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La fille de la sorcière

 

         Sur la table, Lisette la sorcière dispose tous les ingrédients nécessaire à la recette : de l’Armoise, de la Belladone, de la Mandragore, de la Morelle Noire, de l’Ivraie Enivrante, sans oublier une pincée de Bave de Crapaud.

         -- Nous allons faire une soupe joyeuse ! s’exclame Lisette.

         Et elle se met au travail ; elle lave, épluche, coupe, hache en menus morceaux. Bientôt une odeur entêtante s’échappe du chaudron qui chantonne sur le feu.

         Cindy, la fille de Lisette, entre dans la pièce en maugréant.

— De la soupe, encore de la soupe ! J’aurais envie de pizza, moi ! Ou alors d’un bon gros hamburger ! Ou d’un hot-dog à faire pâlir le basset de la voisine ! Mais de la soupe, j’en ai assez soupée !

         — Ça suffit ! hurle Lisette, tout en agitant un manche à balai dans le chaudron. Tu mangeras de cette soupe, ou je te mets au bouillon !

         — Ni soupe, ni bouillon ! tempête Cindy.

         Et les voisins, tous les voisins de la sorcière ont l’impression qu’un ouragan s’est formé sur leur maison. Ça souffle, ça bourrasque, ça tourbillonne comme à chaque fois que les deux femmes haussent le ton.

         Entre elles, à présent, c’est la soupe à la grimace. Cindy aspire le liquide avec de grands sloup tandis que sa mère effleure de sa cuiller la surface de son assiette tout en marmonnant.

         — Il va falloir que tu deviennes raisonnable, lance-t-elle à Cindy. En premier lieu, je veux que tu apprennes le métier de sorcière, et cela, dès demain.

         Pour toute réponse Cindy se contente de lever les yeux au ciel, constatant que l’araignée familière est toujours au plafond.

 

 

         Le lendemain les cours commencent.

         — Tu vas apprendre à maîtriser le balai et à t’en servir comme moyen de locomotion, ordonne Lisette.

         Et voilà Cindy qui, s’emparant du balai, tente de le chevaucher en poussant des cris de peur mêlés de cris de joie :

         — Hue ! Allez ! Oula ! Pssst ! Aie ! Houa ! Zzzz ! Vlan !

         Le rodéo n’a pas duré longtemps. Après quelques secondes, le balai a éjecté la pauvre Cindy qui se retrouve à s’agiter par terre remplie de rire et de colère.

         — Jamais je n’arriverai à dompter cet animal, déclare-t-elle. Parole de scout, je préférerais monter sur un scooter !

         — Bon ! bon ! Nous allons essayer autre chose, propose Lisette. Tu vas me préparer une potion contre l’insomnie. Voici le Grand Livre des Eléments qui te permettra de faire ta mixture. Je te laisse travailler seule et m’en vais chercher des plantes au fin fond de la forêt.

         Sa mère partie, Cindy reste perplexe.

         — Je n’ai pas besoin de ce soi-disant Livre de Je Ne Sais Quoi ! Je vais concocter, grâce à ma propre recette, l’un de ces somnifères dont on me dira des nouvelles…

         Et voilà Cindy qui s’empare de différents pots qu’elle ouvre avec amusement. Jetant les substances dans le récipient, elle s’écrie :

— Et une once de poudre de riz ! Et une pincée de poudre d’escampette ! Et un grain de poudre de perlimpinpin ! Et un brin de poudre aux yeux ! Youpi, ce qui doit être fait le fut !

         Elle rit de bon cœur, satisfaite du produit qui repose dans le récipient.

         — Si l’on ne dort pas avec ça, je me fais petit rat à l’Opéra !

         A cet instant même, Lisette la sorcière arrive les bras chargés de plantes, aux noms plus étranges les uns que les autres.

         — As-tu fini ta préparation ? demande-t-elle à sa fille.

         — Elle est prête à l’emploi, indique Cindy du doigt.

— Parfait, parfait ! J’en prendrai dès ce soir ; j’ai tant de mal à m’endormir !

— Comme tu veux, murmure Cindy.

         Et le reste de la journée s’étire comme un gros chat.

 

          Le soir est là.

         Lisette, assise sur son lit, absorbe une bonne quantité de potion.

         — Avec ça, je vais dormir comme une souche.

         Et en effet, sitôt allongée, Lisette sombre dans un sommeil de plomb. Ce n’est que le fracas du tonnerre qui la réveille le lendemain matin.

         — Déjà neuf heures ! s’écrie-t-elle. Par tous les vents, je n’ai jamais si bien dormi.

         Mais lorsque la sorcière va pour se coiffer, le reflet que lui renvoie le miroir l’accable soudainement. Sur son visage ont éclos pustules, furoncles et autres boutons purulents.

   Par tous les diables, me voilà défigurée, gémit Lisette.

Elle appelle sa fille à tue-tête :

— Arrive ici Cindy ! Viens constater les dégâts !

         D’un pas nonchalant, Cindy pénètre dans la pièce. En apercevant la figure de sa mère, elle ne peut s’empêcher de rire aux éclats.

         — Te voilà comme un crapaud, Maman ! Il ne te reste plus qu’à attendre le baiser du Prince Charmant !

         — Honte à toi, mauvaise fille ! Non seulement tu es incapable, mais tu te moques ? hurle Lisette.

         Et les voisins, tous les voisins pensent, une fois de plus, que le ciel s’effondre sur leur tête.

         La sorcière Lisette s’enferme dans sa chambre, décidée à attendre que la peau de son visage redevienne aussi lisse que le méchant miroir.

 

         Quelques jours plus tard, tout est rentré dans l’ordre.

         Lisette a retrouvé son teint de pêche. Cindy ronchonne encore :

         — Non, non, non, non, non ! Je n’apprendrai pas à jeter des sorts !

         — Mais si, ma fille, tu apprendras ! D’ailleurs suis-moi !

         Bon gré, mal gré, Cindy emboîte le pas à sa mère, se demandant où celle-ci l’entraîne. Les deux femmes marchent ainsi, suffisamment longtemps pour s’éloigner du village. Lisette s’arrête enfin, pointant du doigt une petite cabane juchée sur un coteau.

         — Regarde ! dit-elle. C’est ici qu’habite l’homme qui me plait depuis toujours. J’ai eu beau dire, j’ai eu beau faire, il m’a ignorée jusqu’à présent comme si j’étais aussi transparente que l’air. Aujourd’hui, ça suffit ! Quand il arrivera sur le chemin, tu lui jetteras un sort qui l’obligera à courir vers moi pour m’embrasser.

         — Mais… de quel sort parles-tu ? interroge Cindy.

         — Il s’agit d’une formule que tu lui crieras sitôt que tu l’apercevras, répond Lisette.

         — Et pourquoi ne le fais-tu pas toi-même ? s’étonne Cindy.

         — Pour la bonne raison que cette formule ne peut être dite par la personne éprise… sous peine d’échouer.

         — Je comprends, hoche de la tête Cindy. Dis-moi ce qu’il faut dire ?

         — C’est tout simple, tu crie : par tous les vents, sois mon amant, articule Lisette.

         — Rien d’autre ?

         — Non, rien.

         Et les deux femmes attendent.

         La nuit tombe, lorsque un homme apparaît sur le chemin.

         — C’est lui, bredouille Lisette. Dis-lui la formule.

         Cindy prend son souffle, puis s’écrie :

         Rap sout sel tenv, sios nom manta !

         Aussitôt, l’homme, qui s’approchait à grands pas, se met à marcher à reculons, semblant fuir une apparition cauchemardesque. Bientôt il n’est plus qu’un minuscule point qui disparaît derrière l’horizon.

         — Malheur ! Qu’as-tu donc dit, s’enquiert Lisette.

         — J’ai dit la formule, affirme Cindy.

         — Oh que non ! Je n’ai pas compris un seul des mots sortis de ta bouche ! fulmine Lisette.

         — C’est-à-dire que… j’ai voulu dire la formule… en verlan…

         — Et voilà le résultat de ton incompétence, s’étouffe Lisette. Ton verlan a provoqué l’effet contraire : l’homme s’est enfui à reculons. Nous ne sommes pas prêtes de le revoir !

         — Désolée, murmure Cindy.

         Et la campagne, et le village, et tous les horizons paraissent s’obscurcir de nuages.

         La sorcière et sa file se regardent méchamment.

 

         Durant de longues semaines, mère et fille ne se parlent plus.

         L’ambiance est si tendue qu’il faut faire quelque chose. C’est Lisette qui décide de rompre le silence :

         — Allons ! parle-moi ma fille, dis-moi ce que tu souhaites.

         — Je ne veux pas être sorcière ! martèle Cindy.

         — Ah oui ? Et que veux-tu donc faire ?

         — Je veux être plombier. Ou devenir Ingénieur des Eaux et Forêts.

— Plombière ? Ingénieuse des Os et Fausses Raies ?! s’étonne Lisette.

         — Enfin Man ! Tu ne comprends rien ! Plom-bier ou in-gé-nieur, voilà ce que je veux être ! affirme Cindy.

         -- Ma pauvre fille, hurle Lisette, tu deviendras ce qu’il faut que tu sois, c’est-à-dire sorcière, sorcière et encore sorcière !

         -- Nous verrons bien ! peste Cindy.

         Et la conversation s’arrête là.

         Chacune retourne à ses occupations. Mais le feu couve, et l’incendie n’est pas très loin.

Il se déclare le jour suivant, lorsque Cindy annonce à sa mère qu’elle quitte définitivement la maison.

         — Je n’ai plus rien à faire ici, lui dit-elle. Je veux que ma vie soit différente de la tienne, et ça, tu ne le comprends pas !

         — Va au diable ! Une fille de sorcière doit être sorcière et faire des filles qui seront à leur tour sorcières, s’égosille Lisette.

         — Nous n’avons plus rien à nous dire, rugit alors Cindy.

         Et la porte claque derrière elle comme un coup de tonnerre.

 

         Les années passent. Mais la peine, elle, ne passe pas.

         Lisette ressemble à un petit mouchoir froissé, tant elle est courbée, percluse de rhumatismes. De rhumatismes et de chagrin.

         Voilà bien longtemps que sa fille est partie. Voilà bien longtemps qu’elle n’a plus de nouvelles.

         Lisette regarde son miroir, y aperçoit une petite vieille, et regrette ce jour où elle s’y était vue pleine de boutons et de pustules.

         — Si j’avais su, se contente-t-elle de marmonner.

         Elle décide de prendre une douche pour calmer ses douleurs.

         Le robinet résiste, les tuyaux grondent ; et tout à coup des gerbes d’eau jaillissent d’un peu partout. La vieille tuyauterie a lâché !

         Trempée comme une soupe, Lisette appelle SOS Plomberie.

— Envoyez-moi quelqu’un tout de suite ! Je suis en train de me noyer !

         — D’ici dix minutes, lui répond-on.

         Et de fait, dix minutes plus tard, on frappe à la porte de la sorcière.

         C’est un jeune en tenue de plombier, casquette vissée sur la tête, qui se présente devant Lisette.

         — Alors ! On ne me reconnaît pas ? demande la jeune personne.

         Le plombier ôte sa casquette.

Lisette ouvre de grands yeux.

         — C’est toi Cindy ?!

         Oui, c’est bien elle.

         Et ce jour-là, les voisins n’entendront ni fracas, ni tonnerre ; ils ne verront ni nuages, ni cyclone.

         La sorcière et sa fille s’embrassent en pleurant. De joie. Et de tendresse.sorciere.gif (19254 octets)

 

 

 

 

 

 

© Daniel LEDUC

Texte déposé

 

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