MICHEL LARROQUE
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LE TEMPS ET LA NÉVROSE SELON PIERRE JANET (1)

 

Michel Larroque


RÉSUMÉ : L'hystérique reste prisonnier du vécu actuel, coïncidence de soi à soi, effet de l'hyper-étroitesse du champ de conscience. Sa mémoire et son aboulie ont même signification. A l'opposé, les ruminations passéistes de l'obsessionnel l'empêchent d'éprouver son vécu. Hystérie et névrose obsessionnelle, deux réponses antagonistes à l'appréhension de la durée globale de l'existence. De là deux types de refoulement. Mais Freud n'explique pas que le conflit hystérique se traduise en un langage organique, le conflit obsessionnel en phobies ou obsessions. La théorie caractérologique explique les personnalités hystérique et obsessionnelle, la première comme une caricature du type « nerveux», la seconde comme une accentuation pathologique du type «sentimental ».

 

Cet article développe un thème du livre  Hypnose suggestion et autosuggestion, Michel Larroque, éditions l'Harmattan, 1993.

 

Nous nous proposons, en nous appuyant sur les descriptions que Pierre Janet a données de l'hystérie et de la névrose obsessionnelle, de montrer que ces deux névroses, classiquement opposées, impliquent deux vécus temporels différents, très proches des facteurs primaire et secondaire. Nous aurons, accessoirement, à justifier, contre l'impérialisme de la psychanalyse, cette référence aux idées du psychologue français. 

                                                             

Le vécu temporel de l'hystérique 

                                                         

L'hystérique est moins capable qu'un autre de fixer son attention sur une tâche un peu longue la lecture et la compréhension d'un texte par exemple. Un rien peut le distraire du travail entrepris. Et pourtant, ce distrait pathologique peut être absorbé par une représentation, au point que tout le contexte lui devienne inconscient. Pierre Janet cite le cas d'une malade qui présente des points corporels hyperesthésiés (2) : le simple frôlement de ces points provoque chez elle la douleur. Or, quand elle est occupée par un travail, ou une simple conversation, la malade, en quelque sorte fascinée par l'intérêt, oublie tout le reste, au point que le psychiatre peut pincer brutalement les points sensibles sans parvenir à la distraire.

La contradiction n'est qu'apparente. L'hystérique coïncide avec ses représentations, il ne prend à leur égard aucune sorte de recul. Par cette distance que l'homme normal prend à l'égard de sa représentation, il la situe dans un contexte et la met, en quelque sorte, en concurrence avec d'autres : si par exemple, on lui présente une image, il sait que l'image montrée n'est qu'une image, qu'elle témoigne de l'intérêt qu'a pour lui celui qui la lui présente, qu'elle est plus ou moins ressemblante, qu'il perd son temps à la regarder, etc. L'hystérique au contraire adhère pleinement à sa perception, il est sa perception et rien d'autre. On comprend par là que le contexte lui devienne inconscient.

Mais on peut expliquer du même coup son impuissance à prêter attention à une tâche un peu complexe. Pour comprendre un texte, par exemple, il faut replacer chacun des éléments qui le constituent dans un ensemble organique. Je dois cesser d'adhérer à telle formule frappante, à telle image évocatrice, pour la situer dans un sens général qu'elle contribue à préciser. Mais, bien évidemment pour s'élever ainsi à la pensée de l'ensemble, il ne faut plus coïncider avec l'élément. Bref, toute tâche un peu complexe suppose la pensée d'un ordre temporel. Mais on ne pense le temps qu'à la condition de renoncer à le vivre. Or, l'hystérique reste sur le plan du vécu.

C'est ce que confirment les troubles de la mémoire si fréquents dans cette névrose. Telle malade relit interminablement la même page d'un roman (3) : en effet parvenue à la fin elle a oublié le début. Une autre ne peut répondre qu'à de courtes questions, sinon elle ne peut réaliser la synthèse de ce qu'on lui demande. (4) Une troisième oublie ses propres phrases et interroge ses interlocuteurs « Qu'est-ce que je disais ? ». (5)  Pourtant, les souvenirs ne sont perdus qu'en apparence. En réalité, le malade en dispose pour modeler son comportement de telle ou telle manière. Célestine prétend avoir tout oublié de Janet et des faits ayant quelque rapport avec lui. Mais elle sélectionne très précisément ses oublis en fonction de ce critère : est oublié ce qui a rapport à Janet, et cela seulement. Le critère est inconscient mais agissant pour déterminer un choix aussi précis. De même, un autre malade qui dit ne plus se souvenir d'une pénible expérience, au cours de laquelle un chien enragé l'avait mordu, témoigne de la peur à l'égard des chiens rencontrés. (6) Bref, le souvenir est inconscient. Pourquoi ?

Pierre Janet explique ces traits de l'hystérie par une incapacité à la synthèse, un rétrécissement pathologique chez le malade du champ de la conscience. On comprendrait par là son impuissance à se concentrer sur une tâche longue et complexe, l'oubli du début de la page, du roman ou de la question posée. Les anesthésies, autres stigmates de cette névrose, relèveraient d'une explication identique. La « griffe du diable» que l'on cherchait au Moyen Age, chez les présumées sorcières, ne serait qu'une anesthésie par distraction, analogue à celle dont nous avons donné l'exemple plus haut. L'hystérique ne disposerait pas d'un faisceau de conscience suffisamment étendu pour appréhender la totalité de son corps. Et c'est pourquoi, les sensations qui ne tombent pas sous le faisceau étroit de son attention présente sont inconscientes. Comme l'animal dont parlait Maine de Biran l'hystérique les sent « sans se savoir sentant ». Et Janet met en évidence que la sensation, bien qu'inconsciente, comme le souvenir, a bien été enregistrée et reste parfois agissante.

Si l'hystérique peut utiliser ses souvenirs sans en disposer consciemment c'est qu'il est moins capable qu'un autre d'échapper au courant de conscience de la durée vécue pour le survoler par la pensée. L'étroitesse du champ de conscience est liée à l'hyper-spontanéité. C'est ce qui semble résulter de l'interprétation que Janet donne du cas Irène dans son cours au Collège de France. (7) Irène revit, hallucinatoirement, la scène dramatique de la mort de sa mère. Revenant sur sa première interprétation et revendiquant le droit de changer, Janet déclare que cette réminiscence n'est pas un acte authentique de mémoire. (8)   La vraie mémoire en effet est une conduite sociale (9) elle suppose un récit qui s'adresse à quelqu'un, qui répond à une question. La réminiscence hallucinatoire d'Irène n'a aucun de ces caractères.

Mais un acte social implique une décentration par laquelle, m'arrachant à ma perspective propre, j'épouse celle d'autrui pour m'en faire comprendre. Ainsi, Irène guérie, rapportant la mort de sa mère, en adapte le récit au contexte dans lequel il se déroule ; elle tient même compte, avec finesse, de l'interlocuteur, taisant par exemple, lorsque Janet n'est pas seul, l'ivrognerie du père dont elle a honte (10). Bref, elle se place au point de vue de l'interlocuteur.

Or, comme l'objet de son discours est une portion de sa durée intérieure il faut bien qu'elle en sorte pour l'ordonner dans un récit intelligible à autrui. Ainsi que Piaget devait le montrer par la suite à propos des enfants, la prise en considération de l'autre dans une conduite authentiquement sociale, le dépassement de l'égocentrisme qui implique la rupture de la spontanéité initiale, l'accès à la pensée des relations objectives, sont trois thèmes indissolublement liés (11). Irène est malade lorsqu'elle vit, hallucinatoiremcnt, un souvenir traumatique ; lorsqu'elle pense le souvenir, lorsqu'elle en sort pour le raconter, elle est guérie. Il semble donc légitime d'affirmer que pour Janet l'hystérie implique une coïncidence de soi à soi, une hyper-spontanéité et des difficultés pour prendre à l'égard de soi quelque recul.

D'ailleurs cette sortie de soi reste nécessaire pour prendre conscience du présent en tant que tel. En effet le présent n'est présent, note Janet, que si on le classe par rapport au passé et à l'avenir (12). La pensée du présent implique donc un acte de mémoire et par conséquent un récit ; le présent est un mélange de récits et d'actions (13). Or, comme nous l'avons vu,le récit est une conduite sociale à la faveur de laquelle nous nous arrachons à notre spontanéité, pour nous placer au point de vue de l'autre. Pour dire que mon présent est un présent, ma pensée doit se dégager de l'acte effectué, le situer dans une perspective temporelle avec laquelle elle cesse de se confondre, puisqu'elle la domine. Le récit du présent est donc le propre d'un homme dédoublé (14). Et peut-être est-ce parce que l'hystérique se dédouble moins qu'un autre qu'il lui arrive souvent d'agir sans avoir conscience de son action.

Bref, l'étroitesse du champ de conscience, par laquelle Janet explique les amnésies hystériques, est donc corrélative d'un certain vécu temporel. Elle exprime l'impuissance d'un être englué dans sa spontanéité qui ne parvient pas à se dégager de l'expérience du temps pour le penser.

 

Nous aboutirions à des conclusions analogues en étudiant l'aboulie, autre conséquence importante de l'hystérie. Les actes les plus simples posent aux malades un redoutable problème. Marcelle met deux minutes pour donner au médecin son crochet, un quart d'heure pour lui remettre un crayon (15). Une autre malade ne parvient pas à prendre une aiguille et du fil et il faut fractionner l'acte en plusieurs jours. Pourtant, l'acte est effectué sans problème si la malade n'en prend pas conscience. Tel sujet, incapable de placer consciemment un chapeau sur une patère, le fait très normalement en état d'hypnose. Mais si on l'arrête et si on l'interroge avant l'achèvement de l'acte, elle nie être en train d'exécuter l'acte commandé. Elle ne sait pas, note Janet, que c'est un chapeau qu'il est à moi, qu'elle le prend pour me rendre service. Berthe, habile ouvrière, fait de fort jolies choses. Mais, dit-elle, « ce n'est plus moi qui travaille, ce sont mes mains. Elles n'exécutent pas trop mal, mais sans que j'y sois pour rien. Quand c'est fini je ne reconnais pas du tout mon ouvrage, je constate que c'est bien, mais je me sens tout à fait incapable d'avoir fait cela... Si on me disait ce n'est pas toi qui l'a fait, je répondrais c'est vrai, ce n'est pas moi... Quand je veux chanter, impossible, et d'autres fois j'écoute ma bouche qui chante très bien cette chanson... Ce n'est certainement pas moi qui marche, je suis comme un ballon qui rebondit tout seul... Quand je veux écrire, je ne trouve rien du tout à dire, ma tête est vide, il faut que je laisse ma main écrire ce qu'elle voudra et, alors, elle remplit quatre pages, tant pis si c'est absurde... ».

Quand je compte j'écris le résultat mais je sais bien que je ne l'ai pas trouvé... Je ne comprends plus rien à mes idées, elles tombent toutes seules ; on dirait qu'elles sont écrites sur un grand rouleau qui se déroule devant moi... Je ne suis plus rien qu'un polichinelle dont quelqu'un tient la ficelle, tout s'éloigne de moi, je ne suis plus là que pour représenter ». (16)

Bref, le malade réussit parfaitement une tâche, même complexe, à la condition d'être si totalement engagé dans l'action qu'il fait corps avec elle. Exactement identifié à l'acte qu'il effectue il ne dispose plus du recul nécessaire pour juger que c'est tel comportement qu'il accomplit, et non tel autre, que c'est lui qui agit. Il perd corrélativement la conscience de son identité personnelle et de l'oeuvre à exécuter. La distinction du sujet et de l'objet s'abolit au profit d'une unité dynamique, sans aucune faille.

Dans cette perspective s'éclairent les nombreuses observations des psychiatres sur les conditions de réussite d'un acte par l'hystérique. Telle malade quasi impotente danse, ou nage, en état de somnambulisme. Telle autre qui fait un score dérisoire au dynamomètre (effort conscient pour obéir au psychiatre) est capable dans le feu de l'action (sans y penser explicitement) de réaliser des prouesses physiques : elle soulève des fauteuils avec aisance pour faire le ménage, rosse sous l'effet de la colère des hommes vigoureux (17). Des temps de réaction de ces malades, démesurément longs, sont très diminués s'ils ne prêtent pas attention à l'acte effectué (18). Toujours on note que l'efficacité est inversement proportionnelle à l'effort déployé et à la conscience de l'acte (et nous savons que l'effort et la conscience sont corrélatifs). Parfois, le malade est le premier surpris de cette constatation il perçoit bien que le succès de ses tentatives est lié à une dépersonnalisation. Aussi pourra-t-il, parfois, attribuer à quelque force étrangère les effets heureux d'une activité, qu'il n'a pas expressément voulu et maîtrisé. Ainsi, telle malade dont Janet étudie, par un dispositif expérimental, les temps de réaction a une crise d'extase mystique. Les temps deviennent alors très courts, bien que l'expérimentateur fasse tout son possible pour distraire le sujet. Après l'expérience il dira :

« Je crois avoir toujours appuyé sur l'appareil comme vous me 1e demandiez. Le Bon Dieu a dû diriger ma main pour qu'elle puisse vous obéir car pour moi je ne pouvais plus y faire attention » (19).

Tous ces faits manifestent que la vie de l`hystérique ne peut se déployer avec quelque efficacité que sur le plan de la spontanéité. 

 

Le vécu temporel de l'obsessionnel 

                                            

   Des faits diamétralement opposés caractérisent la névrose obsessionnelle. L'opposition des deux névroses est classique. Contrairement à l'hystérique un sujet atteint de névrose obsessionnelle est incapable de coïncider avec son vécu. Janet remarque que les phénomènes primaires, l'acte normal, le plaisir ou la douleur, la croyance ou le refus, le sentiment, sont supprimés ou du moins altérés et remplacés par d'incoercibles ruminations. Ainsi, telle personne cultivée suit au théâtre une pièce qui la captive. Mais elle refuse de s'abandonner au plaisir esthétique, car il lui faut d'abord « remettre droites ses idées sur Dieu » (20). Telle autre, en proie à une compulsion analogue, échappera même aux douleurs de l'accouchement, remplacées par d'épuisantes et implacables réflexions.

Ce qui frappe dans ces exemples, c'est l'effort de synthèse pour embrasser la totalité de l'existence, même si cet effort se produit hors de propos et n'aboutit pas. Contrairement à l'hystérique, qui coïncide avec la durée vécue (ce qu'un observateur non philosophe traduira en affirmant qu'il vit dans l'instant présent), l'obsessionnel se sent contraint d'embrasser continuellement la totalité de son existence, même si le présent est séduisant ou urgent. On peut comprendre par là tous les traits par lesquels les cliniciens ont caractérisé cette « folie lucide ». Dans le doute, l'idée est interminablement confrontée avec d'autres idées, autrefois pensées, et qui la concurrencent. L'indécision, l'hésitation supposent la pensée des conséquences lointaines et la confrontation de l'acte envisagé avec d'autres comportements possibles. De même, le scrupule à propos d'actes sans importance témoigne d'une incapacité à coïncider avec son action, d'un effort pour la situer dans un vaste ensemble qui enveloppe la pensée des conséquences, des principes, bref, la vie entière.

On expliquera de façon identique l'absence d'hallucinations chez ces sujets, l'impossibilité de les hypnotiser. L'image reste toujours chez eux pauvre et schématique ; contrairement à l'hystérique, chez qui l'idée tend à développer ses virtualités sensorielles parce qu'elle est isolée dans l'esprit et que le sujet y adhère pleinement, la suggestion chez l'obsessionnel est toujours reçue dans un contexte d'idées différentes et parfois rivales. Malgré toute sa bonne volonté, l'obsessionnel sait que la suggestion n'est qu'une suggestion, qu'elle peut échouer, qu'il tente une expérience pour complaire au médecin. La suggestion est vite neutralisée et comme étouffée par ce voisinage mental.

Au fond les deux névroses constituent deux réponses opposées à un même problème. Le sujet ne parvient pas à étreindre sa propre vie, à se donner une vision synthétique nette de la durée globale de son existence. Mais tout se passe comme si l'hystérique s'accommodait sans remords de cette impuissance. Il ne coïncide qu'avec une portion très limitée de temps. Il en découle que le temps vécu, que sa conscience n'embrasse pas, mais qu'il synthétise puisqu'il dure, va nourrir une vie inconsciente. L'obsessionnel au contraire conserve le souci d'appréhender la totalité de son existence dans le temps et ne se résigne pas à son incapacité à le faire. D'où cet effort exténué pour étreindre un passé dont il ne parvient pas à s'assurer, et pour en confronter les fragments. Et c'est pourquoi, contrairement à « l'idée fixe » des hystériques, l'obsession ne se développe pas automatiquement mais seulement grâce à la volonté du sujet qui s'en fait une obligation active. C'est toute la personnalité de l'être (21) qui est engagée dans l'obsession, alors que les accidents hystériques témoignent au contraire d'un clivage du moi. Bref, la rumination mentale des obsédés constitue le pendant des amnésies hystériques. Là où l'un oublie allégrement, l'autre perpétue douloureusement son effort pour embrasser un passé qu'il domine mal.

Pierre Janet cite le cas d'un obsédé si préoccupé de savoir si les femmes rencontrées sont laides ou jolies qu'il doit se faire suivre d'un domestique chargé d'apprécier chaque cas. Au cours d'un voyage le serviteur distrait oublie d'observer la buraliste du chemin de fer et a l'imprudence de l'avouer. Il devra revenir à la gare pour délivrer son maître d'affreuses perplexités (22). Un autre malade doit se remémorer avec précision les divers aspects du paysage et n'hésite pas à refaire le voyage pour apaiser ses scrupules, s'il a quelques doutes (23). Ces deux sujets manifestent le souci d'appréhender leur vie dans la totalité de son déroulement temporel. Sensible au charme féminin, l'un ne se reconnaît pas le droit de s'abandonner au plaisir d'une impression de beauté actuelle, s'il sait, pour avoir eu autrefois d'autres ravissements esthétiques, qu'il existe ailleurs d'autres beautés, peut-être supérieures. Il lui faut donc comparer et s'assurer de la valeur de cette comparaison contre d'éventuels oublis. Chez le second, le souci de dominer le temps est également manifeste. Et c'est ce souci qui constitue le dénominateur commun des oscillations de l'obsédé de ces interminables interrogations, de l'amour de l'ordre, de l'entêtement, du besoin de coordination logique, de la rigidité des conduites, des colères lorsqu'on vient entraver le déroulement de ses plans, des inhibitions (refus de l'immédiateté), traits que la clinique reconnaît classiquement aux obsédés.

Or nous savons que pour penser le temps il faut renoncer à le vivre et se distancer de ses actes. L'obsédé vérifie cette loi ; mais de même que sa pensée du temps est une caricature de l'effort de l'homme volontaire pour dominer sa vie, la conscience de soi va prendre chez lui, par son ampleur exagérée, des caractères morbides. Le plus fréquent est un sentiment de dépersonnalisation que l'on rencontre chez tous ces malades. Le sujet se sent étranger à lui-même. Il effectue correctement les actes, tout en ayant l'impression que ce n'est pas lui qui parle, qui sent, qui agit (24). Dans les cas graves l'obsessionnel se croit mort, pense être dans le corps d'un autre ; ou bien, il se voit marchant devant lui. Janet cite le cas d'un jeune homme qui, apercevant un car de police, se lamente car, dit-il, les agents l'ont emmené (25).

Ce sentiment de dépersonnalisation est la conséquence d'un dédoublement toujours impliqué dans l'acte par lequel on se juge. Le jugement en effet enveloppe l'opposition entre le sujet qui juge et l'objet jugé.

Lorsqu'il se trouve que la personne se prend elle-même comme objet de jugement, elle prend nécessairement quelque recul à l'égard d'elle-même, bref elle se dédouble. Si ce clivage est très accusé, le sujet peut s'étonner de découvrir son propre moi comme il découvrait les objets extérieurs. Il sent que ce moi que découvre son regard intérieur est différent du moi qui juge. Le sentiment d'étrangeté qu'il ressent traduit son étonnement à s'éprouver double dans la conscience de soi. Et c'est pourquoi Janet peut écrire : « j'ai observé un sentiment de dédoublement plus ou moins accentué à peu près chez tous mes malades » (26). Dédoublement très différent des doubles consciences hystériques car le sujet s'éprouve plusieurs et s'en étonne, alors que dans l'hystérie les fragments de la personnalité éclatée ne sont pas appréhendés par une conscience lucide et inquiète, comme c'est ici le cas.

On peut rattacher à ce trait la timidité générale chez ces malades. Comme l'a montré Ginette Judet (27), le timide au lieu de coller à l'acte joue deux personnages à la fois. Il se regarde agir au moment même de l'acte. La conscience se fait « pronominale » et ses multiples inadaptations naissent de ce recul, paralysant chez un sujet occupé à se critiquer alors que l'opportunité est à l'action. Ainsi l'obsessionnel se caractérise par des traits opposés à ceux de l'hystérique.                                                                              

 

La psychanalyse n'explique pas « le choix de la névrose »            

                                                                                              

  Pour rendre compte de deux directions névrotiques aussi opposées la psychanalyse devrait semble-t-il diversifier son principe général d'explication. Est-ce le cas ?

Il ne le semble pas. Nous retrouvons dans l'explication qu'elle propose des deux névroses, des traits identiques : incompatibilité de représentations, oubli par refoulement, refoulement à moitié réussi, puisque la représentation refoulée détermine des troubles, ambivalence, régression à un stade infantile...

En outre, le refoulement se spécifie dans les deux cas en processus très différents. Mais les principes explicatifs de la psychanalyse ne rendent pas compte de cette différence, il faut donc admettre, pour justifier des tableaux cliniques opposés, que le processus décrit par Freud se combine avec un autre facteur dont il n'a pas parlé. Le refoulement prendrait tel ou tel aspect selon son mariage avec quelque autre disposition, qui pourrait être le vécu temporel. Précisons ces points.

Dans l'hystérie le refoulement porte sur des faits. Dans la névrose obsessionnelle, au contraire, le sujet se souvient des événements mais leur charge affective s'en est dissociée pour se déplacer sur d'autres représentations. Alors que l'hystérie témoigne d'une inconscience des faits, la névrose obsessionnelle implique seulement l'inconscience des rapports entre les faits (28).

C'est ce que confirme une importante remarque de Freud : « Dans l'hystérie, il est de règle que les causes occasionnelles récentes de la maladie soient oubliées, tout comme les événements infantiles, à l'aide desquels les événements récents convertissent leur énergie affective en symptômes. Là où un oubli est impossible, l'amnésie entame néanmoins les traumatismes récents, ou pour le moins les dépouille de leurs parties constituantes les plus importantes.

« Nous voyons dans une pareille amnésie la preuve d'un. refoulement accompli. Il en est généralement autrement dans la névrose obsessionnelle. Les sources infantiles de la névrose peuvent avoir subi une amnésie souvent incomplète ; par contre, les causes occasionnelles récentes de la névrose

sont conservées dans la mémoire. Le refoulement s'est servi dans ce cas d'un mécanisme différent, au fond plus simple : au lieu de faire oublier le traumatisme, le refoulement l'a dépouillé de sa charge affective, de sorte

qu'il ne reste dans le souvenir conscient, qu'un contenu représentatif, indifférent et apparemment sans importance » (29).

Comme le souligne Freud ces deux modes de refoulement ont le même aboutissement pratique, puisque nous avons tendance à négliger et à oublier une représentation jugée indifférente.

On peut toutefois s'interroger sur la cause de cette différence. Si à la source d'une névrose il y a un conflit, si le refoulement en constitue la solution, pourquoi revêt-il des aspects aussi divers ? Pourquoi se traduit-il par une amnésie dans l'hystérie, par une simple « isolation » dans la névrose obsessionnelle ? Le mécanisme général de la névrose tel que Freud l'a élaboré n'explique pas le choix de la névrose. Il ne saurait donc rendre compte des deux vécus temporels opposés que nous avons essayé de définir.

Il convient d'ailleurs de souligner que la description psychanalytique la plus orthodoxe se réfère, elle aussi, à ce facteur. L'amnésie hystérique manifeste, bien évidemment, un vécu temporel parcellaire ; l'oubli par refoulement de la représentation pathogène traduit le refus ou l'impuissance du sujet à embrasser dans une aperception unique les termes contradictoires du conflit. Mais c'est tout le contraire dans la névrose obsessionnelle. La représentation refoulée n'est pas absolument étrangère à la conscience, puisque sous le masque d'une autre, en apparence anodine, elle suscite continuellement la compulsion. Et cette dernière même à l'inverse de l'amnésie est bien un effort pour étreindre le passé. L'échec de cet effort, puisque l'obsédé n'a pas accès à la véritable cause de sa compulsion, ne témoigne en rien contre son existence même. L'obsédé n'étreint pas le temps authentique ; il suffit à notre propos qu'il le tente et que cette tentative soit essentielle à son trouble.

L'homme aux rats divisé entre l'amour et la haine pour son amie enlève puis remet la pierre sur le chemin où doit passer la voiture de celle-ci (30). Certes, le sens de son comportement lui échappe mais il appréhende cependant dans une aperception globale les deux termes de son ambivalence, bien que masqués sous une rationalisation. Un autre malade décrit par Freud repasse compulsivement les billets de banque pour, dit-il, les remettre parfaitement propres (31). Il exprime par là son remords de «salir» des jeunes filles par des pratiques sexuelles aberrantes. Là encore le remords traduit bien une certaine conscience du passé, le sentiment d'une incompatibilité entre des exigences contradictoires et par conséquent l'appréhension de chacune de ces exigences ; tout cela, bien évidemment, à travers tout un jeu symbolique. Dans l'hystérie, au contraire, le conflit reste inconscient. La conversion somatique épargne au sujet les affres de la compulsion. Or, pas plus qu'elle ne rend compte des deux modes de refoulement dans les deux névroses, des deux vécus temporels opposés, la psychanalyse n'explique la conversion somatique.

Il convient d'abord de remarquer que ce phénomène de conversion somatique est le propre de l'hystérie. Certes, tout trouble mental a une conséquence corporelle, comme la psychosomatique le vérifie quotidiennement. Et cela ne doit pas nous étonner, s'il est vrai que toute pensée enveloppe un mouvement au moins esquissé. Mais dans l'hystérie, et c'est par là qu'elle se distingue des banales affections psychosomatiques, le symptôme organique a, avec la pensée qui le produit, un lien de signification direct. Il n'en est pas seulement la conséquence mais aussi la traduction. Ainsi, par exemple, des spasmes intestinaux sont souvent l'effet de l'angoisse. Mais ils ne la symbolisent pas. Au contraire, l'aphonie de Dora traduit directement son désir de renoncer à la parole pendant que l'aimé est absent (32) ; le chatouillement dans la gorge et les incoercibles crises de toux qui s'ensuivent expriment directement un fantasme sexuel de la jeune fille (33).

Or, il est légitime de demander pour quelle raison le conflit se traduit ici dans un langage organique, au lieu de s'exprimer par une phobie ou une obsession, puisque tous les mécanismes névrotiques sont initialement semblables, comme le souligne Freud

« Les processus psychiques sont dans toutes les psycho-névroses, pendant un bon bout de chemin, les mêmes, c'est ensuite seulement qu'entre en ligne de compte la complaisance somatique qui procure au processus psychique inconscient une issue dans le corporel. Là où ce facteur ne joue pas, cet état n'est plus un symptôme hystérique mais quand même quelque chose d'apparenté, une phobie par exemple ou une obsession, bref, un symptôme psychique » (34).

Evoquera-t-on une « complaisance somatique » qui favorise la conversion ? C'est désigner le problème, et non pas le résoudre. Freud d'ailleurs semble reconnaître l'insuffisance de cette hypothèse, tout aussi verbale que l'affirmation de « l'instabilité particulière des molécules nerveuses » (35). Et pourtant, de son propre aveu, cette énigme est le problème même de la spécificité de l'hystérie par rapport aux autres psycho-névroses (36).

Ainsi, le mécanisme général de la névrose dégagé par Freud n'explique pas le choix de la névrose.

Ce problème n'a jamais cessé de préoccuper Freud. Il en a proposé successivement des solutions diverses. On sait que dans l'une de ses dernières hypothèses, il rattache l'hystérie et la névrose obsessionnelle à des stades différents du développement de la libido. L'hystérie renverrait au stade génital alors que la névrose obsessionnelle ferait régresser le sujet à un stade antérieur, le stade sadique anal, d'ailleurs découvert à l'occasion d'une réflexion sur cette névrose.

L'intérêt de cette explication est de préciser et d'enrichir nos connaissances sur l'hystérie et la névrose obsessionnelle. Mais le problème du choix de la névrose n'en est pas résolu pour autant. C'est une chose en effet de rattacher des névroses opposées à des stades précis de régression, mais c'est un tout autre problème de montrer que c'est le niveau de cette régression qui détermine telle ou telle forme de névrose. L'explication du choix de la névrose par le niveau de régression ne peut être recevable que s'il y a un lien manifeste entre la cause invoquée et la conséquence qu'on lui prête. Or, il n'y a, semble-t-il, aucun rapport entre les différences fondamentales qui opposent la névrose obsessionnelle et l'hystérie, et le niveau de régression. On voit mal en effet comment le retour au stade sadique anal ou génital peut rendre compte de l'opposition des vécus temporels, caractéristiques des deux névroses, des modes divers du refoulement, du fait qu'il y ait dans un cas compulsion et dans l'autre, conversion somatique.                                               

 

La référence aux concepts de primarité et de secondarité permet d'éclairer le choix de la névrose

 

Cette insuffisance de la théorie freudienne nous autorise donc à faire appel à un autre facteur. Il s'agit de la distance que le sujet prend à l'égard de son vécu ; et puisque notre existence est temporelle, ce facteur enveloppe par là même une certaine manière d'être dans le temps. A la limite, avons-nous vu, l'hystérique vit le temps au lieu de le penser et bien des aspects du tableau clinique peuvent se déduire de ce trait fondamental. La plus importante de ces conséquences est l'étroitesse du champ de conscience qui, on l'a vu, caractérisait pour Pierre Janet cette névrose.

Spontanéité et étroitesse du champ mental permettent de rendre compte avec simplicité de la mystérieuse conversion somatique. Il est devenu banal d'affirmer l'association du mouvement et de la pensée. S'il en est ainsi, quoi de plus naturel que la prolongation corporelle d'une pensée isolée dans un esprit incapable de survoler sa durée pour en confronter les moments ? Pourquoi s'étonner qu'un être faisant corps avec son vécu le prolonge naturellement en mouvement ? Qu'y a t-il de surprenant à ce qu'une pensée d'un être sain, intégrée dans un contexte de pensées différentes et parfois contradictoires, ne puisse développer ses virtualités motrices ? Et, si tout regard porté de l'extérieur sur le mouvement le fige et l'arrête, pourquoi ne pas admettre que les capacités de réflexion chez le normal, et plus encore chez l'obsessionnel, inhibent les possibilités de « conversion somatique » latentes chez tout être « naturel » ?

Certes, on a pu légitimement reprocher au psychologue français de n'avoir pas vu le rôle du refoulement dans la genèse de « l'idée fixe» inconsciente, qu'il a pourtant découverte le premier. Tout comme la magnifique description qu'il nous a laissée de la névrose obsessionnelle reste au niveau du manifesté. Janet semble-t-il n'a pas soupçonné le rôle de l'inconscient dans la « folie lucide ».

Mais le caractère incomplet de son étude, et en particulier de son explication de l'hystérie, ne permet nullement de la rejeter en bloc. La psychanalyse la complète, plus qu'elle ne la remplace ; elle non plus n'apporte pas une totale clarté, puisque, avons-nous vu, elle ne rend pas compte de la spécificité des névroses. On peut soutenir que c'est parce que le sujet est initialement un hyper-spontané, ou un hyper-réfléchi, que le refoulement se traduira par une amnésie totale ou une simple isolation.

Il est donc légitime, même après Freud, de faire appel à un facteur indépendant de son explication de la névrose. D'ailleurs, au sein même du mouvement psychanalytique, une certaine différenciation semble s'esquisser entre la névrose proprement dite et un terrain favorable. On distingue une personnalité hystérique de la personnalité des hystériques (37) (c'est-à-dire des sujets présentant des accidents de conversion). De même, « les développements de la psychanalyse ont conduit à mettre l'accent sur la structure obsessionnelle, plus que sur les symptômes » et « il arrive fréquemment qu'on parle de structures, de caractère, de malades obsessionnels, en l'absence d'obsessions caractérisées » (38).

En ce qui concerne l'hystérie, cette disposition préalable, peut-être innée, est assez proche du concept de primarité, défini par les caractérologues. Le primaire vit dans l'instant ; il ne cherche pas à ordonner son existence dans la durée à l'aide de plans, d'emplois du temps, de principes. La réflexion n'inhibe pas chez lui le premier mouvement ; il est donc naturel et spontané. Nous avons vu que la personnalité hystérique vérifie chacun de ces traits.

D'autre part, l'émotivité et la non-activité accusent les effets de la primarité, la première en renforçant la fascination de l'instant, la seconde en rendant plus coûteuse l'élaboration d'une conduite organisée, même à brève échéance. L'émotif, non-actif primaire, est donc considéré par les caractérologues comme le plus primaire des primaires. Or, l'hystérique possède, en les accusant, tous les traits du « nerveux » de la caractérologie moderne. L'égocentrisme, le désir d'attirer l'attention qui peut amener le sujet à jouer un rôle, à afficher un personnage, l'engagement total de l'être dans ses affects, sans aucune sorte de recul, associé à une extrême labilité émotionnelle, ce qui le fera taxer de versatilité, et parfois même à tort de perfidie, les réactions démesurées et incontrôlées, la démonstrativité, l'intuition des situations et des publics, plus par une sorte d'empathie que par le raisonnement, tous ces traits que l'on reconnaît classiquement à l'hystérique (39) sont des traits du caractère nerveux (40). Et parfois aussi l'instabilité de l'emploi, l'existence parasitaire au crochet de l'entourage, la tyrannie à l'égard de ceux qui les aiment, l'aggravation des troubles caractériels par l'éthylisme (41).

Il semble donc qu'un certain vécu temporel soit essentiel à la personnalité hystérique, même si les accidents névrotiques caractérisés supposent autre chose encore.

 

Nous trouverions une confirmation de cette hypothèse en comparant le névrosé obsessionnel, classiquement opposé à l'hystérique, au caractère normal qui lui ressemble le plus. Dans son livre sur Les obsessions et la psychasthénie (42), Pierre Janet, étudiant les conditions favorables à la névrose obsessionnelle, montre que certains traits caractériels constituent un terrain propice à son éclosion. Le « candidat » à cette névrose a peu d'activités, surtout sociales. Son caractère est renfermé, il est timide. Maladroit, irrésolu, indécis, il préfère parfois se laisser guider. C'est une personne honnête, accessible aux sentiments moraux, et préoccupée de méditations morales ; elle professe un idéalisme plus ou moins détaché du réel. Elle ne vit pas dans le présent mais dans l'avenir, et surtout dans le passé. Son dégoût de l'action fait qu'elle se réfugie dans des spéculations abstraites ou dans le rêve. Car elle est peu habile à tirer parti des circonstances et d'ailleurs a tendance à rester solitaire. Son émotivité est irrégulière, « Janet veut dire que le sujet, bouleversé par certains événements, peut être totalement froid dans une autre situation, ce qui correspond bien à l'émotivité spécialisée des caractérologues » (43). On observe ces traits, note Janet, chez plus des deux tiers des sujets atteints de névrose obsessionnelle. Or, il suffit de se référer à l'admirable portrait que Le Senne trace du caractère sentimental (44) pour constater que tous ces traits, sans exception, appartiennent à l'émotif non-actif secondaire. Et d'ailleurs, l'hypertrophie de la distance à soi, caractéristique du névrosé obsessionnel, qui l'amènera dans les cas graves à se croire un autre (45), n’est-elle pas en germe dans l'introversion sentimentale ? Le sentimental en effet oublie de vivre pour se regarder vivre. Son caractère mal unifié enveloppe le face à face d'un nerveux et d'un flegmatique qui le contrôlerait tant bien que mal (46).

Ainsi donc, si l'hystérique est en quelque sorte une caricature de nerveux, le névrosé obsessionnel, tel que le décrit Janet, est bien un sentimental accentué. Qu'est-ce qui différencie l'émotif non-actif primaire et l'émotif non-actif secondaire, sinon le degré de retentissement des impressions ?

On sait que la secondarité entraîne des conséquences diamétralement opposées à celles de la primarité. Chez le secondaire, les impressions se prolongent ; le sujet a le souci d'organiser sa vie en un système cohérent, parfois rigide. La primarité et la secondarité sont deux manières opposées de vivre le temps. D'autre part, la puissance d'inhibition est une conséquence majeure de la secondarité. Or, un sujet inhibé est toujours dédoublé, puisque s'affrontent en lui l'élan naturel toujours vivace et la réflexion qui le contrôle.

Ainsi la comparaison des « terrains favorables à l'hystérie et à la névrose obsessionnelle » vérifie pleinement notre hypothèse initiale : les descriptions que Pierre Janet donne des deux névroses enveloppent des vécus temporels opposés, et ces vécus sont eux-mêmes indissolublement liés l'un à la spontanéité, l'autre au clivage du moi.

Une réflexion sur l'oeuvre du maître français autorise donc son lecteur, soucieux de comprendre la genèse des névroses, à une référence caractérologique au concept de retentissement. Et il ne semble pas que la richesse et l'intérêt de l'apport psychanalytique suffisent à la lui interdire.

 

Notes :
1. La personnalité, numéro 1-2.
2. L'Automatisme psychologique, chapitre 3, page 190.
3. P. Janet, l'état mental des hystériques, page 80.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Ibid., page 88.
7. L'évolution de la mémoire et de la notion de temps, tome 2, chapitre 9,
page 203.
8. Ibid., page 211.
9. Ibid.,pages 213-220, et passim.
10. Ibid., page 213.
11. Piaget Le langage et la pensée chez l'enfant.
12. Ibid., page 307.
13. Ibid., pages 310,311.
14. Ibid.
15. Janet, État mental des hystériques, page 122.
16. Ibid., pages 127,128.
17. Ibid., page 143.
18. Ibid., page 138.
19. Janet, Névrose et idée fixe, page 99.
20. Janet, Les obsessions et la psychasthénie, page 371.
21. Janet, Les névroses, page 35.
22. Ibid., page 52.
23. Ibid.
24. A l'inverse de l'hystérique, c'est au moment même où il agit que
l'obsessionnel se sent étranger à son acte, dont il est parfaitement
conscient. L'hystérique pourra, après coup, attribuer à quelque puissance
étrangère l'acte qui, au moment où il est effectué, reste inconscient.
L'identité de propos des deux sujets ne doit pas masquer l'irréductibilité
des deux expériences.
25. Janet, Les obsessions et la psychasthénie, page 306.
26. Janet, Les obsessions et la psychasthénie, page 312.
27. Ginette Judet, La timidité, contributions à l'hygiène du sentimental.
PUF.
28. R. Dalbiez, La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne,
Desclée de Brouwer, page 339.
29. Freud, Cinq psychanalyses (l'homme aux rats), PUF, page 226.
30. Ibid., page 222.
31. Ibid. pages 227 et suivantes.
32. Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora), pages 33 et suivantes.
33. Ibid.
34. Ibid. page 29.
35. Ibid., Dora, page 29.
36. Ibid.
37. Thérèse Lamperière, La personnalité hystérique, pages 61,62.
38. Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, page 284. Nous
soulignons.
39. Thérèse Lamperière, ibid.
40. Le Senne, Traité de caractérologie, pages 221 et suivantes.
41. Thérèse Lamperière, ibid., page 59.
42. Pages 624 et suivantes.
43. Le Senne, Traité de caractérologie, pages 221 et suivantes.
44. Traité de caractérologie, pages 209 et suivantes.
45. Ibid., page 217.
46.Ibid., page 217.

 

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