Premières réactions à la lecture des
"Notes sur le vélo et la bicyclette" de Noël Jouenne,
L'ouvrage est estimable et l'auteur a perçu bien des choses. Ainsi, par exemple, il a bien vu ce qui est gênant dans la prose de F. Héran : ses accents "militants" ne font qu'affaiblir ses démonstrations. Par contre il surestime la pertinence des trois âges de Gaboriau. Historiquement deux choses ont mis le vélo dans la mauvaise case de l'imaginaire collectif en France : 1- le Tour de France : épopée de l'effort populaire... jamais récompensé (Poulidor), 2- la guerre de 40 -45 : qui a stoppé net l'essor débutant de l'automobile, la France n'a atteint que vers 1968 (!!) le taux de motorisation atteint en 1938, la Wehrmacht ayant réquisitionné les autos et contraint les Français à revenir ahaner sur leurs vieilles bécanes - ainsi pour longtemps le vélo a été catalogué symbole "des années noires".
Noël Jouenne accorde -comme beaucoup- trop d'importance aux aspects purement techniques du vélo (vélos pliants, VAE...). Ivan Illich l'avait démontré : un optimum technique a été atteint à l'extrême fin du XIX° siècle (optimum dont le vélo est un emblème) ; au delà on est passé d'une technique de l'outil permettant l'intervention (réparation p.ex.) de l'usager à un système qui échappe à l'usager car il est devenu lui même un rouage de ce système.
Comme Fottorino, Ph Meyer et d'autres, Noël JOUENNE a du mal -malgré son attachement aux règles de la méthode (cf. Durkheim)- à se détacher des impressions subjectives liées à son expérience et à sa pratique personnelle du vélo.
Et comme tous les vieux cons qui pensent avoir tout dit cinquante ans avant tout le monde, je pourrais dire que Noël Jouenne : 1- ne m'a pas lu avec assez d'attention -pour ce qui concerne mon article de Médiologie, et 2- n'a -hélas- pas lu les deux livres les plus pertinents que j'ai écrit sur le vélo : "RESBI" (au moins les 2 pages de conclusion), et "formes urbaines du futur et mobilité non motorisée"(séminaire du 17 décembre 1999).
*** *
Aujourd'hui le vélo changé de place et de sens dans l'imaginaire social : il n'est plus le symbole de la liberté permettant une autonomie au prix d'assumer les devoirs qu'elle impose (effort musculaire et entretien personnel de la mécanique), mais une sorte de "cadeau Bonux" parmi tous les "cadeaux" que d'un clic nous offrent les progrès de la technique numérique (la religion universelle).
Et les progrès concomitants de la servitude volontaire font accepter le VAE (le vélo- Fukushima) comme à la fois écolo (électrique = écologique !) et sportif (parce qu'on double aisément ceux qui peinent sur leur bécane archaïque). Mais le SYSTEME des Velib a donné le ton : foin de l'autonomie et des efforts et des soins qu'elle exige en contrepartie, maintenant c'est "MOI JE", "d'un clic" et "quand je veux". Dans cette "logique" on est donc passé très vite du Velib et des vélos pliants au Velo - Fukushima, puis au Segeway (vite oublié, ça n'a pas pris), et enfin à la "trottinette électrique". Nul doute vu l'accélération du marketing d'une technique poussée paradoxalement par l'abime qu'elle creuse devant elle sans le voir, qu'on nous trouvera bientôt un autre truc.
De ce fait -malgré toute la "com" écolo et pro-vélo- on est très loin de ce à quoi on réfléchissait dans les années 90-2000 : les formes urbaines du futur et celles d'une mobilité non- motorisée....
© Jean-René Carré (Janvier 2020)
Jean-René Carré
INÉDITE, janvier 2020
Télécharger le fichier