Beau souffle poétique que celui-là.
Souffle de la révolte, de l’indignation, de l’empathie faites poèmes.
On le sent, Nicole Barrière est viscéralement touchée par le drame – occulté grâce à l’hypocrisie dont fait preuve une « communauté internationale » manipulée par les Etats-Unis et par leurs intérêts – que vivent, en ce moment-même, les femmes afghanes terrorisées.
C’est, peut-être, sans doute même, parce qu’elle a fait l’effort d’aller, comme nous le signale la préface de Serigne Kandji, « où ça se passe », qu’elle a pris le risque de se rendre dans ce pays meurtri, sinistré qu’est l’Afghanistan, donnant ainsi l’exemple – rare – d’ « une poésie qui s’éprouve dans l’expérience et qui ne s’abreuve pas d’une conscience adepte de l’indignation déclamatoire à distance ».
Il n’est pas facile et cela ne va pas de soi, pour un habitant de l’Occident habitué à la vie protégée et douillette dans la liberté et l’abondance de biens, de chercher à mieux connaître un pays tel que l’Afghanistan. De se confronter à l’horreur, à quelque chose de presque indicible.
C’est une expérience qui ne peut pas ne pas marquer une . âme de poète.
Ce livre est donc un témoignage et, en tant que tel, il alterne textes poétiques –où palpite un verbe qui se veut au plus près du ressenti, de l’âme meurtrie de la femme afghane – et textes explicatifs qui se contentent de nous éclairer sur la situation. Les deux catégories de textes se répondent, de façon complémentaire.
D’un bout à l’autre du recueil, l’engagement se maintient, persiste.
Chaque texte poétique est scandé par l’obsédant, l’omniprésent, le sinistre « Mamnu’ « qui, en persan, signifie « interdit ».
De tout ceci, il ressort qu’en Afghanistan, ce dont il s’agit, c’est, à une échelle paroxystique, délirante, de la guerre millénaire que mènent les hommes contre les femmes. Une guerre qui touche à peu près toutes les cultures, en ce bas monde. Une guerre qui prend de multiples visages selon les cultures (parmi lesquels, ne nous privons pas de le rappeler, le fameux « sois belle et tais-toi » que proféra, ce me semble, une bouche – ou une plume ?- bien européenne ), mais qui, en Afghanistan, prend la forme la plus totale, la plus barbare.
Tout se passe, ici, comme si on voulait éliminer purement et simplement l’élément non mâle du paysage.
Tout au long du livre, nous apprenons le sort misérable, poignant de ces femmes : lorsqu’elles ne sont pas tuées, elles sont claustrées, et vivent sous terreur. La barbarie et la misère demeurent leur lot quotidien, et, même après l’éviction des fameux talibans avec raison tant vilipendés, elles continuent, dans l’indifférence générale, de vivre un calvaire, une sorte de génocide, perpétré, cette fois, par les alliés du libre occident !
La société afghane reste d’une brutalité inouïe. Il n’y a, apparemment, en elle, de place que pour la bête fauve, pour le loup qui ne peut pas poser sur les faibles un autre regard que celui du mépris et de la prédation. L’univers affolant, cauchemardesque, où se débattent ces malheureuses femmes est, de poème en poème, évoqué, en un sombre égrènement de mots qui, hélas, parlent d’eux-mêmes : « voix sans sépulture », « fantômes », « voyage au pays des morts », « mourir », « traqué », « sans trace, sans lumière, sans abri », « l’enfer », « la peur », « déchirement de vivre », « iniques », « chagrin », « silence », « patience », « mur », « désespoir », « angoisse », « malaise », « douleur », « attentes », « connaissance de la mort », « empreintes de sang », « silencieuses blessures », « la porte close », « clôtures », « seuil des tombes », « ombre », « martyr », « décombres », « torture », « ignominie des hommes », « tourments », et la liste n’est pas exhaustive.
Dans toutes les cultures, les hommes ont tendance à vouloir intimider les femmes .
Dans le cas qui nous occupe, cependant, il est bien évident qu’on pousse cette logique machiste, cette exigence de soumission jusqu’à l’extrême bout de son délire, jusqu’au point
P. Laranco
2005
MAMNU’, de Nicole Barrière, Editions « Poèmes en gros et ½ gros », 2005