Geffard, P. (2018). Expériences de groupes en pédagogie institutionnelle. Paris : L'Harmattan.
Marc Guignard
Comme il l'annonce dans son introduction, Patrick Geffard a voulu cet ouvrage comme " une contribution à la réflexion sur certaines dynamiques potentiellement à l'œuvre dans les groupes de pédagogie institutionnelle " (p. 9). À la lecture du livre, il apparaît non seulement que ce but est atteint, mais que ses apports intéresseront largement au-delà du cercle des praticiens de la pédagogie institutionnelle. En effet, d'une part, il n'est pas nécessaire d'être familier du courant pédagogique évoqué pour apprécier la richesse des apports de Patrick Geffard et, d'autre part, comme nous y invite Claudine Blanchard-Laville dans la postface à l'ouvrage, sa lecture peut stimuler le questionnement chez tous ceux qui ont une expérience du travail groupal.
Principalement basé sur la recherche menée par l'auteur dans le cadre de sa thèse, pour ce qui est du matériel recueilli (entretiens cliniques à visée de recherche conduits auprès de praticiens de la pédagogie institutionnelle), ce livre bénéficie également du travail réalisé pour la Note de synthèse en vue de l'habilitation à diriger des recherches en sciences de l'éducation soutenue par P. Geffard en 2017. S'inscrivant dans une démarche clinique d'orientation psychanalytique en sciences de l'éducation, l'auteur nous fournit quelques éléments importants de son parcours professionnel : sa propre pratique de la pédagogie institutionnelle à l'école puis à l'université, son appartenance à des groupes de praticiens et sa reprise d'études qui l'amène à entrer " plus sérieusement en contact " avec les travaux de D. Anzieu, W. R. Bion ou encore R. Kaës.
C'est d'ailleurs d'itinéraire ou de " voyage en pédagogie institutionnelle " dont il est question dans le premier chapitre. P. Geffard y propose un retour sur les origines de ce courant pédagogique. Outre la qualité de l'écriture, le lecteur appréciera la richesse et la pertinence des références historiques ainsi que les apports précis dessinant la variété des groupes et courants au sein desquels la pédagogie institutionnelle s'est constituée.
Le deuxième chapitre est alors l'occasion pour l'auteur d'interroger son propre récit des origines de la pédagogie institutionnelle, sa " modalité de participation à une certaine forme de culture commune " (p. 39). S'appuyant sur la distinction faite par W. Benjamin (2011) entre l'information et le récit, l'auteur met au jour les risques de totémisation dans un récit des origines qui peut tourner au mythe. Processus qu'il identifie comme également potentiellement à l'œuvre au sein des groupes de pédagogie institutionnelle où pourrait circuler " la représentation d'un groupe se pensant issu d'un héros fondateur " (p. 54). Le chapitre se termine alors sur une proposition d'" organisation intergroupale susceptible de constituer la dimension du tiers pour chacun des groupes venant y participer " (p. 55).
Après cette mise en perspective des enjeux de fondation et de transmis¬sion dans le courant pédagogique fon¬dé par Fernand Oury et Aida Vasquez et dont l'auteur soutient qu'ils ont " toutes les chances d'être toujours potentiellement actifs aujourd'hui " (p. 17) au sein des groupes de péda-gogie institutionnelle, Patrick Geffard consacre le chapitre trois au concept de Collectif tel qu'il a pu être élaboré par Jean Oury dans le domaine thérapeutique. P. Geffard y déplie alors avec une grande précision les différentes acceptions de la notion de collectif, à la fois du point de vue de la grammaire et de l'étymologie, mais également chez des auteurs tels que Sartre, Marx ou Freud avant d'étudier précisément l'utilisation de la notion chez J. Oury. C'est alors l'occasion de revenir sur les notions d'ambiance, d'hétérogénéité et de passage, et de proposer une mise en relation entre les pratiques de la psychothérapie institutionnelle et celles de la pédagogie institutionnelle.
Poursuivant son exploration des expériences de groupe en pédagogie institutionnelle, Patrick Geffard consacre le quatrième chapitre à une modalité de travail commune aux différents groupes de pédagogie institutionnelle : l'écriture de monographies. Replaçant cette modalité de mise en tra-vail de la pratique enseignante dans l'histoire du courant pédagogique, l'auteur propose également une analyse fine de l'utilisation, dans un autre champ que celui de la pédagogie, des vignettes et récits cliniques. Cette exploration l'amène à prêter attention " aux enjeux de transmission et au statut de la parole déployée pour qui s'engage dans un récit de cas dans le champ psychanalytique ou psychothérapeutique " (p. 110). Fort de ce travail, Patrick Geffard revient vers les enseignant·e·s rencontré·e·s lors de sa recherche. En s'appuyant sur les entretiens cliniques de recherche qu'il a pu mener auprès d'enseignants praticiens et membres de groupes de pédagogie institutionnelle, il indique " l'importance de la narration de cas d'élèves de la part de ces enseignant·e·s " (p. 123). L'auteur propose alors, dans le cas où cette narration lors des entretiens a déjà été tenue au sein du groupe local, d'entendre ces paroles comme " énoncées dans un registre d'après-coup " (p. 124).
Les paroles des enseignant·e·s rencontré·e·s sont d'ailleurs au cœur des deux derniers chapitres de l'ouvrage. C'est en effet l'occasion pour Patrick Geffard, de se ressaisir de son matériel au prisme du travail effectué dans les chapitres précédents. Dans le chapitre cinq intitulé " malaise dans l'institutionnalisation ", il propose d'entendre la pédagogie institutionnelle et sa pratique comme une possible institution de rattrapage au sens que lui donne Jeanne Favret-Saada. Cette notion est utilisée ici pour son " fort pouvoir évocateur quant à ce qu'il pourrait en être du recours à l'approche institutionnelle pour des enseignant·e·s éprouvant de l'inconfort à venir s'installer dans une place désignée ou supposée attendue " (p. 133). Le chapitre six quant à lui est tout entier consacré aux dynamiques psychiques entre classe et groupes de pairs. Car si le groupe de praticiens apparaît tout d'abord comme un lieu de dépôt des affects, un des intérêts du travail de Patrick Geffard est d'œuvrer à une meilleure compréhension des processus psychiques à l'œuvre dans le groupe de pairs et dans la classe institutionnelle. S'appuyant sur le concept d'élément-bêta et de fonction alpha proposés par Bion ou sur celui d'identification projective proposé par Mélanie Klein, il rend compte de façon très convaincante des processus psychiques qui se déploient au sein du groupe. Le chapitre et l'ouvrage se concluent alors sur les liaisons que les praticien·ne·s établissent entre le travail fait dans le groupe de pairs et celui qui est conduit auprès des élèves. Ce rapprochement entre le travail dans le groupe de pédagogie institutionnelle et la pratique de la classe amène l'auteur à formuler l'hypothèse, dans la suite des travaux de Claudine Blanchard-Laville sur le transfert didactique, d'un transfert des modes de liaison. La participation des enseignant·e·s au groupe de pairs leur permettrait alors " d'introjecter des modalités de liaison aux autres susceptibles d'être ensuite réutilisées au sein de la classe " (p. 167).
À la lecture de ce livre, c'est l'engagement de son auteur qui se dessine également, engagement en tant que praticien de la pédagogie institutionnelle et engagement comme chercheur en sciences de l'éducation. Car ce que vient indiquer le travail de P. Geffard ce sont les apports possibles de la psychothérapie et de la pédagogie institutionnelles aux recherches actuelles sur les pratiques ensei-gnantes dans le domaine de l'éducation et de la formation.
Ces expériences de groupe en pédagogie institutionnelle sauront donc intéresser autant les praticiens de pédagogies coopératives que les chercheurs qui s'intéressent à la situation groupale et les personnes engagées dans des dispositifs d'élaboration de la pratique professionnelle enseignante, éducative ou soignante.
Cliopsy no 21, p. 161-163, 2019
Marc Guignard
REVUE CLIOPSY, N° 21, 2019, avril 2019
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