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Ibrahim Tabet

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Descriptif auteur


Franco-libanais, Ibrahim Tabet est diplômé d’HEC, licencié en histoire et chevalier de l’Ordre National du Mérite. Il a effectué la plus grande partie de sa carrière dans le secteur de la communication publicitaire et des médias au Liban et en France. Il milite en faveur de la francophonie au sein de l’association « La Renaissance Française », une Institution fondée en 1915 ayant pour mission de participer au rayonnement de la langue et de la culture française et des valeurs de la francophonie dans le monde, dont il préside la délégation du Liban. Il est également membre du Conseil du chapitre Liban de l’ONG Transparence International. Auteur de cinq ouvrages historiques, dont Le Monothéisme le Pouvoir et la guerre aux éditions l’Harmattan, il écrit régulièrement des analyses politiques et des articles historiques dans la presse libanaise d’expression française et a écrit des articles dans la revue : « Actualité de l’Histoire ».

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AUTRES PARUTIONS

Histoire de la Turquie de l’Altaï à l’Europe, éditions de l’Archipel, Paris, 2007
La France au Liban et au Proche-Orient, éditions de la Revue Phénicienne, Beyrouth, 2012. (Prix « Renaissance Française » 2012)


LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

Sur Internet

L'Orient-Le-Jour

Sur Internet

Le Courrier du Maghreb et de l'Orient

Prix littéraires

Le Prix France-Liban 2015 de l'ADELF a été décerné à Ibrahim Tabet pour son essai "Le monothéisme, le pouvoir et la guerre".

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

La diplomatie culturelle française au Moyen-Orient

La diplomatie culturelle française au Moyen-Orient

La visite d'Emanuel Macron aux Emirats Arabes Unis pour inaugurer le Louvre d'Abou Dhabi, projet initié par Jacques Chirac en 2007, rappelle que la diplomatie culturelle est une composante essentielle de la politique étrangère française. C'est au XVIe siècle que la France recommence à s'intéresser au Proche-Orient. La politique française vis-à-vis de l'Empire ottoman, puis du monde arabo-musulman deviendra une des plus vieilles constantes de sa diplomatie. La Capitulation signée par François 1er avec Soliman le Magnifique aura d'importantes répercussions culturelles et commerciales avec l'essor des échelles du Levant. Cependant à l'époque c'est l'Italien qui fait office de "lingua franca" en Méditerranée orientale. L'expédition de Bonaparte en Égypte, débouche l'école d'égyptologie française. Sur le plan culturel l'orientalisme, en tant que discipline scientifique, qui était né à l'époque des Lumières avec la création de l'École des langues orientales en 1795 prend un nouvel essor avec la création du Collège de France qui apporte une contribution théorique à une meilleure connaissance de la civilisation et des sociétés musulmanes

L'action de la France au Levant, correspond à celui de politique d'influence (soft power). Celle-ci combine les dimensions économique, religieuse et culturelle à l'action politique proprement dite dont elles sont indissociables. La France fait de la culture l'un des principaux vecteurs de sa politique étrangère. On peut même dire que la diplomatie culturelle est une invention française. A partir de la Monarchie de Juillet, le Quai d'Orsay, en accordant des subventions au système scolaire francophone, en fait un instrument majeur de sa politique. C'est en effet la langue qui apparaît comme mieux à même d'asseoir durablement l'influence française. A partir de l'ère des réformes, l'Empire ottoman adopte le français comme seconde langue administrative et bien sûr comme langue de la diplomatie, ce qui est d'ailleurs le cas partout dans le monde. La Troisième République crée en 1883 le réseau des Alliances françaises ayant pour but de favoriser la propagation de la langue et de la culture française dans le monde. En 1901 elle fonde la Mission laïque française ayant pour mission de créer des lycées dont la vocation est d'attirer davantage de non-chrétiens. Mais son idéologie laïque et la séparation de l'Église et de l'État ne l'empêchent pas de soutenir l'œuvre des missions catholiques en Orient : "l'anticléricalisme n'est pas un objet d'exportation affirme Gambetta". 1 Même après avoir été évincée politiquement d'Egypte en 1880 par l'Angleterre, la France y conserve une influence culturelle prépondérante, les Anglais étant bien plus soucieux de promouvoir leurs intérêts politiques et économiques que leur langue et leur culture. Au début du XXe siècle, la France jouit dans la région d'une influence culturelle qu'aucune autre puissance ne saurait égaler. L'ensemble de la Méditerranée orientale adopte le français comme langue étrangère de culture et de communication.
C'est particulièrement vrai au Liban où le développement des établissements d'éducation francophones permet l'extension du bilinguisme franco-arabe qui constitue une composante importante de l'identité culturelle libanaise. Ces établissements formèrent aussi une pléiade d'intellectuels qui sont à l'origine de la littérature libanaise d'expression française. Après l'accession du Liban à l'indépendance la Quatrième République, soucieuse du maintien de l'influence française, fait du Liban le grand foyer de la francophonie au Proche-Orient. La guerre du Liban lui fit perdre son rôle de porte d'entrée vers la région. Cependant les hommes d'affaires et les cadres libanais établis dans la région y apportent une contribution non négligeable à la présence économique et culturelle française. Sur le plan culturel, même si l'influence et le rayonnement de la France reste considérable, une certaine érosion se fait jour, due à plusieurs facteurs : l'intégration croissante du Liban à son environnement arabe, la progression de l'anglais et l'hégémonie planétaire de la culture de masse américaine auquel la francophonie a du mal à résister. Je me rappelle par exemple les vaines tentatives de l'association des publicitaires francophones d'enrayer le déclin de l'utilisation du français dans les campagnes publicitaires au profit de l'anglais que Jacques Séguéla qualifiait de "cocacolonisation" culturelle. Celle-ci se traduit entre-autres par la malbouffe auquel répond la diplomatie gastronomique qui fait désormais partie de la mission des ambassades de France. Cependant la progression de l'anglais se fait moins au détriment qu'en complément de la langue de Molière. Et la création l'ESA montre que les écoles de commerces américaines n'ont pas le monopole de l'enseignement d'excellence du management, même si l'anglais est devenu la langue internationale des affaires.
L'influence culturelle de la France déborde maintenant le cadre traditionnel du Levant et touche les pays du Golfe où il y a un réel engouement pour la culture française comme en témoigne l'ouverture de l'antenne du musée du Louvre à Abu-Dhabi. Même si la France est davantage amenée à inscrire son action dans le cadre de l'union Européenne il lui appartiendra toujours de jouer un rôle propre dans la région et au Liban où aucun autre pays européen n'a autant d'intérêts et d'être le moteur principal du rapprochement entre les rives nord et sud de la "Mare Nostrum". Tâche où la " diplomatie douce" (soft power) a un rôle capital à jouer.

Ibrahim Tabet

1 La France au Liban et au Proche-Orient, Ibrahim Tabet, éditions de la Revue Phénicienne 2012. Prix la Renaissance Française de l'Académie des sciences d'Outre-mer.

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De l'homo sapiens a l'homo deus

Vers un "homo deus" ?
C'est en Afrique, berceau de l'humanité, qu'apparut l'australopithèque, premier hominidé bipède, il y a environ 4,2 millions d'années. La libération des mains que permet la position debout entraîna à son tour l'accroissement de la taille du cerveau qui distingue l'espèce homo des singes. Il s'est passé autour de 2 millions d'années entre cette naissance et celle de l'homo habilis qui développa l'utilisation des outils de l'âge de pierre, puis celle de l'homo erectus. Elle fut suivie par l'apparition de la branche des Néandertaliens restée sans postérité et enfin, il y deux-cents mille ans de l'homo sapiens qui représente le stade final de la transformation anatomique de l'espèce. Alors qu'elle était sujette aux lois de la nature, l'évolution de l'humanité est désormais uniquement le produit de la culture. Notre ancêtre maitrisait déjà des rudiments de langage il y a environ 70000 ans. Puis, survint, il y a dix mille ans au néolithique, l'invention de l'agriculture au Proche-Orient, entraînant la transformation des chasseurs-cueilleurs du paléolithique (dont il existe encore des clans en Amazonie) en agriculteurs-éleveurs. C'est aux Sumériens qui créèrent la plus ancienne civilisation du monde que l'on doit l'invention de l'écriture il y a 5000 ans. On assiste dès lors à une accélération du changement. Il s'écoule par exemple dans le domaine technologique 4500 ans entre l'invention de l'écriture et celle de l'imprimerie (en 1450). Cinq cents ans entre cette dernière et le lancement du premier ordinateur commercial (en 1952) et moins de soixante ans entre celui-ci et celui des Smartphones. Ces progrès se sont accompagnés d'une évolution parallèle des croyances religieuses. Ce n'est pas grâce à l'utilisation de la pierre polie, c'est par la première tombe que l'homo sapiens se distingue des premiers hominidés. Les rituels de la mort attestés par les objets enterrés autour des corps des défunts témoignaient de l'idée qu'il existait une vie dans l'au-delà. La croyance en l'existence de causes surnaturelles aux événements naturels entraîna l'apparition, au cours du paléolithique, de l'animisme, forme primitive de religiosité sacralisant la nature. De l'animisme préhistorique, l'humanité est passée à l'hénothéisme (culte d'un dieu des dieux) puis, s'agissant des trois religions abrahamiques, au monothéisme. Selon la théorie évolutionniste dominante, chacune de ces grandes phases de l'histoire des religions représente un progrès par rapport à la phase précédente ; la pensée religieuse évoluant vers une sophistication et une abstraction plus grande. La question de savoir si le monothéisme constitue un progrès par rapport au polythéisme antique et aux autres croyances reste cependant posée. L'idée de l'unicité de Dieu est certes plus satisfaisante intellectuellement, mais celle du Dieu personnel des trois monothéismes - "Humain trop humain" selon Nietzsche - ne l'est pas davantage que celle d'un Absolu impersonnel formulée par l'hindouisme. Et force est de constater que les religions monothéistes n'ont pas toujours représenté une avancée au plan moral. Aujourd'hui encore, la majorité des hommes vit sous l'influence de religions non monothéistes et n'en prônent pas moins des idéaux éthiques. Les religions n'échappent pas à la loi du changement. L'idée qu'on se fait de Dieu n'est plus la même aujourd'hui qu'hier. Et Max Weber fait de l'histoire de la modernité, celle du "désenchantement du monde", de la sortie du monde magique de la religion et de la croyance irrationnelle dans l'action de Dieu dans le monde. La sortie du religieux pourrait finalement signifier "la mort de Dieu" enterré prématurément par Nietzsche. A moins que le courant individualiste et éclectique illustré par la fascination de l'Occident pour le bouddhisme ou le vedanta, ne conduise de plus en plus d'individus à se faire une religion à la carte. Ou que la tendance au syncrétisme incarnée entre-autres par le mouvement "New age" ne mène dans un lointain avenir à l'avènement d'une religion universelle ; laquelle selon Einstein sera une religion cosmique qui devra transcender l'idée d'un Dieu existant en personne et éviter les assertions dogmatiques réfutées par la science. Ces scenarios excluent l'hypothèse d'une disparition de la religion. "Le cœur a ses raisons que la raison ignore" disait Pascal. La religion s'adresse au cœur et la science à la raison. Mais l'homme a besoin des deux. Il porte en lui une angoisse existentielle que ne pourra jamais satisfaire la science expérimentale. Sur un autre plan l'idée que l'homme n'est qu'une étape de l'évolution vers un être supérieur formulée par des penseurs comme Nietzsche, Sri Aurobindo, Teilhard de Chardin et Carl Jung est en passe de devenir réalité. Cet "homme augmenté" ne sera cependant pas le produit d'une sélection naturelle. Pour "devenir ce qu'il est", selon les termes de Nietzsche, l'homme prendra le relai de la création de la main de Dieu. La convergence des biotechnologies, du génie génétique et des technologies numériques laisse en effet prévoir la naissance d'une post-humanité comptant parmi ses rangs des "homo deus" (titre de l'ouvrage de l'historien israélien Yuval Noah Harari) presque immortels et jouissant d'une capacité intellectuelle infiniment supérieure à la nôtre grâce à l'implantation de puces électroniques dans son cerveau. Parallèlement il est possible que les hommes établissent un contact avec des êtres intelligents habitants d'autres planètes et ayant leurs propres dieux. On peut se demander dans ces conditions quel sera le sort de nos religions actuelles et quelle place occupera la foi dans un monde de plus en plus "désenchanté". Il faut espérer que le nouvel homme cloné, cybernétique et asexué décrit par Houellebecq dans Les particules élémentaires ne soit pas dépourvu de cœur, ce qui signifierait également la mort de la spiritualité, de l'amour et de l'art. Mais il est probable que la post-humanité qui apparaîtra au cours du troisième millénaire aura pour nos religions le même regard que celui que nous jetons aujourd'hui sur les divinités de l'Égypte antique et ses livres sacrés.
Ibrahim Tabet

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L'hsitoire n'est pas un long fleuve tranquille

L'histoire n'est pas un long fleuve tranquille
"Nous autres civilisations, nous savons
maintenant que nous sommes mortelles"
Paul Valéry

L'histoire n'est pas un long fleuve tranquille. Elle garde les traces archéologiques des civilisations échouées sur ses rives, et son cours tumultueux est jalonné de périodes plus ou moins longues de reflux. Qu'il s'agisse de décadence culturelle et morale, de régression matérielle et démographique, ou de crises socio-économiques et politiques qui se nourrissent souvent mutuellement. Dans le sillage de la déferlante des peuples de la mer ("volkeswanderung") qui détruisit la civilisation mycénienne au treizième siècle avant notre ère, la connaissance de l'écriture, écrit Arnold Toynbee, disparut de la mer Egée jusqu'en 750 av. J.-C. Après les invasions barbares, il a fallu dix siècles à l'Europe pour rattraper le niveau de développement qui était le sien du temps de l'Empire romain. La croyance que le progrès matériel entraînerait nécessairement un progrès moral et social fut ébranlée au siècle dernier. La crise de 1929 envoya des millions de gens au chômage, les deux guerres mondiales firent des dizaines de millions de victimes et le génocide juif montra qu'une idéologie pernicieuse peut faire retomber une frange d'un des peuples les plus civilisés de la terre dans la barbarie.
La chronique du déclin de l'Occident annoncé par Oswald Spengler est toutefois bénigne comparée à celle du monde arabo-musulman dont on peut dire qu'il a connu sa Renaissance avant son Moyen-âge. Le printemps arabe comme jadis la "Nahda" a fait long feu et l'histoire des pays arabes depuis leur accession à l'indépendance n'est qu'une longue suite de désillusions. Les conflits qui déchirent aujourd'hui plusieurs pays du Proche-Orient et d'Afrique du Nord et sub-saharienne : Yémen, Irak, Syrie, Libye, Mali, rappellent à plus d'un égard les cataclysmes du passé avec leur cortège d'atrocités, d'épurations ethniques et de déplacements de population. Au-delà de leurs causes directes, leur désintégration est plus profondément l'effet de la régression idéologique et culturelle provoquée par l'islamisme radical qui a ravivé l'antagonisme chiite-sunnite et enterré le panarabisme. Tandis que la Turquie est le théâtre de la restauration d'un régime quasi-dictatorial et d'une entreprise systématique de déconstruction de son modèle kémaliste de laïcité. Qualifié de "revanche de Dieu" par Gilles Kepel, le phénomène du "retour du religieux" qui touche surtout l'islam relève d'avantage d'une instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Et la remise en question de la révolution du dévoilement de la femme musulmane traduit moins un regain de spiritualité qu'une forme d'affirmation identitaire.
La crise de l'Europe est certes infiniment moins grave que celle que connaissent ses voisins des rives sud et est de la Méditerranée, mais elle est réelle. La montée du populisme, du communautarisme du repli sur soi et du rejet des migrants va à l'encontre de l'idéal universaliste Kantien. Et celle des partis nationalistes d'extrême droite écorne le rêve d'Union Européenne déjà ébranlé par le Brexit. Le niveau déplorable de la campagne présidentielle française reflète la dégradation des mœurs politiques, le déficit déontologique des medias et le discrédit général de la classe politique. Et l'on peut se demander si des lois comme celle légalisant le mariage pour tous ou l'adoption d'enfants par des couples du même sexe constituent une avancée des libertés ou une dérive libertaire. Le célèbre "O tempora o mores" de Cicéron stigmatisant le déclin des valeurs morales romaines est plus que jamais d'actualité. Cela dit les politiciens occidentaux font figure de parangons de vertus comparés à leurs homologues arabes. C'est le cas en particulier au Liban où la corruption a atteins un niveau sans précédant. Et où la campagne de protestation brandissant le slogan "vous puez" inspiré par l'odeur pestilentielle des ordures jonchant les rues causée par leur incurie n'a eu aucun effet.
De l'autre côté de l'Atlantique, l'élection de Donald Trump témoigne de la crise que traverse la démocratie américaine. Le sentiment de déclin de l'Occident, et en particulier du vieux continent à la démographie en berne reflété par des ouvrages récents comme celui de Michel Onfray contraste avec le développement spectaculaire de la Chine et des autres pays asiatiques. Ceux-ci apparaissent comme les grands gagnants de la mondialisation accusée d'être à l'origine du chômage et de la paupérisation de la classe moyenne occidentale par ses détracteurs protectionnistes. L'effet de dissuasion de l'arme nucléaire a conjuré la peur de la mort de la civilisation qui a été remplacé par la théorie du choc des civilisations et par la perception par les Européens d'une menace contre leur civilisation posée par l'islam. De la manière dont l'Europe relèvera ce défi dépendra son propre avenir ainsi que celui de la paix et du vivre ensemble autour de la Méditerranée.
Ibrahim Tabet

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Islamisation de l'Europe ou islam européen

Islamisation de l'Europe ou Islam européen ?
En l'an 407 de notre ère, Honorius, empereur romain d'Occident, décrétait l'interdiction du port des braies (pantalons) par les barbares devenus de plus en nombreux au sein même de l'Empire. Cette réaction tardive contre un attribut vestimentaire, considéré comme un signe distinctif de défi identitaire au port traditionnel de la toge, n'eut bien sûr aucun effet sur le sort de Rome. Trois ans après, en 410, survint le sac de la Ville éternelle par les Wisigoths d'Alaric. A entendre les cassandres du déclin de l'Europe et du péril musulman, il pourrait exister une analogie entre le sort de l'Empire romain et celui du vieux continent à la démographie en berne. Les musulmans représenteraient, pour emprunter la terminologie de Toynbee, un "prolétariat intérieur" et un "prolétariat extérieur" menaçant sa civilisation. Alors que la chute de Rome fut attribuée par les auteurs païens au dépérissement de ses vertus viriles causée par l'apparition du christianisme et l'abandon de ses dieux protecteurs, certains auteurs affirment aujourd'hui que la crise de la culture européenne (titre d'un livre d'Hannah Arendt) ne saurait être conjurée que par la réaffirmation de ses valeurs judéo-chrétiennes. Et ils fustigent pêle-mêle la déchristianisation, l'individualisme, l'hédonisme, la permissivité, le matérialisme et même le socialisme, qui seraient la cause du délitement des valeurs qui ont formé l'ossature de la civilisation européenne. C'est le cas d'Eric Zeimour qui, dans "Le suicide français", analyse la perte de valeurs qui, selon lui, caractérise la France depuis mai 68, et dénonce le communautarisme et l'action corrosive de l'immigration musulmane sur le modèle de laïcité républicaine. Ou bien de Michel Houelbeck qui, jouant sur la propension des Français à se faire peur, décrit dans son roman-fiction " Soumission" une France gouvernée par un parti musulman en 2022. Autrement plus inquiétants sont les mouvements d'extrême droite comme Pegida ("Les Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident"), qui surfent sur l'islamophobie. Le sentiment d'un défi culturel et démographique musulman a été aggravé par la recrudescence de l'afflux migrants, alors que celui-ci est sans commune mesure avec le danger existentiel que court le Liban qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde par rapport à sa population et sa superficie. S'y ajoute le danger sécuritaire du terrorisme islamiste planant sur l'Europe. Certains dirigeants politiques affirmant même que celle-ci est désormais en état de guerre.
Le communautarisme à l'anglo-saxonne et la laïcité à la française éprouvent autant de difficultés à gérer le problème posé par la croissance et la difficile intégration des populations musulmanes d'Europe. Bien que beaucoup de musulmans, sans doute la majorité, ne cherchent qu'à s'intégrer dans leur pays d'adoption, d'autres répugnent à adopter leurs mœurs et leurs valeurs. Et d'autres encore éprouvent du ressentiment envers leur passé colonial, leur parti-pris en faveur d'Israël, ou leurs interventions militaires dans le monde musulman. L'interdiction du port du voile dans les institutions publiques ne saurait enrayer la propension d'une frange de musulmans à revendiquer ostensiblement leur identité. (Paradoxalement il est perçu par les intéressées comme une atteinte à leur liberté alors qu'il est en fait un instrument de soumission à une coutume rétrograde). Autrement plus efficaces sont un certain nombre de mesures visant à assurer l'émergence d'un islam européen, telles que par exemple la formation des imams et l'interdiction du financement des lieux de cultes musulmans par des institutions ou gouvernements étrangers. La difficile intégration des musulmans d'Europe passe par le traitement des facteurs à l'origine des sentiments de frustration, d'humiliation et d'exclusion qu'ils ressentent, en particulier les jeunes touchés de plein fouet par le chômage. Et si le combat contre le terrorisme islamiste nécessite un renforcement des mesures sécuritaires, le défi est de trouver, sur la scène intérieure, un équilibre entre liberté et sécurité. Enfin la défaite éventuelle de Daech n'éliminerait pas pour autant l'idéologie dont est issue cette organisation criminelle, et les autres mouvements jihadistes qui vouent une haine inexpiable contre les "croisés et les juifs" et dont l'objectif déclaré est non seulement de porter la guerre contre l'Occident considéré comme "dar el harb" (le territoire de la guerre), mais d'instaurer la charia en terre d'islam.
La tâche de contrer la montée de l'islam radical relève avant tout des musulmans eux-mêmes, car elle fait autant peser une menace sur l'Occident que sur le monde musulman qu'elle voue à une longue traversée du désert, faite de guerres sectaires, d'obscurantisme, de régression culturelle, d'entraves aux libertés individuelles et d'atteintes au statut des femmes. Cette montée est due à des causes profondes aussi bien politiques et socio-économiques que religieuses. Les dictatures séculières du monde arabo-musulman en portent autant la responsabilité que le wahhabisme, les Frères musulmans et les salafistes. Elle ne saurait s'expliquer uniquement par l'incompatibilité entre l'islam et les droits de l'homme, le fait que Mohammad était aussi un chef de guerre et les versets du Coran prêchant la violence contre les "infidèles". Cela dit ces versets existent. Même s'il y avait une hiérarchie et une autorité religieuse suprême au sein de l'islam, elle ne pourrait pas les abroger. Quant aux exégètes musulmans qui tentent de promouvoir une lecture du Coran compatible avec la modernité et le libéralisme, ils ne peuvent qu'avoir une influence limitée, tant qu'ils restent au sein du sunnisme. Et les tentatives de réprimer l'islam, initiées par des réformateurs politiques, tels qu'Atatürk, ont fait long feu, comme en témoigne la réislamisation de la Turquie. Faut-il pour autant souhaiter l'émergence d'un Luther musulman qui initierait une rupture, telle que celle qu'a connue la chrétienté avec la naissance du Protestantisme ? Ce serait provoquer une nouvelle guerre de religion intra-musulmane telle que celle qui fait rage entre sunnites et chiites. Ce qu'il faudrait plutôt c'est un mouvement progressiste et libéral tel que le bahaïsme. Surgie d'un milieu chiite, la foi bahaïe appelle à l'égalité des sexes, à la compatibilité de la science et de la religion, à la relativité de la vérité (y compris la vérité religieuse) et à l'unicité absolue du genre humain. Trois personnalités ont mené cette révolution issue de l'islam. Ali-Muhammad Shirazi (1819-1850) surnommé, le "Bab" (la Porte), Mirza Hussein Ali (1817-1892) "Baha'ullah" (la Gloire de Dieu) et son fils Abdul Baha' (1844-1921). En faisant du statut de la femme un des axes principaux de sa religion, le "Bab" a signalé sans ambigüité sa volonté de briser à tout jamais le cadre traditionnel de l'intégrisme islamique. Critiquant dans ses écrits toutes les religions établies, Abdul Baha' affirme que la religion ne doit être comprise ni comme une croyance, ni comme une idéologie, mais comme une relation authentique entre Dieu et l'homme, d'une part, entre tous les êtres humains, d'autre part. A un niveau plus global, il convient surtout, pour démentir la prédiction du choc des civilisations, de promouvoir "le vivre ensemble autour de l'espace méditerranéen" auquel œuvre la Charte Commune de la Méditerranée en voie de préparation. Lequel pourrait s'inspirer du Liban, "ultime refuge du cosmopolitisme méditerranéen et du vivre ensemble entre l'Europe et le Monde Arabe, l'Islam et le Christianisme, le Christianisme Orthodoxe et le Christianisme Catholique, l'Islam Sunnite et l'Islam Chiite"
Ibrahim Tabet

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