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Chronique - Qui est Abou Zeid ?

Le nom de guerre de cet émir d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), hier encore totalement inconnu, est désormais familier, tout comme son visage. D'anciens otages, tel le Français Pierre Camatte, l'ont reconnu sur les clichés où il pose, les armes à la main, aux côtés des sept employés d'Areva et de Sogea-Satom enlevés au Niger dans la nuit du 15 au 16 septembre.

Sur la liste des terroristes les plus recherchés des Nations unies, - liste alimentée par les Etats concernés -, il est Abid Hammadou, né le 12 décembre 1965 à Touggourt, dans la wilaya (préfecture) d'Ouargla, au sud-est de l'Algérie. Mais pour le journaliste algérien Mohamed Mokaddem, Abou Zeid est Mohamed Ghadir, né "sous une tente dans la région déshéritée du désert du Debdeb", près de la frontière libyenne, à une date qui reste incertaine du fait de la déclaration tardive de son père.

Dans un dossier où fausses informations et manipulations foisonnent, ce livre ajoute à la confusion en affirmant qu'il y a erreur d'identité sur la personne la plus guettée, aujourd'hui, par les services de renseignement. L'auteur - Mohamed Mokaddem est un pseudo -, dirige le quotidien arabophone Ennahar depuis 2007 et est connu favorablement des spécialistes d'Al-Qaida qui le jugent bon connaisseur de la question après son précédent livre, sur Les Afghans algériens.

Cette fois, pour étayer sa thèse, il fournit force détails, décrivant un berger analphabète devenu contrebandier en matériel électronique et en thé, puis un militant actif du Front islamique de salut (FIS, dissous en 1992), marié quatre fois et engagé aux côtés des combattants islamistes après un séjour en prison. Un parcours très proche de "l'autre" Abou Zeid, Abid Hammadou, presque un jumeau serait-on tenté de dire, également contrebandier, également fait prisonnier et qui a, lui aussi, petit à petit rejoint les rangs islamistes.

"Ils étaient tous les deux membres de la section du FIS dans leurs communes respectives, justifie le journaliste. Chacun d'eux a rejoint les groupes armés en compagnie de son frère, à des dates rapprochées : Abid Hammadou avec sonfrère Bachir, et Mohamed Ghadir avec son frère Ibrahim." Pour ajouter au trouble, la mère d'Abid Hammadou a lancé des appels publics, - relayés par le journal Ennahar, et plus récemment par l'hebdomadaire Paris Match -, enjoignant à son fils de rentrer dans le "droit chemin"... Or, la mère de Mohamed Ghadir, qui se serait entretenue pour la dernière fois avec son fils par téléphone "à la fin de l'été 2010", a agi de même.

Pas de quoi démonter Mohamed Mokaddem qui affirme -qu'Abid Hammadou a été tué par l'armée dans le Sahara dans les années 1990. "A l'état civil, il est toujours vivant. Sa mort n'a pas encore été enregistrée. Sa mère le croit vivant et lui lance de temps à autre un appel à travers les médias pour qu'il se soumette aux lois de la concorde civile." L'auteur s'appuie sur des témoignages qu'il a lui-même recueillis auprès des familles et sur des pièces qu'il produit, comme l'extrait de naissance de Mohamed Ghadir. Non exempt d'erreurs factuelles, souvent approximatif, avare de sources, son récit, qui compile des témoignages d'anciens otages et des notes sur l'évolution des groupes islamistes en Algérie, a le mérite de démontrer, s'il en était besoin, toute la complexité du sujet. Publiée il y a peu en Algérie par les éditions Casbah, sa thèse n'a soulevé, sur place, aucun débat.


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"Al-Qaida au Maghreb islamique. Contrebande au nom de l'Islam." Mohamed Mokaddem, L'Harmattan, 220 p., 21 euros

Isabelle Mandraud

ARTICLE PARU DANS L'ÉDITION DU 28.12.10

http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/12/27...

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