L'agonie est considérée comme l'ultime étape de la fin de vie. Ultime étape
tragique, hypercomplexe, aux vécus subjectifs insondables, et aux frontières
objectives incertaines. Quand la mort arrive-t-elle et comment peut-elle
arriver ? Ces deux questions bio-éthiques sur ce "long mourir" qui parfois
s'éternise, polarisent les recherches postmodernes qui ne se contentent pas des
réponses traditionnelles de laisser faire la nature selon des rites hérités.
Comment s'approprier humainement l'agonie, pour en faire l'antichambre
d'une mort digne ? Accompagnement ? Euthanasie ? Suicide ? Cryogénisation ?
Ces interrogations postmodernes d'une société postmortelle sont au coeur de la
révolution copernicienne de la mort, diagnostiquée par Edgar Morin : "Frapper
aux portes de l'humanité, avant de frapper aux portes de la mort".
L'agonie est la dernière porte dans le "Voyage au bout de la nuit". Décréter
qu'elle ne sert à rien est un peu court et rester prisonnier de critères d'utilité
primaire, nous dit Nicole Croyère à la recherche "d'une pratique éthique de
l'accompagnement de fin de vie" (p. 59). Dans ces moments-là, tout est
nouveau, "les soupirs et les yeux et tout" s'affole Céline (1952, p. 496). Ces yeux
dévoilent-ils un concentré d'humanité ? "Des yeux qui ont tout vu, qui savent tout",
qui frappent le regard de Denyse Perreau