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La psychiatrie est-elle encore un humanisme ?

La psychiatrie est-elle encore un humanisme ?

par Robert-Michel Palem

L'Harmattan, 2010. Coll. Trouvailles et retrouvailles

Que peut-on dire d'un tel livre, d'une telle somme, qui, probablement, prend valeur de testament ? L'auteur, à qui je suis lié amicalement et, oserai-je le dire, filialement, laboure, circonstance aggravante, les mêmes terrains que "Humanisme et psy : la rupture ?" (L'Harmattan 2010). R.M. Palem titre, lui, "La psychiatrie est-elle encore un humanisme ?" Palem ! cet encyclopédiste passionné, ce membre créateur du SNPP - AFPEP avec Gérard Blès et d'autres, ce questionneur, cet amateur de curiosités que l'âge ne saurait atteindre, ce bretteur, défenseur acharné de valeurs "humanistes" que d'aucuns qualifient de "radsocs". Ce pourfendeur de la pensée 68 coupable, à ses yeux, de réduire l'Homme, comme le regrettait aussi Sartre, à un objet entièrement explicable par le dehors ou par un inconscient qui lui serait aussi étranger, ce qui ferait passer la conscience, la liberté, par dessus le moulin, ce contempteur, donc, de Hegel, Heidegger, Foucault, Althusser et bien entendu de Lacan, ne saurait séparer l'Homme-conscience de son Etre. Car c'est la conscience qui, pour Henri Ey, et Palem son légataire, garantit la libre pensée et leste la vie des hommes de ce poids de responsabilités dues à l'exercice de leurs droits démocratiques. "La structure de l'être conscient par excellence c'est le langage" affirme Ey.
Du bon côté de la barrière, les existentialistes, chrétiens ou non : K.Jaspers, E. Mounier, P. Ricœur pour qui une structure sans sujet était une nécropole, JP.Sartre, A. Camus, M. Merleau-Ponty et du mauvais, les structuralistes, les purs matérialistes, un grand absent d'ailleurs chez Palem : Lévi-Strauss, pourtant à mon avis le plus représentatif, le plus concret de ces penseurs qui voulaient émietter l'Homme et n'en faire que le produit d'un algorithme.
Combattre tout déterminisme réducteur, tel est le devoir de tout psychiatre humaniste ! Que l'inconscient soit historique chez Hegel, défini par l'assujettissement économique chez Marx et Althusser, par des jeux de pouvoir chez Foucault, ou de langage chez Lacan, qu'il soit plus difficile à cadrer chez Deleuze et Guattari qui flirtent souvent, par leurs concepts de flux, de reflux, de devenir, avec le vitalisme, il n'en demeure pas moins qu'il faut, en soi, le refuser. Affirmer que la subjectivité se définit pour un sujet lambda comme un signifiant pour un autre signifiant relève, pour Palem, au mieux, de la supercherie. Lacan : "Le sujet ne sait pas ce qu'il dit et pour les meilleures raisons, parce qu'il ne sait pas ce qu'il est." Penser Céline : "Tout système politique est une entreprise de narcissisme hypocrite qui consiste à rejeter l'ignominie personnelle de ses adhérents sur les autres", conseil qu'il aurait dû méditer, lui, l'antisémite.
En tout cas, il ne saurait être question de dissoudre, comme un cadavre dans l'acide, la maladie mentale dans une anthropologie cannibale où la folie et même le crime ne seraient que l'expression de dysharmonies structurales dont il suffirait de modifier l'ordonnancement pour qu'il en soit autrement. L'hôpital psychiatrique assume une fonction soignante et le psychiatre est un authentique médecin, disciple d'Hippocrate ! Henri Ey, à propos des aliénés : "En tout état de cause, affligés par un des plus grands maux de l'humanité, ils n'en demeurent pas moins des êtres qui veulent vivre et nous avons, selon le précepte majeur de notre honneur professionnel, l'impérieux devoir de sauvegarder leur existence, fût-ce jusqu'à l'absurde." Ce ne sont pas, contrairement au jugement du conventionnel Couthon, des animaux. Ce ne sont pas non plus des délinquants et la surdétermination sociale ne suffit pas à leur identification.
Les grands ancêtres humanistes sont convoqués, comme Pinel, tout à sa légende de briseur de chaînes des aliénés : "Pinel impose les "droits de l'homme" libre contre le despotisme carcéral, réintroduit la "dignité humaine" jusque dans "les loges infectes et malsaines de Bicêtre"." L'humanisme des Lumières a conçu l'idée d'un sujet de la folie, malade amoindri mais chez qui persiste toujours une once de Raison, idée qui rejoint celle du clivage de Freud entre un Moi psychotique et une autre partie "saine" du Moi, mais non pas rendu fou par le hasard de signifiants lancés, tels des coups de dé, sur le tapis de la vie. Le psychothérapeute, le psychiatre se doivent d'être actifs : ils soignent et avec ce qu'ils savent et avec ce qu'ils sont. En tout cas, ne jamais reculer devant un outil thérapeutique qui pourrait s'avérer efficace.
Mais l'idée humaniste ne saurait non plus tolérer la réduction de l'Homme à un amas, à des réseaux de neurones plus ou moins perturbés. Ne pas confondre biologie du comportement et phénoménologie de comportements déjà considérés comme quasi pathologiques. Palem ne peut se satisfaire de l'équation homme neuronal - homme mental prônée par Jacques Monod, François Jacob ou Jean-Pierre Changeux. Il ne se résout pas à écarter le spirituel, toujours proche, il est vrai, du sacré. D'évidence il ne peut suivre, non-plus, les neurocognitivistes qui, comme Dennett ou L. Naccache, considèrent que les processus mentaux sont des processus de traitement de l'information au même titre que les mathématiques ou les statistiques.
Soit ! Mais comment ne pas tenir compte de la théorie de l'évolution qui fait de l'animal un homme potentiel ? Les droits de l'Homme sont les Droits des animaux et les Droits de la vie. Question que Robert Palem n'ignore pas mais impossible pour lui de ne pas être comme le clerc vigilant de l'humain face à notre monde, synonyme de chaos génétique ""immense orgie collective" de gènes échangés et recombinés, dont certains dits orphelins sont de pures créations, et d'un homme qui n'est qu'une chimère, une mosaïque en perpétuelle recomposition" comme l'affirme Didier Raoult, notre spécialiste des maladies infectieuses, grand prix 2010 de l'INSERM, cette maison du Diable, comme chacun le sait.
Point commun avec R. Palem : Devoir et grandeur de la politique.

Albert LE DORZE (Lorient)

Albert Le Dorze (Lorient)

"CAHIERS HENRI EY" ET REVUE "PSYCHIATRIES", décembre 2010

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