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Blaise Sary Ngoy

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LES ARTICLES DE L'AUTEUR

La question foncière dans l'Est de la République démocratique du Congo

LA QUESTION FONCIERE DANS L'EST DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO"
Augustin Ngalusay
Chef des Travaux, Université Pédagogique Nationale

Résumé
Il y a longtemps que les richesses de la République Démocratique du Congo ont attiré la convoitise de ses voisins et bien même les autres Pays du monde.
Cette convoitise s'est fait tant sur le plan interne qu'externe et a conduit à une exploitation illégale des ressources naturelles qui a eu des conséquences sur le plan sécuritaire.
La République Démocratique du Congo est dotée d'une abondance des ressources minérales rares du Nord-est au Sud-est du Pays (Coltan, diamant, or, cuivre, cobalt, zinc, manganèse, etc.) de ressources forestières et de la faune (gorille, okapi,....) très riches et de l'agriculture (café, thé, tabac,...)
Malgré les potentialités de la RDC, le peuple congolais vit dans une situation très angoissante et dans une grande pauvreté.
Global WITNESS, dans son rapport titré : "la paix sous tension : dangereux et illicite commerce de la cassitérite dans l'Est de la RDC", démontre que la RDC est un pays doté des richesses naturelles extraordinaires, mais dont la population n'a jamais profité. Il relève ensuite que la RDC a été au centre d'un phénomène qualifié de "guerre mondiale africaine". Ses analyses montrent que les motivations de cette guerre étaient non seulement politiques et/ou ethniques, mais aussi économiques. Ce rapport montre ensuite que les principales batailles comme celles de la prise de Kisangani, une zone riche en diamants a été motivées par la présence des ressources naturelles.
Le GRIP, dans son ouvrage portant sur "médias et conflit : vecteur de guerre ou acteur de la paix" relève aussi que, malgré la richesse des ressources naturelles (cuivre, cobalt, diamant, pétrole, uranium, coltan, or, etc.) Et ses potentialités hydroélectriques et agricoles (café, thé, huile de palme, coton, etc.), la RDC fait partie des pays moins avancés de la planète. Il constate que tous les acteurs impliqués dans le pillage des ressources naturelles en RDC exploitent illégalement les ressources naturelles pour alimenter leur effort de guerre, ce qui rend difficile la recherche de solution pacifique.
Yves LACOSTE, dans son ouvrage intitulé "de la géographie aux paysages", met l'accent sur le fait que l'environnement dans toutes ses dimensions est stratégique et de ce fait, la prise de conscience des limites des ressources de la planète, il relève que sa structuration entraîne des attitudes conflictuelles de la part de certains Etats. Ceux-là qui considèrent toute tentative de réclamation commune comme une atteinte à leur souveraineté. La convoitise suscitée par les richesses minières de la RDC plonge le pays dans une guerre des ressources.
Notre travail se démarque de ces autres précédents par le fait qu'il analyse toutes les conséquences de l'exploitation illégale des ressources de la RDC par ces voisins. Il s'agit d'étudier les ressources naturelles convoitées et pillées, d'identifier les acteurs impliqués dans ce pillage.
Introduction
La RDC est péniblement en train de sortir d'une décennie de guerres. Ces guerres ont non seulement causé des millions de morts, mais aussi poussée sur les routes des centaines des milliers des personnes. D'après un rapport de OCHA de 2005, il y aurait plus de 2 millions de déplacés en RDC dont plus de trois quart à l'Est du pays. Malgré l'arrêt des hostilités, il y a près de deux ans, on dénonce encore dans cette partie du pays des violations massives des droits de l'homme, spécialement dans les campagnes. L'insécurité qu'y font régner les milices locales et les bandes armées étrangères, sont à l'origine d'un exode rural massif dont l'ampleur n'est pas encore mise en évidence. D'aucuns considèrent qu'à l'origine des conflits à l'Est de la RDC et particulièrement au Kivu et en Ituri, il y a un problème foncier. Ce problème est présenté en termes de déséquilibre entre les besoins fonciers des populations et les disponibilités foncières. La compétition autour des ressources foncières devenues de plus en plus rares expliquerait les conflits récurrents dans ces régions. Sans récuser a priori ce rapport déterministe, nous allons dans le présent article examiné une autre hypothèse complémentaire à savoir que le problème foncier à l'Est de la RDC se pose fondamentalement en terme de gestion, c'est-à-dire de statut juridique des exploitants d'une part, de cadre institutionnel de gestion de l'autre. Schématiquement, on pourrait présenter comme suit la crise des rapports socio-fonciers à l'Est de la RDC : La solution légale qui met en rapport la paysannerie avec l'administration foncière, est jusqu'à ce jour ineffective et inefficace. Pour accéder à la terre et/ou sécuriser leurs possessions les paysans opèrent selon le droit coutumier local et s'adresse comme autrefois aux autorités coutumières. Celles-ci se considèrent comme revêtus de compétences en matière foncière alors que la loi les a exclues des rangs des autorités foncières. Elles sont ainsi continuellement aux prises avec l'administration foncière qui leur conteste toute compétence en ce domaine. La vénalité des chefs coutumiers le conduit assez souvent à des spoliations paysannes au profit des bourgeoisies urbaines lesquelles entretiennent des rapports de complicité avec ces autorités. Ces bourgeoisies sont par ailleurs les seules à pouvoir mobiliser le droit positif et à diligenter l'enregistrement des
terres à travers les méandres de l'administration. Pour apporter la preuve de la mise en valeur des concessions acquises, ces bourgeoisies urbaines proposent des contrats précaires aux paysans dont les terres ne suffisent plus à la subsistance des familles. En contrepartie, les paysans fournissent selon le cas des prestations en travail non rémunérées ou payent des redevances en nature ou en argent. Apparaissent ainsi trois champs de relations conflictuelles autour de l'enjeu foncier : les rapports autorités foncières et autorités coutumières ; les rapports entre l'administration foncière et les autorités coutumières ; les rapports entre les autorités coutumières et les paysans ; et les rapports entre les bourgeoisies urbaines et les paysans. C'est au-dedans de ce triple champ relationnel que se noue la crise foncière à l'Est de la RDC, laquelle présente un profil singulier en fonction des caractéristiques propres à chaque milieu et de la trajectoire particulière de chaque entité traditionnelle. Cette crise étant donc plurielle, les solutions envisagées doivent tenir compte des spécificités locales. Les réponses légales actuelles qui imposent un schéma uniforme et univoque, ne sont manifestement pas adéquates au regard de la prolifération des conflits fonciers et des pratiques en marge de la loi.
Tour à tour nous présenterons dans ce chapitre les aspects généraux de la problématique foncière en RDC, les problèmes particuliers observables à l'Est de ce pays ; et enfin, des arguments pour une réforme de la législation et une décentralisation de la gestion foncière.
I. Le problème foncier en RDC : aspects généraux
Le sol, dispose l'article 53 de la loi du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l'État. Par cette disposition, l'État congolais a nationalisé le sol, mettant ainsi un terme d'une part au régime de la propriété foncière, d'autre part à la distinction entre terres domaniales et terres indigènes, consacrés par le législateur colonial. L'article 385 de la loi ici évoquée dispose en effet que "les terres occupées par les communautés locales deviennent à partir de l'entrée en vigueur de la présente loi des terres domaniales".
I.1. Nationalisation du sol et précarité des droits de jouissance
L'exercice des droits sur le sol est, aux termes de la loi, assujetti à l'obtention d'un Certificat d'enregistrement. Selon le cas, ce certificat confère un droit de jouissance perpétuel ou temporaire appelé concession perpétuelle ou ordinaire. La concession perpétuelle n'est accessible qu'aux congolais personnes physiques. Les étrangers et les personnes morales ne peuvent accéder qu'à la concession ordinaire, dont la durée ne peut dépasser 25 ans. Cette dernière est toutefois renouvelable au gré de l'État. En cas de non renouvellement, la loi prévoit dans certaines hypothèses (emphytéose, superficie), une indemnité pour le concessionnaire. Celle-ci ne peut dépasser le 3/4 de la valeur actuelle et intrinsèque des immeubles incorporés au fonds. Le sol, propriété de l'État, est géré par les administrations publiques. Des fonctionnaires investis de la qualité de conservateur de titres immobiliers délivrent aux particuliers des certificats d'enregistrement dans leurs circonscriptions foncières respectives. La compétence pour décider de l'attribution d'un terrain varie toutefois en fonction de la superficie et de la localisation du terrain sollicité. Sont habilités à attribuer une concession, selon le cas : le Parlement, le Président de la République, le Ministre des Affaires Foncières, le Gouverneur de Province et le Conservateur des Titres Immobiliers.
Deux ans après l'établissement du certificat d'enregistrement, celui-ci devient inattaquable. Les actions dirigées contre lui ne peuvent être qu'en dommages et intérêts, quand bien même celui-ci serait obtenu par erreur, par surprise ou par fraude. Pénalement toutefois, le titulaire d'un certificat obtenu par fraude peut être poursuivi pour faux en écriture et la destruction de tel certificat peut être ordonnée par le Juge. La loi sanctionne par ailleurs d'une peine de prison (2 à 6 mois de servitude pénale et 50 à 500 francs congolais d'amende), tout acte d'usage et de jouissance d'une terre qui n'est pas fondé sur un titre régulier. Elle sanctionne de façon particulièrement sévère (6 mois à 5 ans de servitude pénale ou 50 à 300 zaïres d'amende) tout contrat de concession conclu en violation de ses dispositions impératives ou contraire aux dispositions d'ordre urbanistique. En d'autres mots, l'occupation illicite d'un terrain de même que l'usurpation des fonctions en matière foncière sont réprimés. L'inaccessibilité (physique, juridique ou financière) des services intervenant dans la procédure d'acquisition des titres fonciers place de fractions très importantes de la population sous le coup des incriminations évoquées ci-dessus.
I.2. Prédominance des pratiques en marge de la loi
"Pour les localités érigées en circonscriptions urbaines, le Président de la République ou son délégué fait dresser un plan parcellaire des terrains à concéder", dispose l'article 63 de la loi du 20 juillet 1973. Dans les provinces,
les gouverneurs sont délégués pour établir les plans parcellaires. Un terrain qui ne fait pas partie d'un plan parcellaire ne peut être mis sur le marché et concédé que par un Arrêté spécial du Gouverneur de Province (Art. 5, ordonnance du 02 juillet 1974). Ces dispositions sont souvent ignorées tant des administrations foncières que des autorités territoriales locales (Maires, Bourgmestres, Administrateurs de territoire, chefs de chefferie, de secteur, de groupement, de localité), lesquelles, selon le cas, "régularisent" des situations contraires à la loi ou tout simplement attribuent sans en avoir la compétence des droits sur des parcelles et délivrent des "titres" (les fiches parcellaires). Ces pratiques sont tellement répandues travers le pays qu'elles ont fini par avoir une certaine légitimité, mieux une efficacité symbolique. Les attributions de terrain par les autorités locales sur des sites non lotis et non aménagés et les morcellements multiples des parcelles détenues en vertu des fiches parcellaires sont responsables des constructions anarchiques et de nombreux conflits fonciers urbains.
Bref, les pratiques administratives et populaires mettent plus ou moins en échec la loi du 20 juillet 1973 portant notamment régime foncier et immobilier. Ces pratiques posent particulièrement un problème en ce qui concerne d'une part la valeur juridique, c'est-à-dire les effets liés à ces "titres" qui sont abusivement délivrés aux populations par des autorités incompétences, d'autre part l'application des sanctions. Un fait s'impose à l'observation : les pratiques foncières en marge de la loi prédominent en milieu urbain et elles ne sont point sanctionnées. L'article 65 de la loi dite foncière dispose par ailleurs que les terrains sont concédés sous réserve des droits des tiers. Un problème se pose à cet égard en cas d'extension des villes et de création de nouvelles cités. Ces situations s'accompagnent généralement des contestations, car elles portent atteinte aux droits coutumiers des populations locales. La question est ici de savoir si des droits coutumiers peuvent être exercés sur des terres devenues urbaines. D'autre part, lors de la création d'un marché foncier, en l'absence d'une expropriation préalable, les droits coutumiers restent-ils intacts sur les différents lots faisant partie du plan parcellaire ? Les opérations foncières consécutives au changement du statut administratif des zones rurales ne semblent assez souvent obéir à aucune logique juridique. Deux modalités
peuvent être observées : soit une intervention autoritaire, soit une opération négociée. Quoi qu'il en soit, la pratique en ce domaine aussi est en marge de la loi foncière.
I.3. Ambiguïté du statut des terres rurales
Les terres rurales forment une catégorie résiduelle. La loi définit les terres urbaines comme celles qui sont situées dans les circonscriptions urbaines. Toutes les autres sont rurales. Parmi celles-ci, il y a lieu de distinguer les terres concédées, les terres affectées au domaine public et les terres occupées par les communautés locales. Ces dernières, qualifiées de terres indigènes dans la législation coloniale, étaient régies par les coutumes locales et gérées par les autorités coutumières. Elles étaient la propriété des communautés indigènes. Aux termes de l'article 387 de la loi dite foncière, "les terres occupées par les communautés locales deviennent à partir de la promulgation de la présente loi des terres domaniales". Elles font désormais partie du domaine foncier privé de l'État. En déterminant les compétences en matière foncière, la loi a expressément écarté les autorités coutumières du rang des gestionnaires de son domaine. Au regard de l'article 56 alinéa 2 de la loi qui dispose que les terres du domaine privé de l'État sont régies par la présente loi et ses mesures d'exécution, nous pouvons affirmer que les terres occupées par les communautés locales relèvent bel et bien de la loi du 20 juillet 1973 et qu'en conséquence nul ne peut se prévaloir des droits fonciers ou immobiliers sur elles, s'il n'est détenteur d'un certificat d'enregistrement (Art. 219).
L'Article 389 de la même loi dispose, pour sa part, que les droits de jouissance régulièrement acquis sur ces terres seront réglés par une ordonnance du Président de la République. La question que soulève cet article est de savoir si le législateur a voulu par cette disposition réserver le régime applicable à ces terres à une loi ultérieure. Si la réponse est affirmative, on pourrait alors soutenir avec la cour suprême de justice qu'en attendant l'ordonnance présidentielle promise, les droits de jouissance sur ces terres sont régis par le droit coutumier. Suivant cette position de la cour, ces terres ne relèveraient donc pas de la loi dite foncière. Elles sont régies par les coutumes locales et
gérées par les autorités coutumières. Cette interprétation reconduit en fait le dualisme juridique auquel la loi du 20 juillet 1973 a voulu mettre fin. Elle est en contradiction avec la lettre et l'esprit de la loi. Au demeurant, la même cour suprême de justice contredit cette position dans un autre arrêt où elle juge :
"en vertu de la loi foncière, toute règle coutumière en matière d'occupation des parcelles a été abrogée". Force est de constater que les droits des communautés locales sur les terres qu'elles occupent, sont indéterminés. L'équivoque se situe à trois niveaux :
1. au niveau du régime juridique de ces terres, c'est-à-dire des règles applicables à ces terres,
2. au niveau de l'autorité gestionnaire,
3. au niveau de la nature des droits des exploitants paysans
Hélas, la doctrine juridique congolaise n'arrive pas non plus lever l'équivoque.
Au-delà des considérations qui précèdent, les termes mêmes utilisés par le législateur sont sociologiquement équivoques. D'un côté, le concept de "communauté locale "n'a pas un contenu et un contour précis ; de l'autre, il est difficile de déterminer les "terres occupées par les communautés locales".
À propos de ces dernières, on s'interroge : s'agit-il de toutes les terres situées dans les limites des entités administratives rurales ? En d'autres mots, s'agit-il des terres revendiquées comme terres an seg t de clan, ou une famille élargie ? La loi précise à l'article 388 qu'il s'agit des terres que les "communautés locales habitent, cultivent ou exploitent d'une manière quelconque, individuelle ou collective, conformément aux coutumes et usages locaux".
Au sens de cette disposition, feraient partie des terres occupées par les communautés locales non seulement les terres actuellement mises en valeur par les membres desdites communautés (terres habitées et cultivées), mais aussi les terres en friche qui présentent une utilité pratique pour ces communautés : terres de jachère, terres servant à la chasse, à la pêche, à la recherche du bois de chauffage ou de construction, aux cérémonies d'initiation, … En somme, il s'agirait de toutes les terres non concédées et non affectées au domaine public, qui sont considérées par la communauté comme lui appartenant, des terres considérées comme l'héritage inaliénable des ancêtres.
I.4. Equivoque sur la nature des droits des ayants-droit coutumiers
Sur ces terres, la communauté représentée par le chef coutumier exerce un droit éminent. En disant communauté, on voit ici anthropologiquement non seulement les vivants mais aussi les morts, les ancêtres. Ce domaine éminent, réceptacle de vie et lieu de communion entre les ancêtres et les usagers actuels du sol est incessible, inaliénable, imprescriptible et insaisissable. Il a tous les caractères du domaine public, mais n'en sur ce domaine un droit collectif. L'usage et la jouissance des terres des communautés locales obéissent à des règles fixées par les communautés : les coutumes locales. Les droits de jouissance acquis régulièrement sur ces terres, dispose l'article 389, seront régis par une ordonnance du Président de la République. Jusqu'à ce jour, cette ordonnance n'existe pas. Se pose alors la question de la nature des d régulièrement sur les terres occupées par les communautés locales. Les droits de jouissance régulièrement acquis sur les terres des communautés locales sont théoriquement ceux qui ont été acquis dans le respect des conditions de fond et de forme prévues par les coutumes. Ces droits étant des droits patrimoniaux sont en principe cessibles, aliénables, prescriptibles et saisissables. Autrement privatifs sur les terres dont ils jouissent. Au regard de la loi du 22 févier 1977 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, il y a lieu de se demander lesquels de ces droits peuvent faire l'objet d'expropriation pour cause d'utilité publique. La loi dispose en effet : "sont susceptibles d'expropriation pour cause d'utilité publique les droits de jouissance des communautés locales sur les terres domaniales". S'agit-il des droits individuels sur le domaine collectif, dernier qui a été incorporé au domaine de l'État ? En d'autres mots, doit-on en cas d'expropriation indemniser la communauté pour les droits collectifs et les titulaires des droits de jouissance pour les droits privatifs ? La pratique montre que ce sont les droits privatifs qui sont pris en compte et de façon restrictive. Car ne sont indemnisés en cas d'expropriation que les immeubles par incorporation. La valeur foncière n'est pas indemnisée aux motifs que le sol appartient à l'État. Ceci revient en fait à nier aussi bien les droits collectifs des communautés locales sur leurs terres ancestrales que les droits de jouissance régulièrement acquis sur ces terres.
I.5. Méconnaissance des droits fonciers et forestiers des peuples autochtones et atteintes aux droits des populations riveraines des aires protégées
Le peuple pygmée et les populations riveraines des aires protégées posent des problèmes particuliers. Les pygmées, peuples non sédentarisés et vivant parfois à l'intérieur des forêts classées, sont quotidiennement en contradiction avec la loi sur la conservation de la nature laquelle interdit sans réserve toute activité
humaine à l'intérieur des aires protégées. Leur rapport au sol ne s'analyse pas en termes d'appropriation. Ils se meuvent dans l'espace forestier au gré des opportunités de chasse. Autant que les droits de jouissance des communautés locales, les droits des peuples autochtones pygmées sur les forêts dans lesquelles ils déploient leurs activités, sont indéterminés. La doctrine coloniale les qualifia sui generis. Certains juristes les qualifient de tolérance domaniale. Les populations riveraines des parcs et réserves protestent quant à elles contre l'affectation des parties de leurs territoires ancestraux au domaine public de l'État. En effet, la constitution et / ou l'extension des parcs se fait généralement en violation de la loi foncière qui dispose qu'en vue de sauvegarder les droits immobiliers des populations rurales, toutes transactions sur les terres rurales seront soumises à la procédure d'enquête préalable". D'aucuns s'interrogent sur la valeur de ces actes réglementaires pris en violation de la loi foncière et de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. Les effets juridiques liés ces actes inexistants selon certains soulèvent la controverse. Les problèmes généraux que pose la législation foncière et sa mise en œuvre en RDC, se déclinent de diverses façons dans les différentes provinces et occasionnent des conflits d'intensité variable. La partie Est de la RDC semble vivre plus douloureusement ces problèmes, car les conflits y sont devenus plus récurrents et extrêmement violents.
II. Les problèmes fonciers en RDC : aspects particuliers à l'Est
II.1. La question foncière en Ituri
Koen VLASSENROOT et Tim RAEYMAEKERS8 notent avec raison : "L'irruption de la violence en Ituri doit être comprise comme le résultat de l'exploitation par des acteurs locaux et régionaux d'un conflit politique local profondément enraciné autour de l'accès à la terre, aux ressources économiques disponibles et au pouvoir politique". Relativement à l'accès à la terre, les activités de RCN ont permis de mettre en évidence que le problème foncier e pénurie foncière ni un problème d'expropriation d'une communauté par une autre, encore moins un problème d'exclusion. Le problème foncier en Ituri apparaît en effet à la fois comme un problème idéologique, juridique et politique. Structuralement, il se décline en une opposition des titres mystiques (les droits ancestraux) à des titres fonciers modernes (le certificat d'enregistrement).
Structurellement, il se traduit dans une dualité administrative, les autorités traditionnelles continuant, par devers la législation, à jouer un rôle prépondérant dans la gestion des terres et l'arbitrage des conflits fonciers. Sur un plan plus politique, la question foncière apparaît comme un prétexte permettant de mettre en débat les déséquilibres actuels, réels ou supposés, dans l'occupation de l'espace administratif local, dans l'économie et dans la politique. En d'autre mots, par le truchement de la question foncière, il y aurait revendication d'un rapport plus équilibré entre les communautés de l'Ituri. Dans ce contexte de relations sociales retour de déplacés de guerre récente va davantage compliquer la situation. Trois types de cas de figure ont été répertoriés :
1. Des per maintenant que la paix est revenue, mais trouvent ces terres occupées par d'autres.
2. Des personnes ont abandonné leurs terres et occupent des terres appartenant à d'autres déplacés. Ces personnes toutefois ne veulent plus retourner chez elles estimant que le milieu est encore hostile. Quel sera le sort des terres délaissées par elles ?
3. Des éleveurs déplacés par des agriculteurs. Ils peuvent toutefois accéder à leurs parcelles résidentielles. Par ailleurs, la création des cités de Bunia, Mahagi et Aru et le développement des Centres de négoce (Ariwara, Kobu, Mahagi port, …) sans expropriation préalable des droits des communautés locales est source d'incertitudes foncières et de conflits.
II.2. La question foncière au Nord-Kivu
On ne saurait traiter de la question foncière au Nord-Kivu sans évoquer deux événements majeurs : le transfert des populations dans le cadre de la mission d'immigration des Banyarwanda (MIB) et la création du Parc National de Virunga (PNVi). En effet, pour favoriser la colonisation de vastes zones propices à l'élevage et à l'agriculture au Nord-Kivu, le pouvoir colonial entreprit de déplacer des familles Banyarwanda du Rwanda vers le Nord-Kivu, spécialement dans le Masisi. D'après la littérature, près de 100.000 familles furent déplacées du Rwanda et réinstallées au Nord-Kivu. La prise en charge administrative de ces populations requit la création d'une entité administrative à la tête de laquelle fut placé un prince du Rwanda, M. Bucanayandi. Cette entité constituée sur des terres rachetées par la colonie aux communautés autochtones devint assez vite l'objet de graves controverses entre les leaders
des déplacés et les autorités traditionnelles locales, si bien que l'autorité coloniale dut supprimer cette chefferie dite chefferie de Gishari (Kishali, selon la tribu Hunde).
D'un point de vue politique, le Gishari passait pour un territoire conquis par le "souverain" rwandais au détriment de la communauté et de l'autorité politique hunde. Au-delà toutefois de cette lecture, il y a un problème foncier qui fonde et explique les relations tendues qui ont existé et existent entre les populations déplacées que tendancieusement on qualifie de "transplantés", et les populations "originaires" de la zone. Le système foncier traditionnel était en effet organisé de manière à faire participer tout le monde à un réseau de relations au-dedans duquel les uns et le contractaient réciproquement des obligations. Le système foncier et les transactions sur le bétail créaient un système de dépendances personnelles qui assurait à la société sa cohésion et sa reproduction. En raison de ces dépendances personnelles, la structure de la société était pyramidale, le sommet étant occupé par le Mwami à la dignité de qui participaient à des degrés divers des "notables", la base étant constituée de petits paysans assujettis. Les familles réinstallées au Nord-Kivu par la MIB10, n'ont pas participé à ces mécanismes sociaux d'intégration des migrants. Elles ont évolué parallèlement à l'organisation sociale locale. Pour se mettre à l'abri des incertitudes que représentaient pour elles les autorités coutumières locales, ont saisi l'opportunité de la réforme foncière de 1973 pour accéder à des titres fonciers protégés par la loi. Ainsi, pensaient-elles faire échec aux tentatives de spoliation par les chefs locaux lesquels avaient tendance à leur contester les droits qu'elles exerçaient sur le sol du fait du pouvoir colonial. Systématiquement, elles avaient gain de cause devant les tribunaux, fort de leurs certificats d'enregistrement. Les "autochtones" en étaient frustrés. La création du PNVi avait eu par ailleurs pour effet pendant la même période non seulement de réduire les disponibilités foncières, mais aussi de contraindre au déplacement de communautés ou des parties de communautés, les plaçant ainsi sous la dépendance politique et foncière des communautés d'accueil.
La mise en œuvre de la politique de la "zaïrianisation" a, pour sa part, par l'engouement suscité pour l'activité pastorale, conduit à un déséquilibre dans l'occupation spatiale. L'élevage qui est essentiellement le fait des élites politiques, bureautiques et commerçantes, occupe des espaces de plus en plus importants, alors que les exploitations agricoles paysannes sont de plus en plus morcelées en raison d'une démographie particulièrement galopante.
La croissance rapide de la population est, parait-il, due non seulement à l'élévation de taux de natalité et la diminution des taux de mortalité, mais aussi à l'existence des réseaux de migration clandestine, les familles réinstallées par la MIB ayant gardé des connexions dans leurs v Rwanda. Les migrants des années 60, 70 et 80, profitant de la vénalité des chefs locaux, acquerraient aussi des terres lesquelles étaient parfois, si pas souvent, le résultat d'une spoliation paysanne.
Sous le prétexte de l'accaparement des terres ancestrales des communautés dites autochtones par les immigrés, de l'usurpation par ces derniers du quota politique des premiers et de leur tendance à investir les appareils locaux (administratifs, économiques, …) au détriment des "autochtones", ceux-ci contestent leur nationalité, espérant ainsi les disqualifier non seulement du jeu politique mais surtout du droit au sol. En fait, les contradictions d'intérêts au plan foncier entre les diverses é, catégories sociales locales sont occultées par la question de la nationalité laquelle est posée de plus en plus sans faire les distinctions qui s'impose, bi polarisant ainsi le Nord-Kivu en deux blocs antagonistes : les rwandophones (ou G2) et les autochtones (ou G7). Ces identités de combat sont toutefois des constructions opportunistes, car à l'intérieur de chaque bloc, les divergences et oppositions d'intérêt sont très significatives.
En soutenant qu'il existe au Nord-Kivu des contradictions sociales et foncières profondes qu'occulte la question de la nationalité, nous voulons mettre en évidence le fait qu'au-delà du leitmotiv commun sur la prétendue nationalité
usurpée des rwandophones, les diverses catégories sociales dites autochtones ont des intérêts foncières, contradictoires que tous espèrent néanmoins servir, si les immigrés Banyarwanda sont rapatriés au Rwanda.
En effet, les nouvelles élites (fonctionnaires, commerçants, politiciens,…) espèrent non seulement éliminer des concurrents politiques mais aussi récupérer les concessions de ces derniers pour nouer avec les paysans des rapports clientélistes via des contrats de métayage. Ces paysans constituent du reste pour les élites politiques une base électorale. Les chefs coutumiers espèrent quant à eux récupérer des terres pour reproduire des rapports de dépendance personnelle avec les paysans. Ces derniers espèrent pour leur part de nouvelles disponibilités foncières.
Outre la contestation de la nationalité des rwandophones, les limites du PNVi sont de plus en plus remises en cause. Les chefs locaux et certains parmi les élites locales ont tendance à dualiser les intérêts des populations et la conservation. Suggérant une articulation simpliste, ils établissent une relation de cause à effet entre les expropriations effectuées au profit du PNVi et la pauvreté rurale dans la région.
Les populations paupérisées et n'ayant guère d'autres choix, se rabattraient sur les ressources du parc que protège une législation très rigoureuse et restrictive et une pratique administrative extrêmement policière ; ce qui conduit à un état permanent de conflit entre l'autorité gestionnaire du parc (l'ICCN) et les populations riveraines de celui-ci.
Plus récemment, des déplacés Banyarwanda rentrés du Rwanda ont occupé une partie disputée du parc appelée "zone tampon", rajoutant encore à la complexité de la question foncière au Nord-Kivu.
II.3. La question foncière au Sud-Kivu
À la différence de l'Ituri et du Nord-Kivu où la question foncière est politisée et oppose des communautés, la problématique foncière au Sud-Kivu se décline d'une part en une transition foncière inorganisée, d'autre part en une opposition d'intérêts entre l'État et les populations locales autour de la conservation de la nature. Les stratégies d'accumulation foncière des élites participent aussi à l'aggravation de la crise foncière au Sud-Kivu.
1. Une transition foncière inorganisée
Les problèmes liés à la transition foncière s'observent à trois niveaux essentiellement : au plan du contenu matériel des contrats fonciers, au plan des pratiques foncières et au plan des rapports fonciers intra claniques.
Dans le Bushi, le contrat foncier traditionnel, qui est au sens de Max Weber un contrat de fraternisation, se transforme en contrat fonction entraînant des malentendus et conflits.
Pour empêcher l'enregistrement des terres par les paysans et freiner leur émancipation, les autorités coutumières du Bushi ont imaginé des formules très originales16 qui accroissent la sécurité juridique des tenants fonciers tout en préservant le statut social. Ces formules certes intéressantes ne rencontrent malheureusement pas les faveurs de la majorité de la population rurale. Les paysans préfèrent en effet conclure des conventions particulières assorties de garanties différentes de celles qu'offrent les titres fonciers coutumiers, mais tout aussi efficaces. En réinventant à leur manière le contrat foncier traditionnel (kalinzi), les paysans en évacuent ce qui en est le plus substantiel, à savoir la dépendance personnelle illimitée dans le temps qu'il établissait originellement. En d'autres mots, ils en font une simple vente. C'est ce refoulement des relations "fraternelles" par des relations commerciales, celui des contrats-statuts par des contrats-fonctions qui nous semble être responsable du développement actuel des conflits fonciers dans le Bushi. En effet, si les formules nouvelles proposées par l'autorité coutumière lui permettent de protéger sa position sociale, elles maintiennent par contre le paysan dans un rapport social et surtout économique défavorable, dont il essaie à son tour de s'affranchir à travers des pratiques contractuelles originales. Les conflits qui résultent de cette dynamique d'émancipation "versus" assujettissement, cristallisent deux positions et deux adversaires : les
autorités coutumières d'une part, les paysans de l'autre. Les autorités coutumières développent un discours conservateur "Aujourd'hui, déploraient les conseillers du Mwami Kabare, pratique de vendre la terre. En principe, lorsqu'on voudrait aller ailleurs, on devrait s'en aller sans revendre parce qu'un autre peut avoir besoin d'une place pour construire et cultiver". À propos du titre foncier coutumier, les mêmes conseillers du Mwami ont cru devoir apporter les précisions suivantes : "tant qu'on n'a pas le titre foncier de l'État, on dépend encore du Mwami. C'est au fond pour mettre fin aux litiges éventuels qu'on établit le titre foncier coutumier. Une fois le titre foncier établi, les limites d'un terrain sont connues. Si un voisin se plaint, on sait facilement reconnaître les limites. Toutefois, le titre foncier coutumier ne signifie pas que la terre concernée ne dépend plus du Mwami. Quand il marie sa fille, vous pouvez lui amener de la bière, mais il ne vous oblige pas".
En fait, le caractère libératoire du titre foncier coutumier (bugule) ne cesse d'inquiéter les autorités traditionnelles. Ainsi tentent-ils de le réinterpréter et de réduire sa portée juridique à la simple garantie contre les tentatives d'éviction ou d'empiétement. La préoccupation semble manifestement de l'assortir encore d'une obligation de loyauté vis-à-vis des autorités foncières traditionnelles. Cette obligation se matérialise en effet de diverses manières à l Les paysans par contre développent un discours résolument novateur. Non seulement, ils réifient le foncier en s'estimant en droit de vendre leurs terres selon les modalités qui leur conviennent, mais en plus ils réinterprètent les statuts sociaux. "Le Mwami, nous a expliqué le catéchiste de Mwanda, est là. Il a son titre et on le respecte. Il a ses biens qu'il gère comme bien familial. Comme moi aussi, je n'ai pas le vendre à qui il veut. Donc aujourd'hui, le Mwami n'a plus le pouvoir de décider sur les champs qui appartiennent à ses soi-disant sujets lesquels ne sont plus en réalité ses sujets, parce qu'il ne peut plus commander" interview à Mwanda, janvier 1995). À propos des autorités foncières de niveau inférieur au Mwami, le même informateur a exposé : "dans le cadre foncier, il est supposé que le Mwambali (le sujet) a moins que celui qui lui a donné. Mais il arrive maintenant qu'il ait plus. C'est ça le problème que nous avons maintenant : les chefs fonciers traditionnels ont tout vendu. On continue cep gens leurs "Wambali" (pluriel du Mwambali = sujet),
mais concrètement ils ne sont plus chefs. Au fond, le Mwambali aujourd'hui, ça n'a plus de sens. Dans le temps, cela signifiait : le chef peut vous appeler pour faire des travaux ou assurer la garde chez lui. Aujourd'hui, il ne peut plus". Cette opposition des conceptions sur la nature juridique actuelle du contrat foncier traditionnel (kalinzi) est une caractéristique crise des rapports sociaux en milieu rural du Bushi. Elle constitue la trame de la plupart des conflits fonciers ruraux. On peut dire en conséquence qu'au-delà des conflits individuels, il y a une crise de structure dans la société rurale : cette crise est rendue visible spécialement par les conflits fonciers. Il est cependant évident que le contrat foncier traditionnel (kalinzi) a subi de profondes mutations que les tribunaux coutumiers et les autorités foncières - ces dernières sont souvent témoins des transactions ont légitimées. Il ne créé plus en effet un lien social quelconque. Il confère tout simplement un droit sur le sol, un droit absolu et exclusif. Par ailleurs, la légitimité des structures d'autorité et du système des privilèges n'est plus fondée sur le kalinzi. Toutefois la réification du kalinzi n'est pas à ce jour un processus achevé. Les rapports contractuels tendent ainsi à cristalliser de nouvelles structures au contact de leur environnement politique, économique et juridique. Le libellé sommaire des conventions permet de les reconstruire sans cesse en fonction des exigences de l'environnement et de nouveaux rapports de force.
Les contrats conférant un droit d'usage précaire sont les plus pratiqués à ce jour et permettent la reproduction des rapports quasi-féodaux sur des terres acquises en vertu du droit moderne.
Contrairement à la période coloniale et précoloniale, où les relations foncières étaient fondées essentiellement sur le kalinzi le souci des parties à la transaction étant plus de créer des liens sociaux que de transférer la "propriété" grande importance dans le système foncier coutumier. Les chefs, en effet, ne donnent plus de terres à titre perpétuel ; ils les vendent au plus offrant, ou les mettent en valeur soit directement, soit en accordant des contrats précaires aux paysans. Le morcellement continu des terres paysannes, du fait notamment des partages successoraux, a par ailleurs entraîné la conséquence que les familles ne disposent plus d'espaces suffisants pour assurer leur subsistance. Elles sont obligées de solliciter des parcelles à cultiver auprès des "gros propriétaires", notables coutumiers et concessionnaires. Ce système de contrats précaires permet aux propriétaires de plantations de bénéficier d'une main d'œuvre gratuite, se font de manière intercalaire, en association avec les cultures arbustives. Lorsque le contrat porte toutefois sur
un terrain non couvert par les arbres, le bénéficiaire s'engage à fournir hebdomadairement une journée de travail au propriétaire du fonds (Burhabale). Le développement des cultures maraîchères (mboga) en croissance de la demande urbaine, a fait des marais drainés les terres de prédilection pour le contrat précaire. Les terres de marais présentent en effet un tel intérêt économique que les propriétaires, en principe les chefs coutumiers locaux, ont cessé d'en autoriser la jouissance gratuite (obuhashe). "À Nyangezi", écrit H. Dupriez, "pour garantir leur parcelle dans le marais de Nyamubanda, à chaque campagne, les paysans doivent payer le "ntumulo", tribut en nature, au chef local. À Burhale, en 1985, chaque paysan cultivant dans le marais d'Ibere a dû payer 60 zaïres au chef local. Notons que la plupart des paysans du groupement de Burhale ont un lopin dans ce marais. À Nduba, c'est le chef qui accorde les parcelles dans le marais de Mubimbi. En retour, les gens lui donnent une partie de leur récolte (ntumulo). À Kaziba, on ne peut avoir accès à une terre dans la vallée de Luzinzi sans payer une somme de 500 zaïres au Mwami. À Cibimbi, pour avoir une portion de terre dans le marais d'un gros propriétaire, il faut payer 800 à 1000 zaïres par an et une journée de travail par semaine dans sa concession". Il apparaît donc que si autrefois le contrat précaire ne concernait que les couches pauvres (Bashizi) ou marginalisées de la société (les femmes), actuellement il i "être ensemble de mobiliser et d'articuler les ressources du monde rural du Bushi (le travail et la terre) dans la perspective à la fois d'une intégration au marché et de survie du corps social.
Les pratiques foncières ne réfèrent ni à la coutume ni à la loi mais sont légitimées aussi bien par les tribunaux modernes que par les tribunaux coutumiers.
L'examen de la jurisprudence des tribunaux coutumiers et de droit moderne révèle deux types de situation : d'une part le fait que ni la loi foncière ni la coutume ne sont systématiquement appliquées aux litiges fonciers, d'autre
part la difficulté d'unifier la jurisprudence. Néanmoins, à travers leur activité, les tribunaux coutumiers et modernes tentent manifestement de réconcilier les deux systèmes normatifs et leurs logiques propres. Les décisions en effet essayent de réaliser l'équilibre entre les exigences légales et les nécessités d'un rapport sain avec l'environnement social spécifique des tribunaux. La gestion de ce rapport d des tribunaux. Cette affirmation ne doit pas toutefois occulter les pratiques des corruptions par lesquelles les justiciables et les juges, selon le cas, servent leurs intérêts privés où se donnent une position favorable dans l'arène de confrontation. Il apparaît néanmoins à l'analyse que plus la pression sociale sur les juges est forte, plus le tribunal privilégie dans ses décisions un répertoire normatif donné. Précisons tout de suite que le juge ne choisit pas de manière exclusive l'un ou l'autre des systèmes juridiques en présence. Il adapte plutôt la solution selon un dosage qui dépend de sa capacité à interpréter la législation qui en l'occurrence joue comme une contrainte dans l'accomplissement de son ministère, et à anticiper les réactions sociales que pourrait susciter son œuvre. Ainsi les tribunaux modernes, de légitimité externe dans ce contexte social spécifique et peu soucieux des réactions sociales que pourraient provoquer les décisions qu'ils prennent, appliquent dans une large mesure la législation. Leur effort consiste à rechercher les catégories juridiques applicables aux situations locales. C'est de manière exceptionnelle, lorsque le cas ne peut rentrer dans aucune matrice légale, qu'ils appliquent la coutume. Les tribunaux coutumiers par contre, de légitimité interne, quoique créés par le législateur, subissent beaucoup plus fort la pression de l'environnement social. Les décisions prennent en compte la dynamique du rapport social global plus qu'elles ne réfèrent à un cadre juridique donné. C'est au niveau de ces tribunaux que se joue en réalité le changement dans et de l'ordre juridique local. Ils ne peuvent en effet appliquer strictement la coutume sans s'exposer à un désaveu populaire, étant donné la transformation des perceptions sociales et la modification des rapports de force entre les acteurs ruraux. Ils ne peuvent non plus appliquer aux litiges la loi foncière qu'ils connaissent peu ou prou et qu'au demeurant les justiciables considèrent comme illégitime. Les décisions se fondent plutôt sur une coutume sans cesse réinterprétée ; elles s'ajustent ainsi aux attentes sociales et entérinent progressivement le changement normatif. Autrement dit, les décisions des tribunaux coutumiers confèrent, telles des lois, un "statut juridique" aux nouveaux rapports sociaux en train de s'élaborer.
Les conflits fonciers interpersonnels sont très fréquents et surgissent, selon le cas, à l'occasion de la circulation des droits, de la succession ou de la fixation des limites entre deux concessions voisines.
Dans le Sud-Kivu en général, la circulation des droits fonciers suscite de nombreuses contestations. Les cas de figure sont d'une telle variété qu'on ne saurait les évoquer tous systématiquement. Toutefois, on peut dire globalement que les conflits résultent soit d'une double attribution d'un même terrain, soit de la vente de la terre. Trois types de situations conflictuelles se présentent assez souvent lors des attributions des terres : dans certains cas, le terrain est attribué à deux "concessionnaires différents par une même autorité coutumière ou un même tenant foncier ; dans d'autres cas, il est concurremment attribué à des concessionnaires différents par deux autorités coutumières différentes ; dans d'autres cas encore, l'attribution concurrente du terrain est l'œuvre respectivement d'une autorité coutumière et d'une autorité moderne. Dans le Bushi, en raison de la confusion, qui existe souvent entre le pouvoir administratif et le pouvoir foncier, un même terrain peut être attribué concurremment par deux autorités différentes à deux attributaires différents. La dynamique des rapports de dépendance conduit également à la situation conflictuelle où une même autorité foncière attribue le même terrain concurremment à deux concessionnaires différents. La confusion des pouvoirs administratif et foncier et la dynamique des rapports de dépendance personnelle ressortissant soit du "transfert d'allégeance", soit de la transmission foncière stricto sensu, sont responsables de la majorité des cas de conflits fonciers dans le Bushi. Ce qu'on qualifie de "spoliation de terres" dans le Bushi trouve une explication dans ce cadre-là. En effet, la plupart des conflits fonciers dans le Bushi procèdent soit de l'attribution à un tiers par une autorité coutumière d'un terrain sur lequel quelqu'un d'autre estime avoir des droits exclusifs, soit de l'occupation et l'exploitation du terrain par ladite autorité coutumière ou par quelqu'un dont elle répond. Dans de nombreux conflits, on conteste ainsi soit l'exercice du droit de reprise par son maître, soit la réattribution du terrain et / ou l'occupation qui s'en suit. L'exercice du droit de reprise a lieu généralement en cas de non-paiement de la redevance coutumière et en cas de migration. On a vu cependant aussi des notables ou de simples tenants fonciers exercer ce droit contre un sujet déloyal ou qui s'absente longtemps sans constituer un encore, l'exercice du droit de reprise
de la terre est à la base d'une prolifération des conflits fonciers. Les autorités coutumières réinterprètent sans cesse la coutume pour justifier la spoliation des terres des paysans. De plus en plus aussi les conflits fonciers naissent aujourd'hui de l'attribution d'un même terrain concurremment par une autorité coutumière et une autorité moderne, à des concessionnaires différents. Ces cas se produisent généralement lorsqu'un concessionnaire obtient l'enregistrement des terres occupées coutumièrement par des paysans. Le même type de conflit se produit également lorsqu'une autorité foncière fait enregistrer en son nom les terres de ses "dépendants" coutumiers. Le conflit éclate en ce cas lorsque celui-ci tente d'obtenir le déguerpissement de ces ayant-droits coutumiers. Le développement depuis un peu plus de deux décennies de la vente des terres comme mode de transmission des droits fonciers, s'accompagne aussi d'une multiplication des conflits fonciers. Ces conflits résultent bien souvent des ventes frauduleuses des terres d'autrui. Ces ventes constituent en fait une variante actuelle de la problématique du droit de reprise. Elles s'inscrivent une dynamique très conflictuelle au point de vue de ses implications foncières. La plupart de ces ventes frauduleuses présentent une des structures suivantes :
2. Un "concessionnaire coutumier" installe un gardien sur sa parcelle.
Ce dernier rachète la parcelle auprès de celui qui l'avait cédée à son commettant. Le vendeur en l'espèce considère l'absence de son "sujet" comme une émigration. Il arrive toutefois également que le gardien vende à son propre chef le terrain placé sous sa surveillance. La plupart des concessionnaires coutumiers qui se sont installés dans les villes pour diverses raisons (travail, exercice de son négoce, …) sont exposés à ce type de conflit.
3. La grande majorité des paysans par contre sont souvent aux prises avec leurs "maîtres", chaque fois que ceux-ci, en proie à des difficultés matérielles, tentent de répondre, au détriment des premiers, aux demandes de terres qui leur sont adressées par des candidats plus fortunés. À cette fin, en effet, les autorités foncières coutumières (ici au sens large) réinterprètent le type de rapport foncier qui existe entre elles et leurs dépendants. La redevance coutumière étant à l'origine modeste, les autorités foncières ont de plus en plus tendance à l'assimiler à un contrat précaire, non créateur de droits fonciers et, par conséquent, à exiger le paiement d'une nouvelle redevance sans quoi elles revendraient le terrain. Ce type de conflit se développe très fort depuis la fin des années 1980.
4. Les crises de succession à la tête d'une chefferie ou d'un groupement coutumier constituent également ces jours-ci l'occasion de conflits fonciers. Le groupe qui triomphe de la rivalité, revend parfois les terres de ceux qui ont appuyé avec acharnement l'adversaire et qui ont dû prendre la fuite au moment des hostilités. Le conflit de succession de Kabare illustre très bien cette pratique qui est une sorte de résurgence du kunyaga (confiscation générale) interdit à l'époque coloniale. De nombreux procès opposent aujourd'hui à Kabare, à propos de la terre, les partisans respectifs des protagonistes dont les uns ont racheté les terres des autres. Si la vente des terres (et les conflits qu'elle suscite) procède fondamentalement des dynamiques sociales que nous avons décrites dans les paragraphes qui précèdent, elle donne lieu également à des situations d'un type nouveau. On a vu, en effet, les enfants d'un concessionnaire coutumier contester vigoureusement la vente du terrain opérée par celui-ci au motif que leur subsistance dépendait dudit terrain. Dans autre cas, une famille se cotise pour réunir l'argent nécessaire à l'acquisition d'un terrain. La transaction se déroule au nom du frère aîné, quoique sa participation financière soit modeste. Le conflit naît au moment où les autres demandent le partage du terrain au prorata des contributions au prix d'achat. Ce type de conflit va probablement se développer à l'avenir en raison de la rareté des terres et du caractère de plus en plus onéreux des redevances. Au demeurant, étant donné que les limites entre concessions voisines ne sont pas toujours bien marquées sur le terrain et en raison de l'absence d'un plan cadastral rural, les conflits naissent aussi de l'empiètement sur les concessions voisines. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Dans certains cas, le concessionnaire dépasse les limites qui lui ont été fixées par les émissaires de l'aliénateur "Baganda" et réalise des cultures sur une partie de terrain appartenant au cédant. Parfois la contradiction entre le cédant et le concessionnaire est le fait de ces émissaires qui ont porté les limites au-delà de ce que le cédant leur a indiqué. Des événements naturels, tels le détournement du lit d'une rivière ou le ravinement, ont parfois aussi été l'occasion d'un conflit entre concessionnaires voisins. L'un des concessionnaires pourrait, en effet, étendre, au détriment de l'autre, son terrain jusqu'à la nouvelle "limite naturelle" (la rivière ou le sillon).
Une variante des conflits de limite qui prend de l'ampleur ces dernières années se sont les occupations de fait (ou considérées comme telles) de parties de terrain appartenant à autrui. Ces occupations de fait sont souvent l'œuvre de
personnes entre lesquelles il existe un rapport de dépendance foncière. Elles résultent d'une relecture des termes des conventions : une des parties au litige prétend avoir acquis entièrement le terrain à titre perpétuel ; l'autre lui rétorque que son droit ne porte que sur une partie du terrain, le reste ayant été cédé à titre précaire. En effet, il arrive que le détenteur précaire d'un terrain cherche frauduleusement à consolider ses droits sur celui-ci, en y érigeant des constructions ou en y incorporant des cultures pérennes (arbres, bananeraies).
Il arrive cependant aussi que le maître réoccupe une partie du terrain de son sujet en prétextant que ladite partie avait été cédée à titre précaire. Assez souvent, il profitera de ce que la parcelle concernée est en jachère.
L'irruption de la propriété privée déstabilise l'organisation clanique dans les communautés forestières semi-sédentarisées.
Un phénomène curieux est à ce jour observé dans les zones à très faible densité situées dans la partie forestière du Sud-Kivu : l'engouement de nouvelles élites originaires de ces zones pour l'enregistrement des terres. Ces terres sont hélas enregistrées au nom des individus isolés et au détriment des clans propriétaires. En effet, lors des déplacements des familles sur les terres des clans, il semble que les membres avertis des clans sollicitent l'enregistrement des parties laissées en jachère ou encore en friche. Ainsi, d'une appropriation collective, on serait en train d'évoluer vers une individualisation de la tenure foncière. Dans le territoire de Walikale au Nord-Kivu, le même phénomène est observé, mais met aux prises deux communautés : les Kumus, originaires du lieu, et les migrants Bashi. Les premiers stigmatisent la tendance de leurs hôtes à insurper leurs droits ancestraux à travers notamment l'acquisition des titres de concession foncière ou minière et la revendication d'un espace administratif. Il semble en effet que les migrants Bashi en raison de leur poids démographique et dans l'économie locale, réclament la création d'un groupement administratif, c'est-à-dire d'un espace de pouvoir.
5. Dualité d'intérêts autour de la conservation de la nature
Le Parc National de Kahuzi-Biega (PNKB) a été créé le 30 novembre 1970 par une ordonnance du Chef de l'État, sur une réserve forestière constituée en 1937 par l'autorité coloniale. Cette réserve s'étendait sur soixante mille hectares (60.000 ha). En 1975, par une ordonnance du 22 juillet 1976 portant
modification des limites du PNKB, sa superficie fut portée à 600.000 hectares. Ce faisant, le Chef de l'État annexait au Parc les terres d'une communauté locale, à savoir la collectivité-chefferie de Nindja. Sur une population estimée à 18.161 habitants que comptait cette collectivité, 12.325 (soit 2/3 ou 68 % de la population) étaient de ce fait expropriés. L'Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) tente sans succès, depuis une vingtaine d'années, de matérialiser les limites du parc telles qu'elles ont été définies par l'ordonnance d'extension. De même l'autorité administrative locale, faute de pouvoir imposer le respect de l'ordonnance présidentielle, a préféré créer informellement une commission mixte au sein de laquelle se négocie la réalisation de ladite ordonnance. Aux autorités du parc qui s'escriment à expliquer que c'est dans "l'intérêt supérieur de la nation" que le parc a été créé, et aux experts qui brandissant le spectre du changement climatique, de l'érosion, etc., au cas où la population ne s'impliquerait pas dans la conservation de la nature, l'on répond sans détour : "Nous, les habitants de Nindja, nous refusons le parc, parce que c'est là où nous cultivons, élevons nos bêtes, coupons du bois. C'est là où nous avons des écoles, des dispensaires.
On peut lire également dans le procès-verbal d'une réunion organisée par le chef coutumier local :
- Au sujet des conflits des chefferie de Nindja, l'Assemblée ;
- Reconnaît l'existence du Parc National de Kahuzi-Biega da limites définies par l'ordonnance loi n° 70/316 du 30 novembre 1970 ;
- Désavoue toute forme d'extension du PNKB sur toute l'étendue de la collectivité-chefferie de Nindja en tant qu'entité administrative habitée par des humains et reconnue officie forestières dans notre pays ;
- S'insurge contre la persistance de ces conflits de limites continuellement animés par l'IZCN/GTZ au nom de ladite loi "BAKAJIKA" stipulant que le sol et le sous-sol appartiennent à l'État, alors qu'aucune enquête préalable d'acquisition des terres rurales n'a été faite conformément à l'article 166 de la loi n° 73/021 du 20 juillet 1973 et que par voie de conséquence, aucune vacance de terre n'a été constatée à Nindja à ce sujet"
(Procès-Verbal de la réunion extraordinaire de la collectivité-chefferie de Nindja tenue à IHEMBE, les 29 & 30 septembre 1994). En effet, en incorporant au parc les 2/3 de la chefferie traditionnelle de Nindja, l'ordonnance d'extension du PNKB a non seulement exproprié les biens
immobiliers et les droits de jouissance des individus sur le sol, mais en plus et surtout, éteint le droit éminent de caractère politique des autorités coutumières sur une grande partie de leur territoire. Au-delà de la valeur économique ou matérielle des biens expropriés, c'est la reproduction sociale de la chefferie qui est menacée par l'ordonnance d'extension du parc. On comprend dès lors que les autorités étatiques, conscientes de la délicatesse de l'opération, aient fait le choix de procéder autrement que par la loi sur l'expropriation. Une observation attentive nous amène à soutenir que l'intervention de l'État dans le foncier rural, notamment par voie d'expropriation est fonction de la nature des droits à exproprier. Lorsque ceux-ci sont de nature "politique" essentiellement, l'État négocie l'opportunité et l'étendue de l'expropriation ; lorsque, par contre, ceux-ci portent sur des droits dont l'expropriation ne compromet pas la reproduction sociale d'une entité politique traditionnelle, l'État négocie non point les superficies à exproprier, mais l'importance des indemnités. Ce fut le cas notamment de l'expropriation effectuée en vue de l'installation du barrage hydroélectrique de Mumosho. Dans tous les cas, faute de pouvoir préjuger de la nature des droits à exproprier, l'État procède à l'expropriation en marge de la législation et se donne ainsi la possibilité non seulement d'apprécier la nature des droits en cause, mais aussi de négocier les modalités de réalisation de l'expropriation de manière à éviter l'affrontement. En effet, dans le cas du PNKB, la préoccupation de parvenir à un compromis est constante dans le chef de l'organisme public chargé de la gestion des parcs. En fait, devant la résistance opiniâtre de la population, les autorités du parc se résignent à manipuler le texte de l'ordonnance de manière à ce que les parties les plus peuplées de la chefferie ne soient pas concernées par elle. Quant aux autres parties visées, on estime devoir déplacer les populations qui s'y trouvent, car la zone qu'elles occupent serait "vitale pour la transhumance des animaux et les échanges génétiques entre les parties de haute et de base altitude". La création récente de la réserve intégrale de l'Itombwe en vue de la protection des gorilles blancs, des éléphants nains et divers oiseaux rares, va certainement donner davantage d'ampleur à cette dualité d'intérêts entre l'État et les populations locales au Sud-Kivu. D'autant plus qu'à nouveau il n'y a pas eu d'enquête préalable visant à déterminer les droits coutumiers des communautés locales sur les terres affectées au domaine public.
6. Stratégies d'accumulation foncière par les élites du Sud-Kivu
Pour accéder à la terre, les élites nouvelles utilisent ordinairement des canaux non contrôlés par les autorités traditionnelles. Les médiateurs jouent ici, faute d'un système officiel d'information foncière, un rôle de tout premier plan.
Ce sont en effet soit les agents de l'Administration foncière, soit des personnes qu'ils "commissionnent" qui livrent des informations sur la situation d'une concession. Dans la plupart des cas mis à part les attributions faites dans le cadre de la zaïrianisation les gros concessionnaires du Bushi ont racheté leurs concessions à des colons. Certaines transactions ont été faites localement et dans les délais impartis par la législation pour régulariser les concessions faites par la colonie. D'autres par contre ont été faites ultérieurement. À partir du moment où on avait l'information comme quoi telle plantation n'avait pas été "régularisée" et devait en conséquence faire retour à l'État, on s'appliquait à retrouver son ancien propriétaire, au lieu de la demander directement à l'Administration, au risque de réveiller d'autres convoitises. Une vente antidatée était conclue que l'acheteur joignait alors à sa demande d'enregistrement, enregistrement qu'il obtenait à la faveur des solidarités dont il bénéficiait dans l'Administration. Pour étendre leurs concessions, les gros propriétaires rachètent au fur et à mesure les petites "propriétés" paysannes contiguës à celles-ci. Dès lors qu'ils y ont planté des arbres (quinquina, café, …) ils en obtiennent l'enregistrement, sans devoir passer par les procédures préalables instaurées par les autorités coutumières. La plupart des concessions étant sous le régime de l'emphytéose, leurs titulaires pourraient se voir refuser le renouvellement du contrat pour cause de mise en valeur insuffisante. Pour parer au risque, la plupart font exploiter leur terre par des paysans, selon les formules contractuelles coutumières. En contrepartie de l'exploitation d'une parcelle à titre précaire, le bénéficiaire paysan fournit un nombre convenu d'heures de travail sur la plantation. S'ils ont besoin de ces exploitants paysans pour apporter la preuve de la mise en valeur du fonds concédé, les concessionnaires actuels semblent veiller également à ce que ces exploitants ne disposent d'aucun titre défendable sur les parcelles qu'ils cultivent. Leur "droit de jouissance" est révocable à tout moment, dès lors qu'ils ne répondent plus aux exigences du titulaire de la concession.
III. Plaidoyer pour la réforme de la législation foncière
La crise foncière à l'Est de la RDC que révèlent selon les contextes la prolifération des conflits fonciers, l'exiguïté des unités agricoles familiales et l'ineffectivité de la législation, semble imposer une nouvelle approche de la
gestion foncière. D'une gestion en régie et centralisée, les pratiques locales semblent postuler, voire imposer, le passage vers une gestion décentralisée et participative.
Pour l'application de la loi foncière, le territoire national a été subdivisé en circonscriptions foncières créées par ordonnance présidentielle et dirigées chacune par un conservateur des titres immobiliers. Constituées à l'origine à l'échelle des provinces, les circonscriptions foncières correspondent aujourd'hui dans un nombre sans cesse croissant de cas aux districts ou aux territoires. Les tendances nouvelles pourraient être interprétées comme un souci de rapprocher l'administration foncière des demandeurs des titres. Les prérogatives en matière foncière sont toutefois déterminées de manière telle que les autorités compétentes pour délivrer les titres sont d'accès difficile pour les paysans. Par ailleurs, les coûts, formels et informels, pour obtenir un titre
fonciers sont prohibitifs. Au-delà, l'ignorance de la loi foncière et l'analphabétisme rendent encore plus difficile l'accès à la sécurité juridique que confère le certificat, pour la plupart des paysans. En même temps, la coutume n'est plus formellement source de droits en matière foncière, la loi ayant domanialisé les terres rurales. Les transactions foncières se réalisent désormais sur la base des coutumes délicatement réinventées dans un contexte de mutations non maîtrisées des systèmes traditionnels. En outre, les administrations locales, territoriales, foncières et judiciaires, interfèrent dans le processus d'acquisition des terres, lorsqu'elles n'usurpent pas tout simplement les compétences des attitrés. Dans ce contexte d'instabilité normative et institutionnelle, se déploient des stratégies d'acteurs et des pratiques génératrices d'insécurité juridique pour les populations rurales. Pour sortir de cet état d'insécurité généralisée au plan foncier, mieux d'incertitudes foncières à très grande échelle, la décentralisation territoriale et celle des services fonciers semblent être des options incontournables. Inscrite dans le cadre général du développement local, la problématique foncière se décline en termes d'adhésion à un système d tés. Elle renvoie également à l'idée de changements nécessaires à l'amélioration de la sécurité des usagers du sol et de façon plus générale à l'amélioration du cadre de vie des populations. Des études exploratoires doivent évidemment être faites sur les modes alternatifs de sécurisation foncière aux plans normatif et institutionnel. Dans ce cadre des enquêtes parcellaires doivent être réalisées de manière à informer la situation particulière de chaque parcelle et à dégager les caractéristiques actuelles des systèmes agro-fonciers. L'évaluation du c peut alors être faite pour juger de
l'adéquation de celui-ci par rapport à l'état de la société et son efficacité par rapport aux objectifs de la politique foncière, mieux de la politique de développement mise en œuvre. Pour sécuriser les droits fonciers des populations rurales, la prise en compte de l'évolution des systèmes fonciers locaux dans leur extraordinaire diversité, est capitale. Car il ne s'agit pas d'imposer un mécanisme juridique et une forme d'organisation. Ceux-ci risquent d'avoir l'effet d'un greffon sur un corps étranger. Le choix du dispositif et des modalités de gestion foncière, la répartition des responsabilités, la localisation des instances de gestion et les procédures de reconnaissance ou d'établissement des droits doivent être socialement négociées et acceptés.

CONCLUSION
Au regard de la complexité des contextes locaux, on peut dire que la gestion en régie des ressources foncières et suivant des règles imposées n'est pas une option réaliste. La politique foncière en RDC doit en effet relever des défis majeurs. Elle doit permettre notamment d'agir cumulativement sur l'ensemble des facteurs responsables des crises à l'Est de la RDC. En d'autres mots, elle doit permettre d'agir sur l'ensemble des rapports politiques, économiques et sociaux qui se construisent autour de la maîtrise du sol et de la circulation des droits sur le sol. Il est impérieux de s'intéresser aux acteurs qui d'une façon ou d'une autre participent à la gestion des ressources foncières et à l'arbitrage des différends résultant de la circulation des droits sur la terre. Il faut clarifier les rapports entre non seulement les responsables des services techniques (Administration foncière, cadastre, urbanisme), les cadres territoriaux et les autorités coutumières, lesquels s'adjugent des compétences foncières sans égard aux dispositions légales, mais aussi les rapports entre ces derniers et les leaders de la société civile, porteurs des aspirations des masses au changement. Les études mettent en évidence la tension permanente dans laquelle vivent les administrations et les populations africaines entre la légitimité du système normatif et la légalité des pratiques. Cette tension est particulièrement vive en matière foncière laquelle pose un deuxième ordre de problème en termes d'égalité et d'efficacité. La législation foncière n'offre pas en effet les mêmes possibilités d'accès à la terre, encore moins la même sécurité juridique à toutes les catégories sociales. À cet égard particulièrement les populations rurales en RDC sont très défavorisées. Face aux ambiguïtés de la législation et à l'inadéquation du cadre institutionnel de gestion foncière, des
pratiques foncières locales se sont développées. Ces pratiques semblent traduire une revendication des masses à voir le régime du sol s'ajuster au contexte social du pays et des régions, voire des communautés, au regard de la diversité des expériences et trajectoires locales. E. Le Roy voit dans des telles pratiques non seulement la contestation des régulations juridiques, mais aussi la récusation d'un projet de société dont les représentations importées mutilent les conceptions enracinées dans la tradition du lieu. De nombreuses initiatives ont également vu le jour pour adresser la question foncière de manière à parvenir à des solutions socialement acceptées et pacifiantes. Ces actions citoyennes mettent à contribution, hélas dans des cadres informels, les acteurs publics. La décentralisation territoriale et des services permettrait de donner un statut formel à cette collaboration et aux innovations que charrient les pratiques, lesquelles innovations visent à sécuriser les droits fonciers des populations rurales. À travers ces pratiques informelles, il y a manifestement récusation d'un ordre imposé, d'un héritage colonial mal reçu ou mal assumé. Ainsi obligation est faite aux juristes congolais d'être créatifs et innovateurs pour apporter la sécurité juridique aux exploitants paysans. En concluant ainsi, nous restons conscients que la résorption de la crise foncière est au-delà de la crise agraire n'est pas seulement un problème d'ingénierie institutionnelle. La réflexion doit se prolonger sur les conditions techniques et sociales qui vont permettre l'accumulation agricole et le développement du salariat rural. On peut observer notamment que les paysanneries ne se satisfont pas d'une simple mise à jour des relations fraternelles héritées des traditions. L'évolution vers l'individualisation de la tenure foncière et le caractère absolu du droit acquis est inexorable, On ne saurait toutefois prédire que les tendances du moment vont culminer vers des formes d'appropriation type latifundiaire. Par ailleurs, l'environnement institutionnel de l'agriculture ne permet pas non plus de penser que l'on s'oriente vers la professionnalisation de l'activité agricole. Au demeurant, si les réformes du droit positif à la crise foncière ne sont pas satisfaisantes, les alternatives que postulent les pratiques foncières posent également des problèmes sérieux que la décentralisation seule ne résoudra pas. D'une part comment préserver l'unicité de la règle de droit, tout en prenant acte de la pluralité des ordres juridiques infra-étatiques ? D'autre part, comment concilier la contractualisation des transferts des droits avec le besoin d'une procéduralisation des mécanismes de gestion foncière et de règlement de conflits ? En effet, la contractualisation doit être elle-même soumise à des procédures rigoureusement définies. Autant dire que le débat est simplement ouvert.
Sans une politique de population résolue portant sur l'organisation des flux migratoires et surtout sur les moyens de ralentir la croissance démographique dans ces hautes terres africaines qui comptent parmi les plus prolifiques du monde, il n'y a aucun espoir d'apaisement durable des tensions et de disparition des terribles violences périodiques qui rythment l'histoire des Grands Lacs depuis quelques décennies. Quand on connaît les effets d'inertie démographique, on ne peut que s'inquiéter de l'absence des questions de population dans les initiatives visant à restaurer la paix dans la région. Les sommes faramineuses dépensées sans résultat tangible par l'ONU seraient plus utiles si elles étaient consacrées au développement socio-économique et à la résolution de cette question cruciale qui conditionne toutes les autres. Les politiques actuelles, qu'elles soient nationales ou portées par des acteurs internationaux, restent malheureusement à courte vue, car elles ne vont pas au fond en ignorant le lien étroit entre guerre et démographie.
La guerre accompagne l'immigration à l'Est de la République Démocratique du Congo. Chaque occasion de déclenchement du conflit armée, il y a une revendication cachée ou ouverte sur le peuplement des populations rwandophones dans les territoires de l'Est. L'immigration paisible n'étant pas possible, les armes en constituent la voie indiquée qui permet d'ouvrir les portes du Congo. La pauvreté extrême, la croissance démographique galopante, la verdure des pâturages et la diversité des richesses du sous-sol du Congo qui se greffe sur son étendue vierge, demeurent les motifs qui aggravent l'envie des voisins du Congo.
Nous dirons que la malédiction congolaise actuelle provient des faits qui sont liés précisément à l'émergence d'une puissance étatique sur le plan international de l'Etat congolais, il s'agit de : la fragmentation socio-politique de la population congolaise écartelée en conglomérats de groupes hostiles, c'est-à-dire manque de cohésion nationale face aux visées extérieures, l'extraversion économique et grande dépendance vis-à-vis de l'exportation des matières premières, la pauvreté de la population, la multiplication des foyers de conflits internes et internationalisés, manque de technologie et d'industries à haute intensité des mains d'œuvre et chômage, appareils d'Etat déficients, manque de bonne gouvernance globale, la coopération internationale suicidaire, les faiblesses des regroupements régionaux africains.
Cette litanie des faits pose le problème de priorités, tout étant prioritaire pour trouver des solutions.
C'est ici que le pays a besoin de génies politiques, visionnaires et des engagés infaillibles à la cause et à l'avenir de la nation congolaise.
A notre avis, voici les éléments qui doivent conférer à la République Démocratique du Congo le statut de la puissance nationale à élever au niveau international et mondial :
- La superficie ou l'étendue géographique du territoire ;
- La nature des frontières ;
- L'importance de la population en constance croissance démographique ;
- La présence abondante des matières premières ;
- Le niveau de développement économique et technologique ;
- La puissance financière ;
- La cohésion nationale qui transcende les clivages ethniques ;
- Le niveau d'intégration sociale ;
- La stabilité politique ;
- Le nationalisme ;
- Les armes classiques et une force militaire de dissuasion.
BIBLIOGRAPHIE
1 Sur 2.329.000 de déplacés que renseigne le rapport d'OCHA (2005), 360.000 seraient au Katanga, 455.000 en Province Orientale (Ituri compris), 165.000 au Maniema, 785.000 au Nord-Kivu et 254.000 au Sud-Kivu. Informations reprises de PAM, République Démocratique du Congo : Analyse de la sécurité alimentaire et de la vulnérabilité - collecte et analyse des informations secondaires (CFSVA), rapport préparé par MARTINI, M., décembre 2005, p. 27.
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VLASSENROOT, K., RAEYMAEKERS, T., "Le conflit en Ituri", in L'Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2002-2003, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 210
MUGANGU, S., "Les politiques législatives congolaises et rwandaises", in GUICHAOUA, A. (dir.), Exilés, réfugiés et déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, L'Harmattan, 2004, pp. 633-694.
La Mission d'Immigration des Banyarwanda (MIB) a été créée en 1933. Elle a opéré entre 1933 et 1955. Le conflit qui opposa le chef hunde (Mwami Kalinda) à Bucanayandi mit fin à ses activités en 1955. Pour plus de détails, voir MATHIEU, P., WILLAME, J.-C. (dirs.), Conflits et guerres au Kivu et dans la région des Grands Lacs, Cahiers Africains, n° 39-40, Paris, L'Harmattan, 1999, pp. 13-20.
AAP, Les conflits dans le Masisi. Obstacle au retour des déplacés, Goma, août 2004, p. 20.
Le G2 ou Groupe de deux est une alliance des personnes d'expression kinyarwanda (Hutu et Tutsi, migrants anciens et récents, tous confondus) pour faire face au G7. 13 Le regroupement de sept tribus qui se proclament autochtones du Nord-Kivu. Il est constitué des tribus ci-après : Nande, Hunde, Kumu, Nyanga, Tembo, Kano, Mbuti. 14 MUGANGU, S., "Enjeux fonciers et territoriaux et conflits récurrents au Kivu", International Conference, Africa's Great Rift: diversity and unity, Royal Academy for Overseas Sciences, Royal Museum for Central Africa, Brussels, 29-30 September 2005, pp. 291-304. 15
MUGANGU, S., Conservation et utilisation durables de la diversité biologique en temps de troubles armés. Cas du Parc National de Virunga, Étude commanditée par l'UICN, janvier 2001, p. 106.
Le kalinzi (du verbe kalinza, faire attendre) : c'est la forme la plus classique de tenure foncière au Bushi. Le terme désigne à la fois le prix du droit de jouissance (nkafu ya kalinzi) et la terre sur laquelle s'exerce ce droit (ishwa lya kalinzi). Ouchinsky le définit comme le prix du droit (en principe perpétuel) de jouissance sur une terre qu'accorde le suzerain au vassal et à ses descendants. Le kalinzi n'est cependant pas un prix d'achat, mais un don de reconnaissance du vassal au suzerain qui lui attribue "une propriété foncière".
DUPRIEZ, H., Bushi, l'asphyxie d'un peuple, 1987, inédit (r
ceprographié), p. 28.

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L'intégration sous régionales des Etats Africains

LES DEFICITS DES ETATS CENTRAFRICAINS EN TANT
QU'ACTEURS DE LA CONSTRUCTION DE L'INTEGRATION CONTINENTALE
Chef des travaux YUBA


INTRODUCTION

Au lendemain des indépendances des Etats africains, ces nouveaux Etats en relations internationales se sont retrouvés dans une situation de fragilité économique susceptible de faire d'eux une proie facile à l'économie mondiale et donc vulnérable à la mondialisation.

La singularité et le manque de compétitivité consécutive au manque d'industrialisation des économies africaines ont été l'un de mobiles qui a favorisé l'idée de création d'une intégration économique dans le continent. Les divergences et la quête de leadership entre le groupe d'Accra et de Casablanca ont fini par obliger les dirigeants africains à aller par pallier en créant et en renforçant, selon le Plan d'Action de Lagos, des regroupements régionaux dès la moitié de la décennie 1970, soit en 1975. C'est à ce titre que l'on va compter en Afrique les cinq regroupements régionaux phares que sont : l'Union du Maghreb Arabe (UMA), la Communauté des Etats des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), la Communauté de Développement de l'Afrique Australe (SADC), la coopération de l'Afrique de l'Est (EAC) et la communauté Economique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC).

Ces différentes structures d'intégrations sous régionales en Afrique comme d'autres dans le continent noir s'inscrivent dans le processus d'intégration régionale pour l'émergence économique, social, culturel et politique du continent le moins développé au monde. Ces dernières sont créées dans l'objectif de mouvoir les relations internationales africaines qui peinent à assurer et à assumer la souveraineté des Etats car le continent noir manque cruellement de moyen (économique) pour le faire. Sans économie, il est difficile d'avoir une place ; c'est-à-dire jouer un rôle et gagner un rang sur la scène internationale ().

1. LA CONSTRUCTION REGIONALE EN AFRIQUE

Apres plusieurs réunions panafricaines tenues sur le sol africain, l'OUA fut créée le 25 Mai 1963 avec comme missions principales : la décolonisation totale du continent africain et la réalisation de l'intégration économique du continent. Si la première est une réussite depuis les indépendances des pays africains lusophones, la deuxième peine encore à se réaliser.

Il sied de noter que Régionalisation et régionalisme sont deux concepts qui qui se confondent souvent dans les études portant sur l'intégration régionale. Toutefois, bon nombre d'auteurs s'accordent à dire qu'il y a une différence entre ces deux concepts (Boulanger et Deblock, 2016). Si Ainsi, la régionalisation désigne une concentration des flux économiques dans une zone géographique donnée, le régionalisme quant à lui est "strictement mobilisé pour qualifier des processus de construction "politique" : des règles communes sont instaurées par des États voisins qui n'entretiennent pas de relations économiques plus intenses que la moyenne mondiale (Figuière et Guilhot, 2006).

De ce qui précède et au regard du thème développé, il sied également d'élucider la compréhension des concepts Intégration économique et intégration régionale : les deux étant parfois utilisé pour expliquer le degré d'institutionnalisation et sur l'objectif principal d'un regroupement régional. L'intégration économique désigne la régionalisation des échanges économiques alors que l'intégration régionale est une notion multi-domaine qui prend en compte la gestion d'un espace géographique déterminé.
Consécutivement à cette explication épistémologique, la stratégie globale de développement du continent africain repose sur l'intégration économique régionale, telle qu'adoptée et poursuivie par le Sommet de l'Union africaine. En 1991, les chefs d'État et de gouvernement africains ont signé le Traité instituant la Communauté économique africaine (Traité d'Abuja), définissant les principes directeurs et les objectifs, ainsi que le cadre régional visant à renforcer le programme d'intégration (traité d'Abuja de 1991).


2. LE ROLE DES ETATS CENTRAFRICAINS DANS LA CONSTRUCTION REGIONALE

Ces dernières années, les faiblesses en matière économique, de sécurité et de garantie de bien-être des populations sont devenues de plus en plus apparentes dans les Etats de l'Afrique centrale, ceci peut également s'expliquer par le développement d'un nouveau contexte international. Désormais moins disposés à fermer les yeux sur les lacunes dans l'accomplissement des fonctions régaliennes, les gouvernements occidentaux et les organismes internationaux exercent une pression de plus en plus grande sur les régimes africains, tout en essayant de rendre plus transparents la politique et le fonctionnement de ceux-ci. Comme le note Mwayila Tshiyembe, "à l'heure de la mondialisation, l'Afrique est encore victime de la myopie intellectuelle et politique de ses élites dirigeantes qui, obnubilées par la prédation, n'ont pas voulu couper les ponts avec l'économie du pacte colonial…." (Mwayila Tshiyembe, l'impact géopolitique des Etats continents sur la régionalisation de l'économie mondiale : le cas du nouveau partenariat Afrique/Chine/Brésil, dans Présence Africaine, 2008, No 175-176-177, Pp 517-527).

Finalement, les carences de l'Etat dans ses fonctions de garant du bon fonctionnement de la vie nationale s'expriment également par le biais d'un phénomène paradoxal. Au lieu de satisfaire les attentes et les besoins de paix, sécurité et de bien-être à l'intérieur du territoire, l'Etat et ses institutions sont au contraire susceptibles, dans certains cas, de se montrer eux-mêmes producteurs de la pauvreté et d'insécurité.

C'est dans cette optique que la gestion des conflits en Afrique centrale semble s'imposer avec noblesse, nous dirons même avec prestance, dans le cadre d'une Union Africaine dont les Etats parties à l'Acte constitutif sont dorénavant déterminés à enclore les crises et les jeter hors du continent.

Cette sincère volonté s'affiche dans le préambule de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine, d'abord en ces termes : "conscients du fait que le fléau des conflits en Afrique constitue un obstacle majeur au développement socio-économique du continent, et de la nécessité de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité comme condition préalable à la mise en œuvre de notre agenda dans le domaine du développement et de l'intégration".

DELPHINE LECOURTE, affirme que la création du CPS consiste en la prise en charge par l'Afrique elle-même de la résolution de ses propres différends, la paix constituant une condition préalable à la sécurité et au développement du continent. C'est la raison pour laquelle les Etats africains ont décidé, par la déclaration du Caire de Juin 1993, de créer un instrument à l'échelle continentale, le "mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits" de l'OUA dont la direction et la coordination des activités entre les sessions ordinaires de la conférence des chefs d'Etat et de gouvernement étaient assurés par l'organe central. Elle a démontré que l'UA s'est impliquée dans tous les conflits africains, à savoir au Sahara occidental, en Angola, au Mozambique, en Erythrée, en Somalie, en Côte d'ivoire, en RDC, en République du Congo, en RCA, au Burundi, aux Comores, au Liberia et au Soudan(D. LECOURTE, le CPS de l'UA : clef d'une nouvelle architecture de stabilité en Afrique ?in "Afrique contemporaine", 2004, N°212, P.9).

De la même manière, la mise en place des zones économiques régionales dans lesquelles des pays centrafricains, pour des raisons historiques, géographiques, culturelles, économiques ou politiques, cherchent à créer une zone de stabilité, de croissance ou de solidarité qui a souvent facilité l'intégration régionale à l'économie mondiale. Pour les pays africains, qui sont tous handicapés par la petite taille de leurs infrastructures de base et insuffisance de leurs ressources financières et humaines, l'intégration régionale peut effectivement accélérer le développement. Elle permet notamment de réaliser des économies d'échelle et de rationaliser les processus de production, ce qui rend les entreprises compétitives sur les marchés internationaux.

D'autres aspects de l'intégration régionale des Etats de l'Afrique centrale, comme l'harmonisation des règles et des processus, la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux et l'élimination des obstacles douaniers, peuvent établir un climat d'affaires qui attire et encourage l'activité du secteur privé

La raison d'être des Etats centrafricains est liée, en quelque sorte à la question de l'applicabilité de la logique hobbesienne au cas des quatre Etats centrafricains. Dans quelle mesure, leur raison d'être repose-t-elle vraiment en premier lieu sur le devoir de garantir la sécurité et le bien-être de la population.

Or, dans chacun des Etats centrafricains, comme notamment dans celui de la plupart des Etats africains en général, ce consensus entre la population et le système politique n'a jamais été trouvé, ou même cherché ; un contrat déterminant les fonctions de l'Etat, tel que le prévoyait
Thomas Hobbes, n'existe donc pas.

Outre le fait que la création des Etats ne semble, dès le début, pas avoir reposée sur la volonté de garantir la paix, la sécurité et le bien-être, une deuxième raison pour expliquer les lacunes des Etats, en tant que garant principal du bon fonctionnement de la vie nationale, peut être vue sous forme de problèmes structuraux.

Ceux-ci peuvent, premièrement, se manifester sous forme d'un manque de capacités qui empêcherait les Etats et leurs gouvernements de répondre aux besoins sécuritaires dans le pays. A priori, ce manque peut-être lié à la simple absence, voire à l'indisponibilité de moyens et de ressources, pour des raisons de pauvreté ou de pénurie. Or, dans le cas des Etats centrafricains tous disposent d'une relative abondance en matières premières, et pourraient, de ce point de vue, théoriquement avoir accès aux capacités requises.

Une explication plus pertinente semble ainsi se présenter sous la forme de problèmes de gestion de ces ressources et de leur usage inefficace.

L'analyse de ce point nous permet de comprendre, en effet, que depuis la situation des Etats de l'Afrique centrale ces dernières années, rend plus transparent le contexte politico-sécuritaire des Etats centrafricains et a permis de mettre davantage en lumière les déficiences et le dysfonctionnement des secteurs publics dans la construction régionale. La question qui se pose alors est de savoir comment expliquer cette impuissance de l'Etat pour répondre suffisamment aux besoins sécuritaires et garantir le bien-être économique, ce qui, finalement, met en péril la stabilité dans chacun des pays de la région. Pour quelles raisons, ces Etats n'arrivent-ils donc pas, par leurs actions et leurs politiques en tant qu'acteurs sécuritaires, à rétablir et à consolider la cohésion politique et économique.


3. LES DEFICITS DES ETATS CENTRAFRICAINS

De nombreux défis se posent avec acuité à l'Afrique, notamment dans les Etats centrafricains qui se regroupent au sein de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale. Dans ce point, nous analyserons respectivement quatre facteurs qui peuvent illustrer le déficit des Etats centrafricains dans la construction régionale ; il s'agit de :

3.1. Le déficit structurel

Malgré que la liste n'est pas exhaustive, dans cette réflexion, nous pensons que deux grands causes militent en défaveur des Etats de l'Afrique centrale dans la construction régionale, il s'agit notamment de : les faiblesses de l'organisation sociale et la fragilité des structures de l'Etat.

La faiblesse d'agir des Etats de l'Afrique centrale est devenue de plus en plus visible par la propre vulnérabilité des institutions publiques face à certaines menaces qui guettent la plupart des Etats de la région.. Force est de constater que, malgré les politiques d'ajustement structurel, l'Afrique centrale est demeurée principalement la partie du continent où s'accumulent plusieurs problèmes d'ordre économique, politique et sécuritaire. On assiste à l'épuisement du modèle de développement économique et politique mis en place par différents Etats centrafricains et surtout à travers la structure régionale qu'est la communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), modèle qui peine à mettre en place une zone de libre-échange et à résoudre la question des conflits armés qui pullulent dans le coin. Et malgré certains signes de reprise, l'Afrique centrale, prise dans des trappes qui conduisent à une relative marginalisation et à une divergence vis-à-vis des pays développés et émergents, reste largement à l'écart de la dynamique mondiale(Philippe HUGON, Nouveaux défis économiques et financiers en Afrique subsaharienne, dans Revue internationale et stratégique 2002/2 (n° 46), pp 107 à 118).

3.2. Le déficit conjoncturel

Au-delà des divergences nationales et des évolutions conjoncturelles, on peut noter d'importants déséquilibres sectoriels (en termes de croissance agricole limitée, notamment, et de désindustrialisation), une rupture des grands équilibres financiers, un déclin durable du taux d'épargne et une croissance des secteurs non productifs (tertiaire, administration...) et la résurgence de l'insécurité.

Les vingt dernières années, rendent plus transparent le contexte politico-sécuritaire des Etats centrafricains et a permis de mettre davantage en lumière les déficiences et le dysfonctionnement des secteurs publics. A ce stade, il sera question des concepts même de sécurité et développement économique. En vue des transformations et de l'élargissement que ceux-ci ont subis au cours des dernières années, à quel point seraient-ils donc envisageable que le fonctionnement insuffisant de ces Etats s'explique par leur impuissance face à un devoir de plus en plus grand, voire peut-être insurmontable


La question qui se pose alors est de savoir comment expliquer cette impuissance de l'Etat pour répondre suffisamment aux besoins sécuritaires et garantir la sécurité, ce qui, finalement, met en péril la stabilité dans chacun des pays étudiés. Pour quelles raisons, ces Etats n'arrivent-ils donc pas, par leurs actions et leurs politiques en tant qu'acteurs de développement, à rétablir et à consolider la résilience économique et la cohésion politique ?

Dans un premier temps, il est question de se dire que : d'une part les africains sont responsables de l'insécurité qui gangrène dans la partie centre de leur continent. Il ne faut pas avoir des lunettes spéciales pour voir que le népotisme, le clientélisme, la corruption, la mauvaise gouvernance, l'exclusion de certaines couches sociologiques et sociales ainsi que la crise identitaire sont autant de cocktail Molotov à même de mettre en péril la paix dans les différents Etats de la région (les cas de la République Centrafricaine, de la RDC, du Tchad, du Burundi en proie à l'insécurité à cause des éléments ci-haut cités) et il s'agira aussi de savoir que le mode d'accession au pouvoir dans ces Etats est une source d'implosion et d'embrasement latent pouvant à court, moyen et long terme créer des tensions pouvant aboutir à des sanctions politiques inorganisées.

Deuxièmement, l'Afrique est le seul continent au monde où la pauvreté est en progression et, au rythme actuel, l'absolu pauvreté concerne environ 51 % des populations du continent qui compte déjà 34 des 49 pays les moins avancés du monde (Samuel NGUEMBOCK, Analyse transversale des défis de la paix en Afrique in Irenees.net, Paris, mai 2009). Une autre cause endogène du problème de l'intégration des Etats centrafricains s'avère être les capacités disponibles, à savoir, si ces Etats ont à leur disposition les ressources nécessaires pour pouvoir agir en fonction des besoins économiques et sociaux de leurs ressortissants, et si ces moyens servent effectivement à cet objectif.

Il sied également de savoir que ces Etats sont presque assujettis sur le plan de relations internationales et surtout vis-à-vis de l'Union Européenne qui exerce un impérialisme responsable principale du sous-développement de la région à travers les différents accords de coopération (ACP-UE) qui ne servent presque à rien sauf à enrichir les pays européens. Un impérialisme économique complétant et prolongeant dans l'impérialisme politique.


3.3. Le paradoxe des ressources naturelles

La partie centrale du continent africain est généreusement pourvue en ressources, terres productives et richesses naturelles précieuses, renouvelables (eau, forêts et poissons, notamment) ou non (charbon, gaz, pétrole et autres minéraux).

Dans des circonstances appropriées, l'essor des ressources naturelles peut être un moteur essentiel de la croissance, du développement et du passage d'un artisanat familial à une production d'usine. En effet, lorsque l'approche retenue est adéquate, les ressources naturelles peuvent permettre de transformer une économie à faible valeur qui repose sur les exportations de produits primaires en une économie disposant d'une importante base manufacturière à forte intensité de main-d'œuvre (AREZKI, R. et Van der PLOEG, F. La malédiction des ressources naturelles peut-elle être transformée en bénédiction ? Le rôle des politiques et des institutions commerciales. Document de travail du FMI, document n° 07/55,2007, pp1-34).

Le blocage des Etats de l'Afrique centrale dans le développement économique et la mise en place effective d'une zone de libre-échange de la région est consécutif à l'inadéquation des Etats africains à assumer pleinement leurs souverainetés économiques et géopolitiques. Malgré que les Etats tels que l'Angola, la RDC, le Congo-Brazzaville, le Cameroun et le Gabon se sont également engagés dans la stratégie de concentration des exportations des produits de base devant leur offrir l'amélioration de l'emploi des facteurs, l'extension des dotations des facteurs et l'établissement des effets de liaison bénéfiques pour l'ensemble de leurs économies(HLA MYINT, L'économie des pays en développement, La revue économique américaine, Vol. 56, n° 1/2 (1er mars 1966), pp. 209-211), ce choix volontariste ne se traduit malheureusement par des effets positifs en termes de développement. Les raisons évoquées pour expliquer ce paradoxe étaient que les exportations des produits primaires, autres que le pétrole, ne peuvent pas soutenir durablement un processus de développement du fait de la lenteur de la progression de la demande internationale, du déclin tendanciel des cours mondiaux desdits produits, de la volatilité des recettes et du caractère inopérant des liaisons économiques (Gaëlle BALINEAU et Aurélie CARIMENTRAND, Dégradation des termes de l'échange, dans Dictionnaire du commerce équitable, Paris, 2012 pp 78 à 85).

Le paradoxe de la richesse en Afrique centrale s'en trouve ainsi scientifiquement prouvé dans ce sens que l'argent provenant des ressources naturelles en général et des ressources extractives en particulier ne servent pas aux besoins fondamentaux et stratégique pour les Etats et encore moins au profit de l'intégration économique régionale.

Les dispositifs juridico réglementaires du système de gouvernance dans la gestion des revenus étant mis en place par tous les Etats de la région, c'est l'opacité des dividendes à redistribuer dans les différents compartiments qui posent problème en Afrique centrale. Au Cameroun et au Gabon, ce système est régi par des Codes miniers. Au Congo, c'est le Ministère des finances et celui des hydrocarbures qui négocient les contrats pétroliers qui au sein de la CEMAC, sont des Contrats de Concessions, des Contrats de Partage de Production ou des Contrats de type hybride qui incluent un troisième partenaire, bailleur de fonds. En République Démocratique du Congo, parfois ce sont les individus qui signent des contrats en lieu et place de l'Etat' le cas du contrat chinois de 2008).

Il s'en suit donc un écart considérable entre les nombreuses richesses naturelles que possèdent ces Etats et les réalités économiques et sociales dans l'intégration économique régionale qui nécessite en premier lieu, la construction d'une zone de libre-échange régionale.

3.4. La question culturelle

L'intégration se définit comme une démarche volontaire entre des partenaires. Son but est la mise en commun des ressources et des actions dont la finalité se résume en deux volets : l'Emergence et renforcement des relations économiques et la Production des effets d'entraînement sur la croissance et le développement.

D'après l'école française de l'intégration (MARCHAL, la communauté économique européenne et les pays en développement, dans les annales de la Faculté de droit et d'économie de l'Université de Paris, 1965), celle-ci tient compte entre autre de la dimension historique qui explique l'intégration comme produit des transformations des structures économiques, politiques et sociales. Selon cette école, les Etats qui mettent en place une construction régionale basée sur les Etat-nations ayant une identité culturelle assumée peuvent mieux s'intégrer que ceux qui se cherchent encore.

Les attaques idéologiques et culturelles qui illustrent le manque de brassage humain entre peuples de la région montrent non seulement l'incapacité des Etats à garantir le bien-être de leurs citoyens propres, mais soulignent en plus de façon flagrante l'ampleur que le phénomène de discrimination a déjà pris, faute de moyens publics et de politique d'intégration effective de la part des gouvernements pour rétablir l'harmonie entre communautés nationales. Qui plus est, cette vulnérabilité et cette exposition des institutions étatiques face au manque de politique conséquente d'intégration et de discrimination montante remettent en question d'une façon évidente l'autorité de la CEEAC qui s'avère être la structure devant mettre ensemble les peuples centrafricains dans le respect de leurs droits fondamentaux (voir préambule du Traité révisé de la CEEAC, Libreville, le 18 Décembre 2019).

Nous pouvons, à ce titre, affirmer que la CEEAC est plus une intégration des dirigeants que des peuples. Bien ces dirigeants sont les représentants constitutionnels de ces peuples, ces derniers ne sont pas toujours leur émanation car la question des élections des élections dans cette région laisse à désirer.

4. LES CONSTATS FAITS

L'idée que les pays africains doivent aller vers une intégration économique s'est développée à travers l'accord-cadre d'Abuja qui s'est inspiré également sur les idées de la théorie de Balassa (Balassa, Les Nouveaux pays industrialisés dans l'économie mondiale, préf. de Bernard Lassudrie-Duchêne ; Approfondissement de la connaissance économique, Économica, Paris, 1986) qui est l'expression d'une époque dans laquelle l'accent était mis sur les libertés de circulation, les politiques publiques étant ignorées. L'économiste hongrois Bela Balassa a proposé en 1961 un schéma d'intégration régionale qui va de la simple zone de libre-échange à la constitution d'une union politique, en passant l'union douanière ou l'élaboration d'un marché commun. Modelé qui construit un continent présentant une situation économique et politique non comparable à celle de l'Afrique.

Deux grands freins bloquent l'intégration des Etats de l'Afrique centrale : l'économie et la politique.

4.1. Sur le plan économique

L'écart de développement entre les pays d'Afrique et d'Europe constitue le principal problème de cette zone. En effet, les pays centrafricains moins avancés ont besoin de garder leurs droits de douane pour alimenter leurs recettes budgétaires et assurer leur développement. Le carburant, l'eau, l'électricité, l'éducation, la santé, etc. étant subventionnés par l'État, la suppression des droits de douane aura un coût fatal sur le niveau de vie de la population, déjà précaire, dans la mesure où les recettes budgétaires sont en très grande partie issues des recettes douanières. Aussi, la majorité des entreprises africaines est peu compétitive. Ainsi, la suppression de toutes barrières tarifaires dans cette zone pourrait entraîner l'effondrement des économies africaines et accentuer la dépendance de ces dernières face à l'Union européenne.

Cependant, la politique de l'intégration commerciale mise en place par les pays membres n'a pas donné les résultats escomptés. La taxation communautaire, par exemple, ne s'est pas accompagnée d'une amélioration conséquente des infrastructures de transports et de communications, ce qui a constitué un frein aux échanges commerciaux intra-CEEAC. Ces derniers n'ont pas évolué et ont même baissé de plus de la moitié. Aussi, la CEEAC demeure confrontée à plusieurs problèmes fonctionnels et organisationnels, principalement, la non-application des décisions prises à l'échelon communautaire.

Dans les échanges internationaux, l'Afrique centrale souffre de la volatilité des cours des matières premières dont la gestion n'est pas aisée comme le montrent les théories économiques de la croissance appauvrissante de Bhagwati (BHAGWAT Jagdish, "Immiserizing Growth: A Geometrical Note, "Review of Economic Studies 25, June 1958, pp. 201-205) ; du syndrome hollandais par lequel le secteur pétrolier inhibe la croissance des autres secteurs économiques et du modèle de l'impact d'un boom du secteur minier sur le secteur des biens échangeables hors mine.

En d'autres termes, si les échanges internationaux offrent des avantages certains aux pays qui y participent et cimentent l'intégration économique régionale telle que le dit Balassa (Balassa, ibid), cela n'est pas le cas pour les pays de l'Afrique centrale qui sont tributaire des matières premières qui constituent encore le principal moyen d'obtenir le pouvoir d'achat nécessaire pour des importations vitales à leur développement économique mais se présentent comme un frein à la croissance économique et à l'épanouissement de l'intégration économique de la région centrafricaine.

4.2. Sur le plan politique


La gouvernance des Etats de la CEEAC se manifestent à travers : de la faiblesse des institutions politiques étroitement liées aux institutions économiques parce qu'elles règlent les institutions de réglementation des marchés, les institutions de stabilisation des marchés et les institutions de légitimation des marchés ; de la corruption et le détournement des deniers publics ;
de la question de l'alternance au pouvoir où au Cameroun, au Gabon et en Guinée Equatoriale par exemple, le même pouvoir politique est en place depuis plus de vingt ans et des conflits politiques qui délocalisent l'affectation des revenus des ressources naturelles et extractives.

L'intégration, sur le plan politique consiste à rassembler les éléments pour en former un tout ou réunir les parties existantes de façon à faire un tout organique ou encore augmenter la cohésion d'un tout déjà existant (Mokili Danga, les problèmes d'intégration économique régionale, cours inédit, L2 RI, UPN, 2022).

Selon Jean Barrea (Barrea Jean, Théories des relations internationales, de l'"idéalisme" à la "grande stratégie", Namur, Éditions Érasme, 4e éd., 2002, 325 p.), l'intégration se situe sur deux plans : interne et international. Dans sa phase interne, le processus d'intégration consiste à accroître la solidarité entre les éléments d'un ensemble préexistant, à accroître et à développer la cohésion d'un ensemble déjà constitué. C'est à cette phase que se réfère Maurice Duverger lorsqu'il définit l'intégration comme "un processus d'unification d'une société qui suppose non seulement la suppression des conflits, mais aussi le développement des solidarités".

Dans son aspect international, l'intégration peut être définie comme à la fois un processus et une situation qui, à partir d'une société internationale morcelée en unités indépendantes les unes des autres, tendent à leur substituer des nouvelles unités plus ou moins vastes, dotée au minimum du pouvoir de décision soit dans un ou plusieurs domaines déterminés, soit dans l'ensemble de domaines relevant de la compétence des unités intégrées, à susciter, au niveau des consciences individuelles, une adhésion ou une allégeance et à réaliser, au niveau des structures, une participation de tous au maintien et au développement de la nouvelle unité (KABAMBA WA KABAMBA, G, la communauté économique africaine du XXIe siècle, mythe ou réalité ? éd. MES, Kinshasa, 2003).

A cet effet, comment peut-on former un tout avec des Etats qui présentent des disparités démocratique, institutionnelles et juridiques. L'unité de l'intégration de l'Afrique centrale est mise en branle à cause de l'incapacité des dirigeants de ces Etats membres à respecter le jeu démocratique.


5. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS


L'objectif ultime de l'intégration est la suppression totale des barrières qui peuvent entraver les échanges commerciaux, la libre circulation des personnes et des biens, la diminution des coûts de transactions et à la convergence des règles et des politiques économiques sur le commerce, tout en assurant une bonne cohésion de paix et de sécurité entre Etats membres dans le respect des normes internationales.

L'Afrique centrale est la région la moins intégrée du continent, mais elle est la région qui reçoit le moins de ressources pour son intégration et la seule où l'assistance des institutions financières internationales en faveur de l'intégration a diminué au cours de cette décennie.

A travers cet article, nous avons voulu analyser les différents problèmes qui bloquent l'intégration économique en Afrique centrale. Ces problèmes ou déficit sont à la fois économique et politique, en passant par l'aspect sociologique.

Le contexte politique général et les relations entre les Etats membres de la CEEAC sont un facteur d'influence majeur sur leur fonctionnalité, et les efforts entrepris pour renforcer les capacités doivent s'inscrire dans une compréhension approfondie de l'économie politique régionale. D'un autre point de vue, il est possible que l'intégration régionale dépende du leadership d'une seule autorité incontesté qui définirait les priorités et conduirait les autres grâce à son hégémonie régionale. Tant que cette volonté politique ne se manifestera pas chez un dirigeant ou un groupe de dirigeants œuvrant de concert, le projet d'intégration restera au point mort6.


Pour favoriser le développement socio-économique de l'Afrique centrale dans une optique plus inclusive, divers recommandations peuvent être combinés au fil du temps notamment : L'efficacité des opérations économiques, La durabilité des projets d'intégration, La performance économique des pays membres, Améliorer le dialogue politique et le leadership, l'appui et le soutien des Etats membres à la résolution du problème d'insécurité et la mutualisation des forces pour enrayer toute velléité de conflit.

En somme, tous les acteurs doivent s'investir plus systématiquement dans la quête de la résolution des problèmes de la région et dans les interventions régionales en Afrique centrale. L'engagement général en faveur de l'intégration régionale devant constituer un moyen de favoriser le développement économique mais aussi d'intensifier les différentes activités de la CEEAC dans le domaine de la paix et de la sécurité.

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