
Alain Bensoussan
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Descriptif auteur
De formation juridique et d'histoire (auditeur libre), ces disciplines m'ont amené à m'intéresser de près aux grandes questions philosophiques, politiques, économiques, sociologiques, ethnologiques,culturelles du monde. Passionné de nombreux domaines (ceux précités),de littérature,d' histoire de l'art, d'architecture, de sculpture, d'archéologie, de questions mémorielles, du patrimoine français mais aussi par tous les médias culturels, j'ai rédigé une trentaine de textes sur ces sujets,(de 50 à 700 pages) particulièrement sur : des peintres et mouvements picturaux, des biographies littéraires, des questions religieuses, le patrimoine européen, le cinéma, le théâtre, la musique, la mémoire des deux guerres mondiales. Je travaille actuellement sur un projet d'ouvrage relatif aux écrivains-combattants (plus de 300) morts lors de la guerre 1914/18, principalement Péguy, Segalen, Alain-Fournier, Apollinaire.
Lecteur assidu, mélomane, cinéphile, "mediaphile", amateur d'art, je suis en mesure de proposer des conférences ou exposés thématiques, dans les médias génériques ou spécialisés.
Né le 16 décembre 1949 à Oran - arrivé en France en 1962 - Etudes secondaires au Lycées Carnot puis Condorcet et Turgot - Bac philo en 1969 - 3e cycle de droit en 1974 - Attaché d'administration (fonctionnaire de catégorie A), au Ministère de la défense, occupant les fonctions de :
Négociateur de marchés publics (1976-1989) - Expert juridique (1989-1998) - Chargé de mission pour l'Innovation et responsable défense pour l'EURO (1998-2002) -
Formateur au droit, aux marchés, à la négociation, aux ressources humaines, aux institutions publiques (organismes publics et privés) - 1986-2008.
Conseiller juridique auprès du Délégué aux installations nucléaires militaires et civiles de défense (2002-2007) -
Chargé d'études - conseiller mémoire et patrimoine au Ministère des Anciens combattants (2007-2014)
Auteur - Janvier 2018 - de La CORSE, un joyau de granit dans un écrin d'azur.
Titre(s), Diplôme(s) : 3ème cycle d' Etudes juridiques
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LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
BAUDELAIRE : Les Fleurs du mal
" L'uvre entière offre un aspect étrange et puissant, conception neuve dans sa riche et sombre diversité, marquée du sceau énergique d'une longue méditation.(...) Les Fleurs du mal appartiennent au Génie du Christianisme "(Leconte de Lisle).
Mes jours, mes nuits, sont peuplés de lunes noires
Et mes rêves meurtris s'en vont dans la pâleur du soir,
Car je suis une eau sur qui rien ne se penche
Une source qui attend le son, sorti de l'anche.
Voici comment, je tenterai par une analyse simple et littérale des "Fleurs du Mal" d'exprimer à travers ces quelques modestes vers, ce qu'elles contiennent de sombre et de douloureux pour le poète.
Aperçu rapide de sa vie -
Il ne sera pas question ici de retracer, la vie mouvementée, tragique, sordide et sublime à la fois du "premier grand poète moderne" comme l'a qualifié l'un de ses meilleurs biographes : John. F. Jackson, "ce Dante d'une époque déchue", selon le mot de Barbey d'Aurevilly.
Les biographies, textes, commentaires, essais su Baudelaire sont légion (citons toutefois, celle d'Yves Bonnefoy - 1959- qui me semble la plus fouillée et l'essai de Jean Starobinski - 1989 - la mélancolie ou miroir).
Il est né à Paris le 9 avril 1821 d'une famille bourgeoise. Il fut très tôt confronté par le remariage de sa mère (Caroline Archenbaut-Defayis - ou Dufays) à son beau-père le chef de bataillon (devenu par la suite général de brigade) Jacques Aupick, personnage autoritaire et peu versé sur les choses de l'art, ce qui sans tenter ici une approche psychanalytique, constituera tout de même, l'un des substrats importants pouvant expliquer une bonne partie de l'existence tumultueuse du poète.
" S'il va haïr le général Aupick, c'est sans doute que celui-ci s'opposera à sa vocation. C'est surtout parce que son beau-père lui prenait une partie de l'affection de sa mère. [...] Une seule personne a réellement compté dans la vie de Charles Baudelaire : sa mère (Claude Pichois et Jean Ziegler).
Il fit des études de philosophie au lycée Louis-le-Grand, fut renvoyé, puis reçu bachelier à 18 ans.
Il mena par la suite, une vie d'errance, de bohème, d'amitiés littéraires et poétiques, s'adonna on le sait aux "délices et tourments" de la drogue "le club des Haschischins" (cf - "les paradis artificiels"), dans la mouvance d'alors, initiée par Thomas De Quincey et quant à sa vie sentimentale, elle aussi chaotique, elle consiste dans ses amours avec Jeanne Duval jeune mulâtresse, avec laquelle il connaîtra les charmes et les amertumes de la passion, puis par la suite avec Apollonie Sabatier.
Dandy endetté, il est placé sous tutelle judiciaire, et connaît, dès 1842, une vie dissolue, jusqu'à sa mort, peut-on dire.
C'est en Belgique que Baudelaire rencontre Félicien Rops, (qui illustra les Fleurs du mal). Lors d'une visite à l'église Saint-Loup de Namur, Baudelaire perd connaissance. Cet effondrement est suivi de troubles cérébraux, en particulier d'aphasie.
À partir de mars 1866, il souffre d'hémiplégie. Il meurt à Paris de la syphilis le 31 août 1867, sans avoir pu réaliser le projet d'une édition définitive - comme il la souhaitait - des Fleurs du Mal, travail de toute une vie. Il est inhumé au cimetière du Montparnasse (6e division), dans la même tombe que son beau-père, et sa mère.
Si on devait ne lui trouver qu'une seule définition, on dirait qu'il était à lui seul, un "oxymore ontologique" - D'ailleurs ne l'a-t-il pas dit lui-même : " Enfant déjà, j'ai senti dans mon cur deux sentiments contradictoires : l'horreur de la vie et l'extase de la vie" (et il dit bien en premier lieu : l'horreur)
L'uvre - Les Fleurs du Mal
Lors de l'inauguration du monument Baudelaire au cimetière du Montparnasse, Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts rappellera cette recherche de la sensation : " Ce fait même d'avoir découvert un frisson nouveau, frisson qui va jusqu'à l'extrême limite de la sensibilité, presque au délire de l'Infini, dont il sut emprisonner les manifestations les plus fugitives, fait de Baudelaire un des explorateurs les plus audacieux mais aussi des plus triomphants de la sensation humaine ".
On ne peut évoquer Baudelaire sans rappeler l'immense grand poète qui demeure son "génie tutélaire", pour qui il éprouvait une grande admiration et qu'il a admirablement traduit : Edgar-Allan Poe - Par ailleurs, seul avant Baudelaire, dans la poésie française, Gérard De Nerval était arrivé à un tel degré artistique - Par la suite, on évoquera comme "fils spirituels "quoi qu'avec prudence : Rimbaud et Lautréamont.
L'histoire de la rédaction et de la publication des Fleurs relève de la saga à épisodes multiples, elles ne furent pas écrites d'un "jet de plume", mais collationnées, esquissées, retouchées, rajoutées sur plusieurs années.
L'épisode le plus célèbre étant bien évidemment, la condamnation du poète (et ses 2 éditeurs) pour "outrage à la morale publique", ainsi qu'au retrait de 6 poèmes jugés "obscènes" pour les murs de l'époque.
Baudelaire en rajouta, si bien que le recueil comporte 151 poèmes dans la version définitive post mortem de 1868.
Il dédicace les Fleurs à son ami Théophile Gautier : "au poète impeccable, à mon maître et ami je dédie ces FLEURS MALADIVES".
En effet, les Fleurs sont une grande uvre "malade" et cette seule expression constitue un vrai mystère où nombre de biographes se perdent en conjectures, notamment sur le lien ténu entre névrose et création.
Passer à côté de ce recueil, serait une hérésie, une offense à l'Art, une ignorance quasi impardonnable, mais s'y confronter nous laisse totalement abasourdi, apeuré, terrifié, tant sont puissants les thèmes et toutes les symboliques que Baudelaire a explorés comme un véritable déchiffreur de l'extraordinaire complexité de l'âme humaine.
En cela, il a fait uvre de la plus grande "modernité" ces fleurs sont une déflagration nucléaire, comme le point de rencontre des atomes en fusion où le suprême art rejoint le supra-sublime.
Il serait à la poésie ce qu'Einstein est à la physique quantique. C'est une révolution dans l'art comparable à la découverte de Galilée affirmant que la Terre tourne autour du Soleil - les deux ayant connu les foudres de l'obscurantisme de leur époque.
Aujourd'hui encore, ce monument reste inégalé, réserve faite de Rimbaud.
Ce recueil contient une forme de beauté qu'il est aisé d'appeler aujourd'hui "convulsive" - nous sommes transportés dans un ailleurs, un "supra-monde" qui au-delà de la forme et du style, concentre, "quintessencie" tout ce qui fait le matériau de nos vies : le Bien, le Mal, l'amour, le sexe, la mort, la beauté, les illusions, rêves, chimères, déceptions, tristesses, remords, tendresse, haine, vengeance, rédemption, le sacré, le religieux.
Il nous dit : "au moral, comme au physique, j'ai toujours eu la sensation du gouffre, non seulement du gouffre du sommeil, mais du gouffre de l'action, du rêve, du désir, du souvenir, du beau, du sombre".
En cela, ce recueil serait aussi "dangereux" qu'une bombe, à l'instar de Lucrèce, Kierkegaard, Nietzsche, Schopenhauer, Léopardi.
Baudelaire serait un grand "désillusionneur" revêtant l'aspect d'un véritable tremblement de terre dans notre corps et notre esprit.
Lire les Fleurs, c'est ouvrir la boite de Pandore, c'est entrer dans un univers terrible (comme chez Dante, ou chez Blake), c'est être pris à la gorge par un loup solitaire qui nous planterait ses crocs acérés dont on ne pourra jamais s'en défaire.
Mais, l'art du poète superbement magnifié ici est de nous renvoyer à d'étranges cérémonies secrètes où l'on célèbre les noces de la beauté et à nous convier à un festin de cadavres. C'est un peu comme si "le poète traversait la vie grise de ses assassins".
En effet, lire ces poèmes, c'est nous projeter dans nos propres fantasmes, à l'antre du mystère de la Nuit, du Rêve, de la Beauté, de l'Innocence perdue.
Baudelaire, comme un vrai poète nous plonge dans les trous noirs et insondables de l'offense - il nargue, sans en être dupe, l'assourdissant silence d'un monde vide.
"Écrire, c'est comme se trouver dans une maison vide et guetter l'apparition de fantômes", disait J.L. Borges -
Maison vide comme une page blanche où viendraient s'échouer les souvenirs épars d'une vie qui toujours oscille entre réel, symbolique, imaginaire - où chacun de nous essaie d'ouvrir des portes dans l'espoir qu'elles nous mènent vers des paradis insoupçonnés.
Mais, malgré la noirceur apparente, l'art ultime du poète est de fabriquer du rêve, de l'émotion, nous envoyer une décharge de frissons, qui est la signature unique, de ce qu'il y a eu rencontre entre son monde et le nôtre par un phénomène homothétique.
Dans la poésie, la raison "raisonnante" n'a pas sa place (laissons cela aux philosophes), c'est le royaume de la "pensée libre" délivrée de tous les diktats, de tous les tabous, de toutes les objurgations frénétiques de la société, c'est aussi le miroir abyssal de la confrontation avec soi.
Toutes contraintes sociales qui exigeraient que l'on opérât sur soi, une sorte de lobotomie, de censure - au contraire, la poésie exige que l'on extirpe de soi, le matériau ou le "terreau" qui en est la matrice virginale, capable de produire de la transcendance, un dépassement de soi, pour tendre à l'universel et se dépouiller" de ses oripeaux pour créer "ex nihilo" l'uvre d'art.
Aventure intérieure, toujours dans la nuit profonde et silencieuse des mots parmi des milliers qui formeront le frêle esquif, où s'avançant lentement, nous abordons des contrées à la fois inconnues et pourtant accueillantes (comme Ulysse au bout de son voyage accueilli par Pénélope) et ainsi faire de "dame Poésie" l'amante de sa nuit.
Aventure exaltante et terrible - Telles sont les Fleurs du Mal.
Épitaphe à la mémoire de Charles Baudelaire -
Le soleil couchant danse sur la mire de ton infaillible mémoire
Des mots, qui à peine touchés explosent comme des astéroïdes
Ballet d'étincelles entre les lettres, fuite de voyelles en flammes
Des consonnes étincelantes courant sur des cendres calcinées
LE GRAND VENT DE LA PAGE BRÛLE.
Parfois, dans tes blanches marges, la pluie tombe interminablement
Ciel hydrocuté, tonnerre, poussières stellaires, un grondement sourd
Ce que tu écris, est déjà une galaxie en fusion
Des plaines désolées, des cieux flamboyants, des âmes errantes
UN SOLEIL VIOLENT DÉCHIRE LES NUAGES.
Baudelaire, tu es ce loup qui a guerroyé mille ans
Et qui a tenu le soleil et la lune par la main
Dans le corridor sans fin de ton Hiver
Tu auras été ce jardinier qui coupe les brumes
Qui naissent dans la mémoire des astres
TU ES DESCENDU AU FOND DU VOLCAN.
C'est pourquoi, j'écris ces vers à ta mémoire
En mètre irrégulier de systole et de diastole
Car tu as été celui qui chavira le battement incessant
De la prosodie du cur qui rend éternels les silences
Vers, pour suivre sur cette page, l'empreinte de tes mots
Qui sont des glaives fendant le cristal de roche.
Tes vers coulent entre des obélisques et des
Arcades brisées, condensation de la nuit, le feu
Y sommeille, trésors brûlants, dans l'or de la
Tresse divine.
Tu as ouvert de grandes parenthèses où brillent des
Archipels mentaux, des cimetières mutilés.
Dans ta poésie, il n'y a ni entrée, ni sortie, ni dehors
Ni dedans, rien que le temps sans portes.
Et tu as regardé en silence, les cadavres de l'enfer.
Baudelaire, ton génie ne buvait pas seulement à la lumière
De l'idée, mais à la source des formes inconcevables.
Tu auras chanté la beauté, comme au temps de Périclès.
Tu as fait de l'écume des océans, une vibration rosée
Tu as fait du Monde, une Pensée qui en nous se pense
Et s'enterre - Magicien lucide de la lumière intérieure.
Le sourire de Pyrrhon ou celui de Méduse ?
Tu as créé des corridors invisibles, entre la foi et le doute
Tu as rêvé ou inventé des figures insomniaques
Tu as édifié un Art de l'énigme transparente
Tu as montré que l'Homme est ce que sont ses visions
Tu as vu tomber sur la cime du Mont Athos, des propylées
Comme un torrent intangible et silencieux.
En disant ce qu'ils disent, tes mots
Disent du Temps ! Ils nous disent:
NOUS SOMMES LES NOMS DU TEMPS ET DE L'ÉTERNITÉ.
BRUGES poétique
Qui me berce dans une mer inconnue et profonde
Où je m'y blottis comme une naïade sortant de l'onde
Et je vois dans les cieux des constellations de myriades.
Ou des visions magiques m'enserrent dans une étreinte chaude
Et m'emmènent loin vers des pays de rubis et d'émeraude.
Hymnes à la beauté, ces images font mon âme plus belle
Et leur spiritualité profonde dessine en moi comme une prédelle
Tout palpite dans l'air par ces miracles d'un doux vertige
Nimbant mes rêves, elles renouvellent la mémoire éternelle.
Que le monde ailleurs s'agite, que la ville bruisse du vacarme touristique, qu'il est bon et agréable de sortir des "sentiers battus" touristiques et se recueillir le jour dans la profonde solitude des églises, dans le calme religieux des musées, le soir, dans le clapotis et le ressac des canaux, autant d'endroits propices à la méditation, où je me suis recueilli dans un silence infini et apaisant, avec cette sensation merveilleuse que le Temps s'arrête un moment pour ne déployer que beauté.
Ce fut comme si les crépuscules orangés, la lumière voilée du ciel, la couleur sombre de l'eau mirant les hautes tours, le son sec et monotone des cloches du beffroi, eussent influencé par leur magnifique alchimie, la couleur de mon âme, où en cette ville âgée, la cendre morte du Temps, la poussière du sablier des années, m'avaient donné dans leur uvre silencieuse, un parfum d'éternité.
Ici, surtout en automne, entre les brumes, les rafales de pluie, les colères du vent, le grondement sourd d'une mer du Nord que l'on devine au loin, le silence des églises, tout semble se liguer pour arrêter le temps.
J'ai le sentiment profond que quelque chose de neuf, de virginal naît en nous dans ce "pèlerinage" vers le Sacré, l'Art, la Beauté, le Christ, martyre sur la Croix. Ici, l'on vérifierait presque ce vers de Dante : "Régénéré comme une jeune plante - renouvelé de feuillage nouveau - pur et tout prêt à monter aux étoiles".
Pénétration réciproque de l'âme et des choses, nous entrons en elles, tandis qu'elles pénètrent en nous. Il y a eu entre Bruges et moi une révélation toute intériorisée, une correspondance d'âme, comme un fluide qui s'inocule et qu'on incorpore avec toutes les nuances de l'air
Les rayons invisibles de ces ciels flamands qui nous lient à travers toutes les distances dévoilent une exacte pureté et nous convient à une sorte "d'intime implicite" où la géométrie d'un horizon infini offre à nos yeux un havre précieux. De même, ces pâles soleils qui tracent des lignes fugitives comme une couronne de sommeil qui croîtrait dans le firmament.
Les églises dressent leurs clochers comme une tour de Babel, qu'aurait peint Jérôme Bosch, tutoyant les empyrées et leurs flèches élancées, se mirant dans les canaux avec comme de l'or sur l'eau.
Un beau pays, une belle ville, où tout y est honnête, tranquille, où le luxe a plaisir à se mirer dans l'ordre, où la vie est douce et calme à respirer, où le bonheur est marié au silence.
Pays singulier blotti dans le Nord de l'Europe, ville de canaux, parcourue de ces cieux d'un "gris lumineux" que l'on retrouve dans la palette des grands peintres paysagistes, Turner, Constable, Jordaens, Van Ruysdael, Friedrich.
Oui, c'est là qu'il faut aller rêver, loin des vapeurs étouffantes des villes tentaculaires, allonger les heures par l'infini des sensations, suspendre l'espace d'un instant magique, le temps pesant des offenses du jour.
C'est dans cette atmosphère d'Art, de Beauté que la vie prend tout son sens, que les émotions sont submergées par les splendeurs architecturales, les uvres d'art, où le temps ralentit son cours, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les carillons sonnent les arpèges du bonheur avec une plus profonde solennité, où dans les nuits calmes l'on peut laisser libre cours à la rêverie, où tout est une prose de beauté, une poésie de lumière.
Me revient alors à l'esprit cette pensée d'Edmond Rostand : " C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière"
Les monuments, les églises, les musées abritant les chefs d'uvre de la peinture religieuse des 14ᵉ, 15ᵉ, 16ᵉ siècle, ce qu'on a appelé "l'âge d'or" de la peinture flamande, hollandaise, allemande, les somptueuses maisons à pignons se mirant sur les canaux, les anciens béguinages, tout y est accordé à l'harmonie du cur et de l'esprit.
Sur des anneaux luisants, des bois dorés, vivent discrètement ces peintures patinées par le temps, dans leur écrin profond, magnifiques habits de formes et de couleurs, disant toute la piété chrétienne, la Passion du Christ, le mystère des origines.
Et ces soleils couchants qui irisent de leur pâle clarté ces riches demeures bourgeoises et qui colorent les lambris des salons, les prismes des hautes fenêtres admirablement ouvragées, où à l'intérieur tout est rangé dans une belle ordonnance.
Tout respire le raffinement qui joue pour les yeux et l'âme, une symphonie muette et mystérieuse.
Et sur ces ruelles, ce lacis de venelles aux belles arcades, aux voûtes majestueuses quel plaisir de se promener à la lumière mordorée d'une fin de journée.
En sortant quelque peu du centre, ces majestueux canaux, et cette mer que l'on voit à peine tant elle se confond avec l'horizon plat, ces cieux, d'où l'on distingue à peine ce soleil atypique, cette cuve immense de la mer dont les bords ne se laissent qu'à peine apercevoir, et au crépuscule, ce soleil replonge, serein dans son bain du soir.
De ces places, alors, je contemple l'autre côté du firmament et déchiffre l'alphabet céleste, où se détacheraient les harmonies d'anciennes musiques, d'où se déploie un doux murmure apaisant.
Rien ne vient troubler cette solitude complice, où je fais corps avec cette tranquillité, ces fins de journée d'automne pénétrantes, car elles portent de délicieuses sensations, confinant à la félicité du soir tombant.
Toute cette beauté, cette couleur, cette lumière se trouvent magnifiées par la clarté d'une lune diaphane, par un gris soleil de presque hiver, non ce n'est pas la luminosité toscane, mais c'est une lumière à nulle autre pareille, typique de ce Nord, ce plat pays qu'a si bien chanté Brel.
Allons vers cette ville, vers cette lumière enveloppante, vers les ombres subtiles des piétés, vers ces maisons bavardant de leur haute splendeur avec les nuages, vers ces canaux dessinant d'infinis entrelacs, vers ces façades vêtues de leurs plus beaux atours, vers l'opulence de cet art pictural, où tout exhale une atmosphère de paix, une étincelante beauté.
Tout cela s'adresse à notre émotion, notre sensibilité, notre désir de découvrir de sublimes beautés, on prend avec Bruges, un bain de connivence spirituelle, tirant une singulière ivresse de cette communion tranquille.
Cela participe d'une forme de bonheur qui voudrait déposer ces perles de rosée sur notre âme, tout est d'une grandeur et d'une noblesse irrésistibles. Alors, celle-ci devient aussi vaste que la coupole des cieux et tant de splendeur est un souvenir inoubliable des choses terrestres.
Cette ville toute entière ressemble à un béguinage, un cloître tranquille où ne pénètre guère la vie du dehors, on s'y sent comme dans un cocon protecteur.
Il existe là un îlot où le temps ne s'est pas écoulé avec la même vitesse que dans le reste du monde.
"Exultez, ô vous qui avez reçu de la haut les merveilles de la beauté, et réjouissez-vous, car vous n'avez rien à craindre et rien ne saura vous attrister" (Khalil Gibran).
Voici, la transcription poétique que Bruges m'a inspirée -
Clarté, grisaille, lumière
Construisent cette ville,
Dedans et Dehors
Par le ciel, les empyrées
Comme de fauves étoiles
En chant vespéral
Illuminé de part en part
Par l'Assomption miraculeuse
De l'Amour.
Ville de silence
Gorgée de tant de beauté
Religion des orants, toujours en toi
Comme un baume de piété
Nouvelle, comme un printemps.
Ville, qui tisse une couronne d'argent
Comme un bouquet de lys immaculés
Enserrée dans cette langue qui se tait
Et fait ici frémir les vents du Nord.
Toutes ces beautés éternelles
Dans leurs cachettes immortelles
Où la patine des temps immémoriaux
Appellent à des naissances stellaires
Et où le Temps diffuse son savoir
Dans les énigmes de la lumière.
Clarté de Résurrection avec ces morts illustres
Figés pour l'éternité dans leur tombeau de pierre
Au regard comme l'orbe solaire en image racinaire
Jusqu'à l'éclatante face de Dieu.
Signe des prodiges de l'art aux clartés muettes
De toutes les fugitives lueurs du passé.
Au mitan des cieux brugeois érigés
En pyramides divinisées de nostalgie.
Bruges, c'est comme une nuit aux reflets mordorés
Où des ombres tutélaires, devenues invisibles
Luisent dans le feu immobile des chandeliers
Avec un éclat rouge, comme un Amen de couleurs.
Bruges chante des hymnes.
Avec les blancs éclats
De brillantes étoiles,
Les courses de la lune
Flottant sur ses canaux,
Et ce grand témoin
Qu'est le soleil d'automne
Roi des astres purs
Et arbitre saint
Des âmes justes
Pour nous élever
Jusqu'à ses palais
Et jusqu'à son sein
Afin d'atteindre
L'ineffable Royaume de la Beauté.
Tes cieux élevés que couronnement les fards
M'apparaissent lumineux comme un rapide éclair
Parmi les floraisons d'iris et de nénuphars
Tes cygnes au blanc plumage étincellent dans l'air.
Les reflets de tes canaux sont pareils aux lentes harmonies
Qui semblent embrasser, en se développant
L'espace illimité des horizons infinis
Et dont le flot rythmique à travers l'air, s'épand.
Les célestes senteurs d'ambroisie et de cire
Volent autour de moi et parfument l'atmosphère
La beauté des ciels purs allume ton sourire
Et des rayons divins flambent dans tes hautes mers.
Troublants bijoux d'amour au creux de ton écrin
Pour conjurer le sort d'un immuable destin
Tes beautés nostalgiques en diamants solitaires
Illuminent mon âme, comme un voyage pour Cythère.
Ici, la nature toute entière s'enveloppe
D'un châle de félicité aux volutes argentées
Comme une longue caresse de satin.
Comme les encens de mille parfums
Ici, des milliers de roses croissent
Dans un jardin enchanteur
Tes belles et hiératiques églises
Recouvrent avec une digne prestance,
Un palingénésique retour d'anciennes mémoires.
Tes astres nocturnes, ensommeillés de majesté
M'emmènent vers les cristallines hauteurs d'ensorcelantes demeures.
Ici, mon âme sur des soirs, amante du silence.
Mon âme loin des foules grises
Dont le tumulte est fallacieux
Se recueille avant tout éprise
De la solitude des Cieux.
Ici, sur le monde fermant la porte
Et tisonnant mon poêle chaud
Je rêve à des planètes mortes
Comme à des paradis lointains.
Ici, sont de retour, mes silences bien-aimés
Propices heures de solitude et d'immense chaleur
Fidèles aux lueurs des lampes allumées
Parmi le calme oubli de l'humaine rumeur.
Ici, l'on peut s'enfuir comme un aigle s'éploie
Aux lointains rouges encor des soleils immortels.
De tout le pouvoir de ma vue
Je rassemble en moi, tes lueurs,
De plus en plus clairs, tes rayons
Bruges, éternelle, immortelle
M'enserrent dans le sommeil d'Endymion.
Si l'on veut rester dans cette tonalité poétique (voire mystérieuse) de Bruges, il faut alors lire l'admirable roman de Georges de Rodenbach "Bruges la Morte".
Saisissante et envoûtante histoire du personnage principal Hugues Viane, veuf inconsolable, qui "revit" comme par une sorte de projection dans le passé, l'amour qu'il a connu avec son épouse et ce, à travers la rencontre au présent d'un sosie "énigmatique".
Voici un petit chef-d'uvre ! Dans ce roman symboliste, (courant artistique né au milieu du 19ᵉ), Georges Rodenbach nous invite, à travers l'histoire de ce veuf tombé sous le charme d'une femme ressemblant étrangement à sa bien-aimée disparue.
Un jour, dans une Bruges grisailleuse, Hugues Viane rencontre le sosie de sa femme, Jane Scott, une danseuse d'opéra, elle devient sa nouvelle obsession et la `concurrente' de sa femme décédée.
Hugues Viane, continue à être obsédé par sa femme même après sa mort. En tant que signe de son amour éternel, il a gardé sa chevelure.
Il vit à Bruges ; `la ville aimée et belle jadis incarnait ses regrets. Bruges était sa morte. Et sa morte était Bruges. La ville souffre de l'oppression d'un catholicisme strict et omniprésent et baigne dans une atmosphère mélancolique.
Le jeu des ressemblances et des analogies hante le récit dès les premières lignes, provoquant une fascination chez le lecteur. L'atmosphère doucement amère de Bruges, le tempérament dépressif de Hugues Viane, Jane "l'intruse", tout concourt à nous plonger dans un monde gris et morne, mais auquel, plus que tout, on en vient à croire.
L'intrigue est simple, les personnages sont tout juste esquissés, le dénouement est assez prévisible ; pourtant, jamais le charme ne s'évanouit. Avec un art consommé, Rodenbach parvient à nous plonger dans son roman, à nous faire partager les émois d'Hugues et à comprendre les rituels qu'il rend aux reliques de sa femme défunte.
Ce roman est un bijou d'équilibre, de composition et de style à l'écriture sobre, rare et poétique. Ici, c'est par le doux rythme de la phrase et la richesse des expressions que l'écriture parvient à se sublimer sans jamais céder au banal.
Joyau de la littérature francophone, "Bruges-la-morte" est un roman qui a la majesté des plus beaux poèmes. Il aura fallu tout l'art de Rodenbach pour parvenir à ce miracle d'émotion.
Ce roman brille par ses symboles (la ville, l'amour, la mort, le son des cloches, le Dies irae, le fétichisme, la chevelure), par l'évocation d'une ville sous l'emprise d'une religion totalement axée sur le péché, par son mélange intime de thèmes d'obsession religieuse (la profanation) et sexuelle et par la force suggestive de son langage.
C'est une prose poétique et épurée, toute d'effets de rythmes et de sonorités quasi musicales. La description de la ville se confond avec l'état d'âme de Viane - les ruelles, les canaux, les pignons des maisons, les flèches des églises sont autant d'ombres portées sur son esprit.
Au chagrin qui hantait son cur, il fallait les "silences et la mortelle transparence d'Ombre de cette cité à part". En ce sens, le travail sur les descriptions est remarquable de lumière poétique, où les frontières entre rêve et réel se confondent.
Ainsi, au-delà donc, de l'histoire elle-même, le vrai personnage du roman, vivant, réel est Bruges.