Avec son style inimitable, A.LEDORZE ose réunir les thèses antithétiques sur ce sujet à la mode, où se bousculent spécistes et antispécistes, biologistes et spiritualistes, humanistes et amis des bêtes ? etc.. Alignant cinq de ses derniers ouvrages selon une logique qui n'était pas si évidente au lecteur le plus bienveillant, on se dit qu'il va enfin nous dire où il veut en venir, ce qu'il en pense, lui. Il y a des livres qu'il faut lire "au 2ème degré", dit-on. Avec ALD, il faut inventer des degrés supplémentaires, ne serait-ce que pour lui laisser une chance d'être, au verdict des urnes, plutôt du côté des "bons", c'est à dire de notre côté supposé.
P63 : exposé de la "modernité radicale" : pas de barrière entre l'espèce humaine et les animaux, cultures humaines et animales sont synonymes (Peter SINGER). Mais "il n'est pas possible de réduire à rien les différences entre l'homme et l'animal" (cf A.PROCHIANTZ, Singe toi-même).
P77, lisant la Psychiatrie animale de BRION et EY : La psychopathologie pourrait devenir "celle de l'homme qui retrouve les racines animales de son existence". Le psychiatre ne s'afficherait pas du pur côté d'une anthropologie spiritualiste ; il est aussi naturaliste, il ne dénie pas la vie biologique et ses incertitudes, commune aux animaux et aux humains.
P91 : Que dire des malheureux qui ont érigé la science en religion et qui croient détenir la vérité ? Oublieux que "l'esprit humain ne sert pas la vérité mais la réussite de l'évolution. Penser autrement c'est oublier Darwin". Essentialiser l'Homme serait raciste (p55). DARWIN ne pensait-il pas d'ailleurs qu'entre les hommes et les animaux n'existaient que des problématiques de seuil et non pas d'essence" (p70). LEVI-STRAUSS a pris le relais au siècle suivant avec le Structuralisme, prévoyant "la mort de l'homme", thème repris par FOUCAULT.
ALD rapporte des idées (il en est généralement -généreusement même - débordant) et des faits : le Procès du Cochon, le Procès du Singe (1925), expose son idée de la genèse de la Famille (p86). Mais il a de bonnes lectures aussi : Les animaux dénaturés de VERCORS (1952) par exemple, et l'incontournable "Malaise dans la civilisation" de FREUD.
Les Eyiens regretteront sans doute l'absence de TEILHARD DE CHARDIN dans sa bibliographie.
Juger le porc comme un homme, c'est sous-entendre qu'ils ont un fonds commun, une commune nature ou essence. Qui y gagne ? qui y perd le plus ?
Le procès : une métaphore du bouc émissaire, une allégorie ? Encore faut-il y être sensible, accessible. Umberto ECO rapporte l'histoire de cet éditeur à qui George ORWELL propose le manuscrit de La Ferme des animaux et qui lui répond : "Impossible de vendre une histoire d'animaux aux Etats Unis !". Une tradition depuis le procès du singe ?
"Ne manquait à la fermeture du cercle que de faire de l'homme un singe-nu, aussi haineux envers ses proches que les dinosaures, adepte de la philosophie du porc et de la logique de la soupe et de faire de ce singe un précurseur de l'homme. Pauvre immaculée conception du langage !" dit ALD.
Mais va-t-on, se trompant de cible, plaindre le Langage plutôt que l'Homme ? comme ces penseurs de l'Ecole de Francfort (ADORNO, HORKHEIMER, BENJAMIN) tenant les Lumières pour responsables des grandes tueries du XXème siècle, ce qui est une dangereuse et irresponsable absurdité. Le Langage et la Raison ne sont que des instruments, des outils de l'homme, utilisés pour le meilleur ou pour le pire (depuis ESOPE). Et l' on peut aussi en repérer les prolégomènes chez l'animal : parfaitement raisonnable dans son Umwelt (UEXKÜLL) et qui communique avec ses pairs pour l'essentiel (ce qui pour lui est essentiel, c'est à dire vital).
On trouvera un complément utile sur le langage dans un texte récent de Francis WOLFF (Animal parlant, animal libre). Résumons : ce n'est pas la conscience qui fait la différence de l'homme avec l'animal, mais la liberté et "c'est en accédant au langage qu'un animal conscient devient libre". Un animal, comme l'homme, a des croyances sur son environnement et des désirs d'y agir. Qu'est-ce que le langage humain change à la conscience et aux actes ? F.WOLFF donne ici sa réponse, qui complète opportunément le texte d'ALD. Elle passe de la croyance au jugement et du désir à la volonté. Elle accepte, voire revendique la négation : "L'humanité commence avec la négation". Quant à la volonté, elle n'est qu'un désir de second ordre. "Un être humain doit pouvoir avoir des volitions sur ce que ses désirs devraient être. C'est là le propre de l'homme. C'est ce qui constitue les agents en sujets en leur donnant la conscience (nullement illusoire) d'être libres : ils peuvent être libres à l'égard de leurs propres désirs". Je recommande la lecture des six pages (p91sq) expliquant ce que représente et implique le fait d' "Etre libre pour l'être humain" et, indirectement, ce que le philosophe peut apporter au psychanalyste.
Dernière phrase du livre d'A.LEDORZe : Depuis l'article 515-14 du 16/02/2015 du Code civil, les animaux sont désormais des êtres vivants doués de sensibilité mais ils restent soumis au régime des biens meubles. "Biens meubles" : comme les esclaves dans le Code noir (1685) dont on reparle beaucoup en ce moment.
Mais quand l' "homme augmenté" des transhumanistes sera au point, y aura-t-il encore (et pour qui) une différence de nature avec les animaux-machine de Descartes et l'homme machine de La Mettrie ? Si la machine est plus libre que l'homme comme l'aurait laissé entendre Lacan (!?), il y aurait beaucoup de raisons de s'en inquiéter tout de même. La dernière phrase du livre d'ALD pointe un texte de Luc SEMAL : "L'an 01 de la Collapsologie".
Comment s'étonner de voir fleurir des religions du Salut, parfois les plus extrêmes, après ce panorama plutôt désespérant ("Le monde s'effondre, s'effondrera, lentement ou d'un coup. Et nous n'y pouvons rien…"). En attendant, inspiré de VOLTAIRE, "réanimer l'animisme resacraliserait les éléments naturels" (p92).
Rappelons à ALD que les japonais sont, une fois de plus, en avance sur nous avec le Shintoïsme, qui me convient personnellement assez bien ; et je me découvre plutôt "créationniste laïque" dans sa terminologie ; grand ami des chats et des chiens, accessoirement mais pas exclusivement.
Sans doute en ai-je trop dit : sur A. LE DORZE et sur moi ! Faites-le tri vous même…
RM.PALEM
A PARAITRE DANS LES CAHIERS HENRI EY