Et cela se traduit dans le texte par ces interrogations portant sur le pourquoi des choses : «Face à l’idéogramme/il s’interrogea/sur la nature des choses, /sur la nature de la nature.» Ces interrogations sur la raison d’être se déclinent en interrogations sur le mode de connaissance à adopter face au monde. Comment appréhender l’insaisissable, cela qui se dérobe à toute expérience ? Faut-il se défier des sens, comme le firent jadis Al Ghazali ou Descartes ? : «Humer la terre après la pluie, l’herbe fraîchement coupée, /le café dans le bol du matin – cela/permettra-t-il de retrouver/le secret qui s’ignore ? …». Pas plus que le sensoriel, le sensuel ne peut pallier la fuite du temps. Partout l’amour : une oasis dans le cheminement permanent qu’est la vie ; il est l’intensité de l’instant voué aux fruits et à leurs correspondants métaphoriques. L’instant amoureux est le seul à conférer aux choses du monde cette consistance qui est synonyme de signification, de sens. D’aimer on pourra dire qu’il est l’antidote du temps dans un monde où tout rappelle que l’être est promis au néant. Le monde est habité par sa négation. Et l’on trouve, sous la plume de Daniel Leduc, une attention particulière à tout ce dont émane l’inquiétante étrangeté (mot maladroit pour traduire la notion freudienne de unheimliche), ce sont ces signes qui font comparaître apparition et disparition. L’archétype de ce battement présence/négation est sans doute le motif du double, du redoublement, du dédoublement qu’illustrent le phénomène de l’écho et les scènes autoscopiques. L’écho : la voix non pas perpétuée mais sous une forme cadavérique. L’écho est la mort qui s’insinue partout. Regardez : «L’écho, /l’écho je l’entends dans mes propres paroles, /au cœur même/ de tes mots». Quant au miroir, il dit la poétique funeste de l’extinction. Je cède à la tentation de dire que chez Leduc, le miroir est souvent sans tain : «L’eau, cruciale, nous crée/et nous absorbe. /C’est là le miroir de l’existence ; /celui, sans tain, de la mort- / cette eau de vie/qui coule entre les mots ». A quoi cela sert-il d’écrire alors ? La réponse nous est donnée par le recueil même : «L’écriture/ donne/ aux contours/une sinueuse évidence//un rayonnement secret/de la surface//une apparente vérité/des droites/par les courbes qui cheminent». Vertigineuse vérité de la poésie faite de paradoxes, de voisinage entre éloignement et voisinage, de proximité entre distance et proximité, d’isomorphisme entre courbes et lignes droites.
J.E.G.
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* Daniel Leduc : Poétique de la parole-Le corps de l’amour, le pas qui chemine. Coll. Poètes des cinq continents. L’Harmattan 2005.