Articles de presse

Vers un français local au Grand Maghreb

A l'heure où l'on écrit ces lignes sur la francophonie au Maghreb, on ne peut ne pas rapporter une information capitale pour la langue française dans cette partie du monde.

En effet, les médias maghrébins, notamment francophones, ont largement commenté la récente décision de l'Etat libyen de réintroduire les langues étrangères dans le système éducatif. Le français aura désormais, dans les écoles libyennes, droit de cité aux côtés d'autres langues étrangères. La Libye demeurait le seul pays de l'U.M.A. (Union du Maghreb Arabe) à être réfractaire à la langue de Molière.

Alors que le français est une langue étrangère privilégiée au Maroc, en Algérie, en Tunisie et en Mauritanie, il n'a pratiquement aucune existence en Libye. Les raisons historiques relatives à l'ex-puissance coloniale ne sont pas les seules à être responsables de cet état de fait. Nous avons expliqué ailleurs (Quitout 2005 et suiv.) que le français, dans ce pays peu connu et peu étudié, a traversé deux grandes périodes : la première commence à la fin de la colonisation italienne en 1951, traverse la période de la royauté et s'achève vers le milieu des années 80 ; la seconde va du milieu des années 80 jusqu'à nos jours.

Durant la première période, le français jouissait d'un statut privilégié dans la société libyenne en général et dans le système éducatif en particulier. Il traversait celui-ci du secondaire jusqu'à l'université. Toute une génération de locuteurs francophones formés à cette époque, garde encore aujourd'hui, sinon une compétence élémentaire du français, du moins des souvenirs "phonétiques" qu'elle évoque avec une nostalgie bien réelle.

En 1984, suite à des tensions politiques entre la Libye et l'Occident, les langues étrangères sont, du jour au lendemain, retirées des programmes de l'ensemble du cursus scolaire et universitaire1. Cette suppression durera deux ans au bout desquels l'anglais sera rétabli dans sa situation antérieure, et le français, lui, quittera alors définitivement le secondaire et ne sera maintenu qu'à l'université. Il va depuis perdre du terrain année après année au profit de l'anglais. Actuellement, les étudiants désirant se spécialiser en français n'ont leur tout premier contact avec cette langue qu'à l'université. Au bout de quatre années d'études, ils acquièrent une compétence langagière minimale sanctionnée par un diplôme de licence local. Pendant un séjour de coopération en Libye de 2002 à 2004, nous avons dénombré à peine un petit millier d'étudiants dans toutes les universités libyennes, tous niveaux confondus.

C'est dire combien la position de cette langue était à ce point modeste dans ce pays. Dès lors, la décision historique que vient de prendre la Libye est pour la langue française une opportunité certaine de s'enrichir aussi bien en terme du nombre de locuteurs qu'en terme d'interaction avec un espace linguistique local d'une grande originalité (variétés arabes, variétés berbères, variétés africaines).

En effet, au Maghreb, le français ne peut pas ne pas interagir avec les langues locales. Il présente du coup une certaine spécificité qui fait qu'il n'existe pas un français mais des français ou, plus exactement, différentes pratiques du français. L'on assiste alors à un double continuum : un continuum intralinguistique et un autre interlinguistique. Le premier permet de passer d'une variété à une autre. On peut trouver une variété haute ou acrolecte, proche de la norme exogène et produite par une frange de la population très occidentalisée, comme on peut trouver une variété médiane ou mésolecte attestée chez la classe moyenne, comme on peut encore trouver une variété basse ou basilecte, produite par ceux qui ont appris le français "à la louche" comme on dit là-bas, c'est-à-dire "sur le tas".

Hormis la variété acrolectale, ces diverses variétés subissent l'influence des langues de substrat, l'arabe dialectal et le berbère. Dans le processus d'apprentissage du français, quel que soit le contexte (écol

Michel Quitout

LE MENSUEL DE L'UNIVERSITÉ, NUMÉRO 19, octobre 2007

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