Articles de presse

Gilles Gérard "Famiy maron"

Voilà un ouvrage historique qui, à peine sorti des presses de L'Harmattan, est déjà une référence, en tout cas chez les chercheurs renommés d'Amérique, comme Natalie Zemon Davis qui a accompagné l'aventure "Avoir 20 ans en 2015". Nous avions rencontré son auteur, Gilles Gérard, avant notre séjour à Lyon, et l'entretien attendait, au marbre, sa place dans notre édition. C'est aujourd'hui. Regard sur l'esprit de famille qui présidait chez les esclaves de Bourbon.
EDITION

Il a déjà fait parler de lui en qualité d'anthropologue, dans les années 90, avec la parution de son enquête sur "Le choix du conjoint en société créole". Gilles Gérard, bordelais d'origine, installé à la Réunion il y a 32 ans, est en fait un passionné et un pédagogue pour les jeunes classes auprès desquelles il a enseigné depuis ses 18 ans, tout en continuant sa formation personnelle dans l'étude du chinois (ce qui a fait l'objet d'une maîtrise en 86 sur les Réunionnais originaires de l'Empire du Milieu). Après quoi, c'est l'anthropologie qui a centralisé son attention et permis de décrocher un DEA avec les félicitations, sous la houlette du professeur Christian Barat. Retraité depuis deux ans, Gilles Gérard peut se consacrer aux familles d'esclaves. "J'ai toujours trouvé que le discours était convenu sur ce sujet et qu'il ne correspondait pas à la réalité. J'ai essayé de comprendre une société. C'est mon seul but, sachant qu'à la Réunion, la famille en est la pièce majeure", explique l'auteur de "Famiy maron" qui, détaché par le rectorat, a aussi servi de conseiller pédagogique pendant quelques années au musée de Stella matutina. Son doctorat d'histoire avec Sudel Fuma a servi de base à l'ouvrage paru ces dernières semaines dans la collection "Historiques" de l'éditeur français. Il reprend les grandes lignes de sa thèse sur les familles en servitude à l'ouest de notre petit pays avec état des propriétés, nombre d'esclaves et dispersion des familles sur tout le territoire."Ce qui a demandé un travail de fourmi, d'autant que la notion de famille dans ce milieu n'apparaît qu'après l'abolition et les droits civils accordés enfin à cette population comme le mariage et la reconnaissance des enfants. Quatre générations d'esclaves peuvent apparaître ainsi dans un acte", note l'auteur qui s'est appuyé sur les travaux de collecte réalisés par la famille Nouriga. Il les a ensuite confrontés aux archives, avec Martine Grimaud, enseignante elle aussi."J'ai ajouté les données de Saint-Louis dont les registres en la matière sont complets (ce qui n'est pas le cas ailleurs). Résultat ? En 1848 on constate que 75 % des esclaves sont créoles, et donc nés ici et que l'on peut identifier leur mère. Ils ont vécu dans une structure familiale et la plupart des pères ayant reconnu dès que possible leurs enfants on peut affirmer que 80 % au moins de la population a vécu au sein d'une vraie famille malgré les interdictions du code noir et de la loi".

Une réalité comme moyen de résister au déni d'humanité. Le fait d'avoir son identité détruite (avec la créolisation de leur nom) inscrite dans une lignée s'avérant force d'espoir. "J'ai toujours été choqué par les histoires colportées sur la famille qui n'aurait été qu'un embryon et disant que l'infanticide régnait comme moyen de résistance, de désespoir et de vengeance pour les femmes esclaves. J'ai pu constater au contraire que par rapport à un pouvoir, être mère restait leur meilleur moyen d'affirmer leur identité. A l'époque les conditions de vie étaient difficiles enfants mouraient beaucoup à la naissance ou en bas âge, esclaves ou non", constate Gilles Gérard qui poursuit sur l'évidence de l'affranchissement, incluant toute la parenté de l'esclave concerné. Il consacre aussi une grande partie de son livre aux témoignages sur le quotidien des esclaves, particulièrement éloquents, justement, sur cette notion de famille qui, évidemment, pouvait différer d'une propriété à l'autre, selon leur importance ou les choix moraux de leurs maîtres. Des rapports de médecins, des journaux intimes … montrant malgré les variables que la famille esclave était bien réelle et incontournable dans un système qui pourtant la nie." Il n'y avait pas une mais des familles d'esclaves. Stériles ou prolifiques, monoparentales ou complètes, regroupant deux, trois ou quatre générations, rassemblées ou disséminées, reconnues ou cachées…".

Une approche qui donne un regard autrement plus positif sur la femme et sur l'amour, en particulier.

"Famiy maron ou la famille esclave à Bourbon", de Gilles Gérard, collection "Historiques" chez l'Harmattan, 26,50 euro

Marie Dusigne
juillet 2012

http://www.clicanoo.re/333266-gilles-gerard-fam...

Auteur concerné