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Altay Manço

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Descriptif auteur

Altay Manço. Docteur en psychologie, directeur scientifique de l'Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM).

Altay Manço est le directeur de la collection "Compétences interculturelles" des éditions de l'Harmattan.
Pour le développement interculturel...

Avec le psychosociologue Altay Manço, la vie ressemble à un énorme planning. Tout semble compartimenté et raisonné : il suffit de l'avoir au bout du fil pour se rendre compte que le plus dur n'est pas de discuter mais de trouver une place dans l'agenda-univers du personnage. Finalement, entre une conférence dans une université au Canada, un cours donné à Paris, une réunion de chercheurs en Turquie, ou encore une rencontre dans une association de travailleurs immigrés à Charleroi, il nous accueille dans son QG à Namur. Des livres soigneusement rangés, des dossiers classés, un ordre méticuleux et une organisation rhytmée du temps, l'univers de ce turcobelge donne le tournis. Arrivé en Belgique après des études primaires dans le pays d'origine, Altay et son frère jumeau, Ural, achèveront un parcours universitaire : "Mon parcours académique a commencé à l'Université de Liège. Après une candidature en philosophie, puis une autre en psychologie, j'ai rapidement choisi d'approfondir ce dernier domaine, en orientant mes recherches en direction de l'insertion sociale des populations d'origine étrangère : j'ai été encouragé vers ce choix par mon emploi d'animateur auprès d'enfants d'immigrants, un emploi qui m'a permis de financer la fin de mes études", précise Altay Manço. Après un mémoire en 3 tomes sur la communauté turque de Cheratte et son "ghetto intégrateur", il décroche son doctorat en psychologie sociale sur les stratégies identitaires des jeunes Turcs de Belgique.

La famille d'Altay est orginaire d'Istanbul, la capitale culturelle et économique de la Turquie. Pour le docteur Manço, l'avenir des jeunes passe par la formation et l'insertion socioprofessionnelle : "Il est clair que trouver un emploi pour un jeune d'origine étrangère est plus dur par rapport aux autres, mais il faut aussi tenter de capter la plus-value d'une'compétence interculturelle'. Un exemple : une jeune fille étudiera la médecine, même si le marché européen est saturé en la matière, elle aura sa clientèle parmi la population de sa propre origine, elle pourra ainsi valablement remplir une fonction de trait d'union entre une comunauté et les institutions médicales du pays d'accueil".

Le concept de compétence interculturelle est justement la pierre angulaire des travaux de recherche appliquée de l'Institut de Recherches, Formations et Actions sur les Migrations (IRFAM), basé à Liège (*) et où Altay Manço est directeur scientifique. Auteur d'une centaine d'articles spécialisés et d'une douzaine d'ouvrages dont un tout dernier sur l'immigration albanaise en Belgique et au Québec, il collectionne aussi les titres à travers de nombreux organismes et associations dans le monde. Formateur de travailleurs sociaux, il apprécie orienter des travaux d'étudiants, autant que sa disponibilité le lui permet. Derrière un un homme qui apparaît comme une référence dans son domaine, se cache surtout un travailleur acharné et nocturne de l'écriture et de la relecture.

Communicateur infatiguable de la cause interculturelle, Altay Manço accorde aussi la plus grande attention à ses deux filles Yeliz et Sibil qu'il n'hésite pas à inviter à plusieurs de ses sejours de recherche : "On ne commence jamais trop tôt à découvrir la terre, les humains et leurs mouvements ". Comme quoi, dans ce grand agenda perso où les entretiens se téléscopent, le psychologue garde un oeil attentif sur les sens de la vie.

Portrait par Mehmet Koksal, journaliste (2004)

(*) L'Institut de Recherche, Formation et Actions sur les Migrations (IRFAM) est un organisme ressource créé par des intervenants de terrain et des chercheurs universitaires, au service des professionnels de l'action sociale, de l'éducation, etc. L'institut vise, par une approche multidisciplinaire, à construire des liens entre la recherche en psychologie et les interventions dans le domaine de l'intégration et du développement, ainsi que la lutte contre les discriminations. Les objectifs de l'institut sont : - Informer sur les mécanismes discriminatoires en tant que facteurs d'exclusion et de violence ; - Promouvoir les relations interculturelles en tant qu'instruments d'une intégration de qualité ; - Susciter un développement identitaire positif parmi les personnes victimes d'exclusions et de violences ; - Contribuer à la mise en place de mécanismes démocratiques favorisant la gestion positive des différences socioculturelles et le développement durable. Les moyens de l'IRFAM sont la sensibilisation, la formation et l'accompagnement d'intervenants sociaux et de décideurs politiques, ainsi que la mise en œuvre de processus de recherche-développement et de publications sur les problématiques du développement socio-économique, de l'exclusion et de la gestion des conflits socioculturels. Les domaines d'intervention de l'IRFAM sont : - L'évolution des communautés immigrées et, en particulier, l'observation des processus d'intégration psychosociale et de la dynamique des identités culturelles ; - Le développement des politiques et des méthodes d'intervention sociopédagogique et interculturelle : formation, accompagnement et évaluation des équipes de terrain, des réalisations pratiques, etc. De vocation internationale, l'IRFAM est soutenu dans son action par l'Union européenne et divers échelons de pouvoirs en Belgique. L'Institut dispose de trois sièges en Belgique (Liège, Namur et Bruxelles) et d'une représentation en France, au Togo, au Bénin, en Turquie et en Grèce. Des partenariats lient l'IRFAM à de nombreux organismes en Europe, en Afrique et au Canada. L'IRFAM, en tant que mouvement d'éducation permanente visant la valorisation des diversités dans nos sociétés, gère la présente collection "Compétences interculturelles" et diffuse sur le net une lettre trimestrielle initutée "Diversités et Citoyennetés ".

Structure professionnelle : IRFAM - Coordination
Rue Agimont,17 B-4000 Liège BELGIQUE
Tél. : 00 32 4 221 49 89
Télécopie: 00 32 4 221 49 87

Titre(s), Diplôme(s) : Docteur en Psychologie sociale

Fonction(s) actuelle(s) : Directeur scientifique de l'Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM)

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AUTRES PARUTIONS

S. AMORANITIS, D. CRUTZEN, A. MANCO et al., Développer le mainstreaming de la diversité. Recueil analytique d'outils d'intervention pour la valorisation de la diversité, Liège, IRFAM, 2010, 208 p.

A. MANCO et C. BOLZMAN (éds), Diversités locales et développement, Bruxelles, Les Politiques Sociales, 2009, 128 p. Traduction en espagnol en cours

M. POINSOT, Y. AHI-GRUNDLER, P. COSLIN et A. MANCO (éds) Les violences exercées sur les jeunes filles dans les familles d'origine étrangère et de culture musulmane : le développement des capacités de négociation interculturelle et de la prévention (Allemagne, Belgique et France), Paris, Agence pour le Développement des Relations Interculturelles (A.D.R.I.), 2002, 110 p. Traduit en allemand.

A. MANCO et S. AMORANITIS (éds) Diversité, jeunesse et développement social. L'insertion des jeunes d'origine étrangère à l'aube du XXIè s., Bruxelles, Communauté Wallonie-Bruxelles, 2002, 79 p.

A. MANCO, Sociographie de la population turque et d'origine turque : 40 ans de présence en Belgique (1960-2000). Dynamiques, problèmes, perspectives, Bruxelles, Centre des Relations Européennes, Ed. Européennes, 2000, 230 p. Traduit en turc et en néerlandais.

A. MANCO et S. AMORANITIS (éds), Délégation par abandon, Mons, Ed. Les Politiques Sociales, 1999, 128 p. Traduit en espagnol.

A. MANCO, Intégration et identités. Stratégies et positions des jeunes issus de l'immigration, Bruxelles, Paris, De Boeck-Université, coll. "L'Homme/L'Etranger", 1999, 245 p.

A. MANCO et U. MANCO (sous la direction de), Turcs de Belgique. Identités et trajectoires d'une minorité, Bruxelles, Info-Türk et C.E.S.R.I.M., 1992, 288 p.

A. MANCO (en collaboration avec A.-M. THIRION, M.-H. DACOS-BURGUES et B. DELANGE), Pauvreté et scolarisation. L'exclusion socioscolaire au niveau de l'enseignement fondamental en Belgique francophone, Bruxelles, Ed. de la Fondation Roi Baudouin, 1992, 165 p.

LES Collections dirigées


LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

Notes de lecture

Crutzen Danièle et Manço Altay (dirs.), Vivre enfant dans la migration

Livres reçus
Comptes-rendus d'ouvrage

Livres reçus

Comptes-rendus d'ouvrage

Livres reçus

Comptes-rendus d'ouvrage

Inclusion des personnes d'origine étrangère sur le marché de l'emploi. Bilan des politiques en Wallonie.

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"L'interculturel pour une meilleure inclusion" par Altay Manço

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Interview de Altay Manço

Articles de presse

Les Cahiers de l'Actif - N°476/477

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Interview de l'auteur - Diversités et Citoyennetés

Articles de presse

Les Cahiers de l'Actif - N°474/475

Articles et contributions

Compétences interculturelles des populations immigrées : rôles des intervenants

Articles et contributions

Accessibilité et adaptabilité des structures de jeunesse pour une participation effective en contextes multiculturels et inégalitaires : comment dépasser l'abandon ?

Articles et contributions

Former les discriminés pour réformer le marché du travail : valorisation identitaire comme mode d'accompagnement spécifique

Articles et contributions

Médiation interculturelle : la question des compétences professionnelles

Articles et contributions

Entreprenariat immigré en Belgique : contextes, exemples et perspectives

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Migration et développement en Europe Politiques, pratiques et acteurs

Citation :
S. AMORANITIS, A. MANÇO, Migration et développement en Europe. Politiques, pratiques et acteurs, Bruxelles, EUNOMAD, 126 p.

Accédez à la publication par le lien :

http://irfam.org/assets/File/livrePublication/docs/EUNOMAD_Migrations_et_developpement_en_Europe.pdf

RESUME :

L'ouvrage propose une analyse des visions et des pratiques des acteurs européens impliqués par des actions de "migrations et développement". Une définition des liens entre migrations et développement est construite à travers l'étude des pratiques, ainsi qu'une réflexion quant aux critères d'évaluation des actions menées en cette matière. Les situations dans une douzaine de pays sont détaillées, des analyses d'ensemble proposées. La démarche alimente la constitution d'un réseau international : "EUNOMAD".
Pour identifier et décrire les pratiques de solidarité des migrants avec leur région d'origine, les auteurs ont procédé à l'organisation, entre 2008 et 2010, de plusieurs enquêtes, groupes de réflexion et recensions divers. Ils ont aussi participé aux plateformes nationales et internationales qui composent le réseau européen. Ils ont invité les responsables de ces plateformes à synthétiser leurs expériences sous forme d'articles.
Les analyses menées sur cette base permettent de mettre à jour les facteurs soutenant les pratiques positives, de sonder liens aux contextes, et enfin, de regrouper les structures selon leurs ressources et besoins dans le domaine. Il est alors possible de donner une image des pratiques effectuées par les associations de migrants et d'autres institutions dans, divers pays européens : des outils d'information et de formation, ainsi que des recommandations pratiques et politiques découlent de la démarche.

Signature :
Altay Manço est docteur en psychologie et directeur scientifique de l'Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (amanco@irfam.org). Dina Sensi est docteure en sciences de l'éducation, chargée de recherche et de formation à l'IRFAM

Accédez à la publication par le lien :

http://irfam.org/assets/File/livrePublication/docs/EUNOMAD_Migrations_et_developpement_en_Europe.pdf

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Politiques d'intégration des migrants au niveau local en Belgique : interview d'Altay Manço et de Dina Sensi de l'IRFAM Interview réalisée à Liège en octobre 2009 - La Belgique est un Etat fédéral, comment la compétence "accueil et intégration des migrants" s'organise à travers les parties fédérées du pays ?

Citation :
Plus de 10 % de la population totale de la Belgique sont des étrangers. Depuis 1960, les flux d'immigration principaux viennent du Maghreb, de la Turquie et de l'Afrique subsaharienne. Les migrations de l'Est de l'Europe sont plus récentes. En 1974, l'immigration légale a été arrêtée. On estime pourtant de 100 à 150 000 le nombre de personnes sans papiers en Belgique. Près de 15 à 20 000 personnes (reconnues et enregistrées) entrent annuellement dans le pays. Les migrants en provenance du Maghreb sont plus ou moins 300 000 personnes. La moitié vit à Bruxelles et la moitié a de moins de 25 ans. Plus de 70 % de la population active n'est pas qualifiée. Les migrants venant de Turquie étaient près de 90 000 dans les années 1990. Si l'immigration continue depuis 1974, en raison du regroupement familial, les naturalisations rendent le nombre d'étrangers relativement stable. La moitié des 160 000 Turcs et des personnes d'origine turque vivent en Flandre, un quart en Wallonie et un quart à Bruxelles. Le processus d'intégration est plus lent que la communauté maghrébine parce que les Turcs conservent davantage un mode de vie communautaire : 37 % de la population active turque est au chômage. Néanmoins, cette communauté se développe de plus en plus grâce à ces activités commerciales et associatives. Les migrants venus de l'Afrique subsaharienne étaient près de 30 000 en Belgique, à la fin des années 90. Ce nombre est en augmentation rapide en raison du processus de régulation de personnes sans papiers et du regroupement familial. Ils sont originaires près de 30 pays, mais plus de 60 % sont en provenance de la RDC, du Burundi et du Rwanda. Ils viennent en Belgique pour des études, l'asile, des missions,... La majorité est diplômée à la différence des Turcs et Marocains, mais ils éprouvent de grandes difficultés pour obtenir la validation de leur diplôme, ils ont donc des difficultés pour trouver un emploi et surtout un travail en relation avec leurs compétences : dans ce groupe, la majorité de la population adulte est incluse dans un programme de formation … Certains d'entre eux développent des activités commerciales.

- La Belgique est un Etat fédéral, comment la compétence "accueil et intégration des migrants" s'organise à travers les parties fédérées du pays ?
Altay Manço - Le texte de référence en matière d'intégration en Région wallonne est le décret du 4 juillet 1996. Le décret reconnaît la diversité des populations en Wallonie. Il consacre sept centres régionaux d'intégration (CRI) à Namur, Liège, Charleroi, Mons, La Louvière, Verviers et Tubize, ainsi que des initiatives locales pour les migrants. Ce décret est régulièrement modifié et précisé. Les missions des CRI sont la coordination des activités locales d'intégration ; la promotion des droits sociaux, économiques, culturels des migrants et de leur participation politique ; la coordination de l'accueil, l'orientation des nouveaux arrivants ; la formation des professionnels à la médiation interculturelle ; la collecte de données statistiques et l'organisation d'un service d'interprétariat social. Quant aux initiatives locales d'intégration, elles concernent l'apprentissage du français ; l'aide en matière de droits ; l'orientation en matière de processus d'intégration ; la promotion des échanges culturels, de la médiation sociale et interculturelle, des services de traduction sociale ; la lutte contre les discriminations et la promotion de la citoyenneté ; ainsi que la promotion des actions de co-développement.
Dina Sensi - Le gouvernement flamand veut promouvoir une Flandre où tout le monde peut "vivre ensemble dans la diversité", indépendamment des origines. Il veut y parvenir sur la base de l'égalité et de la citoyenneté active. L'idée est de permettre à chaque "Flamand" à participer activement à la société. Inburgering ("citoyennisation") est un moyen privilégié de donner aux "nouveaux Flamands" cette opportunité. Cette politique est destinée aux étrangers âgés de 18 ans et plus. Il existe différents groupes cibles : les nouveaux arrivants ; les immigrants établis ; les étrangers mineurs non accompagnés ; les ministres des religions reconnues par l'Etat dans la mesure où ils jouent un rôle d'exemple au sein de leur communauté. La participation au programme est obligatoire, mais il existe de nombreux motifs d'exemptions. Le programme comprend des cours de langue, d'histoire du pays d'accueil, des informations sociales, etc. adaptés à divers niveaux de formation. Un coaching individualisé est proposé. Il ouvre vers des possibilités d'activités dans des associations, ainsi que vers l'orientation professionnelle.
Pour la région de Bruxelles-Capitale, enfin, la politique d'intégration se concentre sur l'emploi. La région est bilingue. Il existe plusieurs institutions reconnues par la Région en tant que structures d'intégration spécifiques : le Centre Bruxellois d'Actions Interculturelles (CBAI), la Coordination et Initiatives pour les Réfugiés et Etrangers (CIRE) et leurs correspondants flamands. De nombreuses autres associations existent et en particulier des associations de migrants. Les municipalités ont leur "Mission Locale" qui veille à accueillir, aider, former et insérer professionnellement les migrants, parmi d'autres catégories de la population.

- Comment cette variété de mesures locales s'articule avec les politiques fédérales et les directives européennes en matière d'intégration des migrants ?
Dina Sensi - Au niveau national, les questions qui dominent sont les politiques d'immigration, de droit de séjour et la gestion de demandeurs d'asile et des clandestins. Il n'y a pas à proprement parler de mesure d'intégration. Hormis des recherches en cette matière que finance le niveau fédéral, une des seules initiatives que nous pouvons mentionner est la campagne "Diversité.be" afin de faciliter l'emploi des migrants.
Pour ce qui est du lien au niveau européen : la Belgique ne dispose pas jusqu'à présent d'un plan d'action autour des principes liés aux valeurs de base de l'Union européenne en matière d'intégration des migrants. Mais on observe des actions ponctuelles : à propos de l'emploi, nous avons déjà mentionné la campagne qui promeut la diversité dans le recrutement. C'est que cette question est incluse dans des mesures générales pour l'emploi. Pourtant, des problèmes spécifiques existent comme la reconnaissance des qualifications. Du reste, on a vu les diversités des sensibilités dans l'approche de cette question entre les parties néerlandophone et francophone de la Belgique.
On constate cependant que l'année européenne du dialogue interculturel semble avoir été utile pour stimuler les interactions entre populations d'accueil et les migrants. En fait, le gouvernement fédéral organise actuellement des "Assises de l'interculturalité" dont on attend la définition de recommandations politiques. En effet, une des questions qui restent difficiles d'abord est le respect des pratiques religieuses, en particulier pour la population musulmane. Signalons tout de même que le nombre et le temps aidant la présence de musulmans est de plus en plus banalisée au sein de la population d'accueil. La Belgique est un des pays les plus avancés en matière de facilitation à la citoyenneté, avec un accès aisé à la nationalité, au droit de vote et d'éligibilité aux élections locales, même pour les non-nationaux. L'appareil statistique du pays n'est pas suffisamment précis pour permettre une véritable évaluation des mesures prises pour l'intégration du migrant en Belgique, car elle ne mentionne pas, dans la plupart des cas, les origines des personnes naturalisées. Plus globalement, au-delà des actions locales souvent réussies, la coordination et l'intégration politique dans ce domaine sont encore à construire, elle est freinée, notamment en raison de la complexité de l'Etat.
- Pouvez-vous illustrer les divers types de réalisations visant l'intégration au niveau local ?
Altay Manço - Pour impulser ce type d'actions, il existe divers outils. Le Fonds d'Impulsion à la Politique des Immigrés (FIPI) en est un exemple. Il soutient les projets des associations locales en collaboration avec des communes. Les gouvernements provinciaux, les villes et la Fondation Roi Baudouin sont également des générateurs d'actions locales en matière d'intégration des migrants. Si ces expériences sont de petite taille et non coordonnées entre elles, elles représentent, néanmoins, un vivier de créativité dans ce champ. Prenons une initiative locale pour la cohésion socioculturelle dans une petite ville : Malmedy. C'est une localité semi-rurale à la frontière de l'Allemagne. En 2006-2007, certains professionnels du secteur social y ont observé certaines difficultés de communication entre les "habitants anciens" et les "nouveaux" : ils ne se connaissent pas, ils ne se parlent pas, ils développent des stéréotypes, et ont tendance à se fermer dans leur communauté respective. Ainsi, ces professionnels ont décidé de lancer une initiative locale visant à renforcer la cohésion sociale et culturelle avec les actions de dialogue interculturel. L'objectif était que tous les groupes d'habitants de Malmedy, ainsi que les associations et les institutions publiques puissent mieux se connaître, et mieux communiquer grâce à la multiplication des espaces de rencontre et de collaboration. L'initiative a été menée avec l'IRFAM. La première étape était de finaliser le diagnostic de la situation. Une sociographie locale a été menée autour de 5 dimensions: l'histoire de la localité, les migrations en évolution, les changements économiques de la région, le développement des institutions, la société civile et les associations, et enfin l'évolution des tensions entre les autochtones et les étrangers. Le but de cette activité était de trouver des sujets communs entre les différents groupes de personnes, ce qui peut contribuer à les rapprocher et à collaborer. Dix thèmes ont été dégagés comme le carnaval local, la guerre, le football, l'évolution des espaces et des bâtiments, l'évolution de la production et les activités industrielles,... Les résultats des investigations effectuées en commun par les habitats ont donné lieu à des forums publics avec un certain impact médiatique. Les associations dont des groupements de migrants travaillent actuellement beaucoup plus en collaboration les unes avec les autres.
Un autre exemple peut porter sur les pratiques et les dialogues en matière de migrations et développement. En effet, la reconnaissance de l'importance du rôle des migrants dans les efforts de développement dans le pays d'accueil et dans le pays d'origine a permis l'émergence d'un nouveau concept : le "co-développement". Le co-développement est un développement commun. Il se réfère à l'interdépendance entre le Nord et le Sud (ou de l'Est et l'Ouest), les liens établis par les migrants, les gouvernements et les organismes privés au pays d'accueil, et la collaboration entre les migrants et leurs pays d'origine. On observe une large gamme de projets allant de petites initiatives familles à des projets plus ambitieux, afin de développer les capacités économiques (création d'entreprise ou les envois de fonds), les compétences sociales (citoyenneté participative dans les zones d'origine et de destination) et les compétences politiques (développement d'outils de gestion). A ce niveau, la Belgique est un pays avec une importante population migrante venant de l'extérieur de l'UE. Cette population est ancienne, structurée et compte de nombreuses associations. Ainsi, les expériences de co-développement y semblent être nombreuses, néanmoins nouvelles, car les administrations ne développent un discours positif sur la participation des migrants dans la coopération internationale que depuis la fin des années 90 seulement ; l'aide publique pour le co-développement est assez rare. Une série d'associations de Wallonie, comme l'IRFAM et Transfaires, par exemple, tentent actuellement la création d'un groupe régional pour : - Identifier les individus ou les associations concernées par des actions de codéveloppement ; - Créer une conscience et une opportunité de débat ;
- Développer des outils d'information ; - Identifier les problèmes et les besoins dans le domaine, etc. Ce réseau belge est membre d'un jeune réseau international : EUNOMAD.
- Quel bilan peut-on faire de ces réalisations éparses pour l'intégration ?
Dina Sensi - L'un des meilleurs indicateurs de citoyenneté est la participation des migrants à la société civile et en particulier, au travers des associations de migrants. En Belgique, on trouve de nombreuses associations de migrants. Ces associations proposent des services d'assistance individuelle, des activités culturelles, des actions de solidarité avec les régions d'origine, etc. Elles sont également un lieu d'expression politique. Elles peuvent générer de la participation, une conscience de citoyenneté et un effet sur l'intégration. Il s'agit de reconnaître et d'aider financièrement les associations de migrants. On notera que les choses sont très différentes entre la Wallonie et la Flandre. En Région wallonne, les associations ont à proposer des projets directement aux administrations régionales ou locales. Certaines d'entre elles sont aidées, mais une enquête sur la vie associative a montré qu'il existe beaucoup de frustration et une sensation de flou. Ce serait souvent les mêmes associations qui seraient soutenues. Elles seraient bien connues et politiquement bien acceptées. Certaines hypothèses peuvent être faites : d'abord, le budget est trop petit pour tout le monde, d'autre part, les administrations privilégient de manière sous-jacente l'assimilation plus que la diversité, de sorte qu'ils ne veulent pas donner des moyens pour des expressions linguistiques différentes ou des expressions religieuses, etc. En général, les activités "monoculturelles" ne sont que très peu soutenues. Or, cela est souvent le cas des associations maghrébines et turques qui sont souvent liées à des mosquées. Ces associations vivent grâce à la participation financière de leurs membres. Beaucoup d'entre elles n'ont pas des compétences organisationnelles pour rédiger un projet visant à obtenir des moyens. En revanche, les associations de nouveaux migrants en provenance de l'Afrique centrale sont nombreuses et actives. Elles sont plus efficaces pour obtenir du soutien, parce qu'elles insistent davantage, leurs membres sont aussi souvent plus qualifiés pour la rédaction de projets. Aussi, elles apprennent vite ce qui est attendu par les administrations, au prix de quelques "approximations" : par exemple, nous savons que certaines associations de femmes qui obtiennent des fonds pour leurs activités sont en réalité gérées par des hommes … En Flandre, la politique de soutien des associations de migrants est très différente. L'administration a proposé aux associations d'immigrés de s'organiser en fédérations. Pas moins de 14 fédérations existent qui sont organisées en une confédération. Celle-ci négocie avec les administrations qui proposent des fonds structurels récurrents à la confédération et ses membres … Cette reconnaissance est comme "un échange" en contrepartie de la politique d'"inburgering".
Altay Manço - A propos de la participation économique, les discriminations à l'emploi existent encore en Belgique, même pour les deuxième et troisième générations issus d'immigrés, nés et formés dans le pays. On dit : "leurs qualifications sont trop faibles", "leur expérience de travail n'est pas suffisante", "leurs compétences linguistiques ne sont pas adéquates", "ils ont des difficultés de communication", "ils ne sont pas très bien acceptés par les autres travailleurs, partenaires et clients". On craint "leur instabilité", "leur manque de ponctualité", "les contraintes administratives qu'ils occasionnent", … Une étude de l'OCDE "Des emplois pour les immigrants : l'intégration du marché du travail en Belgique" présentée à Bruxelles en mai 2007 montre que la situation des travailleurs immigrés est complexe. Par exemple, le taux d'emploi des migrants venant de l'extérieur de l'Union européenne et celui des femmes migrantes sont parmi les plus faibles en Europe. Seulement un tiers de ces femmes ont un emploi. Cette situation semble être due à un niveau relativement élevé de revenus de remplacement versés par l'Etat par rapport à la dévalorisation de revenus du travail faiblement qualifié. Ce n'est pas une situation nouvelle, on peut dire que le chômage des migrants est structurel. La qualité fédérale de l'Etat semble avoir une influence négative sur ce point. Les compétences liées à l'insertion professionnelle dépendent d'une multitude de niveaux avec des différences significatives dans les approches. En outre, les initiatives locales ne sont pas rares : il existe une constellation de pratiques d'intégration et peu d'interactions sont observées entre tous les acteurs du secteur. Néanmoins, depuis quelques années, on observe une volonté des pouvoirs publics pour lutter contre les discriminations ; cette volonté est par exemple relayée dans les médias. Certaines entreprises ont également signé une "Charte de la Diversité" et ont fait un plan de diversité. Les syndicats et la Région wallonne proposent aux entreprises et aux administrations des aides dans le domaine de la gestion de la diversité. Autre problème identifié par l'OCDE : il n'existe aucune évaluation de toutes les actions existantes, aucune mesure juridique contraignante pour les employeurs, malgré un changement législatif qui inverse la charge de la preuve, en cas de plainte de discrimination raciste.
Dina Sensi - Une autre étude de l'OCDE, "Where immigrant students succeed", insiste sur la situation difficile des enfants migrants et de la deuxième génération en Belgique. Les différences de réussite entre les natifs que les migrants sont plus élevés que dans d'autres pays. Les variables culturelles sont examinées par l'étude et il semble que la langue du foyer aie une influence sur la réussite scolaire (en particulier en régions francophones). Le rapport de Dany Crutzen (Université de Liège) et Silvia Lucchini (Université Catholique de Louvain), publié en 2007, montre que les enfants d'immigrés sont plus que les autochtones, orientés dans les sections professionnelles. En débit de programmes comme les "zones d'éducation prioritaires" et des "écoles à discrimination positive", en dehors de l'obligation scolaire poussée jusqu'à 18 ans, nous n'avons pas relevé d'effets positifs globaux des structures étatiques sur l'insertion scolaire des migrants. Bien entendu, à un niveau individuel, on observe des parcours de réussite. Mais ils dépendent plus de conjonctures familiales et d'opportunités particulières que d'un effet de structure. Peu d'évolutions positives générales peuvent être identifiées dans la réussite scolaire, le développement des compétences linguistiques des jeunes issus de l'immigration, en particulier au sein des communautés turques et maghrébines massifiées dans les grandes villes. Cette stagnation semble être vécue par les jeunes concernés comme l'expression d'une exclusion sociale qui les poussent à renforcer leurs liens communautaires avec les tensions que cela peut produire dans leurs relations avec les autres groupes. Souvent, les échecs scolaires sont expliqués par les enseignants comme provenant de l'extérieur du système scolaire: "les parents eux-mêmes ne sont pas suffisamment éduqués, ils ne savent pas comment aider leurs enfants …", "ces enfants ne savent pas à quelle culture ils appartiennent, ils n'ont des difficultés à construire des identités", etc. Le système scolaire ne se questionne que rarement. Rarement, la valorisation de la diversité socioculturelle est objet d'initiatives. En Communauté française de Belgique, le modèle dominant est encore l'homogénéisation et le déni des différences. Les programmes et les méthodes ne sont pas adaptés à la réalité concrète vécue par les enfants de migrants et leurs familles. Les difficultés de communication entre les écoles et les familles sont un autre facteur qui peut expliquer la situation d'échec. Pour lutter contre la situation, la logique produite est une approche générale. Le programme "écoles en discrimination positive" offre un financement complémentaire aux écoles placées dans des quartiers défavorisés. En général, l'argent est utilisé pour embaucher plus de personnel auxiliaire afin d'aider les enseignants. "Toujours plus de la même chose" … Jusqu'à présent, l'impact réel de ce programme n'a pas été évalué, alors qu'il existe depuis longtemps. Pour les nouveaux arrivants, les écoles peuvent organiser ce qui est appelé les "classes passerelles" ; ce sont des classes d'intégration. Des conditions très strictes président à l'organisation de telles classes : le nombre de ces classes n'est pas suffisant pour répondre aux besoins. Le décret de juin 2001 donne une définition restrictive des primo-arrivants : ce sont des élèves de 2 à 18 ans, demandeurs d'asile ou réfugiés reconnus, venant d'un pays en développement. Cette définition exclut ceux qui viennent de l'est de l'Europe. Les personnels des écoles sont souvent en difficulté face à des enfants qui ne parlent pas la langue de l'enseignement.
- Et dans d'autres secteurs comme le logement ou la santé ?
Altay Manço - Il existe différentes structures chargées d'accueillir les nouveaux migrants : centres d'intégration, centres d'aide sociale des communes, centres d'accueil pour réfugiés, des associations, … là encore, nous pouvons dire que la coordination entre ces différents niveaux est difficile. Aussi, les nouveaux venus ont des difficultés à lire les logiques institutionnelles qui sont d'ailleurs changeantes et très nuancées de part et d'autre des frontières régionales dans ce petit pays qu'est la Belgique. Une note positive : la sensibilité à répondre à des problèmes spécifiques par des initiatives spécifiques commence à s'installer. Par exemple, la diversité linguistique est un problème majeur pour les nouveaux venus. Ainsi, des services de traduction et de médiation sociales existent depuis un certain temps dans divers lieux. Un autre exemple est la réponse aux difficultés psychologiques des réfugiés, liées à leurs traumatismes, aux déplacements forcés, au stress au cours de la longue procédure de régularisation … Au cours de la période 2004-2007, des services de santé mentale adaptés ont été confirmés et stabilisés. Ces services offrent des thérapies adaptées, des spécialistes polyglottes, etc. Malheureusement, l'offre est encore insuffisante. D'autres réponses spécifiques sont apportées aux problématiques de santé des primo-arrivants au niveau des communes. Les villes sont dans l'obligation d'accueillir un contingent de nouveaux venus et de réfugiés. Certaines villes préfèrent ainsi créer un centre pour les publics spécifiques comme les mineurs non accompagnés. D'autres villes proposent des logements sociaux pour familles. A Liège, il existe une offre de service de santé spécifique et centralisée pour ce public dont les demandes et les situations administratives sont particulières.
Le logement est une autre grande question. L'offre de logement social est une aide importante pour les familles migrantes, car, en général, leur accès au logement privé s'avère très difficile. D'une part, ces familles sont peu solvables. D'autre part, les propriétaires de logements se montrent réticents à accepter des familles immigrées, comme le rapportent de très nombreux témoignages. Par ailleurs, il existe une crise du logement dans des grandes villes comme Bruxelles. Les conséquences sont bien connues : une condamnation au parc locatif résiduel … des logements exigus pour de grandes familles, dans de vieilles bâtisses peu adaptées et dangereuses, avec des problèmes sanitaires, des problèmes d'exploitation par des vendeurs de sommeil, etc. Pour lutter contre cette situation certaines villes proposent des solutions originales : ils obligeaient les propriétaires d'immeubles à louer leurs maisons ou appartements vides sous peine de taxes cumulées. Pour les y aider, il existe des agences locatives sociales qui accompagnent les familles qui louent face aux propriétaires qui sont assuré de leur rente et de l'état de leur bien. Pour ce qui est des familles immigrées de longue date ayant pu accéder à des revenus réguliers, on constate un taux d'accès à la propriété qui se rapproche des normes belges : 60 % des ménages turcs, par exemple, sont propriétaires de leur logement. C'est la preuve que les gens construisent leur intégration eux-mêmes…

Signature :
Altay Manço est docteur en psychologie et directeur scientifique de l'Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (amanco@irfam.org). Dina Sensi est docteure en sciences de l'éducation, chargée de recherche et de formation à l'IRFAM

- Vous soulevez de nombreux problèmes de politiques d'intégration. Quelles recommandations peut-on faire pour une intégration au niveau local ?
Altay Manço - La question de l'intégration induit la notion de participation sociale et politique et donc de citoyenneté. Prenons un indicateur qui, dans le cas de la Belgique, s'avère être une réussite : la participation politique. Nous avons dans ce pays de nombreux politiciens et d'autres acteurs influents issus de l'immigration. Un premier facteur est la facilité de l'accès à la nationalité belge. Un autre est la richesse de la société civile et, en particulier des associations créées par des migrants. De plus en plus, les décideurs sont conscients de l'importance de ce tissu et des mesures sont proposées pour aider les associations à développer des projets avec diverses dimensions : l'insertion interculturelle, sociale et professionnelle, et enfin co-développement. Leur professionnalisation et leur insertion dans la société civile en général doivent être poursuivies. En région wallonne, par exemple, il est nécessaire d'aider les associations de migrants à se fédérer pour devenir des interlocuteurs réels comme en Flandre. Les acteurs politiques et administratifs ont besoin de formation et d'accompagnement afin de mieux gérer la diversité des publics.
Un deuxième problème clé est l'intégration professionnelle du migrant. Le taux de chômage des immigrés reste très élevé, et est plus élevé que dans d'autres pays européens. Les stéréotypes et les discriminations sont toujours très forts. Des changements sont nécessaires. L'OCDE a proposé dès 2007 une série de mesures. Son étude montre que jusqu'à présent, des difficultés d'emploi des migrants ont été approchées quasi exclusivement du point de vue de la lutte contre les discriminations et les inégalités. Une évaluation de ces initiatives est nécessaire parce que les résultats ne sont pas très clairs. Il est proposé d'élaborer des indicateurs comparables avec d'autres données nationales et internationales et la réalisation de rapports annuels. Elaborer des statistiques claires sur les travailleurs et leurs caractéristiques constitue une bonne attitude pour mesurer les discriminations et les progrès d'insertion. Ces statistiques devraient être, pensons-nous, axées sur les "indicateurs d'itinéraires", comme le lieu de naissance, les lieux de formation, les expériences professionnelles, les langues parlées, etc. La Belgique ne manque pas d'instruments statistiques, mais leurs exploitations spécifiques et coordination font défaut. D'ailleurs, une coordination plus globale de la politique d'insertion professionnelle est nécessaire : coordonner, évaluer et rendre comparable et transparente la politique en cette matière et ses résultats. Un effort est nécessaire pour reconnaître les qualifications des migrants en termes d'expériences professionnelles, notamment. Des programmes rapides de remise à niveau font défaut et des compétences sont gaspillées. A ce niveau, il faut prendre en compte non seulement les connaissances académiques, mais aussi d'autres compétences comme les compétences interculturelles, l'adaptabilité, les capacités de négociation, la créativité, etc. L'attitude de valorisation des diversités doit être préférée au protectionnisme. La situation des demandeurs d'asile est particulière. Ils alimentent le marché noir. Cette chose est visible et tolérée ! Il faut accélérer les régularisations, qui sont longues en Belgique. Il faut aussi imaginer des mécanismes d'intégration de cette force de travail dans l'économie "blanche". Réduire les cotisations sociales des entreprises et des travailleurs en faveur de la valorisation des emplois peu qualifiés est également une piste : imaginer la formation et l'apprentissage de la langue du pays d'accueil par le travail et non l'inverse … La question des quotas est toujours un tabou, alors qu'il existe des quotas d'autre type en Belgique, comme des quotas linguistiques. Il faut ouvrir le débat politique à ce sujet comme dans d'autres pays à l'instar du Canada, par exemple. Enfin, des mesures visant à aider les migrants à ouvrir des entreprises sont urgentes. Les problèmes de ce champ sont : les difficultés pour les migrants d'obtenir des crédits, le manque de connaissance du système administratif belge, l'absence d'une politique de mobilisation des jeunes pour ce secteur. Par exemple, l'institution de l'apprentissage chez l'artisan doit être réinventée.
Dina Sensi - Les mauvais résultats des migrants dans les écoles belges ont été montrés par des études internationales et nationales. Les raisons en sont nombreuses :
- Les besoins spécifiques des enfants issus de l'immigration ne sont pas suffisamment pris en compte, au nom du principe "l'égalité des traitements pour tous" ;
- Une question très importante est de soutenir les élèves d'un point de vue linguistique, la formation des enseignants doit intégrer l'idée selon laquelle la langue de l'enseignement n'est pas la langue maternelle pour un nombre considérable d'élèves ;
- La persistance des préjugés et de stéréotypes a une utilité dans le système : évacuer les responsabilités des mauvais résultats en dehors des écoles, sur les familles ou les enfants eux-mêmes.
L'une des questions les plus importantes est alors "comment dépasser les stéréotypes ?" Avec quels acteurs ? Quelles nouvelles approches ? Comment diffuser les bonnes pratiques en cette matière ? Que faire pour que ces mesures soient intégrées par les enseignants ? Comment évaluer ces changements ? … On recommande d'augmenter le nombre de chercheurs "impliqués" dans ce domaine. En effet, les commandes de type recherche-action-évaluation ou recherche-formation sont rares. Il n'existe pas de service spécialisé dans ce domaine dans les universités, pas de cours spécialisés d'une certaine importance dans le cursus de formation des maîtres sur ces matières. La situation est plus favorable en Flandre avec aussi de meilleurs résultats ! Les publications scientifiques proposent pourtant des solutions diverses face à l'exclusion scolaire des jeunes issus de l'immigration. On pourrait revoir la politique de l'enseignement linguistique et valoriser le plurilinguisme des migrants, plutôt que de le considérer comme un handicap. La diversité doit être saluée et être travaillée comme une ressource par les enseignants dans leurs cours. Il faut que l'école renonce aux illusions de l'égalité des chances et reconnaisse les inégalités de besoins : une école qui organise son travail autour des compétences de base et dans des groupes flexibles selon les besoins … Une école qui se transforme en communauté d'apprenants en permanente coopération, ouverte à des ressources extérieures, les parents, les associations, …

Notes :
Altay Manço est docteur en psychologie et directeur scientifique de l'Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (amanco@irfam.org). Dina Sensi est docteure en sciences de l'éducation, chargée de recherche et de formation à l'IRFAM
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Valorisation des compétences et co-développement : un projet du FSE pour migrants africains qualifiés

Citation :
Source : A. Manço, "Valorisation des compétences et co-développement : un projet du FSE pour migrants africains qualifiés", L'observatoire, Liège, n°57, p. 15-16.

Il n'est pas possible de nier l'importance des migrations pour le progrès humain. On assiste aujourd'hui, même dans les pays européens les plus réfractaires à une législation concernant l'immigration, à une prise de conscience de plus en plus généralisée de la nécessité de recourir à de nouvelles migrations de travailleurs et, donc, on assiste à une prise de conscience de la nécessité d'organiser ces migrations. Ces évolutions de mentalité se déroulent toutefois dans un contexte de mondialisation marqué par la profonde inégalité des échanges de tout type entre le Nord et le Sud de la planète. Aussi, une troisième nécessité qui se présente est celle d'accéder à de nouvelles visions de la coopération avec les Etats et les peuples du Sud de façon à ce que les progrès suscités soient réellement partagés et le développement réellement commun. Ainsi, le co-développement, entendu comme le lien entre les destinées de deux ou plusieurs régions, apparaît comme une des alternatives possibles pour tendre vers une définition démocratique des relations de coopérations entre les acteurs du Sud et du Nord, avec des bénéfices partagés. Dans ce schéma, le migrant, la diaspora est peut-être un pont, un accélérateur.
Nous souhaitons présenter les résultats d'une recherche-action de trois années (2004-2007) relative à l'insertion socioprofessionnelle des travailleurs migrants d'origine subsaharienne. Le projet VITAR 2, héritier de travaux plus anciens, fut ancré principalement dans la région de Bruxelles, bien que quelques activités se soient réalisées en Région wallonne (Belgique). L'initiative soutenue par le FSE a bénéficié du partenariat et des échanges avec des acteurs de différents pays, dont principalement la France et l'Italie, mais aussi - au niveau des observations et comparaisons - la Tchéquie, la Norvège, la Suisse, la Turquie, le Canada et la RDC.
Il s'agissait de contribuer à la prise de conscience des liens entre la mobilisation des compétences citoyennes et interculturelles, ainsi que la mobilisation des acteurs, des entreprises et des institutions, d'une part, et l'insertion professionnelle, la lutte contre les discriminations, la valorisation des diversités et le développement, d'autre part.
Les compétences citoyennes sont des capacités psychosociales transversales des individus ouverts sur le monde et la société. Les compétences interculturelles sont des capacités citoyennes particulières. Elles permettent aux personnes, aux groupes et aux institutions de faire face à des situations complexes dues à la diversité des référents culturels dans des contextes inégalitaires. Les compétences citoyennes et interculturelles sont des habiletés non académiques. Il s'agit de capacités comme la participation sociale, l'insertion dans des réseaux, la négociation, l'adaptation à des contextes nouveaux, etc. Ces compétences revêtent une importance stratégique particulière dès lors que l'on envisage le cas des sociétés multiculturelles où la discrimination sur le marché de l'emploi n'est pas chose rare.
L'hypothèse centrale envisagée soutient que mettre en avant les compétences de ce type au sein des publics qualifiés et néanmoins discriminés serait un atout sur le marché du travail. Du reste, les compétences interculturelles et citoyennes peuvent elles-mêmes être un "secteur d'emploi". Ainsi, une des actions entreprises dans le cadre du projet VITAR 2 fut justement de former et d'employer des intervenants et des formateurs qui peuvent travailler, notamment, dans le milieu associatif, actif dans le domaine de l'action sociale, de l'éducation à la diversité, de l'aide au développement, etc.
Les compétences citoyennes ne sont pas qu'individuelles. Elles sont également collectives. Ainsi se pose la question de la responsabilité sociale des entreprises. Les migrants, de leur côté, font aussi preuve de compétences citoyennes collectives quand, par exemple, ils créent des associations de solidarité. Plusieurs partenaires du projet VITAR 2, en Belgique et en France, furent des associations d'immigrés. Il s'agissait, à travers l'expérimentation, de mesurer les apports et les difficultés de ce type de structures dans l'éventail des mesures de lutte contre la discrimination et d'aide à l'insertion ou au développement.
Les entreprises créées par les migrants, souvent dans un cadre ethnique ou diasporique, ont aussi, au-delà de leurs impacts économiques, des effets sociaux en termes de participation sociale, de présence et de visibilité culturelles, de distribution de richesses. Ces entreprises ont encore des effets en termes de solidarité, de création et de consolidation de réseaux internationaux, …
Enfin, la coopération au développement en tant que secteur d'emploi potentiel pour des migrants qualifiés fut envisagée comme un cas particulier dans le domaine de l'insertion. L'observation a porté sur les organisations non gouvernementales (ONG) européennes ou africaines : dans quelle mesure emploient-elles des migrants ? Avec quelle évaluation ? Quelles perspectives ? Quelle est la position sur ces questions des bailleurs de fonds principaux en matière de coopération internationale, comme l'Union européenne ? Selon l'hypothèse éprouvée dans ce cadre, les Africains d'Europe peuvent apporter une plus-value sur ce terrain, grâce, notamment, à leurs expériences migratoires qui leur confèrent des compétences interculturelles et d'adaptation …
On notera que la recherche n'a pas directement porté sur les envois de fonds ou de matériel effectués par les migrants vers leurs régions d'origine dont on connaît par ailleurs l'importance qualitative et quantitative. Toutefois, on s'interroge également sur le système d'assistanat que ces envois peuvent créer dans les pays d'origine des migrants. Les observations réalisées en RDC notamment montrent tant les attentes investies dans l'aide de la diaspora que les craintes de déstabilisation que cette intervention peut occasionner si elle n'est pas cadrée et négociée. Aussi, la préférence doit semble-t-il porter davantage sur des "circuits complexes" d'échanges de biens et de services où les migrants peuvent jouer un rôle de facilitateur, mais où les membres de leur communauté restés au pays d'origine doivent également participer activement à la production de richesses.
Interventions intensives
Les travaux effectués en Belgique dans le cadre de VITAR 2 ont ainsi montré que le "migrant investisseur ou contributeur de développement" doit être accompagné dans ses actions de financement, de soutien, de création d'initiatives économiques ou de formation, actions visant les pays d'origine. C'est là une des clé de la réussite. Le migrant n'est ni automatiquement ni obligatoirement un agent de développement.
Les travaux du projet VITAR 2 permettent ainsi de s'interroger sur les politiques d'emploi, d'insertion, de coopération au développement et d'égalité des chances en Belgique et ailleurs :
· Comment des entreprises et des institutions peuvent-elles reconnaître les compétences citoyennes afin de lutter contre la discrimination et procéder à des actions positives en faveur des groupes exclus ?
· Quel est l'impact de la mobilisation associative des migrants dans le champ de l'emploi ? de la solidarité internationale ? Comment reconnaître et soutenir cette mobilisation ?
· Quels liens entre le capital social diasporique et la création d'entreprises par les migrants ?
· Quelle est la plus-value des travailleurs migrants dans des secteurs tels que le co-développement, la gestion des diversités, la création d'entreprises transnationales, … ?
Plusieurs types d'actions sont proposées et testées à ces propos dans les contextes migratoires belge, français et italien.
Dans ces contextes, valoriser les compétences des migrants signifie concrètement sensibiliser les institutions à l'engagement des Africains et ainsi lutter contre le gaspi de leurs compétences. S'agissant de travailleurs qualifiés, il faut également accompagner ceux qui sont insérés dans la consolidation de leur emploi : développer des projets d'entreprises, d'associations et d'institutions qui intègrent les apports potentiels des migrants, les mobilisent en tant qu'acteurs, notamment dans le champ du développement.
Cette vision encore rare il y a quelques années, commence à être de plus en plus présente dans le domaine de l'insertion socioprofessionnelle des immigrés. De plus en plus d'institutions commencent à utiliser, en Europe et ailleurs, la présente terminologie. Ces constats sont encourageants et incitent à continuer les initiatives dans la même ligne.
Aussi, il est important d'accompagner ces initiatives locales d'une réflexion critique : en quoi le travail avec les migrants peut-il être porteur pour le développement économique ? Quels sont les freins encore présents en ce domaine ?
Les projets VITAR sont des initiatives qui permettent d'avancer dans cette analyse. En termes d'évaluation, il faut constater que si ces projets ont apporté des satisfactions et des résultats positifs, on y rencontre également des difficultés qu'il s'agit de bien examiner.
Ces initiatives sont très complexes et comportent beaucoup de partenaires diversifiés. Par ailleurs, les résultats auprès des demandeurs d'emploi ne sont pas aussi probants que l'on peut espérer : cela donne l'impression que l'on ne rencontre pas totalement les attentes des participants. En revanche, ces projets ont été l'espace de consolidation professionnelle de plusieurs associations de migrants, ce qui peut constituer une forme d'insertion "collective". Les travaux ont également été d'une extrême richesse permettant de voir avec clarté les obstacles à l'emploi des Africains qualifiés.
Parmi ces obstacles, il faut également compter la capacité d'organisation de ce groupe qui rend éligible le système "débrouille" mis en place par certains, face à une offre professionnelle peu stable. Les Africains qualifiés, doués de diverses expériences professionnelles non reconnues en immigration, estiment ce système préférable à un emploi non valorisant, à leurs yeux, pour de multiples raisons. Cette observation est maintes fois répétée auprès de divers publics migrants, dans divers pays européens. Aussi, il faut reconnaître que la participation sociale ne se résume pas à l'insertion à l'emploi, elle se caractérise également par la mobilisation autour de la citoyenneté, de la culture … L'observation du système d'accueil des demandeurs d'asile en Belgique (et ailleurs en Europe) est ainsi très instructive quant à l'identification des situations paradoxales vécues par les réfugiés face à l'emploi et au droit au travail.
L'initiative a aussi montré l'importance des associations de migrants au sein de projets spécifiques d'insertion, elle a également mis en évidence les limites des compétences de ces structures, notamment en matière organisationnelle. Du reste, il existe toujours beaucoup de résistances à l'engagement des "personnes de couleur" ! Le champ culturel européen n'est pas encore tout à fait prêt à cette ouverture. Le monde politique ne relaye pas facilement ce type d'actions.
L'étape suivante serait ainsi d'impliquer bien davantage le secteur marchand par rapport au développement, ainsi que d'impliquer les porteurs de projets migrants dans des initiatives commerciales.
Observations extensives
En rapide synthèse, les observations comparatives élargies effectuées dans six pays de l'EEE + la Turquie et le Canada confirment en grande partie les constats signalés. Elles montrent par ailleurs que :
· L'immigration de main-d'œuvre d'origine africaine concerne à des degrés divers l'ensemble des pays industrialisés. Elle est désormais installée et émerge une seconde génération partout en Europe.
· Bien que le niveau de qualification de cette immigration soit en général assez élevé, elle semble devoir utiliser des canaux non appropriés comme la demande d'asile, l'immigration clandestine, l'immigration estudiantine ou les regroupements familiaux. Les situations les plus problématiques se vivant dans les pays qui viennent de s'ouvrir officieusement à l'immigration étrangère comme la Turquie.
· Toutefois, partout l'immigration africaine rencontre discrimination, exclusion, exploitation et non-reconnaissance des qualifications et expériences - les expériences de Norvège et du Canada, par exemple. Le secteur le plus problématique est le secteur privé. Mais les migrants vivent également des difficultés d'adaptation et de valorisation de leurs compétences aux contextes sociaux et économiques des pays industrialisés.
· On constate, a contrario, dans certains cas, comme en Tchéquie, par exemple, que les compétences notamment linguistiques des migrants africains leur permettent d'accéder à des emplois qualifiés dans le secteur privé, dans le contexte d'économies récemment ancrées aux marchés occidentaux.
· Il n'existe pas d'homogénéité dans les situations sociales des migrants africains à travers l'Europe. Les situations socio-économiques observées sont plus ou moins favorables en fonction du statut d'installation (de la citoyenneté à la clandestinité), de l'accès à l'emploi, de la reconnaissance et de la valorisation des compétences, de la santé de l'économie de la région d'installation, etc. Les femmes pouvant vivre des difficultés supplémentaires.
· La contribution de la diaspora au développement des régions d'origine est possible, mais elle dépend du niveau d'insertion générale en pays d'immigration. Par ailleurs, elle doit être accompagnée, divers dispositifs sont possibles et examinés.
On le constate, ces observations lient deux objectifs de plus en plus affirmés par des organisations internationales : la gestion institutionnelle des politiques migratoires vers l'Europe, d'une part, et la participation des migrants aux actions de solidarité internationale, d'autre part.
Le lien entre les migrations et le développement est envisagé depuis longtemps par de nombreuses organisations non gouvernementales européennes. A l'échelle du continent, notre organisation est ainsi à la base d'une fédération en ce domaine. Cette entité internationale nommée EUNOMAD a pour but de développer un réseau d'organisations professionnelles qui oeuvrent en matière contribution des migrants au développement. En particulier, l'objectif est d'étudier et de propulser des recommandations politiques et des pratiques dans le domaine du développement social, économique, culturel et démocratique des pays d'origine, un développement qui se fonde sur une collaboration avec les migrants installés en Europe.
Cette orientation nécessite, afin de tendre vers une action positive, de concevoir une politique d'immigration respectueuse des droits humains et de l'équité entre les espaces pourvoyeurs et récepteurs de main-d'œuvre, de tendre vers des "migrations équitables", somme toute ! Il s'agit également d'investiguer l'aspect interculturel des politiques migratoires et de la valorisation des compétences des migrants. Il apparaît que ces nouvelles orientations rendent utile l'ouverture de vastes chantiers d'information, de sensibilisation et de formation de nombreux acteurs : les migrants, les institutions du pays d'origine et d'accueil, ainsi que les entreprises, de façon à éviter les gaspillages, la clandestinité et l'exploitation, sous ses multiples formes.
Sans ces efforts importants, la nouvelle ère migratoire ne sera qu'une chasse de plus aux diplômés des pays en voie de développement accentuant le déséquilibre des échanges entre le Nord et le Sud de la planète. Si l'immigration est un phénomène universel, inévitable et potentiellement porteur d'enrichissement pour tous, des mécanismes d'équilibration doivent être recherchés et testés afin d'installer des correcteurs entre les régions du Nord et les régions du Sud, comme de rendre plus efficace l'expression de la solidarité des migrants avec leur région d'origine.

Signature :
A. Manço

Référence : A. Manço (éd), Valorisation des compétences et co-développement : Africain(e)s qualifié(e)s en immigration, Paris : éditions de l'Harmattan, collection "Compétences Interculturelles", 2008.

(°) Renseignements : Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations : www.irfam.org - amanco@irfam.org

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L'argent des fourmis : relations migrations-développement

Citation :
Carte blanche parue dans Le Soir (Bruxelles) du 8 septembre 2006

A l'heure de l'intensification des migrations et des sommets euro-africains pour les endiguer,il est utile de réfléchir sur les migrants en tant qu'agents de développement:un récent rapport de la Banque Mondiale a en effet pointé les flux de capitaux envoyés par les migrants comme un facteur de développement.

Demandons-nous d'abord pourquoi les gens migrent:pour pouvoir vivre dignement, pour participer de la modernité,pour permettre à leurs enfants d'étudier,pour des lendemains qui chantent pour eux-mêmes et les leurs ayant immigré ou non.Posons-nous également la question de qui immigre ? On constate que depuis la fin de l'importation de travailleurs au milieu des années 70, les personnes qui parviennent à aboutir et à se maintenir en Europe sont des personnes téméraires porteuses de capitaux:financiers,mais aussi symboliques,sociaux, linguistiques,des capacités de mobilité,d'habiletés commerciales,de réseaux.Les migrants sont un public sélectionné qui recèle des compétences.
Le Migrant est un Acteur social,un agent de changement. C'est déjà un entrepreneur, le chef de l'entreprise de l'immigration! Sa tâche planétaire est de faire fructifier les capitaux financiers de confiance investis en lui par les non migrants du Sud,c'est-à-dire,ceux des êtres chers restés au pays.Il doit produire des richesses pour faire fructifier ce capital initial,telle est sa mission.Ses revenus sont les revenus du travail. Un travail lourd,quand il existe, bien souvent en dessous de ses compétences réelles, car le migrant paye l'entrée en Europe par une disqualification.Quand,il n'y a pas d'emploi, les revenus du migrant sont ceux de l'aide sociale,de petits boulots, de la débrouille.
Le Migrant est un Acteur transnational. Il est en permanence en contact avec le pays d'origine et d'autres contrées. Il est source de revenus pour les investisseurs de départ qu'il se doit d'honorer au prix d'une sensation de la culpabilité et de redevabilité.Le migrant est ainsi à la base des transferts internationaux financiers,matériels et culturels,comme le transfert des compétences acquises en immigration.
Quelles sont les conditions pour que le Migrant puisse transférer ses capitaux afin de soutenir des efforts de développement durable?Il faut que les besoins basiques de sa famille du pays d'origine soient rencontrés.Il faut également qu'il puisse jouir d'une stabilité socioprofessionnelle et politicojuridique dans son pays d'installation,puisse s'occuper valablement de sa famille au pays d'accueil.Alors seulement le migrant peut contribuer à des efforts de développement avec l'excédent des richesses produites.
Autant dire que le nombre de migrants qui peuvent et souhaitent réaliser de tels transferts est limité.Toutefois,conscients de leur faiblesse et de la force de leur volonté d'aider leur région d'origine,ils se regroupent en associations et deviennent ainsi des Acteurs collectifs. Le transfert de moyens ne peut s'effectuer que s'il existe destinataire digne de confiance.Si,en général,ce partenaire est issu de la famille élargie,il s'agit de créer des plates-formes d'échanges entre acteurs économiques du Sud et du Nord, notamment à travers les moyens de communication actuels. On notera l'importance des transferts non financiers,les compétences associatives, techniques,de citoyenneté. Transférer c'est contribuer indirectement au développement de familles et de régions entières;c'est contribuer à la mondialisation par le bas,par les gens.
Toutefois, il paraît dangereux de considérer le Migrant comme nécessairement un acteur de développement. Ce serait le surresponsabiliser. Ce serait cacher l'incapacité des Etats à sortir une partie de l'humanité de la misère. Après tout, lorsque l'on parle des transferts des immigrés,nous ne parlons que de l'argent des fourmis !

Signature :
Dr. Altay Manço, Directeur scientifique de l'IRFAM (www.irfam.org)

Il y aurait une forme d'indécence à parler de la canalisation des flux financiers des pauvres et d'oublier que la solution au maldéveloppement n'est pas le fruit du travail des immigrés,mais bien l'annulation de la dette du Tiers-Monde,les pratiques commerciales équitables,une vraie politique de paix,une juste répartition des richesses entre le Nord et le Sud! On peut d'ailleurs se demander où sont les multinationales dans ce débat?Pourquoi ne parlons-nous pas de taxer les flux financiers importants?Les envois financiers d'immigrants vers leurs pays n'est-ce pas un cache-sexe qui détourne l'attention des flux importants Sud/Nord?

Alors que faire pour que l'argent des fourmis ne serve plus à engraisser les organismes financiers?Que faire pour développer des mécanismes de transfert alternatifs capables de casser les monopoles?Requalifier le rôle des postes publiques?Renforcer le rôle des associations?Que faire pour soutenir les fourmis investisseurs?Apprécier leurs spécificités culturelles,personnelles?Il faut les accompagner,orienter,mais aussi de les soutenir.Les réintroduire dans les réseaux de leurs pays d'origine,responsabiliser les pouvoirs publics des pays d'origine et des pays d'accueil.Responsabiliser les entreprises et les banques face à leurs rôles dans les inégalités entre le monde industrialisé et les pays moins riches.Faut-il encore dissocier la coopération au développement du retour au pays d'origine car transfert ne rime pas avec charter! Mais mobilité pourrait bien rimer avec prospérité! C'est dans le réseau transnational,les allers-retours et les nouvelles technologies de communications qu'il faut sans doute chercher les nouvelles solutions des problèmes anciens.Que faire pour transférer le développement durable,l'autonomie,l'originalité et la fierté et non les modèles de consumérisme?Que faire,enfin,pour que l'Europe imagine une politique d'immigration digne de ce nom qui peut diminuer les effets des mécanismes d'exploitation et de clandestinité?Une politique qui réponde à ses besoins de main-d'œuvre et de soutien démographique tout en respectant les intentions et compétences des migrants et de leur famille.Une politique équitable qui rende aux régions d'origine les moyens qui furent nécessaires pour former les travailleurs ainsi exportés.Partant de la notion du "microcrédit",peut-être faudra-t-il imaginer des mécanismes de "micromigrations" alliant les besoins des collectivités du Nord avec ceux des partenaires du Sud.

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Faut-il avoir peur des communautés immigrées, surtout si elles sont religieuses ? Rencontre avec Altay Manço organisé par Diversités et Citoyenneté

"Diversités et Citoyennetés" - A. Manço, vous êtes docteur en psychologie sociale, directeur scientifique de l'IRFAM et Chargé de cours adjoint à l'Université de Liège. Vous venez de publier avec Chr. Parthoens De Zola à Atatürk : "un village musulman" en Wallonie, chez L'Harmattan, (voir la partie "Publications"). Le concept de "communauté" est souvent décrié lorsqu'il s'agit de populations issues de l'immigration. Par exemple, les personnels des services publics, les travailleurs sociaux, etc. ont parfois des difficultés à envisager une collaboration sereine avec des membres de "communautés" immigrées, qui de surcroît se définissent en référence à des identifiants religieux : associations d'entraide, foyers culturels, églises, mosquées, …).

Altay Manço - En effet, il arrive souvent que des entités communautaires immigrées proposent des activités d'encadrement pour la population et soient désireuses de reconnaissance et de coopération avec les institutions des pays dans lesquels elles évoluent. L'enjeu essentiel des tensions ou difficultés que vous signalez semble porter sur la légitimité de certains acteurs à encadrer des jeunes issus de l'immigration dans une perspective d'intégration ou de cohésion sociale. La nature des modèles et des valeurs à transmettre, la capitalisation de l'action sociale ou éducative à partir d'une institution privée ou publique, religieuse ou laïque, ethniquement identifiée ou universaliste, sont des questions qui importent aux yeux des intervenants sociaux employés ou financés par les pouvoirs publics des Etats européens sécularisés.

D&C - Si les groupes musulmans ne sont pas les seuls concernés par ces difficultés, apparemment ils semblent plus souvent que les autres être la cible d'"évitements" ou de "suspicions" de la part des professionnels d'actions socio-éducatives. Il est vrai que le climat de menace que les extrémistes font peser sur les sociétés occidentales accentue le phénomène.

A M - Oui. De plus, plusieurs pays européens, comme la Belgique, sont marqués par des tensions sociales pas si anciennes, qui ont vu leur société se fracturer violemment entre un camp "traditionnel/religieux/privé/royaliste" et un camp "moderne/séculier/public/républicain". S'agissant de groupes d'immigrants récents ou faiblement qualifiés, cette situation est également le fruit des difficultés "techniques" que rencontrent les responsables ou leaders des communautés immigrées, ceux-ci n'étant en général pas des professionnels de l'action socio-éducative. A l'origine de ces difficultés se trouve entre autres l'absence d'instances d'arbitrage et de médiation et l'absence de canaux de communication véritable entre les décideurs/acteurs locaux et les communautés immigrées. Par ailleurs, l'existence de cette offre culturelle immigrée est souvent considérée comme synonyme, voire cause de difficultés d'intégration socioculturelle : ainsi certains s'interrogent sur l'opportunité d'enseigner les langues d'origine, de diffuser des chaînes de télévision des pays de provenance, de soutenir une équipe de football "ethnique", etc. Or, une des difficultés méthodologiques récurrentes dans le travail social est justement de pouvoir évaluer de manière réaliste les effets des initiatives socio-éducatives de longue durée et de diverses natures. Le travail d'évaluation qui ne tient pas compte de l'évolution dans le temps des communautés ciblées par les actions conduit souvent à des visions limitées ou biaisées de la psychosociologie de ces communautés, visions accentuant les sentiments d'échec des politiques ou pratiques d'intégration. La lecture monochromatique des réalités liées à l'insertion et à l'intégration des populations immigrées débouche sur des constats de faillite des politiques dites d'intégration. L'absence d'une politique d'évaluation accentue ainsi le fantasme de l'Autre : on en arrive à rendre responsable des difficultés l'identité même de l'autre, c'est-à-dire ce qui fait qu'il est lui-même là où il est et au moment où l'on en parle. Elargir les analyses à la vision intime des groupes d'immigrants donnerait en revanche des résultats sensiblement différents, montrant comment, à sa façon, l'immigrant bénéficie de l'action sociale qui lui est proposée et construit à son tour sa propre "intégration" au départ de ses propres intentions.

D&C - Un des indicateurs majeurs de cette "intégration" n'est-il pas de constater que la population transplantée s'approprie son nouvel espace (comme le soutien Y. Chaib dans l'article de ce numéro) ?

A M - L'implantation par la communauté immigrée d'une structure sociale, de lieux collectifs tels que commerces et églises, l'accès à la propriété sont les signes tangibles de cette appropriation. L'occupation de l'espace s'annonce aussi dans le paysage : paysage sonore (appels à la prière, …), paysage visuel (appropriation parfois inscrite sur les murs ou les enseignes …) Oui, je pense qu'apprécier la manière avec laquelle une population immigrée investit son nouveau territoire et se laisse investir par les réalités nouvelles dont il regorge est un indicateur d'intégration majeure et, partant, un des lieux importants de la construction de la cohésion sociale entre populations différentes, au-delà de leurs diversités culturelles. Une population immigrée nombreuse et développant le projet de demeurer en communauté peut emprunter des voies inattendues d'intégration et d'appropriation de son nouvel espace sociogéographique et culturel. Il est impertinent de s'attendre à ce qu'elle suive nécessairement et exactement les chemins d'insertion qui furent ceux des populations immigrées qui l'ont précédée, comme il est illusoire d'envisager qu'elle s'assimile exactement comme le souhaiterait la population autochtone, d'autant plus que le théâtre socio-économique de cette intégration change d'époque en époque et présente un décor tantôt favorable tantôt producteur d'exclusions sociales. Je crois que cette attente doublement déplacée est source de frustrations chez certains membres des sociétés "de souche" ou membres de mouvements d'immigrations intra-européennes plus anciennes, qu'il s'agisse d'intervenants sociaux, de décideurs ou de simples citoyens. Constatant les écarts entre les trajectoires socioculturelles des immigrants, par exemple, Polonais, Italiens ou Grecs, d'une part, et Turcs, Marocains et Africains subsahariens, d'autre part, il est courant d'entendre d'aucuns déplorer que les immigrés "ne veulent pas s'intégrer" …

D&C - Il est en effet difficile pour les intervenants sociaux et décideurs européens de comprendre et/ou d'accepter comme légitimes les besoins d'intimité et d'homogénéité des groupes immigrés sans se sentir exclus eux-mêmes.

A M - Tout à fait ! mais "se retrouver entre soi, en famille …", n'est-ce pas une attente présente au sein de tout groupe, qui contribue précisément à la construction de l'identité de ce groupe ? La peur de l'homogénéité du groupe "Autre" n'a souvent d'égale que l'homogénéité ignorée du groupe propre ! Par ailleurs, le processus psychosocial de "compensation" ou de balance identitaire n'est que rarement compris par les acteurs en contact avec l'immigration. Il s'agit d'un des phénomènes fondamentaux de la psychologie interculturelle telle que mise en évidence par, entre autres, Carmel Camilleri et Geneviève Vinsonneau. Il permet à l'individu une gestion différenciée de ses identités ou appartenances : cela signifie que les conduites symboliques sont non corrélées ou qu'elles peuvent converger entre elles des aspirations opposées. Tout se passe comme si ce qui est identifié extérieurement comme un "repli identitaire" en telle matière rendait négociable ce qui peut être ressenti comme une assimilation culturelle en telle autre matière : "Oui, je suis religieux et c'est ça qui me permet de m'ouvrir aux personnes de toutes origines … je ne sais pas marcher sur une seule jambe, je dois et me retrouver en moi-même et en même temps aller vers les autres …".

D&C - Les divisions et parfois les dissensions à l'intérieur des groupes d'immigrants, les diverses façons de vivre l'islam (islams des Turcs et islams des Marocains, islams des hommes, islams des femmes, etc.), par exemple, ne sont pas toujours comprises et heurtent, dans certains cas, les observateurs extérieurs. Qu'en pensez-vous ?

A M - Il faut noter que l'homogénéité perceptible au sein de certains groupes d'immigrés autorise en quelque sorte l'hétérogénéité intériorisée de chacun des membres de ces groupes, au prix d'une apparente ambiguïté affective. Celle-ci est en effet une nouvelle source d'incompréhension possible entre des personnes issues de l'immigration et certains intervenants sociaux qui peuvent être attachés à des valeurs de cohérence rationnelle. Pour moi, la valorisation de diversités et leur accueil sincère est une des conditions premières de l'intégration. Il faut tenir compte du fait que les minorités culturelles issues de l'immigration ouvrière sont en attente d'une telle reconnaissance importante qui légitimise leur installation définitive dans le pays hôte. Ainsi, il arrive que les groupements culturels issus de l'immigration, en particulier les associations religieuses, tentent de présenter leurs culture, foi et culte aux autres habitants et les invitent à partager leurs fêtes, repas et communions. Cet élan, parfois mal compris, pourra donner lieu à des réactions de rejet - par exemple de considérer comme un acte de prosélytisme la lecture du Coran à l'ouverture d'une réunion ou d'être dérangé par l'usage lors d'une réunion de la langue d'origine … Il s'agit de concevoir des espaces connecteurs et des thématiques permettant à des parties de populations de se "frotter" les unes aux autres et de se solidariser. A leur tour, les populations d'origine étrangère et, en particulier, les associations ou les institutions religieuses, doivent poursuivre leurs efforts afin de s'ouvrir davantage aux jeunes et aux femmes, ainsi qu'à l'ensemble de la population et des structures de leur localité, dans le cadre d'activités collectives diverses. Dans certains cas, ces initiatives pourraient montrer à tous l'utilité de la morale religieuse ou du lien communautaire par rapport à des objectifs sociaux actuels comme garantir la sécurité et la sérénité de tous, réserver aux aînés une place dans la société, offrir aux jeunes des valeurs et des modèles de conduite positifs, se solidariser avec les plus démunis, se solidariser avec les régions moins développées du monde, etc.

D&C - Ne pensez-vous pas que le religieux soit une mauvaise porte d'entrée pour faciliter le contact dans un monde sécularisé européen, surtout s'agissant de l'islam … ?

A M - On peut en effet le penser. Par exemple, les alliances spontanément construites entre croyants de différentes religions en Europe ne mobilisent pas une part centrale de la population. Quant à la stratégie des associations culturelles d'immigrants de se fédérer avec d'autres structures de la même origine (attitude souvent vérifiée auprès de la population d'origine turque, par exemple, que j'ai visitée l'an dernier lors d'une petite "tournée des mosquées"), elle ne sert pas non plus toujours l'objectif de la cohésion sociale au sein de la société globale, même si ces collaborations internes à une minorité ethnique permettent aux associations locales de se raffermir. Il faut rappeler que les responsables associatifs issus de l'immigration manquent souvent de compétences linguistiques et institutionnelles pour entrer dans des rapports utiles avec les structures sociopolitiques des régions d'accueil, telles que des administrations, fondations et autres associations. Ils sont souvent disqualifiés dans ce type d'interactions …

D&C - La concentration communautaire ne s'impose-t-elle pas aux travailleurs sociaux ? Ont-ils les moyens de la dissiper ?

A M - Il me paraît plus efficace de tenter d'exploiter les potentialités que cette cohésion peut offrir et de gérer les conflits de façon à permettre à la communauté d'origine étrangère et à tous les autres habitants d'accéder progressivement à des lieux de dialogue, sans devoir rompre leur structure première. L'interculturel est, parfois, la gestion de l'homogène : bien entendu, des parcelles d'homogénéités culturelles pouvant se conjuguer. Par ailleurs, comment s'attendre à ce que l'immigrant cartographie facilement et rapidement la géographie socioculturelle de cette Europe éclatée ? Comment apprécier la mixité et l'hétérogénéité socioculturelles dans des pays comme la Belgique, par exemple, qui s'impose à elle-même la "gestion séparée par piliers" de ses intérêts les plus centraux comme la solidarité entre citoyens ou l'éducation des jeunes ? Auquel des groupes en particulier faut-il, en fait, s'intégrer ? A-t-on le choix ? Faut-il s'intégrer non à un groupe en particulier, mais au système des piliers lui-même, en tant que représentant d'un groupe spécifique ? … Avec laquelle de ses jambes faut-il marcher ? C'est la question que l'immigré pourrait se poser ! Si s'intégrer en Europe signifie prendre part à la société civile en tant que nouvelle catégorie, nous pouvons alors dire qu'au regard d'observations locales, la population immigrée, en général - et la population musulmane, en particulier - sont déjà en voie d'intégration puisqu'elles offrent, depuis des décennies, l'image d'une structuration interne au niveau local, d'un entrelacement fédéral au niveau national et transnational et, enfin, la preuve d'une capacité d'interaction avec les autres segments sociaux et philosophiques des pays européens, même si cette interaction est loin d'être indolore. Si, en revanche, s'intégrer en Europe est s'assimiler à l'un ou à l'autre, ou encore à plusieurs des groupements socio-institutionnels et philosophiques existants, alors nous pouvons également dire que cette insertion socio-institutionnelle et politique est en marche dans divers pays, même si celle-ci est plus lente, plus tardive et encore moins évidente que le premier processus d'intégration, car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les résistances sont fortes face à la réponse enthousiaste donnée par les personnes d'origine étrangère à l'injonction de participation sociale qui leur est adressée par les sociétés d'accueil. On voit les symptômes d'une telle volonté "d'en être", tant au niveau local qu'au niveau national, dans l'accès aux études supérieures des jeunes issus de l'immigration, dans l'engagement politique et associatif de nombreuses personnes d'origine étrangère, dans leur travail syndical, dans leurs inscriptions professionnelles de plus en plus visibles, etc.

D&C - Faut-il envisager que ces deux voies sont complémentaires et nécessaires à l'équilibre identitaire des personnes et des groupes issus de l'immigration, dans un contexte de multiculturalité ?

A M - Bien sûr ! Tant au niveau des communautés que des personnes, ces deux orientations représentent l'hétérogénéité intériorisée ou les "deux jambes pour avancer" ! L'alliance entre ces deux perspectives apparemment contradictoires permet aux personnes et aux communautés d'origine étrangère d'adopter des positions étonnantes et inattendues, souvent dérangeantes et questionnantes pour les Européens "de souche", à la mesure de la "paradoxalité" des synthèses qu'elles sont obligées de produire : sinon, comment être musulman en Europe ? Comment devenir Turc, Chinois ou Arabe et Européen ? Comment être un Européen noir ? Comment être "Soi", tout simplement, au milieu d'un champ de tensions identitaires exacerbées ? Face à une communauté fortement structurée comme certaines populations immigrées, le développement de la personne ne peut se concevoir en dehors des réseaux de solidarité, du potentiel d'énergie, de l'historicité et du sentiment de fierté que procure l'appartenance communautaire. L'intégration n'est pas un abandon des traits culturels d'origine, mais leur articulation aux exigences d'une insertion générale. Aussi, plus que jamais, la question du comment contribuer au développement des citoyens et des communautés reste-t-elle posée ! Plus que jamais, l'intégration des immigrants et de leurs descendants est déterminée, pour nombre d'entre eux, par la réussite scolaire, par l'accès à un travail valorisant et par une réelle reconnaissance socioculturelle de leur présence. La démarginalisation passe aussi par la qualité des conditions de logement et d'installation. Un contexte d'intégration équilibré offre aux communautés issues de l'immigration la possibilité de développer leur propre vie sociale et des espaces-temps d'articulation de cette vie avec la société d'accueil. Parmi ces espaces, on retrouve des "lieux de frottement" de divers types, où l'on discute des visions différentes de l'intégration des immigrants et des descendants d'immigrants de diverses origines et époques ; où l'on débat des visions différentes de l'intégration adoptées par les immigrants ou les descendants d'immigrants et les autochtones de conditions et générations diverses ; où l'on laisse libre cours à sa créativité et invente ses synthèses socioculturelles ; où l'on rencontre des "acteurs-ponts", des passeurs de culture, des médiateurs capables d'inspirer/initier des modèles de mixité praticables et valorisants … Notez en plus que les communautés d'origine turque ou maghrébine en Europe continentale comptent environ 30 % de personnes adultes exclues du marché de l'emploi. Les mêmes communautés connaissent également un taux d'accès à la propriété assez important parmi les ménages … Ces constats montrent combien le capital social et la concentration communautaire leur ont été utiles pour maîtriser leurs conditions de vie et de logement, par exemple, dans un contexte économique très défavorable aux travailleurs faiblement qualifiés : il n'est pas aisé de séparer les dimensions économiques et spirituelles de la vie des communautés immigrées qui constituent de plus en plus une part non négligeable des électorats européens.
D&C - Merci pour ces réflexions qui montrent à tout le moins qu'en dehors de la question du développement économique, d'importants chantiers persistent encore dans le domaine des diversités culturelles et religieuses pour la construction d'une société européenne interculturelle.

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Littérature et immigration turque

Il est une littérature, centrée sur la vie des migrants en Europe, promue par des auteurs d'origine turque. Inscrit au registre des littératures d'exil ou d'immigration, il n'est pas facile de définir avec précision ce mouvement littéraire, ni de s'entendre exactement sur une définition qui lui serait propre de l'exil et de l'émigration

Deux générations d'auteurs


FAKIR BAYKURT, par exemple, un des auteurs les plus célèbres de cette catégorie, récuse le thème romantique de la littérature d'exil classique en se situant dans une approche à la croisée de l'histoire économique et sociale, basée sur une école documentaire.
A l'instar de BAYKURT, ces nombreux auteurs confirmés, en général de sensibilité prolétarienne, ont eux-mêmes connu, pour la plupart, les difficultés quotidiennes d'une vie d'exilés. Ils ont le mérite d'avoir su présenter le commun de la vie d'immigrés, d'ouvriers d'usine et de mineurs de fond, ainsi que leurs craintes existentielles et espoirs avortés. En effet, la majeure partie de ces écrivains, dont beaucoup ont commencé à produire à la fin des années 50, s'attachent à cerner l'évolution des migrants de la première génération.
Toutefois, il existe également un petit groupe de jeunes auteurs issus de l'immigration turque en Europe (ou de la "seconde génération"), assez fortement localisés en Allemagne, qui produisent des récits autobiographiques, depuis le début des années 80.
Nous présentons, dans cet article, les écrivains les plus significatifs de cette littérature autour de l'immigration ouvrière internationale de la seconde moitié du siècle.
Cette littérature contemporaine qui couvre l'ensemble de l'éventail des Etats de l'Europe occidentale (de la France à la Suède) se distingue du journalisme et de l'essai scientifique sur l'immigration par la subjectivité de son point de vue qui, très souvent (dans le cas des nombreuses autobiographies, par exemple), se confond avec l'auteur lui-même. Cette caractéristique rend les œuvres de ce courant riches en émotions. Cet éclairage "intime" nous offre en quelque sorte une lumière de l'"intérieur", indirecte mais complémentaire à la compréhension philosophique ou sociologique "externe" des phénomènes migratoires et de leurs effets psychologiques sur les gens.
Signalons que beaucoup de récits sont traduits en français, en espérant éveiller l'envie du lecteur de découvrir cette littérature.


Les anciens : des exemples contrastés

Exemplaire du courrant, GÜNEY DAL (1944-) vit depuis 1972 à Berlin ; tout d'abord ouvrier, il travaille ensuite comme journaliste à la radio de Berlin avant de se consacrer exclusivement à l'écriture. Très apprécié en Allemagne, il a récemment publié Un homme du sérail à l'usine qui rend sensible la blessure narcissique que la situation de travailleur immigré inflige, au-delà du déclassement professionnel que cela occasionne très souvent :
"Un homme de sérail, ouvrier et malgré tout ottoman, veut absolument chanter des airs de tango … Vers minuit notre homme s'etait effondré dans le couloir, avant d'entonner un tango à tue-tête il n'avait pas une très belle voix, elle était plutôt triste ; en d'autres occasions, on aurait pu la supporter, mais ceux qui allaient être obligés de se rendre tôt à l'usine, le lendemain matin, ne voyait rien de très plaisant dans cet incident. Certains avaient tenté de dissuader Ethem de chanter, mais il n'avait rien voulu entendre. Il était d'ailleurs claire que l'homme du sérail s'était renfermé sur lui-même et qu'il avait complètement perdu la tête."
Un homme du sérail à l'usine est, à bien des égards, une œuvre qui met en jeu le drame des ouvriers dans une confusion entre mondes et peuples. Défaits de leurs pensées et de leur identité, les personnages planent entre deux cultures et civilisations, psychologiquement ruinés qu'ils sont dans une espèce de vide et de solitude.
S'inscrivant dans la même veine, YASAR MIRAÇ (1953-), né à Trabzon, a fait des études de lettres à l'université d'Ankara. Publiant ses poèmes depuis 1975, il reçoit, en 1980, le prestigieux prix de la Société de langue turque. Il réside actuellement en RFA. Un de ses poèmes (extrait du recueil de 1985) a un nom évocateur :Ouvriers de chez moi. Plus prolixe, ARAS ÖREN (1939-) est né à Istanbul, il réside à Berlin. Depuis 1969, ÖREN est le chantre incontesté de la grande migration (poésies, nouvelles, romans et essais journalistiques) : il a vu son œuvre récemment récompensée par trois prix littéraires allemands.

ÖMER POLAT (1943-) est originaire de l'est de la Turquie, il fait des études d'allemand à Erzurum. Il est ensuite nommé professeur d'allemand à Ankara, avant de devenir attaché culturel à l'ambassade turque de Bonn. Enseignant à Gelsenkirchen, ce romancier (Dilan, 1976) et nouvelliste de renom a abordé le sort des enfants issus de l'immigration.
FETHI SAVASÇI (1930—1990) fut ouvrier à Munich dès 1965. C'est un des auteurs prolétariens internationalistes les plus connus, révélés par l'émigration. Poète avant tout, il a écrit des nouvelles, ainsi qu'un roman. Extrait :


Fallait-il être oiseau ?
Dans la Hochstrasse, cette voie plantée de bois,
Les tourterelles, les moineaux chantent si fort,
Ces oiseaux, leur vie est courte,
Mais ils filent en toute liberté d'une frontière à l'autre,
Personne ne leur demande de passeport,
Personne ne fouille leurs valises.
Sans visa,
Ni loyer, ni marchandises.
Fallait-il être un oiseau dans ce joli monde ?
Comment le saurais-je ?
(Traduit de l'allemand par ANNE BICHET)


Le regard de BEKIR YILDIZ (1933-) est plus "extérieur" que les auteurs précédents. Après son service militaire, YILDIZ travaille seulement quelques années en RFA avant de rentrer au pays et de s'imposer, dans les années 70, comme l'un des meilleurs nouvellistes de terroir. Il a aussi réalisé plusieurs reportages sur la condition des migrants turcs en Europe. FÜRUZAN (1935-) est également une nouvelliste renommée en Turquie. Préoccupée par et le sort réservé aux immigrés turcs, elle effectue plusieurs séjours en RFA, sans toutefois immigrer réellement. De ses voyages, elle tire la matière de deux reportages remarquables au ton cinglant … envers l'Allemagne. Une place appréciable de ces récits traite de la condition féminine en immigration.
NEDIM GÜRSEL (1951-) est né à Gaziantep, au sud de la Turquie, il est considéré comme l'auteur le "plus français" de la littérature turque. Parmi les plus jeunes de l'ancienne génération, son œuvre se distancie fortement de celui des écrivains ouvriers.
Après ses études au lycée francophone et maçonnique de Galatasaray à Istanbul, il arrive en France pour entamer un doctorat en littérature comparée. Bien que n'ayant pas du tout le profil du travailleur immigré à proprement parler, l'auteur s'est vu "happé" par Paris où il vit depuis. Actuellement, il a plus de 20 ans de service en tant que chargé de recherches au CNRS. Ses œuvres littéraires sont largement récompensés par des prix tant en Turquie qu'en France. Ses romans et ses chroniques de voyage présentent chacun un fond divers, un style et un langage particuliers.
Très attaché à Istanbul qui reste l'unique "personnage" de ses récits (Un long été à Istanbul, La Première Femme, etc.), il met en jeu son éducation sentimentale dans la Turquie des années 70. C'est dans sa longue nouvelle intitulée Hôtel du désir qu'il aborde de manière particulière la contradiction des immigrés turcs à cheval entre deux cultures.
La plus grande originalité de GÜRSEL est d'avoir su insérer, dans ses récits, des thématiques historiques qui offrent à ses écrits de nouvelles perspectives, notamment, à propos du passé ottoman : le procédé n'est que trop ressemblant à la recherche identitaire des migrants entre l'Orient et l'Occident.
Telle est également la problématique d'ÖZDEMIR INCE (1936-) connu pour ses travaux sur la poétique et ses traductions (LAUTREAMONT, RIMBAUD, CHAR, BOSQUET). ÖZDEMIR ÏNCE a lui aussi connu les difficultés de l'immigration. Il adopte une pensée proche de l'existentialisme de SARTRE et de HEIDEGGER. "Est-il possible de vivre entre l'Occident et l'Orient ?" se demande-t-il, dans sa poésie, comme beaucoup de "voyageurs entre deux mondes".
Parcours intéressant et singulier qu'est celui de DEMIR ÖZLÜ (1935-), dans l'ensemble des auteurs présentés : né à Istanbul ("la" grande ville), il fait des études de droits et exerce la profession d'avocat jusqu'au coup d'état militaire de 1980 qui l'oblige à s'exiler en Suède. De retour en Turquie, en 1989, il commence à publier des récits de voyage et des essais critiques. Dans ses récits, il dépeint de quatre capitales européennes (Paris, Berlin, Amsterdam et Stockholm) en évoquant l'inquiétude encore récente dans sa mémoire. Cette inquiétude le confronte à ses souvenirs d'Istanbul, à l'image d'une enfance heureuse dans le milieu familial bourgeois.
L'Europe qu'il a parcouru d'un bout à l'autre, s'identifie, dans ses œuvres, à la civilisation urbaine, universelle, dont il veut pénétrer le secret afin de le décrire dans toute sa complexité. Ecrivain solitaire et déraciné, ÖZLÜ fait de l'exil politique la matière de ses ouvrages. Il expose dans ses récits une vision morbide des capitales européennes qui connurent, elles aussi, au cours de leurs longues histoires, la violence et la répression. Ainsi, dans ses deux derniers récits, Berlin et Amsterdam se dessinent comme des centres internationaux complexes et énigmatiques. L'auteur aborde son objet de multiples façons : l'architecture, le réseau des transports en commun, les cafés, les places, … ÖZLÜ nous introduit de plein pieds dans la réalité des villes européennes, cités cosmopolites dynamiques et haletantes sur lesquelles il pose un regard d'étranger.
DEMIR ÖZLÜ est un écrivain chez qui l'imaginaire s'associe volontiers à l'engagement politique et intellectuel, à l'image de BUTOR. Ses écrits portent les traits stylistiques du Génie du lieu, œuvre où BUTOR relate sa jeunesse et ses rêveries d'Egypte, ses lieux solitaires et poétiques quittés, sur lesquels l'auteur porte un regard charnel. A la manière de BUTOR, on constate dans la prose d'ÖZLÜ la fureur d'un arrachement au pays natal.


La jeune génération : entre dépit et ressourcement

Nous pouvons classer dans cette autre catégorie GAYE HIÇYILMAZ, fille d'immigrants turcs arrivée en Suisse à l'âge de 9 ans, dont la Cascade gelée, déjà traduite en plusieurs langues (dont le français), évoque les déceptions d'une enfant face à l'Occident stigmatisant et, surtout, face à une forme de perte d'identité : immigrée en Suisse ce n'est pas encore être Suissesse, mais c'est déjà ne plus être tout à fait Turque.
Le thème de l'aliénation est également le fil conducteur de l'ouvrage de GÜNDÜZ VASSAF, installé en Hollande, qui a été traduit en français, il y a quelques années, dans les colonnes de la revue littéraire bilingue Genèse/Olusum (Nancy). Enfin, MUHARREM TÜRKÖZ de Bruxelles, journaliste, photographe et animateur, a donné les Moutons sans Berger, un récit migratoire à sens unique entre Emirdag et Schaerbeek. Il y évoque l'abandon durant plus d'une génération, d'une population sur sa terre d'"accueil", population aux prises avec des problèmes d'adaptation culturelle …
Pour ce qui est de la branche allemande de la catégorie, ZAFER SENOCAK est un des meilleurs poètes de la deuxième génération, comparable au Français d'origine maghrébine AZOUZ BEGAG. Né à Ankara en 1961, il vit à Munich depuis 1970. Après des études de lettres à l'université de Munich, il entreprend de nombreuses publications littéraires et essais sociologiques sur l'immigration, en turc, en allemand et en français. Traducteur du chantre médiéval YUNUS EMRE en allemand, c'est un propagateur infatigable de la culture anatolienne en Europe. En rupture avec une vision dépressive de la condition de "biculturalité" des jeunes issus de migrants, SENOCAK incarne l'enrichissement culturel et le ressourcement continuellement renouvelés tant dans la civilisation occidentale qu'en Orient.
Il va de même pour YÜKSEL PAZARKAYA, un des principaux animateurs de la vie culturelle turque en
RFA : ce poète, nouvelliste, dramaturge et traducteur se dépense sans compter pour le rapprochement culturel germano-turc. Il dirige également les programmes de langue turque de la Radio publique de Rhénanie du nord/Westphalie. Citons également OSMAN ENGIN, né en Turquie en 1960. Il rejoint sa famille à Brème en 1973. Ce sociologue est un des rares humoristes de l'immigration turque, il a publié, entre autres un recueil satirique, en 1985, à Berlin.


Conclusion


Tel est le tableau dépeint par la production littéraire des Turcs d'Europe : d'une part, chez les plumes les plus anciennes, une expression autobiographique, surtout ouvriériste, réaliste et sociale, à l'image de la fonction au nom de laquelle des centaines de milliers de travailleurs sont arrivés en Occident. D'autre part, chez les plus jeunes, une recherche identitaire, plus psychologique et philosophique, qui peut prendre une teinte dépressive, en noir et blanc, ou un éclat multicolore, selon le vécu et les ressources intimes des auteurs placés face à leurs problèmes d'acculturation.
Curieusement, l'humour et l'autodérision sont des éléments peu présents dans ce tableau en tant qu'armes contre la morosité ambiante et la dureté de la vie en exil, comme tel est précisément le cas parmi certains écrivains immigrés maghrébins de France (mentionnons toutefois l'émergence timide d'une jeune génération de caricaturistes en Allemagne et en Flandre). Peu de femmes également parmi ces auteurs, bien que toutes les situations d'émigration soient présentes (travailleurs immigrés, travailleurs rentrés au pays, jeunes issus de migrants, réfugiés politiques, enseignants en mission, etc.).
Ainsi, le réalisme de ce tableau offre, même si les sentiments de satisfaction sont peu représentés, la possibilité instructive d'y lire, avec clarté, le cheminement psychologique ardu imposé aux individus et aux groupes par l'immigration et l'exil.

Notes :
Référence bibliographique
TIMUR MUHIDDIN (sous la direction de), "Immigration et littérature", Anka, Revue d'art et de littérature de Turquie, n° 13-14, 1991, Paris.
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Ecoles et jeunes issus de l'immigration … ou comment ne pas transformer les différences socioculturelles en handicaps scolaires

Altay A. Manço,
Docteur en Psychologie
Directeur scientifique de l'Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (I.R.F.A.M. - Liège)

L'inégalité de réussite scolaire est une réalité qui accable nombre de jeunes d'origine étrangère. Selon ses origines, un élève n'a en effet pas toujours les mêmes possibilités qu'un autre de s'insérer dans la vie scolaire. Dans une société où les conditions de vie sont si différentes, la réussite des uns et l'échec des autres sont, bien entendu, inscrits dans la logique des rapports de sociaux. L'école ne peut entièrement compenser ces inégalités sociales parce qu'elle n'a pas totalement prise ni sur les stratégies de scolarisation des familles ni sur le rôle politique qui lui est globalement conféré, bien qu'elle se soit définie, durant toute son histoire, comme l'agent de la réduction des diversités et des inégalités. De fait, l'école suppose transmettre des savoirs universels et neutres, les mêmes pour tous. Or, la pluralité socioculturelle qui caractérise tout groupe humain et, particulièrement, les sociétés réceptrices d'immigration, implique des différences entre les modèles culturels transmis par l'éducation familiale et ceux émis par l'enseignement. Parfois, ces modèles différents s'excluent l'un l'autre, causant une crise d'identité auprès des jeunes : toute indifférence aux différences est créatrice d'inégalité de réussite.

Dans la lutte contre le décrochage scolaire, une des alternatives positives semble alors être la remise en question des a priori culturels et méthodologiques du monde de l'enseignement. Une des issues possibles est en effet la différenciation de l'instruction et de l'accueil, dans laquelle les actions positives à l'égard des élèves en difficulté peuvent jouer un rôle prépondérant. On suppose donc une pédagogie active, ouverte sur l'extérieur, mobilisant et intégrant, dans le cadre scolaire, les intérêts et l'expérience quotidienne des élèves de toute origine. Il s'agit d'une démarche qui opte pour la construction d'une continuité entre différents lieux d'éducation des jeunes, entre l'école et la famille, entre l'école et le milieu, etc. On notera tout particulièrement l'importance des rapports soutenus avec les familles afin de conjuguer les influences éducatives plutôt que de les opposer. Il en va de même pour les rapports entre le monde scolaire et le monde des associations locales.

Dans ce cadre général, l'optique interculturelle est bien plus qu'un simple contenu d'enseignement ou qu'une méthode plus ou moins "nouvelle". Elle est avant tout une (self) discipline de communication qui permet d'activer les ressources critiques et auto-critiques de l'individu. Elle permet un dépassement (toujours négocié et toujours provisoire) des antagonismes que les systèmes de référents culturels divergents ne manquent pas dresser entre les personnes et les groupes particuliers. Au niveau des pratiques quotidiennes, certaines stratégies peuvent ainsi se révéler intéressantes : face à des difficultés de gestion d'intérêts et d'attentes différentes, il ne sera pas inutile d'entamer, d'abord, l'exploration de ce qui est commun aux différents membres d'un groupe (classe, ensemble de parents,...), porteurs d'identités diversifiées. Il s'agit de constituer un capital de confiance au groupe avant de s'attaquer à une négociation où tout montre que les attentes culturellement marquées seront très différentes. Des divergences profondes ne manqueront en effet pas de se poser. Si tout n'est pas négociable entre les parties, et si chacun a ses limites éthiques propres, la négociation permet aux positions de se clarifier, aux malentendus de se lever et à des accords partiels de voir le jour, même s'ils sont toujours provisoires. Cette démarche permet donc de faire avancer le débat en socialisant mutuellement les uns et les autres. Se présente alors à l'individu un horizon plus large, où un choix, une synthèse originale entre des éléments jusqu'alors incompatibles, deviennent possibles.

Ici, le rôle de médiation que peuvent jouer certains acteurs sociaux (issus des communautés) se révèle très utile ; ce travail prend tout son sens lorsqu'il s'agit d'aménager des zones de rencontre entre deux tendances contradictoires, d'expliciter les règles de la confrontation, etc. L'option "inter-culturelle", synthèse du possible et du souhaitable, permet à tout le moins de favoriser une compréhension mutuelle et engage à un dialogue qui marque le premier pas d'un processus démocratique. L'enjeu essentiel d'une telle approche qui conjugue "égalité" et "diversité" est la qualité de l'éducation dans ses multiples contextes.

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Quarante ans d'immigration en Wallonie (1960-2000) : bilan et perspectives d'intégration des communautés maghrébines, turques et africaines subsahariennes

Introduction et présentation des populations


Les objectifs de la présente contribution sont, d'une part, d'identifier les obstacles à l'intégration sur le marché du travail des jeunes étrangers et d'origine étrangère des deux sexes en Wallonie et, plus globalement, en Belgique et, d'autre part, de présenter les actions entreprises par les acteurs locaux et/ou régionaux, ainsi que les politiques publiques appelées à contribuer au dépassement de ces obstacles. Les populations de référence sont principalement les Maghrébins, les Turcs et les Africains subsahariens immigrés ou issus de l'immigration.
Ces trois populations constituent l'essentiel des flux vers la Belgique depuis 1960, ainsi que l'essentiel de l'immigration extra-européenne dans ce pays. Les Turcs et les Maghrébins font partie de la dernière vague de travailleurs migrants recrutés avant 1974, date à laquelle toute immigration massive fut, en principe, stoppée. Les Africains subsahariens (appelés dorénavant "Africains") sont présents en Belgique à la faveur de voies migratoires plus hétérogènes. Ces différentes populations présentent des ressemblances et des différences dans leurs rapports au marché de l'emploi belge dont l'analyse est utile pour apprécier les stratégies globales que les immigrés mettent en œuvre pour s'insérer, mais aussi les entraves diverses à cette insertion (Manço, 2001).

· Sur base des chiffres qui précisent le nombre de personnes ayant la nationalité marocaine, algérienne et tunisienne (150000 individus dans l'ensemble de la Belgique) et en fonction de ce qui caractérise l'acquisition de la nationalité belge par ces personnes et leurs descendants, on peut estimer à près de 225000 le nombre des personnes d'origine maghrébine présentes en Belgique, soit un quart de la population d'origine étrangère totale qui représente, elle-même, plus d'une personne sur dix vivant dans le Royaume (Targosz et Manço, 2000). Le ratio hommes/femmes de cette population est relativement équilibré. Ce groupe est d'installation relativement récente et globalement très jeune : 50 % de l'effectif a en effet moins de 25 ans. La population maghrébine de Belgique est pour plus de moitié installée à Bruxelles (Kesteloot, 1990). Pour 1998, on évalue à 35000 le nombre de Maghrébins ou de personnes d'origine maghrébine présentes en Wallonie. Selon la synthèse réalisée par Targosz et Manço (2000) à propos de la situation professionnelle des Marocains en Wallonie, le taux d'activité des jeunes de 19 à 35 ans est de 64 % (dans la population marocaine adulte globale de Belgique ce taux est de 71 % ; 22 % des travailleurs sont des femmes). Parmi les actifs marocains, 71 % sont occupés. Ces données d'enquête correspondent à la situation dans la population marocaine globale d'après le recensement belge de 1991 : le taux de chômage est donc important et stable sur une décennie. Plus de 70 % des travailleurs marocains de Belgique sont non-qualifiés ; cette valeur est de 65 % pour les travailleuses marocaines.

· Dès 1961, on rencontre une présence de travailleurs immigrés turcs en Belgique (Morelli, 1992), annonciateurs de mouvements de main-d'œuvre beaucoup plus amples qui ne cesseront de gagner de l'importance jusqu'en 1974. A partir de 1975, la croissance numérique de la population turque de Belgique sera relayée par l'arrivée des femmes, les regroupements familiaux et la natalité. Ainsi, forte d'une certaine poussée naturelle, le nombre de ressortissants turcs de Belgique culminera à plus de 88000 unités au début des années 1990, avant de connaître une résorption, toujours en cours, par l'effet des naturalisations. Cependant, l'expérience montre que les personnes naturalisées continuent, pour la grande majorité d'entre elles, à maintenir leur mode de vie habituel et des liens très serrés avec la communauté immigrée turque ; ils continuent à fréquenter leurs réseaux culturels d'origine, etc. Ils continuent également à avoir des relations privilégiées avec la Turquie, ainsi que des difficultés spécifiques à accéder à l'emploi en Belgique (Manço U., 2000). La moitié de la communauté turque de Belgique est installée en Flandre, le quart est concentré dans les quartiers défavorisés du Nord de Bruxelles. Le quart restant vit en Wallonie (30000 personnes). Le processus d'assimilation - notamment linguistique - des familles turques est plus lent que celle des familles maghrébines. Un grand effort de scolarisation est ainsi à mettre à l'actif des familles maghrébines (Feld et Manço, 2000) : alors que le niveau de scolarisation des pères de jeunes maghrébins est à peine meilleur que celui des parents turcs, les étudiants issus des familles maghrébines semblent avoir comblé en grande partie le "fossé" de scolarisation qui les séparait de la plupart des groupes immigrés (européens) en Belgique. Cette situation a une incidence évidente sur l'efficacité de l'insertion à l'emploi : 37 % de la population active turque souffre en effet du chômage ; la situation étant encore plus préoccupante en Wallonie (40 %), région traversant une crise de l'emploi. Ces faits poussent à considérer l'originalité de la position turque, forte d'une vie communautaire vivace, qui, malgré un déficit de scolarité, tente une insertion communautaire laborieuse par le truchement, notamment, d'une activité commerciale et associative
de plus en plus importante (Manço, 2000).

· Selon l'Institut National de Statistiques, le nombre d'Africains installés en Wallonie est de 7000 en 1990. Depuis cette date, l'augmentation du nombre d'Africains en Belgique et en Wallonie connaît un ralentissement sous l'effet de plusieurs facteurs dont des naturalisations. Actuellement, on compte en Wallonie 7500 personnes ressortissantes d'un pays de l'Afrique noire, naturalisées ou non. Ces personnes sont 26000 dans l'ensemble du pays. Mais un processus de régularisation de clandestins (actuellement en cours) pourrait doubler ce chiffre (Gatugu, Manço et Amoranitis, 2001). La population africaine résidant en Wallonie ressort de presque tous les pays africains. Elle comprend plus d'une trentaine de nationalités. Les ressortissants de la République Démocratique du Congo, du Rwanda et du Burundi représentent cependant plus de 60 % des ressortissants des pays africains depuis plusieurs décennies. Les raisons d'arrivée en Belgique sont diverses (études, stages, asile politiques, mission, etc.) ; on compte peu de travailleurs immigrés parmi cette population. Ainsi à la différence d'autres populations étrangères, on constate que très peu d'Africains apparaissent dans les statistiques du chômage. Ceci constitue une vue biaisée de la réalité professionnelle de ces personnes qui rencontrent, au contraire, beaucoup de difficultés face à l'emploi malgré un niveau de formation très élevé : la moitié des adultes sont en effet diplômés d'études supérieures ! De fait, les personnes de la catégorie "Hors Union Européenne" ont de fait d'énormes difficultés administratives pour obtenir un emploi ou pour faire reconnaître leurs diplômes s'ils ne sont pas scolarisés au niveau du secondaire en Belgique ou s'ils ne font pas partie des travailleurs immigrés avant 1974. Certaines situations paradoxales excluent notamment les Africains des emplois subventionnés parce qu'ils n'ont pas droit aux indemnités de chômage. On assiste à un grand gaspillage de compétences et d'expériences auprès de ce public obligé de se sous-employer dans des secteurs comme le nettoyage ou la restauration. Dans ces circonstances, l'auto-emploi est parfois la seule issue économique. Les indépendants africains résidant en Wallonie sont ainsi au nombre de 200 environ. Les Congolais et les Camerounais représentent 60 % de cet effectif. C'est le secteur du commerce de détail qui draine la moitié de ces indépendants. D'autres sont dans un processus de surqualification : 70 % de la population africaine de Wallonie est inscrite dans un programme de formation …


Les obstacles spécifiques à l'insertion professionnelle des jeunes issus de migrants


Dans les pays industrialisés, les difficultés économiques liées à la mutation du monde et des modalités du travail concernent potentiellement la plupart des actifs (Rea, 1997). Mais les travailleurs issus de l'immigration dans ces pays connaissent des difficultés supplémentaires dues à leur qualité de personne étrangère ou d'origine étrangère (Feld et Biren, 1994). Ces obstacles à l'emploi sont de nature diverse, même s'il faut noter que ces difficultés ne sont pas absolues et ne touchent pas l'ensemble des demandeurs d'emploi étrangers avec la même intensité.
Les principaux obstacles à l'emploi des étrangers sont contextuels et liés aux aspects historique, économique, social et géographique de la réalité migratoire belge et wallonne. Comme dans d'autres états européens, l'immigration de travailleurs dans ce pays s'est essentiellement orientée, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, vers le recrutement d'une main-d'œuvre non-qualifiée et fraîchement déruralisée, essentiellement occupée dans les secteurs des charbonnages et de la sidérurgie. Or, les transformations radicales intervenues dans ces secteurs dès les années'70, ont gravement hypothéqué l'insertion professionnelle des générations issues de migrants, localisées pour la plupart dans des régions - telle que le Hainaut belge, par exemple (Francq, 1996) - lourdement touchées par ces mutations socio-économiques (Morelli, 1992). Cette situation a conduit à un manque d'adéquation entre les qualifications (par exemple linguistiques) des travailleurs issus de l'immigration (qualifications pour une part acquises en Belgique) et les attentes changeantes du marché de l'emploi. Parallèlement, certaines qualifications acquises à l'étranger se sont également avérées difficilement valorisables dans le pays d'adoption.
On relève également une complexification des situations juridiques de séjour et d'emploi. Mais c'est plutôt d'un manque général d'intégration dans la société belge dont il faudrait parler : en effet, la faiblesse des réseaux de contacts et d'information (pertinents eu égard au monde de l'emploi) des personnes issues de l'immigration constitue un réel handicap pour leur accès au travail dans la région d'accueil. Les travailleurs rencontrent des difficultés diverses, en fonction des causes particulières de leur immigration (migration économique, regroupement familial, asile politique, etc.) (Berry, 1987).
Un autre facteur semble également avoir de l'importance : il s'agit de la discrimination ethnique à l'encontre des travailleurs issus de couches récentes de l'immigration. Une recherche (Castellain-Kinet et Es Safi, 1997) a en effet montré qu'en Belgique, à l'instar des pays limitrophes, un grand nombre d'employeurs appliquent une politique discriminatoire de non-embauche envers les demandeurs d'emploi membres des minorités d'immigration (l'étude en question a concerné les chercheurs d'emploi belges d'origine marocaine). Une autre recherche (Brion et Manço, 1999), confirme le même constat se basant sur les données du dernier recensement général de la population (1991) ; elle montre que pour un niveau scolaire identique (uniquement les diplômes obtenus en Belgique), les travailleurs de nationalité turque et marocaine sont plus massivement au chômage que les travailleurs belges ou issus d'autres pays européens. Martens (1997), enfin, montre, quant à lui, la quasi-fermeture de l'emploi public aux personnes naturalisées.
Enfin, d'autres obstacles à l'accès à l'emploi sont de nature psychosociologique. Certaines études (Manço, 1998) montrent effectivement que les jeunes d'origine étrangère, issus de familles elles-mêmes fragilisées face à l'emploi, ont de grandes difficultés à se projeter dans le monde du travail. L'absence de modèles parentaux valorisants et/ou la peur de trahir les siens par la réussite de l'insertion professionnelle sont des réalités relevées par une vaste littérature clinique (Manço, 1999). La perception négative dont sont l'objet certaines communautés issues de l'immigration peut créer, au sein de celles-ci, un positionnement identitaire de type réactif, occasionnant un important stress acculturatif (Berry, 1987), un pessimisme angoissé (Sayad, 1991) et une attitude anticipatrice de rejet (Bourhis et Leyens, 1994). En même temps, le statut de chômeur en terre d'exil est profondément paradoxal pour les immigrants, ayant dû émigrer pour des raisons économiques (Sayad, 1991). Divers chercheurs (Aycan, 1999) ont ainsi pu mesurer l'effet du chômage prolongé, du manque de perspectives d'avancement professionnel et du sous-emploi (emploi en dessous des qualifications réelles des travailleurs) sur le degré d'intégration générale et le bien-être psychosocial des immigrants.


Les pratiques d'insertion générales et spécifiques


De nombreuses institutions oeuvrent, en Wallonie, dans le domaine de la lutte contre la discrimination économique et de l'aide à l'intégration socioprofessionnelle des personnes issues de minorités ethniques ou immigrées. Deux grands groupes sont perceptibles : les initiatives générales et les initiatives spécifiques.
Les initiatives générales sont celles qui concernent l'ensemble de la population en difficulté face à l'emploi. Ces initiatives se déclinent en termes de politiques de formation professionnelle et de transition école-emploi, politiques de résorption du chômage (emploi subventionnés, limitation des coûts fiscaux pour certaines catégories peu qualifiées par exemple, etc.), ainsi qu'en termes d'accompagnement à la recherche active d'emploi (ateliers de recherche d'emploi, services d'information décentralisés, services en ligne, etc.). Des programmes et aides concernent aussi les personnes désireuses de créer leur propre entreprise. Ces initiatives sont portées par des institutions publiques telles que le FOREM (Office wallon pour l'emploi et la formation) ou associatives telles que les organismes d'insertion socioprofessionnels (OISP) : ateliers de formation par le travail, réseau d'alphabétisation, Union des Classes Moyennes, etc.
Toutefois, diverses observations comme celles signalées plus haut montrent l'inadaptation et/ou l'insuffisance de l'offre d'accompagnement en matière d'insertion socioprofessionnelle pour des personnes d'origine étrangère qui vient des difficultés spécifiques pour accéder à l'emploi. De fait, la plupart des actions réalisées actuellement dans ce domaine visent uniquement des objectifs d'insertion dans des cadres établis : une assimilation plus ou moins affirmée du travailleur d'origine étrangère au sein d'un marché de l'emploi considéré comme homogène et restrictif dans le traitement qu'il réserve à la différence culturelle. On note également une faible fréquentation des programmes généralistes par des jeunes défavorisés ou d'origine étrangère, et en particulier des femmes. Ainsi, des initiatives pilotes concernent de plus en plus une approche spécifique de la personne issue de l'immigration en difficulté face à l'emploi, même si elles sont minoritaires et bénéficient de peu de moyens.
Par exemple, une initiative réalisée par le FOREM (1998-2001), dans le Hainaut (projet "SYMBIOSE" dans le cadre du Fonds Social Européen), a ainsi permis une double prise de conscience aux chercheurs d'emploi participants : d'une part, à propos de leur place et possibilités sur le marché de l'emploi - ce qui est synonyme, pour la plupart d'entre eux, d'une nouvelle motivation et d'une nouvelle confiance - et, d'autre part, à propos des possibilités offertes par les organismes d'aide à l'emploi, en matière de systématisation des démarches de recherche de travail - ce qui était, pour, la plupart des participants, largement inconnu. Un des apports essentiels de l'approche fut aussi la (re)dynamisation des réseaux de solidarité et d'information des chercheurs d'emploi d'origine étrangère. Les participants ont été amenés à rencontrer des personnes de leur entourage pouvant faire valoir une expérience de "réussite professionnelle", ainsi que d'autres ressources, plus institutionnelles. On observe ainsi un effet d'entraînement. Il en résulte de nouveaux projets de formation et possibilités d'emploi pour la plupart des participants à l'initiative citée. Il est également important de constater que certains participants, en situation de discrimination sur le marché du travail, se sont utilement orientés vers des stratégies de valorisation de leurs compétences spécifiques et interculturelles. Ils tentent donc d'employer leurs valeurs propres au service d'intérêts communs. Cette attitude conduit peu à peu à lever les blocages et autres préjugés mutuels que nourrissent chercheurs d'emploi "allochtones" et employeurs autochtones. Il s'agit d'une stratégie de positionnement utile sur le marché de l'emploi du pays d'accueil qui se pose en alternative à une insertion normative et laborieuse. Cette initiative a également permis aux professionnels de l'insertion économique de se rendre compte des difficultés et ressources particulières des personnes d'origine étrangère sur le marché de l'emploi et d'y adapter leurs outils et démarche de soutien.
Ainsi, l'hypothèse selon laquelle la différence culturelle peut être créatrice de richesse au sein des entreprises est une idée qui commence à être étayée par de résultats de recherches et d'actions. Dans ce domaine, L'Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM), basé à Liège, tente de contribuer au développement et à la transposition d'expériences innovantes dans des pratiques d'aide et d'accompagnement des personnes issues de l'immigration en difficulté d'emploi et ainsi de contribuer à la formation et à la sensibilisation d'agents (enseignants, travailleurs sociaux, formateurs divers, animateurs de quartier, agents de proximité, médiateurs, cadres d'associations communautaires, etc.) qui travaillent avec ce public.
A l'inverse de la tendance majoritaire, l'objectif innovateur est ici de tenter une valorisation de la différence culturelle sur le champ de l'emploi. Cela se traduit non pas par des actions générales d'insertion mais par une aide au positionnement stratégique sur le marché du travail. Ainsi, l'IRFAM propose, la mise au point d'un programme de formation continuée des "conseillers" en matière d'emploi à une méthodologie de "Valorisation Identitaire et Professionnelle" (V.I.P.) des travailleurs issus des migrations. Cette valorisation de l'originalité socioculturelle passe, premièrement, par une action de dynamisation identitaire (évaluation des potentialités personnelles, familiales, communautaires, etc.). Elle doit déboucher sur la définition de projets de réalisation professionnelle. Deuxièmement, les opportunités du marché de l'emploi et des dispositifs d'aide à l'insertion sociale et professionnelle, d'aide à la création d'entreprises, etc. doivent être envisagés systématiquement afin de pouvoir les instrumentaliser dans le cadre de projets personnels (synergie avec les programmes d'insertion généralistes …). Le développement des réseaux d'information et de solidarité est ici un point important pour l'action "V.I.P." qui doit elle-même se situer dans le cadre d'un partenariat local impliquant divers opérateurs en matière d'insertion socioprofessionnelle et d'animation locale.
Cette démarche vise la transmission aux professionnels du secteur d'insertion socioprofessionnelle et aux travailleurs sociaux des structures de proximité (maisons de jeunes, par exemple) d'une méthodologie d'accompagnement des chercheurs d'emploi. Il s'agit de sensibiliser les conseillers emploi au travail avec des personnes porteuses de cultures différentes et d'articuler avantageusement ces différences au marché de l'emploi. Le principe est de permettre aux chercheurs d'emploi étrangers et d'origine étrangère le développement d'une attitude positive et offensive qui vise à mobiliser et à valoriser, sur un marché du travail encombré, ce qui leur paraît être original, pertinent et source de distinction dans l'ensemble de leurs caractéristiques personnelles. L'action consiste à accompagner l'éclosion d'initiatives professionnelles et de projets personnels. Il s'agit de mettre en œuvre une intervention participative et interactive de mise en condition sociopsychologique : il est non seulement possible, mais également efficient de valoriser son identité culturelle comme argument de distinction sur le marché du travail ou certains de ses segments (import/export, action sociale, actions interculturelles, coopération au développement, commerce de divers produits, métiers des langues, tourisme, transports, etc.). Un des effets de cette initiative est, par ailleurs, de contribuer au développement d'une culture au sein des organismes d'aide à l'insertion - et plus généralement au-delà - qui valorise l'identité et les projets des usagers d'origine diverse.
Vers une politique spécifique d'insertion professionnelle des personnes d'origine étrangère ?
Afin de dépasser le niveau des initiatives pilotes locales et la phase de l'expérimentation, un cadre institutionnel est nécessaire. Ainsi, les instruments majeurs de la Région wallonne (échelon fédératif francophone au sud de la Belgique) en matière de politique d'intégration des personnes étrangères et d'origine étrangère sont les 7 "Centres Régionaux d'Intégration" (CRI), créés et agréés suite au décret du 4 juillet 1996, concernant l'intégration des personnes issues de l'immigration, développent des activités de coordination, d'impulsion, d'encadrement et d'évaluation des projets et dispositifs locaux d'intégration sociale et professionnelle destinées aux communautés immigrées en Wallonie.
Dès 1997, les CRI ont défini, en commun, une politique d'actions régionales en faveur de l'insertion socioprofessionnelle des personnes étrangères ou d'origine étrangère. Les projets d'action des CRI s'inscrivent, dans leur ensemble, et jusqu'à l'an 2003, d'abord, dans le programme "PIC-EMPLOI" du Fond Social Européen (sous-programmes INTEGRA et NOW) et, en suite, dans le programme EQUAL du même fonds. Ces actions développées en synergie tant avec des organismes publics (FOREM) que des centres de recherches privés (IRFAM) visent la mise en oeuvre de systèmes de formation, d'orientation, de conseil et d'emploi ad hoc.
Les actions à développer dans ce cadre général tentent de réussir l'intégration socioprofessionnelle de personnes défavorisées dans les communautés urbaines wallonnes. Le concept d'intégration socioprofessionnelle est admis ici sous son sens le plus global, en tant que notion transversale et multidimensionnelle qui peut impliquer l'ensemble des facettes de la vie sociale et économique des personnes issues de l'immigration, installées dans les régions industrielles de la Wallonie. Ces actions se présentent dans un esprit de "recherche-développement" et se situent dans le cadre d'initiatives de "seconde ligne", à savoir des activités de coordination, de soutien, de mobilisation et d'évaluation de projets et dispositifs locaux de développement social, de formation et d'accompagnement des personnes d'origine étrangère. Le travail des CRI concerne donc quasi exclusivement les institutions, les associations et les travailleurs socioculturels de "première ligne", actifs dans le domaine de l'accueil et de l'insertion socioprofessionnelle des groupes issus de l'immigration. Ces actions répondent à trois priorités politiques : l'insertion socioprofessionnelle du public d'origine étrangère ; la formation des professionnels en contact avec ce public ; l'accompagnement de dispositifs locaux visant l'intégration de ce même public. Les actions envisagées tirent ainsi leur inspiration de quatre postulats de base, nourris par une observation et une expérience approfondies du contexte migratoire wallon.
Premièrement, il semble absolument nécessaire de rompre avec un certain esprit d'assistanat qui a trop souvent caractérisé par le passé les politiques d'intégration des populations issues de l'immigration. Le pari de l'intégration doit à présent reposer sur une prise de conscience et une dynamisation identitaires qui doivent permettre au public concerné de valoriser ses expériences et compétences particulières (notamment liées à la culture d'origine) dans le cadre de projets d'insertion axés vers la société d'accueil. Il s'agit donc d'impliquer le public et ses multiples regroupements à la conception et à la mise en oeuvre des politiques sociales et économiques : à travers ce contexte de négociation - dont les CRI peuvent constituer un des chaînons les plus actifs -, il s'agit de permettre aux travailleurs de valoriser leurs potentialités (pédagogie du projet socioprofessionnel).
Deuxièmement, les institutions appelées faciliter l'intégration générale et socioprofessionnelle des personnes d'origine étrangère semblent peu adaptées aux besoins spécifiques des populations récemment installées en Wallonie. Une partie importante de ces institutions sont du reste en demande de services ad hoc d'information, de sensibilisation et de formation (à la transaction interculturelle, à la transversalité des pratiques professionnelles,…).
Troisièmement, la trajectoire d'insertion économique apparaît trop souvent comme un parcours d'obstacles tant les différentes institutions que traverse ce chemin semblent cloisonnées entre elles. En effet, il s'agit d'accentuer la continuité et la coordination entre les services de première accueil ou les services sociaux généraux, les institutions d'enseignement, de préformation et de formation professionnelle, le monde du travail et ses multiples structures et, enfin, l'entreprise elle-même, afin de construire collectivement l'insertion économique et la stabilité socioprofessionnelle des personnes issues de l'immigration.
Enfin, quatrièmement, et de manière corollaire par rapport aux trois premiers postulats, il apparaît nécessaire de dynamiser et de généraliser la mobilisation et la solidarité qui caractérisent certaines communautés issues de l'immigration. A titre d'exemple, une des prépositions d'action formulées par certains CRI est la mise en place d'un système de tutorat professionnel (formation et accompagnement de relais locaux dans le monde du travail) sensé répondre au manque d'introduction des individus dans le monde du travail belge - dont souffrent généralement les jeunes issus des familles immigrées assez récemment.
Chacun des CRI tente de mettre en oeuvre une série d'initiatives concrètes et coordonnées en fonction des priorités politiques et postulats sociologiques présentés. Une comparabilité et une complémentarité est organisée entre les différentes initiatives locales. Cependant, si un même esprit réunit les différents projets portés par les CRI, la figure des opérations prend une coloration différente en fonction des réalités locales. Ainsi, les régions dans lesquelles les Centres s'inscrivent ont une histoire sociale et institutionnelle différentes, elles renvoient à des réalités économiques et politiques contrastées. Les différents CRI disposent par ailleurs d'organes divers et d'un personnel sensible à l'adéquation entre la philosophie des mesures politiques générales et les attentes et besoins locaux. La bibliographie signale en fin d'article une série de publications internes à ces structures et à la Région wallonne qui peuvent documenter le lecteur avec plus de détails.
La tentative de lecture transversale des actions d'insertion socioprofessionnelle des CRI permet de développer un point de vue global sur les réalisations de ces centres. Les CRI semblent avoir bien identifié leurs rôles de dynamisation locale (coordination), institutionnelle (formation) et interculturelle (valorisation), même si tous ne développent pas encore des actions significatives dans chacun de ces champs. Si les centres définissent bien leurs rôles et objectifs, il se dégage des réalisations une impression de flou, pour une part explicable par des facteurs administratifs, extérieurs aux centres (flou du décret de 1996, etc.) et largement compréhensible eu égard à la logique d'expérimentation dans laquelle ces centres sont engagés. Ce manque de précision apparaît en particulier à travers les difficultés de positionnement des CRI par rapport aux polarités suivantes : Première ligne ou seconde ligne ? Insertion socioprofessionnelle ou intégration générale ? Travail localisé ou "transrégionalité" ? Etc. Une autre des interrogations concerne la participation des personnes et association issues de l'immigration à la vie et aux travaux de certains de ces centres. Toutefois les initiatives des CRI en matière d'emploi sont souvent l'occasion de nouvelles dynamiques et de partenariats originaux susceptible d'innover utilement certaines approches généralistes manquant de créativité face aux problématiques d'emploi spécifiques posées par les populations issus de l'immigration.
Une illustration de cette nouvelle dynamique est donnée par le projet "VITAR" (Valorisation Identitaire, Transfert, Autonomie, Réalisations" mené conjointement par l'IRFAM, le Ministère de l'Action sociale de la Région wallonne et des CRI (Gatugu, Manço et Amoranitis, 2001). Le projet VITAR est une recherche-action-formation dans le domaine de l'intégration socioéconomique des immigrés originaires de l'Afrique. L'hypothèse centrale qu'il s'agit d'éprouver est que l'insertion socioprofessionnelle d'un certain nombre d'immigrants est possible grâce à la valorisation de leurs compétences diverses dans des secteurs d'emploi comme l'action interculturelle, la coopération au développement et la création d'entreprise. Ainsi, il est envisagé par les partenaires d'identifier, à partir de recherches préliminaires, les profils des personnes africaines à valoriser dans le cadre d'activités professionnelles liées aux échanges et relations internationales et à la création d'entreprises. Le travail consiste à former, à superviser et à accompagner des stagiaires sélectionnés au sein des contextes d'emploi liés aux relations, notamment, économiques, entre la Région wallonne et des Etats ou des régions et les populations de l'Afrique noire. Par ailleurs, il est important que les modalités du fonctionnement mises en œuvre par l'ensemble des partenaires soient verbalisées et transmises vers les organismes et entreprises avec qui le projet sera mené et ce, dans un souci de dissémination des nouvelles pratiques d'insertion et de valorisation des travailleurs d'origine étrangère. L'objectif final est ainsi la création en Wallonie d'une agence de développement et de transfert de compétences.

Notes :
Bibliographie
AYCAN Z. (1999), "Effects of workforce integration on immigrant's psychosociological well-being and adaptation", Turkish Journal of Psychology, v. XIV, n° 43, p. 17-33.
BERRY J. W. (1987), "Comparative studies of acculturative stress", International Migration Review, v. XXI, p. 491-511.
BOURHIS R. Y. et LEYENS J.-P. (1994), Stéréotypes, discriminations et relations intergroupes, Liège, Mardaga.
BRION F., MANÇO U. (1999), Muslim voices in the European Union : Belgian country report, Bruxelles, Centre d'études sociologiques des Facultés Universitaires Saint-Louis de Bruxelles.
CASTELAIN-KINET F., ES SAFI L. et al. (1997), Discrimination à l'embauche, Bruxelles, S.S.T.C.
CENTRE D'ACTION INTERCULTURELLE (CAI) (1998), Les dispositifs institutionnels en matière d'intégration des personnes étrangères en Région Wallonne : le décor et les acteurs, Les Rencontres du Vendredi, 27 novembre 1998, SEDS, CAI, Namur.
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FEDERATION DES CENTRES REGIONAUX D'INTEGRATION (FECRI) (1999), "Le point sur les programmes d'insertion socioprofessionnelle mis sur pied par les Centres Régionaux d'Intégration et leur cellule d'appui", Osmoses, n° 10, Namur.
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