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Denis Laforgue

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Champs de recherche

Le concept d’institution, ou plus précisément les différents usages que j’en ai fait et les déplacements que ce concept m’a permis d’opérer en terme d’analyse des phénomènes sociaux et d’intervention sociologique auprès d’acteurs sociaux, peut être considéré comme le fil rouge de mes activités de recherche.

Une sociologie académique des institutions publiques et de leurs publics

Un premier usage de ce concept d’ « institution » peut être qualifié d’ « analytique ». Il m’a permis de produire des savoirs académiques dans le domaine de la sociologie de l’action publique. Plus précisément mes travaux portent sur des « institutions publiques » relevant de politiques publiques scolaires, éducatives, sociales et sanitaires. Par ce terme d’institution (publique) je désigne des structures publiques ou para-publiques dotées d’une base organisationnelle et matérielle (lieux, établissements, professionnels, moyens d’action), qui ont pour mandat de transformer les subjectivités et/ou les corps des populations qu’elles prennent en charge. Il peut s’agir d’établissements scolaires, de structures d’aide ou d’accueil de personnes âgées ou handicapées, de collectivités locales intervenant auprès d’habitants ordinaires (dans les domaines du développement durable, de l’aménagement du territoire) ou de populations plus stigmatisées (parents de la protection de l’enfance), etc.
Mes analyses ont porté sur :
- les transformations des mandats des institutions socio-éducatives et de leurs modes d’intervention, c’est à dire les catégories de pensée (cadres cognitifs et moraux) et d'action (modes d’intervention auprès des individus) des professionnels de ces institutions publiques.
- les relations entre institutions et populations et la portée des actions institutionnelles sur la vie des acteurs ordinaires (enjeux d’égalité d’accès à différents biens, de reconnaissance individuelle des personnes, et de soutien des liens sociaux dans lesquels les individus sont encastrés).
Les apports de mes recherches sont les suivants : 1° à partir de l’ethnographie approfondie et de la comparaison de différents cas d’institutions publiques, j’ai cherché à modéliser ou à typifier la pluralité des mandats et des formes sensibles d’intervention publique dans les domaines du social et de l’éducation ; 2° j’ai eu aussi l’ambition de mettre en récit les évolutions du champ des institutions publiques socio-éducatives contemporaines. Il s’est agi d’échapper aux grands récits sociaux et sociologiques (vision ironique, tragique, enchantée, etc. des institutions) pour restaurer la pluralité, le trouble, l’ambivalence des processus à l’œuvre. La comparaison entre les trajectoires de différentes institutions m’a permis de mettre au jour des tendances transversales (potentiellement contradictoires), des interférences entre les institutions, ainsi que la portée de ces mécanismes pour les populations

Une sociologie théorique et critique des processus d’institution du social

Un second usage de ce concept d’institution est un usage théorique et critique (par rapport au théories dominantes dans la discipline). En effet, en tant qu’opérateur conceptuel, la notion d’institution, dans sa polysémie, ouvre des possibilités originales pour penser les processus par lesquels le social s’institue. Ce travail théorique (réalisé entre 2009 et 2015 a pris pour matériau empirique les enquêtes précédemment évoquées sur les relations entre des organismes publics et des acteurs ordinaires. Mais, l’enjeu était ici de mener une enquête conceptuelle pour « contourner » un certain nombre d’oppositions théoriques en sociologie générale. Pour cela, j’ai cherché à mobiliser, sous différents angles, le couple de concepts en tension (et non en opposition) « institué – instituant ».
La première opposition, que j’ai cherché à retravailler, concerne la dimension symbolique du social, c’est à dire la question des significations informant les manières de penser, de faire ou de parler des acteurs (publics et ordinaires). L’enjeu était de dépasser d’un côté une vision individualiste et mentaliste des significations, et de l’autre une approche faisant des significations des entités sociales ou culturelles s’imposant aux individus de l’extérieur. Pour cela, j’ai eu recours au concept de « magma de significations instituées et instituantes » développé par Cornélius Castoriadis (dans son ouvrage « L’institution imaginaire de la société »), pour appréhender tant les interventions publiques que les pratiques ordinaires des populations ethnographiées.
Une autre opposition théorique, dont j’ai cherché à me défaire, est celle entre une approche causaliste du social - une action (ou une structure) A est la cause d’une action (ou structure) B - et une approche purement évènementielle et donc principalement stochastique. Cette question est tout à fait cruciale pour mon objet de recherche à partir du moment où on souhaite penser les rapports d’influence entre des institutions publiques ou étatiques et d’autres mondes sociaux ou diverses populations. Pour cela, j’ai cherché à rendre opératoire en sociologie, le concept « d’institution comme série d’évènements (enchâssés) qui font suite », emprunté à Maurice Merleau-Ponty (cf. son ouvrage « L’institution »).
Enfin, dernière opposition qu’il me semblait nécessaire de retravailler, celle entre le « collectif » et l’« individu », s’incarnant sur mes terrains d’enquête sous la figure de « l’établissement public » et celle de l’ « usager » ou du « bénéficiaire ». En complément des deux conceptualisations précédentes de l’institution, j’ai forgé le concept de « machines institutionnelles » (inspiré des travaux de Deleuze et Guattari) pour sortir de cette opposition entre deux supposées « natures » du social : l’une correspondant au « social individualisé » (l’individu socialisé), l’autre à « l’individu collectif » (le groupe, l’organisation…). La valorisation de ce travail théorique a pris la forme d’’un ouvrage publié en 2015 chez l’Harmatttan (Essais de sociologie institutionnaliste).

Le faire sociologique comme institution

Un dernier usage de ce concept d’institution vise à faire du sociologue un « praticien réflexif » en se demandant ce que le travail sociologique fait au social (ici aux organismes publics et à leurs bénéficiaires) et vice-versa… Autrement dit, une partie de mes travaux et écrits consistent à s’interroger sur les modalités d’institution du social par le sociologue et inversement. L’enjeu est d’initier en ce domaine d’autres possibles que ceux dominants (et tout à fait légitimes) dans la sociologie académique (privilégiant un rapport épistémique au savoir sociologique, au sens où il a une valeur pour lui-même) ou dans la sociologie experte (dans laquelle le savoir sociologique est censé venir « éclairer » le monde social, pour les acteurs et leurs pratiques). Je travaille donc, au fil de mes expériences de recherche récentes (depuis 2013), à l’élaboration de ce que j’appelle une sociologie conversationnelle avec les mondes sociaux non-académiques (inspiré initialement des travaux de Tim Ingold, Marcher avec les dragons). Autrement dit, comment le faire sociologique peut-il se déployer (au fil du travail quotidien du sociologue et des relations avec le monde social dans lesquelles il est pris) sous la forme d’évènements qui font suite dans différents mondes sociaux tels que ceux de l’intervention publique, de la sphère privée, politique, etc. ? Et comment, en retour, les évènements qui font ces mondes sociaux (ne relevant pas du champ scientifique) peuvent venir participer de l’institution d’un faire sociologique (le mien) engagé dans différents mondes ? La valorisation de cet aspect de mes recherches a pris la forme d’une direction d’ouvrage collectif (« Le Faire sociologique »).




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AUTRES PARUTIONS

Directions d’ouvrages collectifs
1. Le faire sociologique. Epreuves et Horizons d’une recherche impliquée, Chambéry, Presses de l’USMB, 2018.
2. Violences et institutions : réguler, innover, résister, Paris, Editions alpha du CNRS, 2011. (avec C. Rostaing)
3. La voix des acteurs faibles. De l'indignité à la reconnaissance. Rennes, PUR, collection "Le sens social", 2008. (avec J.-P. Payet et F. Giuliani)