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DE L'AUTRE CÔTE

DES VAGUES

              

Toujours il regardait la mer. Et la mer le regardait..

Chaque matin, dès les premières lueurs de l’aube, Eric enfilait son caban puis se dirigeait, d’un pas hésitant, vers la falaise. Il lui fallait plus d’une heure pour atteindre le promontoire d’où il dominait les vagues, les mouettes et les vents. Là, dans le fracas incessant du ressac, Eric communiait avec cet infini qui se brise sur le fugace.

Alors le vieil homme s’ouvrait à la beauté douloureuse du monde, et son esprit se déployait. Il lui semblait pouvoir effleurer chaque ombre, pouvoir sentir l’acidité des roches et le chant silencieux des embruns.

Rien de ce qui l’entourait ne lui était étranger. Comme s’il faisait corps avec tout ce qui vibre.

Cet état d’empathie, Eric ne le connaissait que depuis un an à peine. Depuis que son fils avait disparu en mer.

Yann, qu’il avait élevé seul — sa mère étant morte en couches —  était marin comme on peut être artiste : dans une pure évidence.

Tout petit déjà, Yann se voyait sur l’eau, à la barre ou dans les cordages, sur le pont ou guettant sur la hune. Devenu matelot, son rêve s’était accompli — même si la réalité ne s’y emboîtait pas complètement.

Eric avait partagé l’enthousiasme de son fils, lui qui n’avait jamais navigué. Il s’était imaginé sur ces mêmes bateaux où son garçon tanguait. Sur ces mêmes vagues.

Jusqu’au drame de l’hiver dernier : ce jour où le Soizic coula.

Le Soizic, c’était le chalutier sur lequel Yann travaillait. Un chalutier en bois, long de 18m35. Un bateau tout à la fois noble, et modeste.

Ce fut dans le secteur des pierres noires en mer d’Iroise, lors d’une sortie dans une brume saumâtre, que le Soizic crocha le fond. Et qu’il sombra.

Le patron et les trois hommes d’équipage furent engloutis L’on ne retrouva les corps qu’après plusieurs jours. Exception faite de celui de Yann… qui navigue sans doute encore.

Rien n’y fit. Hélicoptères, plongeurs, SNSM, garde-côtes, patrouilleurs : le corps de Yann fut introuvable. Et l’on dut se résoudre à cesser les recherches.

« Pas de dépouille, pas de deuil », pensèrent les amis de Yann.

Eric, quant à lui, ne pensa rien. Il regarda la mer.

La mer le regarda.

 

 

Aujourd’hui retraité, Eric avait exercé l’art du jardinage. Il avait terminé sa carrière comme jardinier en chef des parcs et jardins de la ville. Dans la mesure où ses rhumatismes le lui permettaient, il donnait encore de la bêche ou du sécateur chez qui le lui demandait.

Les plantes, c’était sa raison de vivre. Les plantes, et bien sûr Yann, son fils.

Alors, il priait la Nature qu’il révérait comme le seul dieu possible. Il priait les ronces et les ajoncs, les amaryllis et les orchidées, les platanes et les cèdres. Et son fils lui soufflait quelques mots par les arômes ou par les vents : — Ne t’en fais pas, je ne suis pas loin. Je suis là, dans la poussière du chemin ; ici, dans la rosée qui perle ; sous tes semelles, souvent ;  ou bien dans tes paroles…

Eric le savait bien. Mais…

Mais il manquait la sépulture. Et cette absence créait un vide — là, au creux de l’estomac. Comme une faim… insatiable.  

Il fallait remédier à cela. Eric en était sûr.

Muni d’une brouette, d’une pelle, d’une hache et d’une corde, il disparut une matinée entière dans le petit bois qui lui appartenait. Lorsqu’il revint, il charriait une belle souche de hêtre sur laquelle il grava à la pointe du couteau Y A N N en grosses lettres capitales. Puis il sourit -- enfin. L’après-midi même, il emmena la souche dans une petite crique où, enfant, Yann jouait au corsaire. Là se trouvait une espèce de grotte à moitié sous terre. Eric y déposa la souche ; puis il mura la grotte avec des pierres. Sur la plus grosse d’entre elles, il inscrivit :

 

MON FILS DEMEURE

ICI

ET MAINTENANT

 

Il se recueillit devant ce qui n’était ni une tombe, ni même un cénotaphe ; ce qui n’était non plus un lieu de pèlerinage ; ce qui était…tout à la fois.

Ainsi s’adressa-t-il à la Nature, aux nuages, à l’océan qui avait reçu son fils.

— Je sais bien qu’il est partout, qu’il est nulle part. Je sais qu’il est en moi. Voici à présent sa résidence essentielle. C’est ici où l’on pourra dire qu’il repose. Partout ailleurs, il ne fait que voyager.

      Tard, bien plus tard, Eric regagna sa maison, sans prendre conscience qu’il marchait beaucoup mieux. Qu’il s’était : redressé.

 

© Daniel LEDUC

  

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