Docteur en Sciences de l’éducation, je suis actuellement Maître-assistant à l'Université de Genève. Mes travaux portent principalement sur les parcours de vie, sur les parcours de diplômés d’écoles d’art, sur la formation de l’artiste ainsi que sur la jeunesse et l'insertion.
DEVENIR ARTISTE, UNE ENQUETE BIOGRAPHIQUE
L'ouvrage est tiré de ma thèse de doctorat. Il décrit et analyse les parcours de formation et d'insertion de jeunes diplômés d'écoles d'art. Par l'usage de récits de vie, il considère les profondeurs diachroniques et les dimensions subjectives à l'oeuvre dans la formation des artistes en devenir. Il donne une place importante aux récits tout en ne renonçant pas à l'exigence de théorisation.
Voici quelques extraits de son introduction:
-------------------------------------------------
CONSTRUIRE SA VIE
Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat. Il donne une large place aux dimensions empiriques. C’est à l’intérieur de récits autobiographiques de jeunes diplômés d’écoles d’art qu’il étudie des parcours et des identités.
Le diagnostic de Rosa (2005/2010) mis ici en exergue ex- prime le fond théorique sur lequel se détache la problématique générale de cet ouvrage. Les travaux sociologiques et historiques relatifs aux modèles d’identité convergent vers une définition de l’identité prémoderne comme « établie et prédéfinie de l’extérieur » (p. 278, souligné par lui), par les diverses institutions qui à la fois la contiennent et la configurent. La considération de l’individu comme sa définition y sont corrélées à sa place ainsi qu’à son insertion dans un ordre social relative- ment stable. C’est avec la modernité qu’une première fissure a eu lieu. Elle a contribué à un écart entre le soi et le monde (Martuc- celli, 2010) et initié un processus d’individualisation. Ce n’est qu’alors que l’identité a pu devenir autodéterminée, qu’elle a pu se faire projet réflexif et que la figure de la vocation a trouvé un espace à sa diffusion et à sa démocratisation.
L’individualisation moderne est reliée à la possibilité effective d’une planification de son parcours de vie. Un processus d’institutionnalisation et de standardisation, typique de la modernité organisée, sous-tend largement cette possibilité. Le projet d’accomplissement de soi comme projet temporel est en effet indissociable d’une succession fiable de séquences temporelles au contenu globalement prévisible en fonction des âges de la vie. Dans la sphère professionnelle, jusqu’aux alentours des années septante, les carrières étaient marquées par une relation d’emploi durable à un employeur, par la stabilité ainsi que par des possibilités réelles de progression caractéristiques de ce qui est aujourd’hui désigné comme société salariale. C’est dans un tel contexte que l’identité constitue un projet temporel qui se déploie dans l’accomplissement d’une vie. Il s’agit de trouver et de choisir sa place dans un monde où la projection dans un plan de vie est aisée et garantie par une institutionnalisation et une standardisation des parcours.
Les transformations de l’environnement social et culturel contemporain fragilisent les perspectives de vie. En modernité avancée, le rythme des changements est devenu intragénérationnel. Une poussée des contingences et de l’instabilité en résulte. Les identités qui visent la stabilité ne seraient plus aptes à suivre le rythme des transformations. Nous assisterions à une temporalisation de l’identité (Rosa, 2005/2010). Deux alternatives : se concevoir ouvert et flexible, ou bien s’exposer au risque d’une frustration suite aux échecs répétés de projets de vie polarisés par un désir de stabilité. Pour certains, un nouveau modèle d’identité prendrait forme. Cette identité abandonne tout projet de stabilité transsituationnelle et se restructure sans cesse au fil du temps et au gré des opportunités. Elle est malléable, flexible, et en dernière analyse dépendante de situations elles-mêmes labiles. Peut- on cependant se construire et construire sa vie en délaissant toute perspective de stabilité transsituationnelle ? Le modèle de l’installation (Dubar, 2007) appartient-il au passé ?
Cet ouvrage explore les répercussions, sur l’identité, de la tension entre aspiration à la réalisation de soi, typique de la modernité classique et organisée, et de l’incertitude structurelle et culturelle propre à la modernité avancée. Il privilégie les dimensions subjectives et les dynamiques biographiques. Il n’évacue cependant pas les dynamiques relationnelles et les dimensions institutionnelles. Il décrit et analyse des parcours afin de com- prendre des identités.
UNE FIGURE, UNE RECHERCHE
Le projet artiste est incertain mais toujours signifiant pour ce- lui qui le porte. La figure du jeune diplômé d’école d’art est emblématique de la tension entre aspiration à la réalisation de soi et incertitude. La formule « s’accomplir dans l’incertain » (Menger, 2010) exprime ce que cette figure permet d’étudier : des identités individualistes, résultant « d’un mode de socialisa- tion qui privilégie le processus d’individualisation et de distinction personnelle sur celui d’appartenance collective et de conformation sociale » (Dubar, 2010, p. 223), mais incertaines. Ces identités se réfèrent « à la vocation et à la création », à « l’authentique » (ibid.), à une certitude ontologique d’être artiste mais elles risquent des « reconnaissances limitées », des « frustrations maintenues » (ibid.), des déceptions répétées.
(…)
UNE ENTREE AUTOBIOGRAPHIQUE
Cet ouvrage privilégie une perspective autobiographique (Bertaux, 1980 ; Dubar, 2012 ; Dilthey, 1927/1988 ; Lewis, 1963 ; Thomas & Znaniecki, 1920). Les entretiens déplient les identités sur l’ensemble de l’axe scolaire-professionnel. Le genre de l’autobiographie suppose une perspective diachronique et non synchronique, sollicite la narration plutôt que l’argumentation. Il propose l’histoire du développement d’une personnalité (Lejeune, 1996a). Les entretiens permettent d’appréhender le développe- ment (involution) d’un artiste dans un temps long en intégrant ce « trait de subjectivité » (Baudouin, 2010) caractéristique de l’autobiographie, où une relation d’identité relie l’auteur (celui qui est invité à se raconter) et le personnage principal (les divers sujets anciens configurés et proposés par le récit).
Les parcours sont découpés en trois périodes, à l’intersection de catégorisations naturelles, institutionnelles et théoriques. La première période est celle de la vocation artiste. Elle raconte l’orientation dans le domaine artistique. Il y a ensuite celle de la formation de l’artiste. C’est la période de fréquentation de l’institution de formation. Il y a enfin la période de l’insertion de l’artiste. Elle est travaillée, en profondeur, par la confrontation avec le monde du travail. Elle donne le plus souvent lieu à une rupture. L’analyse révèle une continuité biographique entre la période de la vocation artiste et celle la formation de l’artiste. Le passage de la formation au monde du travail brise le plus souvent cette continuité.
Comment prend forme la décision de confier sa vie à une ac- tivité susceptible de réaliser ses aspirations, mais incertaine quant à la possibilité de s’insérer professionnellement ? Comment se construit-on dans un contexte qui privilégie la singularité et la personnalisation, qui offre un espace à l’investissement de dimensions personnelles et à l’émergence d’idiosyncrasies ? Qu’advient-il d’une vocation dès lors qu’elle sort de l’espace protégé de l’institution de formation, qu’elle affronte un monde fait d’hyperflexibilité et d’hyperconcurrence, où les carrières sont façonnées par la précarité et une faible lisibilité de l’avenir professionnel ? Quels permanences et changements configurent l’identité de jeunes diplômés d’écoles d’art au moment du pas- sage de la formation initiale au monde du travail ? Peut-on lire dans ces récits l’émergence d’un nouveau modèle d’identité. Cet ouvrage apporte quelques éléments de réponse à ces questions.
(…)
LE RECIT
Cet ouvrage prend au sérieux les ressources épistémiques du récit. Le récit permet de mettre au jour l’autre «moitié du monde » (Bertaux, 1976), celle qui échappe pour partie au monde de l’objectivité. Il donne accès au travail des attitudes, des interprétations et des rationalisations qui configurent également l’expérience (Thomas & Thomas, 1928). Il permet de
se mettre à la place du sujet qui cherche sa voie dans le monde, sans jamais oublier que l’environnement qui l’influence et auquel il s’adapte est son monde et non pas le monde objectif de la science. Le sujet individuel réagit à son expérience propre, laquelle n’est pas équivalente à ce qu’un observateur pourrait déterminer dans la sphère de portée de l’individu ; elle se réduit à ce que l’individu lui- même y trouve. (Baudouin, 2010, p. 47, souligné par lui)
Le récit est une voie d’accès privilégiée au monde de per- sonnes ainsi qu’à la façon dont il s’est constitué, a progressivement pris forme. Comment ne pas souligner ici un recoupement avec le roman ?
Le roman s’est longtemps défini, et continue de le faire, par l’ambition de recréer une perception globale du monde social. En lisant une intrigue, et grâce à la mise en situation d’un personnage, c’est un monde tout entier qui se construit et se révèle au fur et à mesure des lectures. (Barrère & Martuccelli, 2008, p. 12)
Il est remarquable que le roman ait été victime, après une pro- fonde résonance initiale avec les sciences humaines et sociales naissantes, d’une « destitution épistémique » (Baudouin, 2010).
Une lucidité est cependant indispensable. La recherche gagne en effet à dépasser la transparence caractéristique d’une appréhension naïve du récit. Des médiations cultuelles et des artifices narratifs altérèrent l’expérience dès lors qu’elle est racontée (Baudouin, 2010 ; Rastier, 1999). Cette lucidité fut structurante de la recherche dont cet ouvrage fait part.
L’opération narrative ne laisse pas indemne l’expérience qu’elle porte au langage. Le récit donne à connaître mais tout en occultant. La perspective défendue dans cet ouvrage honore les récits et assume une responsabilité éprouvée envers ceux qui se sont racontés. Elle retient cependant le geste interprétatif. Elle prône une distance qui suspend le geste interprétatif afin ensuite de se rapprocher du récit.
Il est non moins désirable qu’entre nous-mêmes et l’objet que nous aspirons à mieux connaître, entre notre « discours » et notre objet, l’écart et la différence soient marqués avec le plus grand soin. Il n’y a de rencontre qu’à la condition d’une distance antécédente ; il n’y a d’adhésion par la connaissance qu’au prix d’une dualité première- ment éprouvée, puis surmontée. (Starobinski, 1974, p. 228)
Elle veut tenir ensemble distance objectivante et sensibilité.
(...)
-------------------------------------------------
Une recension accessible gratuitement en a été faite dans le revue Temporalités :
https://temporalites.revues.org/2946
Divers articles ont constitué des prolongements à cet ouvrage, dont:
Pita Castro, J.C. (2015). Social gravities and artistic training paths: the artistic vocation viewed through the prism of the concept of temporal form of causality. European Journal for Research on the Education and Learning of Adults, Vol.6, No.2. http://www.rela.ep.liu.se/issues/10.3384_rela.2000-7426.201562/rela_0146/rela_0146.pdf
Pita Castro, J.C. (2014). The transition from initial vocational training to the world of work: the case of art school students. European Journal for Research on the Education and Learning of Adults, Vol.4, No.2. http://www.rela.ep.liu.se/issues/10.3384_rela.2000-7426.201351/rela0107/rela_0107.pdf
J'ai contribué à divers ouvrages collectifs publiés à l'Harmattan:
Baudouin, J.-M. & Pita, J.C. (2014). Vers un nouvel ethos de la formation des adultes. In M. Beauvais & A. Haudiquet (Eds.), Ethique et ingenierie de la formation.Paris: L'Harmattan.
Baudouin J.-M. & Pita J.C. (2010). Récit de vie et pluralité interprétative en sciences de l’éducation. Le cas des histoires de vie. In A. Petitat (Ed), La pluralité interprétative. Aspects théoriques et empiriques (pp. 263-286).Paris : L’Harmattan.
http://www.unige.ch/fapse/mimesis/membres/pita....
envoyer un mail à l'auteur