LA MÈRE OCÉANE
extrait
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De la vague
naissent les vagues
et la perpétuation
des formes
dans leur mouvement
de danse
Ainsi
le ventre de la mère
est-il un océan
où la vie
prend forme
où le silence
se fait parole
Nous berce
jusqu’à l’éclair
le liquide amniotique
jusqu’à
l’éclatement
du jour
Dans ton ventre
morula devient petit poisson qui flotte,
la marée recrée la vie
dans la profondeur des eaux
Chaque jour apporte son flot de cellules
chaque jour dessine
les contours du dessein
Te voilà mère dans l’ancrage de ton nom
Mère éveillée au calme et aux tempêtes
à la vigilance des horizons
A présent
la terre est ton bagage
l’océan
ton autre refuge
Souvenir fœtal de la nuit
de la nuit aux résonances de jours
le cœur palpite en un même cœur
le corps se révèle dans le corps
le sommeil est une autre vie
Mère que sens-tu onduler dans l’aube
que sens-tu tanguer au creux du vague
dans ton ventre bombé de chair
et de l’espoir du monde
Accouchement
L’indéfectible lien se tisse entre la mère et l’enfant
par les endorphines
puis par ce croisement des regards
qui crée le jour dans la nuit et la nuit dans le jour
La mère et le bébé forment un cercle de feu
Quiconque y pénètre atteint la source
où la vie se régénère
Quiconque le brise
s’enflamme pour une éternité
C’est par le cri de la naissance
que le monde se renouvelle
dans son essence verbale
Comme si chaque nouvelle voix
venait réorchestrer les sons
dans la gorge du monde
La mère pousse l’enfant
qui pousse un cri
fait de pleurs essentiels
Ainsi la rosée
fertilise-t-elle
un nouveau jour
Cri primal éblouissement du monde
sur des yeux encore clos
comme est clos le secret des éclairs
dans un ciel orageux
Cri vocifération de la vie
de ces contours en soi et hors de soi
qui tracent le périple
De la naissance à la mort
voilà le cercle sans rayons
circonférence ni centre
qui va de l’un à l’autre
sans que l’on sache ce qui tourne
ni sur quel axe
ça tourne
Naître dans le temps
secousse spatiale du corps
bond d’un horizon à l’autre
écartèlement de l’ombre
La lumière te prend
dans ses bras te prend
de ses fibres
tissées par le regard
Déjà elle te voit
ouvrir les yeux
sur sa chaleur
animale et rebelle
L’immensité c’est elle qui désigne
le petit être qui vient au monde
l’immensité dans ses possibles
dans ses horizons franchis
Un être s’implante et tout est repeuplé
Affranchissement des limites
L’espoir appartient à l’aurore
à la première lueur
à l’envol des saisons
Et la mère est cet arbre
qui dans son feuillage
fait naître le vent
Un nouveau-né c’est une lettre
qui deviendra mot puis
phrase puis paragraphe
et livre et texte
intempestif ou sage
ou les deux à la fois
Œuvre
dans l’écrit du monde
toi qui accouches
avec les lèvres ouvertes
sur tous les mots du monde
sur tout ce qui se dit
ce qui s’ignore ce qui se sculpte
dans la terre l’eau le feu
et dans le vent
qui se raconte
Allaitement source de satiété du désir
et de désir de satiété
Chaleur du sein sur les lèvres
tel un globe généreux que l’on tête
terre de toute étreinte
et de toute éternité
Ce qui vient dans la gorge
cet amour de la chaude réalité
c’est la pluie qui ruisselle
autant que la sueur du soleil
autant que le sang
de tous les passés possibles
de ceux qui naissent
en s’emboîtant
Halètement cette vie qui s’imprègne
dans les couches du jour et de la nuit
Halètement pour conjuguer les vents
Où est-on lorsqu’on vient au monde
Dans quel espace entre deux portes
entre ce ventre
et ce vent qui nous souffle
ce que la vie soulève
La parturiente sait combien
concevoir donne de contractions
et combien mettre au monde
accouche la
question
Le jour se lève
pour connaître sa nuit
l’enlacer par les ombres
faire naître un clair-obscur
un arc-en-ciel
ou bien ce ciel de traîne
qui masque
l’ondoiement du soleil
Le jour se lève
L’enfant appréhende la rotondité du monde
par ses lèvres sur le sein de sa mère
Il tête la pluie qui viendra le tremper un jour
la sueur qui oindra ses muscles
les larmes qu’une femme lui dédiera peut-être
Tout ce lait qui emplit sa gorge
contient déjà les ferments
d’un avenir valsant
La mère donne le sein
comme une offrande à la nature
comme un arrondissement
des futurs angles
un émoussement
des pics et des aiguilles
Elle obéit à la douceur des choses
quand les choses prennent soin
d’être
ou que le vent est à l’automne
entre les cuisses de la rivière
et de la nuit
© Daniel LEDUC
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