Critiques

La politisation de l'ordre sexuel. Albert Le Dorze. L'Harmattan.

Quand j'ai commencé à lire La politisation de l'ordre sexuel, j'ai immédiatement téléphoné à son auteur, le Docteur Albert Le Dorze, pour lui demander comment résumer son livre. Le Docteur Le Dorze était absent et il ne m'a pas rappelée. Mais, au fur et à mesure de ma lecture, la réponse à la question que j'avais tenté de lui soumettre s'est imposée : son livre ne peut être résumé. Il est riche et foisonnant d'idées et d'érudition ; le lecteur doit renoncer à vouloir le maîtriser ou même à le lire d'une traite. il lui sera plus aisé de l'utiliser comme une mini encyclopédie ; ainsi le premier chapitre, nommé très justement Les outils philosophiques, est le résumé, en cinq pages, de trois théories, celles de Foucault, de Derrida et de Deleuze. Le style est clair et il donne envie d'en prolonger la lecture par celle des auteurs précités. Le second chapitre n'a rien à envier au précédent et Albert Le Dorze n'hésite pas à proposer un tour d'horizon des principales conceptions psychanalytiques des perversions sexuelles. Mais qu'on ne s'y trompe pas : son livre ne se réduit pas à un catalogue de différentes théories et, lorsqu'il les résume, ses opinions, ses interrogations et ses indignations apparaissent au détour d'une phrase, immixtions qui éclairent peu à peu la finalité d'un travail plein de méandres scientifiques (il met en perspective les hypothèses de Stoller ayant trait au transsexualisme avec les données biologiques), psychanalytiques, philosophiques et politiques. Il choisit les marges que sont les perversions, des plus banales (l'homosexualité, le sadomasochisme) aux plus extraordinaires (les queers) ; il s'intéresse à ceux qui les théorisent et qui en font un choix de vie quasi idéologique. Il les met en parallèle avec le féminisme, le racisme, la façon dont on traite les handicapés et avec diverses conceptions politiques. Il ne peut d'ailleurs que consacrer un chapitre à ces dernières et, si la plupart d'entre nous connaissons un peu le situationnisme, les théories de Slorterdijk, Fukuyama, Gauchet ou Ogien nous sont bien moins familières. Parce qu'il veut aussi sa réflexion pragmatique et ancrée dans le présent, il ne fait pas l'impasse sur l'actualité ; il s'intéresse à de nombreux faits de société comme, par exemple, le PACS ou l'association "Act UP". Et parce que sa réflexion doit être aussi radicalement fondamentale, il affronte les diverses théorisations du désir d'enfant et même de la différence des sexes.
Il existe, dans le livre d'Albert Le Dorze, d'autres détours encore qui valent la peine d'être découverts. Ils forment un cheminement exemplaire et heuristique. Le Dorze ne veut et "ne peut devenir fonctionnaire de la médecine, de la psychiatrie, de la psychanalyse. Il n'est aucunement condamné par le destin à revêtir les habits sociaux, dressés par la tradition, du médecin-psychiatre-analyste, tant dans sa vie culturelle, qu'affective ou sexuelle. Il se doit [...] de refuser l'assujettissement identitaire, le peccamineux enfermement religieux, fût-il psychanalytique". Et pour échapper aux idées convenues qui emprisonnent les esprits, il n'hésite pas à mettre à la question les concepts les plus communément admis (y compris par lui-même) pour s'en servir de la façon la plus éthique possible. Les savoirs ne doivent pas ériger un mur entre ses patients et lui, sous peine d'une pratique idéologique ; mais sans eux, il ne peut entendre les désirs que ceux qu'il rencontre tentent de lui confier. L'équilibre est difficile mais il est, pour le Docteur Le Dorze comme pour nous tous, obligé. Son livre en est une éclatante et flamboyante illustration.

Anne Henry

NERVURE - N°3 - TOME XXIII - JUIN-JUILLET 2010 - P 7., juin 2010

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