RIVENEUVE Continents Revue des littératures de langue française
Par l’émotion violente,
il y a dans le tremblement de la voix
quelque chose qui interroge ;
une main qui provient du passé,
qui fait l’archet sur les cordes vocales
en impulsant des rythmes souterrains
d’avant la parole.
Ce que l’on dit à cet instant
c’est plus qu’une vérité,
c’est soi-même
là
dans un coin si reculé du monde,
au bord d’une frontière
d’un franchissement
d’une limite,
d’un univers qui s’apparente au verbe.
D’où vient la voix
que nous portons
dans l’épaisseur des mots
et qui charrie
tout un passé du monde ?
D’où vient-elle
alors que nous croyons en être
la matrice et l’enfant,
le support et l’envol ?
Ce sont les jours
dans leur chaotique beauté,
dans leur flagrante ivresse
qui la portent cette voix
dont nous ignorons la source
comme nous ignorons
la transparence du vent.
Avec la rosée de l’aube, la voix est venue,
chaude et veloutée, empreinte de l’épaisseur de l’âge ;
la voix s’est envolée par-dessus les nuages
et tout ce qui ruisselle dans l’air ;
le vent, la voix en a fait une horloge
palpitante, dénombrant chaque ride
sur la peau trop distendue des jours ;
la voix, cette rivière qui enfle
lorsque le temps s’abîme
et que la vie est à l’orage ;
la vie
qui parle d’une voix
si volubile.
Ce que dit le sage
passe par la voix de l’eau
qui coule en elle-même,
par la voix de l’air
que rien ne retient,
par la voix du feu
qui brûle en s’éclairant,
par la voix de la terre
qui fait pousser le ciel
par ses nuages.
Ce que tait le sage
passe par sa propre voix
lorsqu’il mime
le monde —
en l’écoutant.
Le sage est cette voix
qui connaît le silence.
(c) Daniel LEDUC
|