Compléments d'ouvrage

"Les carnets du sergent fourrier" Quelques passages afférents aux régions traversées

Nancy et ses environs

28 juillet 1914 - mardi

Le 28, ceux qui ont des parents à embrasser ou des affaires à régler dans Nancy sont invités à profiter du " peut-être dernier quartier libre ", car sans précision aucune, une atmosphère de tension militaire nous enveloppe… "

" 3 août 1914 - lundi

Le 3, il pleut, et, tout en nettoyant nos armes dans la chapelle du Tremblois, nous causons de tout ce que nous ne savons pas, car, depuis le départ de Nancy, pas de nouvelles. Un rideau de gendarmes nous sépare du reste du pays, et nos yeux sont fixés sur la frontière à sauvegarder… "

" 6 août 1914 - jeudi

Ainsi la guerre est déclarée, voilà la nouvelle qui nous arrive avec le jour, et, bonheur, on va aller de l'avant, laissant à des réservistes la garde du Tremblois. Le matin, je remplace mon ami Cayre auprès du commandant ; le métier de liaison qu'il assure jusqu'ici va devenir trop fatiguant pour un seul, et je lui suis adjoint… 

En traversant Mazerulles, j'entrevois dans une superbe auto-ambulance notre premier blessé, le lieutenant Braun, atteint d'une balle à la cuisse, tirée de fort loin par un des uhlans qui surveillent la frontière… "

9 août 1914 - dimanche

Enfin, nous allons avoir l'honneur de passer la frontière, investis d'une mission de confiance : aller cueillir quelques otages et prétendus espions dans les villages des coteaux de la rive droite de la Seille… "

20 août 1914 - jeudi

La bataille a repris avec le jour, et le gros effort va avoir lieu. Il nous est prescrit de gagner Wuisse, petit village au bord du ruisseau de Bride dont les maisons bordent la route de Sarrebourg.

Allons, c'est à nous d'être engagés. L'ordre d'attaque est remis au commandant Segond à l'entrée du bois de Bride. Nous quittons la route et, par un chemin en sous-bois, nous progressons vers la lisière du Haut-de-Koeking à l'assaut de la cote 343 qui domine le pays de Morhange.

Mais, à peine étions-nous empêtrés dans les hautes avoines qui gênent notre course qu'une fusillade nourrie éclate de toute part. Des rafales de mitrailleuses couchent les avoines et nous forcent à nous jeter à plat ventre. Autour de moi des cris et des plaintes. Je vois des camarades qui se traînent vers les lisières en laissant de longues traînées de sang. Mon attention est bientôt attirée par des balles plongeantes qui viennent nous clouer au sol ; l'ennemi, qui est grimpé dans des arbres du bois, se sert de nous comme de cibles vivantes… "

26 août 1914 - mercredi

Nouveau contact avec l'ennemi. Avant le jour, le régiment pénètre à nouveau dans la forêt de Vitrimont. Une matinée orageuse de marche pénible dans les bois qui coupent la figure et font butter à chaque pas. Par endroit, des pépinières de jeunes sapins rendent notre avancée douloureuse et interminable. À midi, l'on débouche d'une corne de la forêt à la cote 275, à un kilomètre au sud de Vitrimont que l'on attaquera après la grand'halte. Le cœur serré, je déjeune du bout des dents à côté d'un grand diable de uhlan blessé qui ne cesse de gémir " trinken ", " wasser "… "

31 août 1914 - lundi

On tremble de voir reparaître le jour, car les craintes se précisent relativement à la solidité de la cave, des fissures inquiétantes sont signalées. La ferme n'est plus qu'une ruine, et la voute supporte le poids de cette massive et solide construction lorraine qu'ébranlent les gros obusiers qui nous écrasent du champ de mars de Luneville… "

4 septembre 1914 - vendredi

Le repos n'a pas été de longue durée, puisqu'un réveil par alerte me fait quitter à 11 h du soir le lit où j'avais eu le tort d'espérer passer encore la nuit. Rassemblement silencieux et rapide dans Rosières endormie. La situation vers Vitrimont doit être incertaine pour alerter aussi rapidement des troupes qui n'ont même pas un jour de repos… "

5 septembre 1914 - samedi

Les instructions sont assez nettes et révèlent une volonté de défensive inébranlable. Résister à tout prix, voilà ce qui se dégage des ordres ; nous sentons nettement que nous sommes comme le pivot de grandes choses qui s'accomplissent ailleurs. Pour cela : organiser les positions, creuser et se couvrir soigneusement. Le bataillon tiendra le front Mouton-Noir - Léomont, … "

7 septembre 1914 - lundi

Les Allemands ont dû jurer de nous exterminer, car le jour voit le " Drachen " déjà hissé en compagnie de deux autres collègues. Aussitôt, le ronflement des marmites commence. Anthelupt, Vitrimont, la forêt, Hudiviller sont continuellement bombardés… "

9 septembre 1914 - mercredi

Il pleut tout le jour. À l'aube, je suis retourné auprès du commandant, et nous vidons l'eau qui nous envahit avec nos quarts et nos bouthéons… "

11 septembre 1914 - vendredi

Cette journée fut vraiment le dédommagement éclatant des souffrances des jours précédents, une des plus belles de ma vie militaire et dont la joie ne fut tempérée par aucune pensée de longue durée de la guerre, persuadés que nous fûmes alors d'assister à la débâcle de la ruée allemande… "

12 septembre 1914 - samedi

La retraite des Allemands sur Arracourt, leur évacuation de Luneville rendaient disponibles les troupes qui avaient été chargées de les contenir sur le Grand-Couronné. Où allaient-elles être dirigées ?... "

En route vers ailleurs

19 septembre 1914 - samedi

Le froid qui pénètre de partout dans le wagon mal jointé me réveille avec le jour. Nous essayons de savoir où l'on peut bien être, une campagne verdoyante et côtoyeuse fuit devant nous. On doit être assez loin de la ligne de feu, les villages sont habités et paraissent paisibles…. "

20 septembre 1914 - dimanche

Après force aiguillages et de longs séjours sur les voies de garage, nous prenons la direction du nord-est et gagnons la Picardie. Où s'arrêtera ce voyage ?... "

Arrivée en Picardie

22 septembre 1914 - mardi

À peine debout, voilà un cycliste du colonel avec de nouveaux ordres. Le bataillon se porte en avant dans la direction de Péronne et doit cantonner le soir à Aubercourt…. "

 26 septembre 1914 - samedi

Le bataillon a été assez éprouvé dans la journée du 25, aussi on peut espérer passer en réserve. Mais, avec le jour, des ordres d'une autre nature nous arrivent. Je sus, plus tard, qu'il ne restait que peu de troupes disponibles… "

27 septembre 1914 - dimanche

L'aube se lève au milieu du brouillard et de l'humidité. On n'y voit pas à trois pas, et la fusillade devient continuelle. Nous mettons sac au dos dans la maison, approvisionnons nos fusils, nous défendons le village pied à pied, mais nos pensées sont bien tristes, et les blessés qui nous entourent et n'ont pu être évacués, faute de voitures d'ambulances, ajoutent à notre angoisse… "

1er octobre 1914 - jeudi

Nous partons avant que se soit dissipé le brouillard intense qui nous enveloppe, car, pour gagner le bois de Vaux il faut traverser des crêtes que l'artillerie ennemie arrose continuellement… "

" 4 octobre 1914 - dimanche

Plusieurs routes mènent de Bray à Albert, à travers un vaste plateau que vise particulièrement l'artillerie ennemie. Nous formons là une pointe avancée, occupant une sorte de triangle dont la pointe serait Maricourt et les autres angles Albert et Cappy… "

10 octobre 1914 - samedi

Je suis brusquement réveillé par une fusillade intense et rapprochée. Je crois avoir dormi une heure et je suis trempé de rosée et, à travers un brouillard opaque, je me rends compte que c'est l'aube. À quelques mètres de moi, on parle et ça marche. J'écoute. C'est de l'allemand. Mais alors ! Que s'est-il passé ?... "

16 octobre 1914 - vendredi

Au matin, le commandant m'envoie chercher. Je le trouve dans une maison de Bienvillers avec le reste de la liaison, et il me raconte les événements des derniers jours. La veille, à la nuit, à la faveur du brouillard, les chasseurs à pied ont enlevé à la baïonnette Hannescamps…. "

26 octobre 1914 - lundi

C'est presque la vie de secteur calme : la compagnie est en ligne. Il pleut. Personne ne bouge. Les contre-attaques et attaques sont finies. Ni fusillade, ni canonnade. Nous jouons aux cartes dans la rue de l'église, en surveillant la cuisine. Les journaux arrivent… "

" 30 octobre 1914 - vendredi

Ma voiture et mon cheval hypnotisent les officiers du bataillon, et on me renvoie à Pas bourré de commissions : des guêtres, du linge etc. Je pars avant le jour pour avoir plus de temps et pousse jusqu'à Doullens où commencent à fleurir les embusqués et où le ravitaillement est idéal. J'ai l'air d'un sauvage qui sort de sa caverne, d'un paysan arriéré qui se trouve dans Paris. Je me trouve dans une vraie ville pour la première fois. Quelle amère désillusion ! Comment ?! Pendant qu'on se bat, il y a d'autres soldats bien peignés et bien habillés qui passent leurs journées dans un Doullens et couchent dans un lit !.... "

" 6 novembre 1914 - vendredi

Dès le réveil, je me lance en comptabilité, bien que nous devions nous tenir prêts à partir. Je termine vers midi pour bien déjeuner, car en guerre c'est, " comme l'on dit " un dîner de plus que l'ennemi n'aura pas… "

En route vers Ypres

7 novembre 1914 - samedi

Nous traversons Poperinghe au petit jour, et, par une route épouvantable de boue et de trous, nos autobus arrivent à Elverdinghe… "

11 novembre 1914 - mercredi

Toute la journée se passe tragiquement. Les Allemands font un effort désespéré sur Saint-Éloi qu'ils attaquent sept fois. Pendant ce temps, ils essaient de déborder Voormezele par le bois 40 où notre 2ème bataillon fait une résistance désespérée. Ce ne sont que blessés qui arrivent de toute part… "

17 novembre 1914 - mardi

La neige est tombée le matin. Le temps s'est éclairci, et un homme est vu à des kilomètres. Nous payons chèrement notre inexpérience du pays : le caporal Carvard qui est avec moi à la liaison se fait blesser en revenant de communiquer, et Bigeard, cuisinier, mon ancien de la caserne, se fait tuer pour s'être attardé…. "

22 novembre 1914 - dimanche

Il a gelé à nouveau. La terre est blanche, et les cloches qui tintent clair, et les paysans qui se rendent en longues théories aux offices donnent l'impression d'un chromo classique de Noël. Mais, pour nous, voilà bien longtemps qu'il n'y a plus ni dimanche ni fête… "

24 novembre 1914 - mardi

La campagne de Langhemark est triste et inondée. Petites prairies alternant avec des champs de betteraves, séparées par des ruisseaux innombrables bordés de saules et de peupliers. De-ci de-là, innombrables à travers la plaine, de petites ou grandes fermes, à toit de chaume ou de tuiles rouges, peintes de vert, de marron, de rouge ou de jaune, attestent un pays fertile et de bon rendement… "

La campagne d'hiver autour d'Ypres

" Du 4 décembre au 30 janvier, nous occupâmes le sous-secteur dit " du Forgeron " et celui dit de " Korteker ". Du 20 février au 15 avril, le sous-secteur dit de " s'Gravenstafel "…"

Les Secteurs de Korteker et du Forgeron

La boucle que les lignes françaises formaient devant Ypres, durant l'hiver 14-15, dans les lignes allemandes commençait à l'ouest à l'écluse de Boesinghe, proche d'Het-Sas. À la suite de deux combats livrés par les troupes algériennes dans la région du canal de l'Yperlée et qui se terminèrent par la reprise de Bikschote par l'ennemi, à la dernière maison du passeur vers Het-Sas, la ligne se fixa sur la rive nord du canal dans une région basse et marécageuse, entrecoupée de petits bois et de prairies inondées… "

" Où était l'ennemi ? En face de nous, il tenait solidement deux ou trois points importants, s'en remettant aux marais du soin de garder le reste. Sage défense qui valait certes mieux que l'éparpillement que nous fîmes, au début, de nos hommes dans des trous de boue intenables… "

" Nos relations se bornent à quelques coups de fusil, à de rares fusillades de principe (nuit du 1er janvier) et à des recherches de cadavres entre les lignes, après entente pour ne pas tirer durant l'opération… "

" Dans la moins endommagée, se tenait le P.C. du chef de bataillon dont les troupes occupaient le sous-secteur de Korteker. Il s'y trouvait encore quelques meubles, un peu de vaisselle, une horloge, des bois de lit et des pommes de terre dans la cave. Nous y parvînmes, par une noire nuit sans lune, après avoir nagé dans la boue du chemin et nous être rompu le cou dans une vieille tranchée abandonnée qui faisait face à la voie ferrée… "

" En causant nous dépassâmes la ferme et nous engageâmes dans le champ, le jour étant encore assez clair. Bonne aubaine pour Fritz. Un objectif était chose si rare dans cette plaine qui, de jour, était un vaste désert. Les balles sifflent et se rapprochent. Il faut se coucher dans un trou d'obus plein d'eau et attendre qu'il fasse plus sombre. Nous payons d'un bain forcé notre étourderie d'un moment… "

" Enfin, des porcs avaient élu domicile dans un hangar et nous fournissaient à volonté des suppléments à notre ordinaire. Un boyau de communication réunissait l'habitation et les granges et permettait de se déplacer de jour sans être vu d'un bâtiment à l'autre. Nous passâmes de longues journées d'hiver dans ce bâtiment, jouant aux cartes, causant de la guerre en se chauffant les mains auprès du brasero, attendant l'heure de 6 h où l'on partait communiquer aux commandants… "

" Prolongeant Passendale vers l'ouest, les arbres de la route de Poelkapelle suivaient la crête où, de nuit, un petit train sur route1 venait ravitailler l'ennemi. Quelquefois un coup de sifflet de locomotive nous arrivait : un train en gare de Passendale. D'autres fois, le son aigu du fifre qui rappelait son pays à quelque Allemand témoignait que l'ennemi était toujours devant nous… "

" Notre vie fut calme et parfaitement heureuse dans ce secteur. Les hommes restaient deux jours en 1ère ligne, les abris étaient bons et secs, le bombardement tellement réglé qu'il en était inoffensif après 24 heures d'observations, le point de vue agréable et le charbon à volonté. "

Les différentes figures rencontrées

Notre cave, où le capitaine Vétillart entretenait toujours la plus franche gaieté, devint un centre de réunion apprécié. Le bridge y fit fureur et alternait avec les conversations et la lecture…

Il défila bien des figures dans cette cave, puisque tour à tour les compagnies passaient à la maréchalerie et que les batteries alternaient dans la défense du secteur. Enfin, bien des étrangers au secteur, médecins, aumôniers etc. vinrent y passer un instant, attirés par le bon renom de l'endroit…

À tout seigneur tout honneur : le maître du lieu était le capitaine Vétillart. … il parvenait à créer autour de lui un cercle que retenait son accueil et sa gaieté. D'un beau courage et d'une prudence avisée, connaissant mieux que tout autre les difficultés, il sait montrer la témérité d'un projet et refuser de l'exécuter. Voyant haut et ne s'attachant pas au détail, c'est un remarquable manieur d'hommes et un créateur de bonnes volontés…

Il défila à la maréchalerie de la 1ère compagnie : les lieutenants Castille et Barbe… le capitaine Nicolas, les lieutenants Barrabé et Mounier… le lieutenant Braun… Le lieutenant Biscarros… Le lieutenant Petit … le capitaine Perrey… le lieutenant Kaufmant… Le lieutenant Bayle… Le lieutenant Cornette… le lieutenant Villeroy … le " toubib " du bataillon, le gros " Pierson … le commandant Paul Azan… le capitaine Guieu… le colonel Pesme… le capitaine de Gallard et le lieutenant Prévost… L'abbé Zaillez… le capitaine Pihan… Le capitaine Garnier… Son brigadier de tir, Audeval, qui le suivait… Le lieutenant Rabourdin… Le capitaine Brunel… Le capitaine Vannier… Le capitaine Desboves… Le bon commandant Beaujean… Telle fut la société si variée, si curieuse dans ce décor bombardé de 1ère ligne qui passe les longues journées d'hiver de s'Gravenstafel dans la cave de la maréchalerie. "

Les cantonnements en Belgique

Boesinghe

Ce fut de tous nos cantonnements le plus sale et le plus bombardé. Sa proximité de la ligne de feu, l'entassement des troupes qu'il y avait, la permanence de toutes les cuisines des secteurs voisins, le nombre de postes de secours rendaient son séjour peu agréable. Et pourtant, en temps de paix, Boesinghe dut être une des plus coquettes cités de la plaine d'Ypres….

Boesinghe était démoli peu à peu. L'ennemi qui faisait durer le plaisir bombardait tantôt une extrémité de la rue, tantôt le milieu ; il fallait voir alors les paisibles habitants du quartier visé se rendre à l'autre bout du village et y attendre en causant par petits groupes que l'épreuve fût terminée… "

Elverdinghe

Ce fut, avec Woesten, le cantonnement préféré et celui que nous occupâmes le plus souvent. Là, nous débarquâmes en Belgique au carrefour de Saint-Livinus

Je devins ami d'un marchand d'étoffes de la grand-rue qui, cultivé et grand parleur, m'invitait le soir à venir prendre le café en famille pour causer de politique, de la vieille Flandre et de la vie à Elverdinghe avant la guerre…  "

Woesten

Woesten s'élève le long de la route Menin - Furnes entre Elverdinghe et Oostvleteren. Nous y passâmes de bonnes journées et y fîmes nos meilleurs amis…

Une nuit, arrivant du secteur à 2 h du matin, nous eûmes même l'idée de venir chez eux à cette heure pour nous faire ouvrir le salon et souper au champagne. Ils se prêtèrent de bonne grâce à cette fantaisie de soldats en guerre et nous firent de la cuisine à cette heure… "

" Le " Lion Belge "

Sur la route Menin - Furnes, à environ mi-chemin de Woesten à Oostvleteren, s'élève au milieu des champs une grande bâtisse à deux étages autour de laquelle sont groupés quelques estaminets de moindre apparence. C'est le " Lion Belge ", halte du tramway de Furnes et hôtel restaurant estaminet. Il dut être bien achalandé en temps de paix… 

Nous habitâmes sur le chemin de Reninghe une ferme pleine de réfugiés où l'on fit conseil de guerre dans la plus belle chambre de la maison, au milieu des cris d'un jeune Belge au berceau…"

" Oostvleteren

C'était un village coquet et fort ancien, comme en témoignait le vieux château à poivrières qui s'élevait à côté de l'église. Les deux villages frères, Oost et Westvleteren, s'élevaient à un kilomètre environ l'un de l'autre…

Dans son petit salon, nous bûmes de la vieille liqueur d'Anvers en causant des malheurs du temps en compagnie d'artilleurs belges qui avaient fait la bataille d'Eghezée et la retraite d'Anvers… "

Moorteldje

C'était une tout autre région, et nous ne vînmes à Moorteldje-Cabaret que les derniers temps de notre séjour en Belgique. C'étaient, tout proche de la ligne de feu, des fermes peu bombardées bâties en contre-bas de la cote 25, à mi-chemin de Pilkem à Saint-Julien
… 
La misère se faisait sentir, et l'on y souffrait de la faim. Chaque jour la fermière partait pour Ypres tenir un petit magasin et essayer de venir en aide à la pauvre famille…"

Ypres

Que l'on fut à Moorteldje ou à Elverdinghe, une seule chose comptait pour nous : aller à Ypres. Cette singulière ville, d'un charme attirant et que la légende de la guerre a déjà auréolée, fut pour nous le centre et le but de nos pensées en Belgique
… 
Je trouvai une ville animée, populeuse, aux devantures bien garnies, aux rues propres et balayées et où des quartiers entiers étaient intacts. L'ennemi avait particulièrement visé tel monument, telle maison, tel quartier et épargné le reste…"

Proven

Il y eut, durant l'hiver 1914-15, de nombreux cas de fièvre typhoïde dans l'armée de Belgique, dus à la vie malsaine dans des tranchées pleines d'eau et à la contamination de tous les puits infestés par les cadavres d'hommes ou d'animaux. …
… Ces deux raisons firent juger nécessaire … de … faire vacciner les hommes contre la typhoïde, … on habillerait de neuf les hommes avec le nouvel uniforme bleu-ciel…

Notre séjour à Proven fut marqué par une revue du général Joffre dans les champs qui bordent la route de Poperinghe, en présence du roi des Belges…. "

" Poperinghe

Poperinghe est une ville de province aux rues propres, mais tortes dont la principale aboutit à la place de l'hôtel de ville et est constituée par la grand-route de Hazebrouck. De peu de caractère, c'est un gros bourg au centre d'une belle région agricole où l'habitant est riche et veut pouvoir s'approvisionner de tout à la ville voisine. C'était, à l'époque, le grand centre des embusqués de l'armée franco-anglo-belge…
… 
L'ennemi survolait de temps à autre la ville, laissait tomber quelques bombes et repartait…."

Les camarades en Belgique

"Si ce fut dans la cave de la maréchalerie que je connus les officiers du bataillon et d'ailleurs et étudiai leur caractère, ce fut dans ces longues journées de repos, assis dans une ferme ou un estaminet, que je me liai d'amitié avec nombre de camarades et eus tout loisir d'étudier ce que valait tel ou tel… "

"J'eus regret plus tard de m'être lié avec tant de camarades que je vis tomber dans l'offensive d'Arras en mai-juin, dont les survivants en septembre sont restés en Champagne, tristes amitiés de guerre qui se nouent dans l'incertitude du moment et s'achèvent dans le tragique de la mort ! … "

" Telle fut la liaison, groupée autour du commandant Navel. La paternelle autorité, le respect et l'admiration que nous avions pour lui nous unit toujours. Je dirai simplement de lui qu'il fut le meilleur des chefs et qu'il est navrant de voir qu'il n'a pas été apprécié davantage de ceux qui lui donnaient les ordres qu'il exécutait jusqu'au bout… "

" Un jour, un de ces jours horribles de Neuville-Saint-Vaast, j'allais le chercher pour venir prendre le commandement d'un canon de 37 mm ; il me suivit à regret, frappé de sombres pressentiments ; je lui serrai la main dans le boyau de Neuville, sous la pluie battante, dans la boue jusqu'au cou, par un crépuscule sale et brouillardeux. Le lendemain, il était tué par son propre canon et complètement déchiqueté. Pauvre petit étudiant qui est venu grossir les rangs du cimetière de Marœuil … "

" Chacun de ces noms, c'est un souvenir, une anecdote, un danger couru ensemble, un coin de paysage flamand, une table de ferme où l'on a ri et bu ensemble, un instant de cet hiver 1914-15 qui fut une trêve dans la guerre et où l'on espérait fermement la fin prochaine de cette vie après une irrésistible offensive de printemps… "

Retour en Artois pour y défendre Arras

Le départ de Belgique

15 avril 1915 - jeudi


Nous étions au repos à Moorteldje attendant les ordres d'embarquement. Nous quittions la Belgique pour une destination inconnue. En général, on était curieux et un peu triste. La terre des Flandres ne nous avait pas été bien cruelle depuis plusieurs mois et elle nous avait permis de nous re-familiariser avec la vie… "

17 avril 1915 - samedi

Nous ne sommes pas là pour longtemps, et l'on apprend avec le jour qu'il faut se préparer à gagner le soir en une étape Cassel où nous embarquons pour X…. "

18 avril 1915 - dimanche

Je m'étends dans le wagon de marchandise qui nous emporte, callé entre deux bicyclettes de nos cyclistes et dors bientôt d'un sommeil réparateur de la longue marche de la nuit. Le jour me réveille sur les voies de garage de la gare de Dunkerque… "

Le Labyrinthe de Neuville-Saint-Vaast

22 avril 1915 - jeudi

Je pars au petit jour pour Auzin croquer à nouveau le plan directeur et reconnaître par la même occasion pour le commandant le poste du colonel installé à la ferme Thécla,… "

23 avril 1915 - vendredi

Comme ma compagnie est en réserve dans les sapes du grand collecteur à proximité du commandant, il me donne l'autorisation de parcourir les boyaux pour expérimenter mon plan maintenant que je possède la théorie. Le commandant prévoit que, lors des attaques, il faudra se déplacer fréquemment dans ce labyrinthe et il me donne la mission d'éclaireur afin de la guider proprement à l'heure de H… "

4 mai 1915 - mardi

C'est aujourd'hui que les officiers du régiment, conduits par le colonel, doivent aller faire une reconnaissance du terrain en vue de l'attaque. C'est sur les emplacements qu'on va donner les détails tant attendus sur ce qui n'est encore qu'imprécis dans nos cerveaux. Je dois accompagner le commandant Navel auquel je servirai de guide lors de l'attaque… "

9 mai 1915 - dimanche

Le régiment ira prendre ses emplacements de réserve de corps d'armée. Il quittera Hermaville à 2 h de manière à être rendu avant le jour dans les endroits fixés où il doit attendre communication de l'heure initiale. Dans une nuit sans lune, le bataillon confiant et reposé part à l'attaque. …

La matinée est superbe, un soleil vif, un ciel bleu et clair. Quel beau dimanche de printemps ! Et qui de nous songe seulement que c'est un dimanche ?
6 h 30. La canonnade infernale commence. Tous ceux qui ont assisté à ces tirs de préparation immédiate sont d'accord pour en dire la terrifiante grandeur. Du côté du front ce n'est qu'un roulement ininterrompu ; les éclatements ne se distinguent pas des bruits de départ, et l'on reste silencieux, les oreilles bourdonnantes et la tête vide …

L'ennemi ne bouge pas ; nous sentons qu'on les arrose et que rien ne répond. C'est, il faut le dire, la première fois qu'ils voient cela, et nous bénéficions d'une surprise qui ne se renouvellera peut-être plus dans le cours de la guerre. Pourtant, vers 7 h 30, il envoie un gros fusant de 130 sur Marœuil qui vient faire grand bruit à la hauteur de l'église, et c'est tout pour la journée. …

8 h 30. Le bruit infernal diminue, mais nous n'entendons pas de fusillade. L'infanterie, notre camarade le 26ème, débouche à l'instant. Et nous partons le rejoindre. Comme c'est prescrit, nous évitons Marœuil qui n'a jamais été moins inquiété et, par le coteau qui s'élève du bois d'Étrun vers la route de Saint-Aubin, nous prenons les boyaux du pont de pierre. Au passage de la crête, les artilleurs épuisés par l'effort de tout à l'heure, essuient la sueur qui perle de leur front. Les premières nouvelles. Tout va bien, et nous sommes à la Targette et aux Rietz, et cela continue. Les blessés qui passent, peu nombreux encore, disent qu'il n'y a pas de grandes pertes.

Le Labyrinthe était par lui-même formidable et a résisté avec son enchevêtrement de boyaux au tir de destruction. La 1ère et la 5ème compagnies du 26ème sont restées accrochées au terrain, et on espère en voir revenir le restant à la nuit. Pour l'instant, on les voit entre les lignes gratter le sol et essayer de se retrancher. L'ennemi tire, mais ne contre-attaque pas. Mais le vrai motif de leur insuccès est à droite, et on se murmure déjà une partie de la vérité devinée avant d'être confirmée et qui est à la honte du 17ème corps qui participa nominalement, et non pas activement, à l'attaque….

Par le grand collecteur, je guide le bataillon vers notre première ligne, et, obliquant à gauche, nous franchissons la route de Béthune à la barricade dépassée par nos troupes et nous arrivons dans le secteur d'attaque de la 22ème brigade où l'avance a été réalisée. L'ancienne première ligne française est déserte ; le génie travaille déjà à des boyaux la reliant aux ouvrages de la Maison-Blanche qui, écrasés par notre artillerie, n'ont pas retenu nos troupes dévalant en hâte vers le ravin des Rietz….

Le commandant s'installe dans le P.C. du commandant de Vissecq, du 79ème, tué du matin et dont le képi se trouve encore sur une étagère. Deux chefs de bataillon du 79ème, en effet, de Vissecq et Claudel, ont été frappés dès le départ, leur mort redoublant l'énergie de leurs troupes… "

12 mai 1915 - mercredi

Vers midi, arrive au commandant Navel un ordre à transmettre aux 1ère et 4ème compagnies de se tenir à la disposition du général commandant la 39ème division pour attaquer dans Neuville… "

15 mai 1915 - samedi

Je réveille le commandant avant le jour, et nous enjambons silencieusement le corps étendu des cyclistes et agents de liaison qui reposent sur le sol de notre sape de l'ouvrage en cœur. L'aube point à peine, et l'instant est propice, car on n'entend pas de coups de feu. Nous gagnons Neuville par le chemin habituel que j'ai repris, et le commandant est encore plus que moi impressionné par le spectacle qu'offre ce village… "

18 mai 1915 - mardi

Toute la nuit, il a fallu rester debout dans le boyau sous la pluie et dans le froid. La boue s'élève sans cesse, et chaque homme qui marche envoie autour de lui des éclaboussures qui dépassent le plus haut parapet. Nous sommes des blocs jaunes et ruisselants, sans cagnas ni abris, debout à l'entrée d'un boyau qu'arrosent les obus… "

19 mai 1915 - mercredi

Je me réveille, dévoré de vermine, vers 15 h. Toute cette ancienne 1ère ligne est infestée de poux, et nous sommes si fatigués que nous ne pensons pas au nettoyage. Du reste, tous les efforts seraient vains. Comme nous n'avons pas d'eau, nous restons dans notre saleté…. "

" 23 mai 1915 - dimanche

Nous avons quelques détails sur l'attaque allemande de la veille faite par une division amenée de Lille. Elle a échoué avec des pertes très lourdes pour l'ennemi dont les hommes ont été frappés et anéantis avant même d'avoir atteint nos premières positions… "

28 mai 1915 - vendredi

Le calme reposant agit sur nos nerfs surexcités. La nourriture saine et proprement faite nous remet, et nous buvons le champagne de nos épicières. On se promène dans le village ; on reçoit un détachement de renfort - la classe 1915 - jeunes qui viennent combler les vides… "

5 juin 1915 - samedi

Dès le matin, occupations ordinaires aux jours de relève : états de munitions, revues de vivres, dispositions prises pour les T.C. durant notre période de tranchées. Le tout, au milieu de la précipitation et de la presse inhérentes aux départs, encore augmentées, cette fois, par la perspective plus ou moins certaine qu'il faudra reprendre les attaques… "

" 6 juin 1915 - dimanche

Notre installation est épouvantable. Le long d'un boyau qui relie celui de la Vistule à la tranchée de tir, de misérables trous pleins de vermines et de détritus de nourriture sont nos seuls abris. Le parapet est constamment découronné par des éclats d'obus de canon de tranchée. Il tombe avec cela une pluie fine qui nous glace, et le sol du boyau est tellement glissant que nous avançons en nous tenant aux parois… "

" 8 juin 1915 - mardi

Comparée à la journée d'hier, celle-ci est relativement calme. Neuville concentre la colère des batteries ennemies. Je passe une partie de la nuit, dans un ancien poste de tireur, accoudé à un créneau à regarder l'écrasement de Neuville et les nuages de fumée et de poussière blanche qui, à chaque arrivée d'obus, montent de ces décombres… "

10 juin 1915 - jeudi

Pluie, boue, bombardement, réparation des parapets écroulés, vomissements et dysenterie, tel est le compte rendu du jour. Le repas arrive plus incertain et moins appétissant. Les pauvres cuisiniers trébuchent dans les boyaux sous le fardeau des brochons et des seaux de viande, le plus souvent le vin est renversé, et ce qui reste est plein de terre et de boue… "

15 juin 1915 - mardi

Le moment d'attaquer se rapproche, et, si la fatigue est extrême, l'enthousiasme se maintient grand parmi les nôtres ; la classe 15 attend avec impatience le moment de sortir de nos trous de boue et de partir au milieu des grandes herbes vers la route de Lille… "

16 juin 1915 - mercredi

Avant le jour, nous quittons nos abris de terre que nous avions aménagés un peu chaque soir, pendant les 10 nuits de travail qui ont précédé cette journée d'attaque. Nous y jouissions d'une petite sécurité relative, malgré le repérage du moulin. Nous nous installons tant bien que mal dans le boyau X et restons équipés, puisque les hasards heureux de l'attaque peuvent nous porter plus loin le jour même….

12 h 15 ! J'ai mis sac au dos, et, tous rangés dans le boyau X, nous attendons les nouvelles. Savignac et Gavelle sont partis avec leurs compagnies et vont venir donner les premiers résultats. J'ai pris un périscope et de tous mes yeux je regarde, et la vision reste à jamais gravée dans ma mémoire….

La ligne se brise ; des hommes tombent ; d'autres se couchent ; d'autres reviennent et battent l'air de leurs bras ; puis la ligne se reforme ; on repart et nouveau crépitement. Ainsi, trois fois devant mes yeux, puis, tout disparaît ; les hommes sont couchés dans les herbes ; le crépitement cesse, et tout redevient calme. D'un bond, je suis à la parallèle que les blessés commencent à encombrer et vers laquelle ils ont afflué comme des animaux retournent à leur terrier pour mourir… "

19 juin 1915 - samedi

Nettoyage d'abord, puis marche à l'air libre, hors de boyaux et sans bruits de projectiles. Malgré mes 12 heures de sommeil, je suis moulu comme si j'avais reçu une volée de coups de bâtons, ce doit être le contrecoup de l'éclatement des torpilles de la veille… "

20-26 juin 1915 - dimanche-samedi

Le temps est superbe, et un beau soleil me réveille de bonne heure ! Vite, l'on expédie un bon café au lait préparé par nos hôtes et nos cuisiniers matinaux, et le bataillon se rassemble pour gagner Manin… "

" 27 juin 1915 - dimanche

Quel lieu bien propre à inspirer l'horreur que ce coin de terre où j'erre dès le jour et retrouve à chaque pas les traces de notre attaque du 16 ! Cadavres que l'on entrevoit dans les herbes déjà brulées par le soleil, ou que l'on devine à peine, recouverts d'un peu de terre dans les coins de boyaux que je parcours. Partout des sacs éventrés, des débris d'équipements, des baïonnettes et des fusils à demi enterrés dans les cagnas abandonnées, des linges sales et sanglants et, surtout, des essaims de mouches posées sur la moindre charogne… "

" 29 juin 1915 - mardi

La chaleur est pénible sur ce coteau brûlé par le soleil, dans nos galeries sans air et nos abris repoussants de saleté et de mauvaises odeurs. Le temps est orageux, et les mouches sont particulièrement acharnées sur les vivants qu'elles assiègent dans leurs abris… "

Blessé

" 30 juin 1915 - mercredi

Somnolence avec réveils brusques provoqués par cette maudite batterie qui tire sur nous et, de temps en temps, démolit le parapet face à notre abri. Brusquement, un ébranlement insolite, l'ennemi raccourcit le tir, et un obus frappe en plein dans le parapet qu'il éboule un peu avant l'entrée de l'abri. On l'a échappé belle ! Mais voici qu'à côté des cris nous font vite sortir de notre cagna. Le boyau est en partie comblé, et, dans leur abri, Barre et Geismard sont blessés. Nous dégageons Barre d'abord ; il est évanoui, n'a pas de blessures apparentes, mais son visage est livide, et un faible gémissement s'échappe de ses lèvres avec une boue sanglante. Geismard parle et demande qu'on le dégage de la terre et des rondins qui l'écrasent. On travaille un moment, et la pluie redouble de force. C'est un chantier de boue et de sang dans lequel je patauge et je m'enfonce jusqu'à la ceinture…

Enfin, Geismard est dégagé et emporté presque aussitôt sur un brancard, mais l'expression de son visage ne me trompe pas, et j'ai trop vu de mourants pour ne pas me faire d'illusions sur son sort. Il meurt environ 1 h après dans les boyaux vers Marœuil, après une agonie terrible, supportée stoïquement. Barre agonise dans mon abri,…

Les pauvres survivants bien tristes et désemparés se rassemblent autour du commandant. Pas de lamentations. De la stupeur. Nous avions été si longtemps épargnés dans cet état-major de bataillon. Fini pour nous la protection du combattant. L'on mange quand même, car il faut vivre pour continuer à se battre,…

Puis, tout d'un coup, un petit coup sec suivi d'un éboulement de terre sur nous. Pas un cri. Pour moi, l'impression très nette d'un coup de fouet sur la jambe. Je me dégage de la terre qui glisse sur moi et m'ensevelit lentement. Quelques pas et je tombe. Autour de moi, mes camarades moins blessés se dégagent eux-mêmes. On porte secours aux autres. Je me traîne dans la partie intacte de l'abri où se trouve le commandant. J'ai maintenant l'impression que ma tête se vide, et à mes pieds une mare de sang. Le mien, celui des autres sont mélangés… 

 Il faudra attendre la nuit pour être enlevés, et nous restons dans notre fange, au milieu des ruines de notre abri dont la terre en s'éboulant nous enterre comme par avance. Bigot meurt bientôt, sans une plainte ; un sourire, même, apparut sur ce visage déjà décomposé, comme il rendait le dernier soupir. Notre commandant paraît anéanti. Il n'est pas blessé, mais son moral est bien ébranlé et il ne trouve que des mots sans suite…

Les brancardiers arrivent. Départ secoué dans les boyaux étroits et glissants. Les secousses brusques me font horriblement souffrir…

Je demande aux brancardiers de se risquer dehors et de m'emporter à travers champs. Mieux vaut risquer une balle que mourir à petit feu dans l'horrible boyau. Ils se consultent. Ce sont de vieux camarades qui ont pitié de moi, et l'on me hisse sur le parapet, puis en avant par le champ… "

" 1er juillet 1915 - jeudi

À 5 h, l'on m'emporte vers la salle d'opérations. Chloroforme. Je me sens comme attiré en arrière dans un trou qui irait s'approfondissant et où disparaîtrait lentement la table d'opération sur laquelle je suis étendu… "

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EXTRAIT DE "LES CARNETS DU SERGENT FOURRIER"

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