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TOUT EST LANGAGE

Le Petit Littré définit le langage comme "l'emploi de la langue pour l'expression des pensées et des sentiments" et dans le sens figuré "tout ce qui sert à exprimer des sensations et des idées - moyen de s'exprimer par des gestes".

Ca me parle

Malgré les métaphores auxquelles nous pouvons recourir, il n'est rien de plus difficile que d'exprimer avec clarté et les mots justes la portée, la profondeur de nos sensations, de nos impressions, de nos sentiments ou ressentiments, pour qu'autrui les comprenne. D'où l'expression "ça me parle". Elle est souvent utilisée à propos de mille choses, un tableau, une chanson, un paysage, une saveur, une odeur, un film, etc… "Ca me parle" est censé exprimer à son interlocuteur l'étendue de la résonnance en soi du sujet en question. "Ca me parle" est une sorte de réceptacle à l'ineffable. Les mots nous manquent pour traduire l'ampleur de notre ressenti de ce moment-là.

L'être humain est un être complexe et mystérieux. La parole n'est pas son seul mode d'expression. Il possède aussi le langage du corps.

Jacques Lacan disait : "Je parle avec mon corps, et ceci sans le savoir. Je dis donc toujours plus que je n'en sais".

Tout est langage

Françoise Dolto en a fait le titre d'un de ses ouvrages. "Tout est langage" est paru en 1987. Il est l'adaptation d'une conférence qu'elle avait donnée le 15 août 1984 à Grenoble à des psychologues, des médecins et des travailleurs sociaux. Son objectif était d'éveiller ce public de professionnels au fait que "l'être humain est avant tout un être de langage".

Cette grande dame de la psychanalyse dont le principal sujet de travail était l'enfant, expliquait que le bébé qui ne peut donner une signification aux mots, comprend par son instinct et son intuition. Lui parler en lui tenant toujours un langage de vérité permet d'atténuer ses angoisses, de l'intégrer dans un processus de communication quand il y a des situations problématiques, qu'il comprend à travers le ressenti qu'il aura de l'explication.

Au cours de cette conférence, on lui posa une question concernant les enfants sourds-muets. Voici entre autre, ce qu'elle répondit : "Les enfants sourds de naissance ne sont pas muets du tout. Les sourds sont très très parlants, pas avec ce qui s'entend, pas en faisant des modulations de la voix audibles par l'oreille, mais il y en a aussi qui entendent les sonorités, les vibrations. Ils ne sont pas sourds à tout. En tout cas, ils sont dans le langage, pleinement, dans le langage visuel, olfactif, rythmique, mimique, gestuel".

Serions-nous comme ces enfants sourds ? Selon plusieurs études, nos postures, nos mouvements, notre gestuelle, nos mimiques, nos regards sont le reflet de nos pensées et de nos émotions. Le chercheur américain Robert Rosenthal a mesuré l'impact du langage non verbal, celui du corps, dans notre communication quotidienne et conclut que 80 % de nos échanges passent par des voies non verbales.

Déjà à l'état fœtal, l'enfant perçoit et réagit à la voix de ses parents ou à la musique. Le nouveau-né communique de visage à visage. La façon de regarder, c'est du langage. Le regard est un échange interpsychique. Les inconscients se parlent, disait Françoise Dolto.

A l'instar du visage pour lequel on aurait recensé pas moins de 250.000 micro-expressions, tout le corps parle. Il exprime toutes nos émotions, aussi bien celles que nous désirons garder secrètes que celles que nous voulons dévoiler. L'empathie, par exemple, est du ressort de cette faculté langagière. Cette capacité à comprendre ce que l'autre ressent émane de notre cerveau qui décode naturellement les mouvements du visage et du corps de l'autre grâce à l'action des neurones miroirs, lesquelles activent inconsciemment les mêmes zones du cerveau que notre semblable. On parle ainsi "d'intelligence émotionnelle".

Principales recherches et émergence de nouvelles disciplines

Au 19è siècle, le Dr Guillaume Duchênne de Boulogne co-fondateur de la neurologie moderne avec le Dr Charcot, met en évidence le fonctionnement involontaire de certains muscles du visage dans le sourire. En 1872 Charles Darwin publie "l'expression des émotions chez les hommes et les animaux". En 1937 la morpho-psychologie est créée par le psychiatre, le Dr Louis Corman. Puis dans les années 50-60 se développent aux Etats-Unis des recherches telles que celles du Pr Albert Mehrabian qui invente la "pyramide de la communication des sentiments" appelée également la "règle des 3V" : 7 % de la communication est verbale (signification des mots), 38 % vocale (intonation et son de la voix), 55 % visuelle (expressions du visage et du langage corporel). Apparaissent aussi des techniques comme la P.N.L. (la programmation neuro-linguistique) réalisées par les Pr John Grinder et Richard Bandler, la C.N.V. (communication non violente) développée par le psychologue-psychanalyste, le Dr Marshall B. Rosenberg. Plus tard, en 1987, le français Philippe Truchet, consultant en communication, conçoit la "synergologie".

Applications

Controversées, qualifiées de pseudosciences relevant de l'irrationnel, ces disciplines connaissent néanmoins un fort engouement auprès du public. Les publications, les émissions tv ou de radio sont légion. Largement répandues elles sont utilisées par des thérapeutes, par tout un chacun pour son "développement personnel", par des DRH (direction des ressources humaines) au cours d'entretiens d'embauche ou pour des formations allouées au personnel comme la gestion du stress ou la prise de parole en public. Et dans une dérive marchande, par des formateurs pour enseigner "l'art" de convaincre et d'influencer les acheteurs potentiels.

Autres langages

Les arts représentent un mode d'expression irrépressible voire vital pour de nombreux artistes. D'autres langages existent aussi comme celui des fleurs, des couleurs, du savoir-vivre, etc… sans omettre celui de nos amies "les bêtes" qui savent si bien se faire comprendre, nous surprendre et nous réjouir. Si présentes durant cette période de covid et son cortège d'isolements et de solitudes.

Conclusion

Malgré tous ces moyens d'aide à la compréhension de soi et de l'autre, les incompréhensions subsistent et aboutissent parfois sur des drames. Les raisons sont innombrables. Psychologiques ? Sociales ? Culturelles ? Peut-être toutes à la fois ? Font-elles que nous n'employons pas le même langage tout en parlant, pourtant, la même langue, en attribuant un sens différent aux mots ? C'est une hypothèse. Et si de la poésie naissait un rai de lumière ?

Je me sens si condamnée par tes mots
Je me sens tellement jugée et repoussée,
Avant de partir, j'aimerais savoir,
Est-ce cela que tu voulais dire ?
Avant que je ne me lève pour ma défense,
Avant que je ne parle poussée par ma souffrance
ou par la peur,
Avant que je ne construise un mur de mots,
Dis-moi, ai-je bien entendu ?
Les mots sont des fenêtres, ou bien ils sont des murs.
Ils nous condamnent ou nous libèrent.
Lorsque je parle et lorsque j'écoute,
Puisse la lumière de l'amour rayonner à travers moi.
Il y a des choses que j'ai besoin de dire,
Des choses qui signifient tant pour moi,
Si mes mots ne rendent pas mon message limpide,
M'aideras-tu à me sentir libre ?
Si j'ai paru te rabaisser,
Si tu m'as crue indifférente,
Essaie d'écouter par-delà mes mots
Les sentiments que nous partageons.
Ruth Bebermeyer

Michèle Madar

COOPERATION MAGAZINE, décembre 2021

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