Frantz Fanon a été un humaniste ayant travaillé sans se décourager à la valorisation de la conscience noire. Il a su éviter le piège facile de l'essentialisme, de l'identité unique et figée. Sa pensée complexe reflète la réalité complexe de ce que l'on appelle par un raccourci le monde noir ou pour être moins politiquement correct, le monde nègre. Son enseignement est à rebours de l'afro-centrisme réducteur en vogue.
Fanon a été aussi un révolutionnaire ayant légitimité la violence du colonisé en tant que réponse à la violence du colonisateur. Il nous apprend que la libération des opprimés et des peuples colonisés n'est pas "le résultat d'une opération magique, d'une secousse naturelle ou d'une entente à l'amiable". L'émancipation suppose la prise de conscience de la nécessité de la révolte. Une révolte permettant de construire une identité conquise dans la liberté.
Militant autant que théoricien, il a sublimé son expérience de victime du racisme en mêlant ses réflexions aux observations cliniques du médecin psychiatre qu'il fut. Son ouvrage majeur, "Peau noire, masques blancs", qui a eu l'effet d'une bombe à sa publication, en 1952, demeure une référence pour qui veut comprendre les ressorts psychologiques de l'aliénation de l'homme noir.
Rédigé dans un style alerte par un écrivain inspiré soucieux autant du style que de la rigueur de la démonstration, cet essai a permis de modifier en profondeur la psychiatrie. Avec Fanon, cette discipline a montré ses limites pour soigner les maladies mentales chez les colonisés. "Peau noire, masques blancs" demeure d'une brûlante acuité.
Avec Aimé Césaire et Edouard Glissant, Frantz Fanon a été l'un des penseurs natifs de Martinique à avoir porté au-delà des mers la complexité de ce pays tourmenté. Ils ont tous les trois œuvré à son émancipation de l'esclavage mental. Leur héritage est-il vraiment assuré ?
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Jean-Marc Party
FRANCE INFO / LA 1ÈRE, décembre 2017