistes et piétons fort disciplinés ; tiens, un bus à impériale ; grandes pelouses aux formes souples... tout ceci a un petit air britannique (et d'ailleurs les inscriptions sont en anglais).
Mais cette végétation luxuriante : palmiers divers, banians, et ces grands arbres d'alignement au port de flamboyants. Et tant d'arbres d'espèce inconnue, certains au port de bonsaï... Beaucoup de feuillage vert foncé, plus ou moins vernissé... Plantes grasses à l'air libre, qu'on ne connaît en France que comme plantes d'appartement (potos, misère violette)... pelouses non pas d'herbe, mais d'une plante rase à feuilles vert clair (comme le "kikuyu" de Tunisie) : serions-nous sous les tropiques ?
D'ailleurs les larges drains à l'air libre dénotent des pluies diluviennes, et les "descentes à couvert" à l'entrée des principaux immeubles, comme les galeries le long d'alignements plus anciens, semblent correspondre à un climat souvent pluvieux (ou trop chaud ?).
La profusion de tours, dont plusieurs en voie d'achèvement, évoque la persistance d'un dynamisme économique devenu rare sur notre planète en crise, tandis que divers signes architecturaux (globalement plutôt discrets) rappellent les toits de l'Asie d'autrefois.
Les gens ? Une majorité en costume "occidental", sobre et chic, les hommes pantalon sombre et chemise blanche (on imagine que la cravate a été retirée pour cet arrêt de midi, mais sera remise pour le retour au bureau) ; petits groupes souvent habillés de manière homogène, même chez les plus jeunes ; quelques habits traditionnels (souvent avec un port remarquable, par exemple chez des Indiens)... Une population d'origine diverse, consciente de ses traditions mais déjà très ouverte à la modernité ? Les participants au stage le développeront mieux que moi (l'une d'entre eux, particulièrement perspicace, allant jusqu'à lire une composante de l'identité singapourienne dans le dessin d'un col féminin).
"Mais où est-ce qu'on mange ?..."
Le stage m'a fait prendre conscience du fait que la ville, ou du moins la ville asiatique traditionnelle, est un lieu où l'on mange, ou plus précisément où l'on mange visiblement.
La question concernant Singapour, posée par un participant venant d'un pays voisin [le Vietnam] où cette tradition reste vivace, a trouvé écho chez la plupart des participants, et la nourriture tient une place remarquable dans leurs réflexions sur la ville.
Étals de légumes au bord de la rue ; marchés si animés qu'ils figurent en bonne place dans les guides touristiques. Multitude de "soupes de trottoir", où l'on peut trouver à se nourrir à bon marché à toute heure du jour, voire de la nuit, comme en France on peut boire un café en terrasse à la belle saison : une tradition vivante de la rue asiatique que la ville moderne tend à effacer au profit d'une animation intérieure aux buildings.
Faudrait-il désormais, à Singapour et dans les villes "modernes" d'Asie, entrer dans les immeubles pour y retrouver l'animation de la rue d'autrefois, réfugiée dans l'espace climatisé de la "5° saison" ?
Pas tout à fait, heureusement, car la tradition persiste dans certains quartiers - comme Boat Quay, avec ses terrasses au bord de la rivière - ou même se développe dans ces sortes de jardins, plus ou moins couverts, entourés d'échoppes cuisinières, tandis que les immeubles les plus récents comportent souvent, ouvrant sur le trottoir, un espace en terrasse couverte où se répercute plus ou moins la fraîcheur de la climatisation intérieure.
Clément-Noël DOUADY
AMBASSADE DE FRANCE À SINGAPOUR, novembre 1998