
Comment les récits personnels façonnent-ils notre mémoire collective ?
Écrire pour se libérer, mais aussi pour transmettre. Parmi les différents auteurs, nombreux sont ceux qui font le choix de raconter leur histoire personnelle avec la volonté à la fois de se libérer de leurs maux et de laisser un témoignage pour les futures générations. Beaucoup ignorent qu’au fil des ans, les récits de vie, récits personnels et autobiographies façonnent notre mémoire collective, et réciproquement.
Le récit de vie au cœur de la mémoire familiale, puis collective
Nous avons tous, chacun d’entre nous, en mémoire le souvenir d’une histoire racontée par nos parents, grands-parents, arrière-grands-parents, etc. De tout temps, les récits de vie, les récits personnels ont émaillé les discussions familiales, et rares sont les familles qui ne disposent pas d’anecdotes et d’histoires personnelles que l’on se raconte et se transmet de génération en génération. D’abord orientés vers la famille, les récits de vie participent ensuite à la création d’une mémoire collective dès lors qu’ils sont transmis à une partie de la société, et transposés sur le papier. Un grand-père ayant enfilé le costume de soldat au cours de la Seconde Guerre mondiale œuvre en faveur de la mémoire familiale lorsqu’il raconte ses souvenirs personnels de cette période à son fils ou à son petit-fils. Il participe à la mémoire collective s’il prend la décision d’en faire un témoignage écrit ou une autobiographie. Dans le même registre, nombreux sont ceux, parmi les générations actuelles, qui ont conscience des atrocités de la Shoah uniquement parce qu’ils ont été le témoin d’un récit personnel, sous une forme ou sous une autre (histoire familiale, récit de vie sur ce sujet, film inspiré d’une autobiographie, etc.). Sans récits de vie, sans témoignages personnels, sans autobiographies, la mémoire collective perd des ressources essentielles à son existence.
Plus il y a de voix, plus la mémoire collective est riche et plurielle
Parmi les différents genres littéraires, on ne souligne pas assez l’importance des récits de vie, récits personnels et autobiographies. Et pourtant. Plus il y a de récits personnels, récits de vie, plus il est possible de mieux comprendre un phénomène, une période de l’Histoire, et d’enrichir notre mémoire collective. Si le génocide du Rwanda n’avait été raconté que par les génocidaires eux-mêmes, notre société actuelle aurait sans doute une autre image collective de cet évènement tragique. Quand des survivants de ce génocide témoignent, quand des individus ayant vécu au Rwanda durant cette période prennent la plume pour raconter leur histoire personnelle, ils enrichissent notre mémoire collective. Et cela vaut pour tous les sujets, du génocide rwandais à la vie quotidienne d’un Pikinois (Sénégal) en passant par le parcours de vie d’une greffée ou la gestion du stress post-traumatique par les soldats du feu. Chaque récit de vie, chaque autobiographie, chaque récit d’un parcours personnel façonne notre représentation individuelle et collective d’un sujet. C’est en se heurtant, par exemple, aux témoignages d’enfants ayant vécu des violences, qu’il est possible, collectivement, de panser les maux de la société envers une partie de la population.
L’ influence de la mémoire collective sur nos souvenirs personnels
Les récits de vie façonnent notre mémoire collective, c’est un fait. De la même manière, la mémoire collective influence nos souvenirs personnels. Ces dernières années, de nombreux scientifiques ont en effet démontré comment la mémoire collective (construite à partir des récits de vie, de symboles, etc.) participe à son tour à la construction de l’identité d’une population. Ainsi, les reportages, les témoignages, les autobiographies, etc., au cœur de la mémoire collective, impactent directement la mémoire individuelle. Dit autrement, nous serions tous influencés, au quotidien, pour notre vie personnelle, par la mémoire collective, celle qui résulte de notre appartenance à un groupe, à une communauté, à une société. Y compris les auteurs qui se livrent à des essais et écrits personnels pour une réflexion d’ordre sociétal. On comprend dès lors encore davantage l’importance des récits de vie, récits personnels et autobiographies dans l’univers de la littérature. Mais qu’en est-il des œuvres de fiction ? Les récits imaginés par les rois de l’intrigue, du suspense, etc., façonnent-ils, eux aussi, notre mémoire collective ? Il s’agit là d’une tout autre question.