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Une fenêtre sur le monde :
rencontre avec l’écrivain et poète Daniel Leduc
«La continuité de l’être est dans le mouvement perpétuel de la pensée, dans le balancement du pendule à la recherche de la question, du sens de la question, du sens du sens de la question». Ainsi affirme Daniel Leduc dans son ouvrage Le livre de l’ensoleillement.
Daniel Leduc est né à Paris en 1950. Ecrivain et poète, son écriture constitue une fenêtre ouverte sur le monde, une main tendue vers l’autre, un lien fraternel entre l’auteur et le lecteur. Il a publié une quarantaine de nouvelles, des recueils de poésie, et, récemment, deux ouvrages : Partage de la lumière (éditions l’Etoile du Nord -Canada - 2002) et La respiration des jours (éditions l’Harmattan - 2002).
C’est un homme simple, intelligent, sensible à la richesse du monde, de la vie et profondément attaché aux plus hautes valeurs humaines, qui a bien voulu nous accorder cet entretien.
- Si vous aviez à vous présenter que diriez-vous ?
Pour me présenter, je présenterai ce que j’aime, à savoir dans le désordre : la nature, l’amitié, la tolérance, les femmes, les artistes, les nomades, les bergers, les chercheurs, les enfants, les livres, la musique, le cinéma, et tant d’êtres et de choses qu’il faudrait du temps pour les énumérer.
- Et vos ouvrages ?
Mes livres sont comme autant de mains tendues vers les autres. Lorsqu’ils s’écrivent, ils font partie de moi.
Ensuite, ils prennent leur envol, ne m’appartiennent plus, deviennent indépendants. Des lecteurs les recueillent; certains s’en font des amis. Ils appartiennent désormais à ceux qui les lisent.
- Qu’est-ce qui vous a marqué le plus ou vous a influencé dans vos écritures ?
De nombreuses influences, surtout adolescent. Le surréalisme, la poésie moderne, le fantastique et la science-fiction, certains philosophes (Montaigne, Voltaire, Schopenhauer, Nietzsche), des écrivains tels que Georges Bataille, Maupassant, Giono, Camus, Beckett, Witkiewiez...Plus tard, Edmond Jabès, Paul Auster, Adonis, Paul Celan, Valère Novarina, Bernard-Marie Koltès...et tant d’autres...
Outre ceci, mon goût pour la musique, pour la peinture, le théâtre, le cinéma, pour l’astronomie, la linguistique, etc. a certainement eu une résonance dans ma façon d’écrire.
- Laquelle de vos œuvres vous identifie le plus ?
Toutes, aussi différentes soient-elles, émanent de mon être et sont donc reflet et profondeur de ma personnalité.
Je ne relis jamais mes livres sauf par obligation professionnelle. Il s’agit alors d’une épreuve au sens négatif du terme car ce que j’y trouve est tellement éloigné de ce que j’aurais voulu y mettre !
- «Tout devint sensiblement possible dans un temps incertain» (La mère se penche sur ses jours). Et ce la volonté, l’optimisme ?
Dans ce passage, je parle de la naissance, et à ce titre, chaque nouvel être est effectivement porteur d’espoir. Comme on dit qu’un sage africain qui meurt, c’est une bibliothèque qui disparaît, on peut dire de même qu’un enfant qui naît, c’est un nouveau monde qui vient s’offrir à nous.
- Tant qu’il y aura des êtres humains sur terre, le possible sera présent, fonction d’une volonté d’aller vers le meilleur, vers la connaissance, vers l’ouverture. Dans votre nouvelle «Des livres et nous», on entend «Délivrez-nous», est-ce un appel à la liberté dans toutes ses formes; la liberté d’expression et la liberté d’apprendre ?
Vous avez bien entendu. Cette nouvelle dénonce l’acte de censure qui, non seulement peut toucher les livres ou tout autre bien culturel, mais aussi la liberté de penser. Avec la nourriture, avec le droit du sol, la liberté d’expression est un droit vital qui fait partie de l’essence humaine. De même que son corollaire, la liberté d’apprendre.
Le libre arbitre devrait être inscrit dans la Constitution de chaque pays. Il est une des libertés inaliénables de la condition humaine.
- Quels sont vos réflexions, vos peines, vos soucis et vos espoirs concernant la condition humaine actuelle dans le monde : guerres, racisme, famine, et aux sentiments qui émergent avec : indifférence, égoïsme et haine ?
Je pense que, contrairement à l’évolution scientifique et technologique qui suit une courbe exponentielle, le sens moral, l’éthique de l’être humain n’ont guère fait de progrès depuis la nuit des temps. Cependant, j’ose espérer qu’un jour, l’homme ne sera plus un loup pour l’homme, qu’il saura abolir ses propres frontières mentales, tous ses préjugés qui le maintiennent dans une étroitesse de coeur et d’esprit.
Ce qui se passe sur notre terre me peine et me révolte. Toutes ces guerres, ces massacres dont le peuple est toujours la victime. Ces oppressions, ces famines qui étiolent, qui dévastent...
Quant au racisme, il est une plaie béante qu’on ne sait comment refermer. L’éducation, les voyages, le frottement aux autres et à leurs différences sont probablement parmi les meilleurs remèdes. Là encore, il faut chasser sans cesse les préjugés comme on chasserait une bête immonde et malfaisante. Contrairement à ce que d’aucuns pensent, il n’y a pas de civilisation, de culture, de peuple supérieurs ou inférieurs à d’autres. Il n’existe qu’une seule espèce humaine sur notre vieille planète, avec des parcours, des histoires, des interprétations du réel différents. Une seule espèce humaine!
Chaque homme, chaque femme, chaque enfant a droit à la même dignité, ce qui signifie libertés, droit aux éléments vitaux, à la terre, à l’éducation, à la culture, droit à la différence aussi.
Tant qu’il y aura des êtres de bonne volonté dans le monde — et il y en a beaucoup — l’espoir d’une meilleure condition humaine ne sera pas vain.
Aussi suis-je un pessimiste optimiste, un sceptique qui possède un certain nombre de certitudes.
- «Les cris vains», on entend l’écrivain. Est-ce cet écrivain qui écrit en vain ? C’est parce qu’il n’y a personne à l’écoute ou parce que son cri n’est pas assez fort pour se faire entendre des sourds ?
Là encore vous avez bien entendu. L’écrivain doit sans cesse se remettre en question s’il veut avancer vers une meilleure connaissance du monde. Ses écrits sont des miroirs réfléchissants (dans tous les sens du terme), parfois des miroirs sans tain qui peuvent ainsi être franchis et derrière lesquels apparaissent d’autres aspects, d’autres formes masqués par les seules apparences.
Point besoin de crier pour être entendu. Le murmure peut être parfois plus fort pourvu qu’il soit porteur d’ombre et de lumière, de nuance et de clarté.
A chacun d’écouter, non ce qu’il veut entendre, mais ce qui résonne au plus profond de lui.
Propos recueillis par Ronz NEDIM pour le quotidien tunisien LA PRESSE
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