La communication sociale ne se réduit pas aux outils de communication
l'objet de cet article est de proposer une synthèse des recherches en sciences de la communication.
Les sciences de l'information et de la communication (SIC) sont des sciences humaines et sociales. Comme le remarque Robert Boure, les SIC n'ont jamais massivement "cherché à asseoir leur légitimité sur le modèle des sciences "dures". Dès lors, elles sont "particulièrement sensibles à tous les questionnements épistémologiques et sociaux (y compris éthiques) sur "l'humanité" des sciences humaines et sociales, et partant, sur leurs propres limites et contraintes" (Boure, 1997, p. 247). Comment sortir de cette crise épistémologique récurrente? Bernard Miège proposait de refuser toute théorie généralisante de la communication au profit de "problématiques transversales et partielles" (Miège, 1992). Si nous partageons le souci qui est à la source de cette position épistémologique (combler l'écart gigantesque entre, d'un côté, les théories globales et, de l'autre, des travaux empiriques très spécialisés), nous proposons une autre voie. Voie d'ailleurs suggérée, dans le même numéro, par Daniel Bougnoux, à savoir la constitution d'un socle épistémologique, d'un savoir commun propre aux recherches en communication (Bougnoux, 1992). Evidemment, se pose la question du contenu de ce socle. Les trois éléments fondamentaux que proposait Daniel Bougnoux dans cet article (la pragmatique, la médiologie, la cybernétique) ne font pas l'unanimité au sein de la communauté scientifique. Pourtant, il ne nous semble pas impossible de procéder à une synthèse, non pas des courants théoriques souvent incompatibles, mais des éléments théoriques puisés dans ces courants et tenus pour acquis par les chercheurs en communication (l'importance du contexte, la notion de feedback, etc.). L'objet de cet article est de proposer aux chercheurs en communication une première ébauche d'une telle synthèse. Mais, auparavant, il nous faut justifier la démarche synthétique que nous proposons (première partie) et proposer un cadre d'analyse permettant de borner le champ des SIC (deuxième partie).
I - UTILISER PLUSIEURS OUTILS POUR MIEUX SAISIR LA COMPLEXITE DE L'OBJET
Les recherches en sciences sociales se heurtent aux "effets de réalité" (Neveu, Rieffel, 1991) qu'elles engendrent. Au fur et à mesure que les études sont publiées, elles passent, de manière plus ou moins simplifiées, dans la réalité étudiée. Si bien que les sciences sociales sont dans l'impossibilité de saisir la totalité de leur objet. Cette impossibilité est d'autant plus forte que, comme toute activité scientifique, les SHS sont une activité sociale à part entière. D'une part, les sciences sont liées au marché et à l'Etat qui, par le biais des financements et des commandes publiques (), pèsent parfois fortement sur les orientations de la recherche (). Plus profondément, comme le montre le travail de Latour, une découverte ne devient vérité scientifique qu'après un long travail de mise en forme et la constitution d'un réseau qui lui apporte soutien et crédibilité (Latour, 1989). Pour le dire autrement, la force d'une théorie scientifique tient moins dans sa cohérence interne que dans l'accueil favorable d'une communauté scientifique. Conception sociologique qui recouvre celle des spécialistes de l'argumentation : "Je pense qu'une large partie des discours scientifiques ne cherche pas tant à dire le vrai, qu'a persuader les instances compétentes", affirme, par exemple, Jean-Blaise Grize (Grize, 1998, p. 200). Si la science est une production et une activité communicationnelle, c'est parce qu'elle est portée par des chercheurs. Or, ceux-ci sont des observateurs qui "perturbent l'observation". L'acte même de connaissance modifie le phénomène observé. De plus, le chercheur en SHS est aussi un "sujet parmi les sujets" si bien que "l'on ne peut au premier degré exclure ni l'observateur ni le sujet" (Morin, 1994, p. 302). Cette ambivalence, invite le chercheur à prendre en compte la complexité du social en abandonnant une épistémologie classique selon laquelle la scientificité dépend du degré de cohérence interne du modèle théorique utilisé. Une telle épistémologie fait du rapprochement de théories différentes un "bricolage" qui n'a rien de scientifique. Or, la cohérence du modèle est aussi rigidité et conduit, bien souvent, à plier le réel aux contraintes théoriques en évacuant de multiples dimensions de la réalité étudiée. C'est pourquoi, se fait jour, à l'heure actuelle, une nouvelle épistémologie incarnée, entre autre, par Paul Feyerabend : "Non seulement le moindre fait analysé dépend d'une théorie, mais certains faits pourraient ne jamais être révélés sans recourir à des théories rivales" (Feyerabend, 1979, p. 194). Position épistémologique que rejoint le sociologue Pierre Bourdieu : "On ne peut faire avancer la science, en plus d'un cas, qu'à condition de faire communiquer des théories opposées" (Bourdieu, 1984, p. 24).
Cette appréhension hétérodoxe de l'activité scientifique légitime la constitution d'un socle épistémologique propres aux SIC qui ne s'inscrit ni dans un courant de pensée sociologique (holisme ou individualisme méthodologique) ni dans une école théorique propre aux SIC (Ecole de Francfort, Ecole de Palo Alto, etc.). En effet, on ne peut rendre compte de la complexité de la communication qu'en utilisant tous les outils théoriques pertinents permettant d'analyser cet l'objet social. Cependant, saisir la complexité du réel en croisant les outils d'analyse, ne veut pas dire sombrer dans un galimatias intellectuel fusionnant à toute force des théories et des concepts contradictoires. Pour que la combinaison d'outils intellectuels différents ne conduise pas à l'élaboration d'un pudding scientifique indigeste, mais provoque une synergie intellectuelle permettant de révéler les différentes saveurs de l'objet étudié, il convient de circonscrire rigoureusement ce dernier.
II - FONDER UN CADRE D'ANALYSE EVITANT LA REDUCTION ET LA DILUTION DU CONCEPT
Le concept de communication court deux risques majeurs. Le premier est celui d'une dilution du concept. Dans le langage courant le mot communication désigne des réalités physiques aussi différentes que des voies de communication (route, canaux, voies de chemins de fer, etc.) ou des outils de communication (téléphone, satellite, radio, etc.) et des processus sociaux aussi dissemblables que la publicité, les interventions scientifiques dans un colloque ou une conversation entre amis. Cette polysémie sociale imprègne également le langage scientifique puisque ce vocable peut désigner aussi bien des échanges chimiques entre terminaisons nerveuses (en neurologie par exemple) que des grognements échangés entre membres d'une même meute. Afin de garder à ce concept une certaine unité nous proposons de restreindre le vocable communication aux seules relations humaines. Dans cette acception, la communication reste un phénomène social complexe, puisqu'elle est analysée comme étant : un idéal moderne (Wolton, 1997), une idéologie (Breton et Proulx, 1988), une caractéristique ontologique de l'homme (Flusser, 1978) un moyen raisonnable de fonder une démocratie plus juste (Ferry, 1994), etc. la liste n'est pas exhaustive. Il semple possible, en multipliant les outils d'analyse, de rendre compte de cette complexité, à condition toutefois d'éviter l'assimilation entre communication et interaction. Assimilation qui nous semble à l'oeuvre dans certains travaux de Palo Alto (Watzlawick, Beavin, Jackson, 1972; Hall, 1979). Or, si toute communication en face à face est une interaction, toute interaction n'est pas forcément une communication, mais plutôt une routine social, un ajustement culturel. Cet ajustement culturel est, le plus souvent, inconscient (Hall, 1984; Winkin, 1996), donc sujet à plusieurs perturbations. Lorsque ces perturbations se produisent, l'interaction devient communicationnelle (cas de deux personnes venant en sens inverse dans la rue et qui ne parviennent pas à s'éviter).
Communication et information : des relations asymétrique
Le deuxième danger qui guette le concept de communication est celui de réduction à l'une de ses composantes. Pendant longtemps, le schéma linéaire de Shanonn a engendré une réduction implicite de la communication à la transmission d'information. Cette réduction aujourd'hui contestée laisse tout de même subsisté, y compris dans la communauté des chercheurs, l'idée d'une relation symétrique entre information et communication : "l'information est le contenu de la communication et la communication le véhicule de l'information" affirme Robert Escarpit (). De même, à la lumière des travaux sur l'hypertexte, Claude Baltz affirme qu'il "n'y a pas d'information sans communication et vice-versa". (Baltz, 1995). Pourtant, cette thèse conduit à une définition tautologique des deux entités : l'information, c'est ce qui circule dans la communication; la communication c'est la circulation de l'information. C'est pourquoi, il nous semble plus heuristique de penser l'asymétrie de ces deux notions. Si l'on conçoit l'information comme un phénomène humain qui ne saurait se réduire à un "logarithme du maximum de vraisemblance d'une distribution multinomiale" - terme mathématique correspondant à la "quantité d'information" calculée par la formule de Shannon () - on fait inévitablement intervenir les notions de construction et de reconstruction du sens (Bélisle, Bianchi, Jourdan, 1998). Pour le dire autrement, la communication n'est pas la transmission d'un message, mais la co-constitution incertaine d'une signification. Signification qui se co-construit même lorsque la valeur informative des mots disparaît. Ainsi, dire non est une façon de communiquer sont refus, le répéter plusieurs fois, enrichit cette communication (en montrant sa détermination) alors que la valeur informationnelle des "non" supplémentaires est nulle. Même expurgée de sa dimension langagière et réduite à sa seule dimension pragmatique, la communication renvoie toujours à la notion de signification. En effet, même dans une communication silencieuse (une poignée de main échangée ou refusée en silence, par exemple) les participants attribuent une signification au comportement des autres participants(Watzlawick, Beavin, Jackson, 1972)! Dès lors, les rapports entre information et communication sont asymétriques. La communication, entendue comme relation, peut exister sans information; l'information n'existe pas sans la communication.
La communication sociale ne se réduit pas aux outils de communication
Une autre réduction, elle aussi contemporaine, est l'assimilation de la communication à ses technologies : "La question de la technologie est centrale pour notre propos car, aujourd'hui, la communication est technologique ou elle n'est pas, et cela vaut même pour la psychothérapie de Palo Alto" plaide Lucien Sfez (Sfez, 1988, p. 15). Cette réduction d'un processus social à une technologie de mise en contact conduit à négliger la dimension symbolique de la communication. Du coup, c'est l'interaction entre technique, sémiologie et psychologie que l'on s'interdit de penser. Car, effectivement, la communication possède une dimension technique. De nombreuses recherches ont mis en avant l'influence de la forme sur le contenu, du canal de transmission sur ce qui est transmis, du technique sur le politique, nous pensons à celles de Bruno Latour (Latour, 1985) et Jack Goody (Goody, 1979), bien évidemment, mais aussi aux provocations de Marshall Mc Luhan (MC Luhan, 1968) ou aux mises en garde d'André Vitalis (Vitalis, 1992). En soulignant que le sens n'est pas uniquement dans le message, que ce dernier et le médium participent à la coproduction du sens, ces travaux permettent de rendre compte de la complexité de la communication humaine. Cependant, la communication humaine n'est pas un phénomène purement technique. Si la technique joue un rôle considérable dans la conservation et la transmission de la pensée, elle reste secondaire dans la communication. Le rôle premier, c'est l'être social qui le tient. La communication est une donnée ontologique. L'homme n'est sujet que par sa relation aux autres. L'identité se forge dans la communication. C'est dans l'image que nous renvoie autrui que se construit une partie de la perception de nous-même. Mais, si elle résulte de la communication, l'identité est aussi la condition même de la communication. C'est la conscience de notre irréductible différence qui nous pousse à communiquer avec autrui. La connaissance de soi ouvre à la connaissance de l'autre. Mais cette connaissance réciproque n'est pas sans danger, justement parce qu'elle met en jeu la définition des identités de chacun. C'est pourquoi, la communication est aussi un rapport de force dans lequel se joue la place sociale de chacun. L'identité individuelle est donc l'enjeu, la résultante et la condition de la communication (Lipianski, 1990). Cette vérité psychologique n'est pas sans conséquence sociologique. Si la communication ne se réduit pas au technologique, si elle implique un sujet qui peut être un acteur, alors la société ne saurait dériver génétiquement des réseaux techniques. Nous pensons, avec Nicolas Dodier et contre Bruno Latour (Latour, 1994), que les réseaux techniques et les réseaux sociaux n'ont pas les mêmes propriétés : les premiers autorisent une solidarité fonctionnelle, les second génèrent une solidarité morale qui s'ancre sur un territoire (Dodier, 1997). Pour le dire plus simplement, le plus important dans les réseaux sociotechniques, ce sont les réseaux sociaux c'est-à-dire, les relations entre les hommes, la communication. Même si les objets techniques enregistrent, diffusent et pérennisent des interactions sociales, ils restent subordonnés à des référents symboliques, produits de la psychologie et de la communication humaine
Communiquer n'est pas toujours persuader
La communication sociale ne dérive pas des réseaux technique. Elle n'est pas d'avantage le fruit d'une ingénierie symbolique omnipuissante. La publicité et le marketing sont aujourd'hui développées, au sein de services ou d'agences spécialisés qui aiment à prendre le nom de "communication", mais qui développent des activités de persuasion. Pourtant, persuasion et communication ne sont pas synonyme. La persuasion passe par des registres non communicationnels, comme l'éducation, la violence ou l'expérimentation personnelle; tandis que la communication poursuit d'autres finalités que la persuasion comme la convivialité, la construction identitaire, l'élaboration de normes, la transmission d'informations, etc. Certes, persuasion et communication se recoupent largement, tant dans le secteur économique que dans le champ politique. Pour désigner, tout à la fois, l'existence de ce recouvrement et la différence entre les deux notions, nous avons utilisé le terme "communication persuasive" défini ainsi : "Volonté humaine d'établir des relations sociales non violentes dont l'objectif premier est de provoquer un changement dans la manière de penser ou dans le comportement d'autrui" (Dacheux, 1994, p. 29). Cette définition appelle deux commentaires. D'une part, le terme "non violence" ne signifie pas que la communication persuasive ne peut pas emprunter le registre de la violence symbolique. Les ONG comme Greenpeace ou Handicap International ont cherché délibérément à provoquer l'opinion par des procédés symboliques souvent très violents. Cependant, dans les pays démocratiques, on constate que l'utilisation de la force physique cède le pas à une pacification des moeurs et des formes de contrôle social (Elias, 1973). D'autre part, le mot "volonté" signale la distinction nécessaire entre influence et persuasion. Toute communication - on le sait depuis les travaux de l'Ecole de Palo Alto - engendre une influence. Notre propos est d'indiquer qu'il y a une différence de nature entre la volonté d'exercer une influence et celle que l'on exerce de manière inconsciente. Ce qui ne signifie pas que la première modifie plus profondément l'attitude ou le comportement d'autrui que la seconde, mais que la communication persuasive possède une visée instrumentale, un "agir stratégique" dirait Habermas (Habermas, 1987), qui la distingue de l'agir communicationnel.
III - ELEMENTS POUR UNE SYNTHESE
Une manière de s'affranchir des deux écueils épistémologiques que sont la dilution et la réduction est de faire de la communication une activité de compréhension. Point de vue exprimé, dans deux textes récents consacrés à l'épistémologie de la communication (Muchielli, 1999 ; Ollivier, 2000). Faire de la communication une activité de compréhension souligne trois éléments essentiels à nos yeux. Premièrement, l'altérité est l'horizon indépassable de la communication. C'est par la communication, la relation aux autres, que se construit l'identité, nous l'avons évoqué. Deuxièmement, la communication est interprétation. Le sens n'est pas donné une fois pour toute par le signe. Chacun, en fonction de ses expériences, de sa culture, de son statut social, etc., attribue des significations différentes à un même message (linguistique ou non). En d'autres termes, ce que l'on veut signifier n'est jamais - sauf à transmettre des messages très pauvres et/ou à restreindre la liberté d'interprétation d'autrui - exactement ce que l'autre comprend. La communication ne permet pas la compréhension totale et réciproque, elle peut, parfois, réduire l'incompréhension. La communication ne met pas fin à l'incompréhension, elle s'en nourrit. La communication n'est pas une solution, c'est un problème de construction du sens. Ce travail de construction du sens dépend fortement du contexte dans lequel il s'effectue. Ce contexte constitue un cadre interprétatif qui participe à la construction du sens. Il est tout à la fois donné (le cadre de la relation tel qu'il pourrait être décrit par un observateur extérieur) et construit (le cadre de la relation tel que le co-construisent et le perçoivent les personnes en relation). Dans ce cadre d'analyse, il semble possible de procéder à un rassemblement, à une synthèse théorique des éléments qui, forgés à l'intérieur de disciplines et de courants de pensée différents, constituent aujourd'hui, si ce n'est un paradigme, du moins un savoir commun aux chercheurs en communication. Pour illustrer cette possibilité nous proposons de livrer à la critique trois axiomes qui, selon nous, sont susceptibles de constituer un socle épistémologique commun propres aux recherches en communication
1-L'interdisciplinarité des recherches en communication. Des manuels d'introduction aux sciences de l'information et de la communication (Breton, Proulx, 1989; Bougnoux, 1998; Pedler, 2000) aux ouvrages grand public de chercheurs reconnus (Mattelart, 1995; Wolton, 1997) en passant par les travaux spécifiquement épistémologiques (Mucchielli, 1991; Ollivier, 2000), on retrouve toujours l'idée selon laquelle l'extraordinaire hétérogénéité de l'objet commande l'adoption d'approches plurielles. Idée présente chez les fondateurs des SIC () en France, qui ont pris soin d'utiliser le pluriel pour définir la nouvelle section du Comité consultatif des universités () qu'ils appelaient de leurs voeux : "Or, cette interdiscipline est une discipline : c'est ce qu'entend affirmer le fait même de lui donner un nom. Autrement dit, il y a une problématique propre à l'information et à la communication, et en se laissant guider par elle, on doit parvenir à dégager une théorie de ces phénomènes qui serait autre chose qu'une juxtaposition des éclairages latéraux fournis par d'autres disciplines. Cette interdiscpline est plurielle, comme le signifie son nom "les sciences de l'information et de la communication". Il y a pluralité d'objets, d'objectifs théoriques, de finalités professionnelles. Mais cette pluralité est interne à une unité que nous avons voulue affirmer [...]", explique ainsi Jean Meyriat (), premier président (1972) du Comité des sciences de l'information et de la communication qui, par la suite, deviendra la Société française des sciences de l'information et de la communication.
2-L'Ambivalence de la communication. La communication, comme l'atteste l'étymologie de ce mot, possède deux dimensions que l'on peut séparer pour l'analyse, mais qui sont constamment présentes dans l'activité communicationnelle : le partage, l'échange, la convivialité que l'on retrouve dans la "communication normative", la transmission, la diffusion, l'instrumentation que l'on range sous l'appellation "communication fonctionnelle" (Wolton, 1997). Mais, nous semble-t-il, cette ambivalence est encore plus profonde, puisqu'on la retrouve au sein même de la communication fonctionnelle et de la communication normative (que nous préférons appeler communication "relationnelle"). En effet, ces deux dimensions antagonistes recouvrent également des registres opposés qui ne cessent de s'entrelacer : l'égocentrisme et l'altruisme. Le premier registre renvoie au désir d'expression et à la recherche de soi; le second fait référence au don de soi et à la compréhension de l'autre. Cette ambivalence "ontologique" explique pourquoi toute déconstruction du concept de communication ne peut pas prétendre décrire parfaitement la réalité empirique. En effet, dans cette dernière, tous les phénomènes communicationnels mêlent toujours dimension fonctionnelle et relationnelle et entrecroisent les registres altruiste et égocentrique. Par exemple, une publicité télévisée pour le port de la ceinture de sécurité peut, selon notre travail, s'analyser aussi bien comme étant une communication persuasive de prévention dans l'intérêt général (dimension fonctionnelle, registre altruiste), qu'une communication rationnelle demandant à l'individu de protéger sa vie (dimension fonctionnelle, registre égocentrique), qu'un rappel d'un certain nombre de normes régissant la vie sociale qui s'appuie sur le talent des personnes ayant réalisé le spot (dimension relationnelle, registre égocentrique), etc.
3-Toute communication met en oeuvre quatre critères. La communication est ambivalente, en raison de sa complexité. En effet, on retrouve dans toute communication sociale les quatre critères suivants :
a-L'espace. Toute communication humaine met en relation des personnes qui, soi sont dans le même espace (modalité présentielle), soi ne le sont pas (communication à distance).
a1-Communication présentielle. Dans ce type de communication les personnes en relations sont dans un périmètre circonscrit à ce qu'Edward T. Hall nomme la "distance publique mode proche", c'est-à-dire, en Occident, environ 3,6 m (Hall, 1984) : messes basses amoureux, conversation entre deux amis dans un café, échanges de points de vue avec un collègue de bureau, etc.
a2-Communication à distance. Communication entre personnes situées au-delà de la "distance publique mode proche" : cours dans un amphithéâtre (distance publique mode éloignée), échanges de signaux de fumée entre deux tribus, courrier électronique entre chercheurs de l'hémisphère Nord et de l'hémisphère Sud, etc.
b) Le temps. Les individus peuvent diffuser des messages, partager des émotions, échanger des savoirs dans le même temps (communication synchrone) ou d'une manière différée (communication asynchrone).
b1-Communication synchrone. Toutes les communications où l'émetteur et le récepteur sont dans la même temporalité sont des communication synchrones : retransmission en directe d'un match de foot, palabres sur un marché, avertissement d'un cibiste à ses collègues, etc.
b2-Communication asynchrone. Communication où l'émetteur et le récepteur ne sont pas dans la même temporalité. Diffusion d'une émission radio enregistrée, lettres enflammées échangées par des amants, testament, etc.
c) La technique. Une communication peut s'établir sans l'intermédiaire d'aucun support technique (communication directe) ou, au contraire, passer par le truchement d'un support (communication médiatée).
c1-La communication directe. Elle met en relation par l'intermédiaire de la voix, du geste, de la posture, de l'expression corporelle (danse, mime, etc.), de l'odorat, du toucher, etc.
c2-La communication médiatée. Elle relie des hommes par divers supports techniques qui vont du simple porte voix au satellite de diffusion directe, en passant par les mass media (télévision, cinéma, radio, presse, affichage) et les media sélectifs (téléphone, courrier, etc.).
d) La situation de communication. A l'intérieur d'un contexte donné (période électorale, par exemple), il existe plusieurs situations de communication (meeting politique, rencontres sur le marché, etc.). Chaque situation présente des "éléments inducteurs" (Muchielli, 1991) qui influent sur les possibilités d'échanges (demander une faveur à son député est plus facile lors de la rencontre sur le marché que dans le meeting politique). Selon nous, il existe deux grands types de situation de communication : les situations où la communication ne peut s'établir que dans un seul sens (communication unidirectionnelle) et celles où chacun des protagonistes peut intervenir (communication interactive).
d1-La communication unidirectionnelle. Une ou des personnes sources s'adressent à un ou plusieurs récepteurs qui ne peuvent pas modifier le message transmis : journal télévisé, plaidoirie du procureur, livre, etc.
d2-La communication interactive. Relation humaine où le comportement de chaque personne est modifié et modifie simultanément le comportement des autres : interrogatoire de police, débat politique, Chats sur Internet, etc.
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En résumé, la communication est une activité humaine de compréhension qui ne fait sens qu'à l'intérieur d'un contexte donné. Cette activité est formidablement ambivalente, puisqu'elle possède deux dimension contradictoires (fonctionnelle et relationnelle) qui obéissent chacune à deux registres antagonistes (égocentré et altruiste). De plus, elle est d'une grande complexité car elle se compose de quatre critères (le temps, l'espace, la technique, la situation de communication) possédant chacun deux modalités. Ces éléments de synthèse ne révolutionnent pas la compréhension de la communication, ils ne font que rappeler que les recherches en communication ont fait émerger un savoir, partiel, fragmentaire, qui constituent l'embryon d'un socle épistémologique commun. La mise à jour de ce socle est possible si l'on fait de la communication une activité humaine et si l'on évite, tout à la fois, la dilution du concept dans la notion d'interaction et sa réduction à sa dimension instrumentale. Ni fait social total ni solution politique miracle, la communication est une propriété ontologique de l'homme en société, un processus incertain qui se heurte à l'irréductibilité de l'altérité. La communication naît dans l'incompréhension, elle meurt dans la communion.