
Jean-Jacques LATOUILLE
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Descriptif auteur
docteur en sciences de l’éducation, études de sociologie et de psychologie, auteur d’un douzaine de livres, a été chargé de cours en gestion des processus d’innovation et en communication interne dans les organisations. Il a occupé de nombreuses fonctions dont collaborateur d’élus et conseiller de Ministre
Structure professionnelle
:
9 Ter rue Saint-Pierre le Puellier
86000 POITIERS
Titre(s), Diplôme(s) : doctorat sciences de l'éducation, DESS de sociologie, licence de psychologie
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AUTRES PARUTIONS
* Gilets Jaunes, Iggybook,
* François Hollande : le rêve n’a pas été au rendez-vous, Dictus Publishing, Sarrebruck, août 2015 www.dictus-publishing.eu
* L’histoire de l’Université de Valence, Paris, L’Harmattan, mai 2012
Participation à des ouvrages collectifs :
* « regard d’acteur sur un texte de Marcel Crahay ‘’apprendre et enseigner : du simple au complexe, et vice versa ‘’ » dans « Enseigner » sous la direction de Vincent DUPRIEZ et Gaëtane CHAPELLE
PUF, mars 2007
* « Les incidences de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées sur le fonctionnement du système éducatif et l’orientation » dans « l’orientation et ses services : éléments de culture juridique et administrative » sous la direction de Dominique ODRY
ESEN, décembre 2006, (téléchargeable sur http://www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/Modules/Ressources/Publications/orientation_services/orient-serv.pdf )
* « la formation pour adulte : le café-philo comme méthode de formation à l’Ecole Supérieure de l’Education Nationale » dans ‘’apprendre en philosophant’’,
SCEREN -CRDP Poitou-Charentes, 2006
* "place du concept de territoire dans la formation des cadres intermédiaires" dans territoires éducatifs et gouvernance,
ed SCEREN et Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003
* direction pour la Revue "éduquer" d'un numéro sur "l'écriture",
ed L'Harmattan, juin 2002
sous le pseudonyme Jean-Jacques de Corcelles
Quelques mots (recueil de contes) autoédition, 1985 (épuisé)
L'Isère autrefois Horvath, 1987, 1993, 1995
Grenoble autrefois Horvath, 1988, 1993, 1995
Les écoles à Tullins-Fures entre 1789 et 1851 autoédition, 1990 (épuisé)
La cuisine en Dauphiné : l'Isère Curandera, 1992 (épuisé)
La cuisine en Dauphiné : la Drôme Curandera, 1992 (épuisé)
La cuisine dauphinoise traditionnelle Horvath, 1996 (épuisé)
L'Isère au fil du temps (texte pour recueil d'aquarelles) Ch. Castella, 1996
Fêtes et cuisine dans les Alpes du Sud Edisud, juin 2005
En collaboration :
Dictionnaire des communes de l'Isère Horvath, 1987
Histoire du Dauphiné Horvath, 1992
(sous la direction de Henri Rougier, directeur de l'institut de géographie alpine de Grenoble)
Histoire de Tullins-Fures autoédition, 1987 (épuisé)
La noix et le noyer Edisud, 1995
In revue RADICELLES (ISBN 1 277 2097) n°9 / 10 1999
- Le transport, d’une principauté à une province (histoire du Dauphiné),
- Seine, transport pour des amours (nouvelle).
Textes de spectacles
Un château - une vie : soutien textuel pour l'illumination du château de Gaillac à l'occasion des fêtes des vignerons
Tullins-Révolution : commande de la mairie de Tullins pour un son et lumière à l'occasion de la célébration du bicentenaire de la Révolution
Divers textes pour des émissions de radio (radio privées, Radio-France-Isère)
LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
Avant Jules Ferry il y avait des écoles
https://politiqueethumanite.over-blog.com/2024/02/monsieur-le-depute-non-l-enseignement-prive-ce-n-est-pas-le-service-public.html
Dans mon précédent billet, où je voulais montrer la place historique de l'enseignement privé comme supplétif d'un enseignement public qui soit n'existait pas encore soit était insuffisant pour répondre à la demande sociale, je donnais l'exemple de l'évolution des écoles dans la petite ville de Tullins-Fures, je précisais notamment l'intérêt, dès le 17° siècle, que les édiles locaux portaient à "l'école". Cela me valut une critique acerbe de la part de certains de mes lecteurs, je cite l'un d'eux : "Vous n'avez pas l'air au courant que c'était comme ça partout, en France, les ordonnances et déclarations royales…", puis, suit une liste assez impressionnante de décisions issues d'ordonnances royales dont aucune n'est datée, ce qui est une grave erreur lorsqu'on traite d'histoire, et certaines assertions me semblent entachées d'erreurs voire pourraient passer pour être des contrevérités. Comme l'explique Jean Baubérot dans un billet de blog je ne suis pas hostile aux commentaires qui souvent enrichissent ma réflexion, mais si je ne suis pas hostile aux commentaires même les plus critiques, encore faut-il qu'ils soient totalement justifiés.
Tout d'abord, je voudrais souligner le fait que lorsque je cite les écoles de Tullins-Fures je ne le fais qu'à titre d'exemple et non pas pour montrer ce qui serait une exclusivité dans un monde de néant. Dans le contexte de ce billet, cet exemple joue un rôle crucial ; il est une illustration concrète qui permet de mieux comprendre la situation et l'évolution des écoles et plus largement du système scolaire. Il permet aussi, dans une certaine mesure, de soutenir les arguments que j'avance. Enfin, il permet aux lecteurs de comprendre ou pour le moins d'envisager dans les grandes lignes les étapes de l'évolution du système éducatif en France. Si je comprends qu'on puisse abonder l'exemple que je donne par un autre exemple, par contre il ne me semble pas pertinent de les opposer l'un et l'autre comme le fait le commentateur de mon texte lorsqu'il écrit : "Dans les villes, les collèges (enseignement secondaire) qui étaient municipaux comme celui de l'Esquille à Toulouse faisaient l'objet régulièrement d'une concession pour plusieurs années entre des ordres religieux concurrents : jésuites, oratoriens, bénédictins, ou autres, qui présentaient un projet, un programme, les enseignants, un prix. Exactement comme actuellement pour les cantines qui sont concédées à des chaînes concurrentes comme Sodexo, Elior, Compass, ou autres. Le conseil de la municipalité (échevins, consuls, capitouls) votait pour la meilleure proposition." On ne peut pas opposer ces deux exemples ne serait-ce que par la nature et l'importance des villes d'où ils proviennent : Tullins Fures petite ville rurale qui atteignait péniblement, en 1793, 3500 habitants (ce qui était déjà une ville importante) face à Toulouse où la population en 1790 s'établit à 52 439 habitants. L'exemple possède la valeur et l'intérêt que je décris plus haut, il perd l'un et l'autre s'il doit être opposé un autre exemple sans qu'il y ait de similitude entre les deux : ici, de population, d'organisation administrative et politique, de développement économique, de puissance des différentes parties prenantes… Opposer ces deux exemples est un non-sens scientifique, pareillement à la comparaison entre les "concessions" que pouvaient obtenir des ordres religieux pour enseigner dans la ville avec les concessions de service public donné dans le cadre des cantines scolaires. Pour qu'il y ait concession de service public il faut qu'il y ait un service public.
Mon aimable commentateur nous indique que : "c'était comme ça partout, en France, les ordonnances et déclarations royales : — imposaient l'enseignement obligatoire et gratuit pour tous les garçons et toutes les filles, sauf dérogation de l'évêque pour les parents justifiant que leurs enfants l'étaient déjà à domicile ou dans un collège, — obligeaient toutes les communautés d'habitants (campagne) et municipalités à engager un maître d'école (et une maîtresse pour les filles au-dessus d'un nombre d'enfants), — les autorisait à lever sur tous les foyers de la paroisse, même sans enfant scolarisé, un droit d'écolage pour payer leurs gages et leur maison…" : quelles sont ces ordonnances, à quelles dates furent-elles promulguées ? On ne peut pas "faire un paquet d'ordonnances" sans référer à l'autorité qui les prit et à "l'ambiance" culturelle de l'époque : quelles similitudes entre Charlemagne et Louis XIV, quelles similitudes dans l'organisation sociale et administrative à ces deux époques, la France de l'un n'était pas celle de l'autre (le Dauphiné ne rejoint le royaume que lorsque le Dauphin Humbert II le céda à la couronne en 1349 ? Étudier l'évolution de l'enseignement et l'évolution des écoles en tant que structures permet de mettre en évidence comme l'écrit Antoine Léon : qu'"il paraît cependant difficile de préciser l'origine et les transformations des structures ou des programmes sans se référer constamment à l'histoire générale, tant il est vrai que les institutions scolaires constituent, à la fois, un reflet et un facteur de développement de la société."
Lorsqu'on étudie la genèse du système scolaire France on ne peut pas faire l'impasse sur la Gaule romaine pas plus que sur les premières écoles chrétiennes et la création des universités, médiévales. Ainsi, Philippe Ariès écrit dans sa préface au livre d'Eugenio Garin : "une histoire sans doute simplifiée, mais non pas fausse, de l'enseignement et de la vie des écoliers, pourrait bien négliger l'humanisme et conserver seulement le grand fait essentiel, à savoir qu'il existait ce type d'école pour les litterati depuis l'époque mérovingienne jusqu'au XVIIIe siècle, pendant plus d'un millénaire, et que c'est l'école latine. Il n'est pas inutile de suivre son évolution, ses réformes, les perspectives de ces programmes, mais il important avant tout de comprendre que pendant cette longue période, la seule langue scolaire était le latin. Tout le reste, y compris la langue et la littérature nationale était transmis par d'autres moyens que l'école. Cela veut dire que ni Ronsard, ni Malesherbes, ni Corneille, ni même Voltaire (quoiqu'il faille ici nuancer) n'ont appris le français à l'école." Outre les jalons chronologiques, l'histoire de l'école ne peut se départir ni de la société dans laquelle apparaissent des contenus d'enseignement pas plus que de son organisation politique et administrative.
Ici ou là, des écoles sont apparues nous dirons spontanément, d'autres étaient le fait d'une impulsion donnée par une autorité étatique ou le plus souvent religieuse. Comme ce fut le cas, écrit Eugénio Garin, avec "l'admonitio généralis de 789, où Charlemagne remettra en vigueur et complétera certaines dispositions préexistantes mais inappliquées, en imposant l'ouverture d'écoles où l'on apprend à lire aux enfants. En 529 déjà, le concile de Bezons stipulait que l'on étendit partout une coutume italienne fort salutaire, selon laquelle les prêtres des paroisses devaient recevoir de jeune célibataire et leur enseigner les psaumes et la loi du seigneur "de façon à se ménager de dignes successeurs". Les capitulaires de 802 stipulent que "tous les fidèles peuvent envoyer leurs enfants étudier les lettres jusqu'à ce qu'ils les aient apprises". L'Anglais Alcuin conseille des classes séparées et des maîtres différents pour l'enseignement de la lecture, de l'écriture et du chant. Les écoles de cette période voyaient apparaître, en France, une pédagogie chrétienne catholique dont la perspective était de défendre la religion menacée par différents organismes et surtout par le protestantisme ; il s'agissait donc de former les membres du clergé, en même temps l'Église pensait qu'il était bon d'instruire les enfants pour les sortir de l'obscurantisme, donc on multiplia ces écoles au cours du Moyen Âge, parallèlement à la multiplication des écoles et à l'évolution du niveau culturel des ecclésiastiques on observait que l'autorité de l'Église se renforçait.
On peut alors distinguer trois types d'écoles : les écoles monastiques ou claustrales qui étaient installées dans des monastères accueillants dès le début du IVe siècle des enfants susceptibles d'entrer dans les ordres. L'éducation monastique fut introduite en Gaule par les disciples de Saint-Benoît et du moine irlandais Saint Colomban, on vit alors des monastères bénédictins s'édifier à Marseille, Arles, Uzès, Lérins, etc. À la même époque furent créées des écoles épiscopales encore appelées écoles cathédrales qui se présentaient comme de petits séminaires qui furent le ferment de la création des universités médiévales. Enfin, il y avait les écoles presbytérales ou paroissiales qui sont essentiellement apparues au XVIe siècle après le deuxième concile de Vaison (529) qui prescrivait "à tous les prêtres chargés de paroisse de recevoir chez eux, en qualité de lecteurs, des jeunes gens, afin de les élever chrétiennement, de leur apprendre les psaumes et les leçons de l'Écriture, et toute la loi du seigneur, de façon à pouvoir se préparer parmi eux de dignes successeurs". On voit donc que la création des écoles répond d'abord au besoin que l'Église avait de renforcer sa position dans la société ainsi que son pouvoir, et avec les écoles paroissiales on voit, contrairement au commentateur de mon premier billet, que les prêtres chargés de paroisses c'est-à-dire les curés étaient bien invités à prendre en charge l'instruction des enfants de leur paroisse. S'il s'agit de former les futures membres du clergé, pour autant tous leurs élèves ne se destinaient pas à une fonction ecclésiastique.
Après la mort de Charlemagne, l'instabilité et l'insécurité que connut l'ex-empire entraîneront entre autres une stagnation de la vie intellectuelle et un quasi-arrêt du développement des institutions scolaires. Alors que la monarchie capétienne s'organisait durant les onzièmes et douzièmes siècles, le haut clergé voit ses prérogatives s'accroître et son monopole sur l'enseignement se renforcer. L'administration scolaire, si on peut s'exprimer ainsi, dépend de la compétence exclusive de l'évêque. C'est durant les troisièmes et quatrièmes conciles du Latran (1179-1215) qu'apparaît une véritable politique scolaire mais essentiellement au service de l'Église, elle était financée par un bénéfice ecclésiastique afin qu'un maître puisse donner gratuitement des leçons aux clercs de cette église mais aussi aux écoliers sans ressources. Ouvrons une parenthèse pour souligner que s'il y avait bien une intention d'amener vers l'instruction scolaire (et surtout religieuse) des enfants pauvres, dans les faits ceux-ci furent extrêmement peu nombreux à rejoindre les écoles tant les travaux agricoles dans les zones rurales que ceux manufacturiers dans les villes les retenaient pour notamment apporter un complément de revenus à la famille. C'est dans ce contexte que l'on voit apparaître les premières corporations enseignantes.
La multiplication des universités au Moyen-Âge et surtout l'augmentation du nombre des étudiants et des enseignants ainsi que l'impact de la réputation de certains professeurs, comme en droit avec Cujas, qui firent que ces établissements échappaient petit à petit à l'autorité de l'évêque. Il fallut donc une nouvelle organisation, tant pour les universités que pour les écoles (petites écoles comme collèges), ainsi de nouvelles règles apparurent notamment celles concernant l'accès à la fonction enseignante : il fallait pour ouvrir une école avoir suivi pendant 5 à 7 ans d'enseignement d'un Maître confirmé, être titulaire de la licentia docendi (licence d'enseigner). Si, à cette époque le Pouvoir Royal intervient dans ces universités c'est essentiellement pour régler les démêlés entre les étudiants et la police. Les professeurs comme les étudiants bénéficiaient de privilèges qui furent confirmés par Philippe Auguste et par Saint-Louis, mais que Louis XI limita, deux siècles plus tard, en étendant la compétence du Parlement et en renforçant l'autorité du prévôt de Paris pour ce qui concerne l'université de Paris, il fit de même pour l'université de Valence en Dauphiné dont il fut à l'origine de la création en 1452. Mais aucun de ces trois rois ne manifesta de réel intérêt pour les petites écoles ni pour les collèges saufs quand ces derniers concurrençaient trop fortement la Faculté des Arts qui préparait à trois grades dont le premier, s'adressant à des étudiants âgés entre 14 et 16 ans, est sanctionné par la "déterminance" qui, au XVe siècle, prit le nom de baccalauréat. La délivrance des grades (des diplômes) se fait sous l'autorité de l'évêque et pas sous celle du Roi ni de son représentant ; l'évêque étant chancelier de l'université.
Un regard schématique sur l'évolution des universités en France au Moyen Âge permet de camper le paysage tant politique que sociologique de l'évolution de l'organisation scolaire du pays. Le développement de l'université a permis une accélération du développement de ces écoles. Tout d'abord l'université a été un incroyable "bouillon de culture" qui sans nul doute a été sinon à l'origine du moins a accompagné "un ensemble de transformations socio-économiques, politiques, idéologiques et culturelles." Ces transformations ont entraîné de nouveaux besoins relatifs à la qualité de l'enseignement, mais surtout de nouvelles demandes et conséquemment de nouvelles offres de formation. Un nouvel idéal éducatif apparut et fut notamment porté par les Jésuites au sein des collèges qu'ils ont ouverts. La création de ces collèges dont certains sont venus concurrencer très directement les Facultés des Arts, a permis la mise en place et l'essor de l'enseignement dont on peut sans doute dire qu'il était plus pragmatique que son prédécesseur, plus tourné vers les besoins de la société. L'essor de cet enseignement entre aussi en résonance avec le développement des luttes religieuses inaugurées par la Réforme ; conséquemment le Pouvoir Royal s'intéresse aux questions scolaires parce qu'il prend part aux luttes religieuses et "s'efforce de rattacher le domaine de la foi à une conception totale de l'unité nationale." Il est une autre composante de la société qui s'intéresse au développement des écoles : la "bourgeoisie" qui a émergé petit à petit au sein des villes. Cette bourgeoisie, surtout ce que certains appellent la grande bourgeoisie, va entraîner notamment au XVIIIe siècle un remaniement de valeur pédagogique. On va alors s'intéresser, parce que (schématiquement) l'enfant doit prendre la succession du père dans les affaires ou qu'on espère pour lui l'accès à une fonction juridique (par exemple), à "un enseignement ouvert sur la vie, des programmes réalistes, répondant aux exigences d'une société fluide." C'est dans les collèges tenus par les Oratoriens et les Jésuites que les "bourgeois" trouveront satisfaction à leur demande. Le développement des collèges fut tel avec un développement considérable des congrégations enseignantes, que le corps universitaire ne pouvait pas échapper à la désagrégation ; c'est comme le rappelle Antoine Léon "le plus souvent dans des établissements indépendants de l'université qu'on peut trouver un enseignement secondaire ou supérieur de qualité."
Dans ce paysage, l'enseignement primaire conçu à la fois comme une œuvre de charité et comme un instrument de prosélytisme au service de l'Église, ne donne lieu qu'à des réalisations extrêmement modestes ; on est très loin d'un système scolaire qui aurait été voulu par la royauté et qui se serait développé au service de toute la population. Les petites écoles, n'ont connu de réel développement qu'à la toute fin de l'Ancien Régime. Pour autant il serait faux de dire que les rois n'auraient pas eu de politique scolaire, nous avons vu plus haut ce qu'il en fut pour Charlemagne par exemple. Le premier roi pour lequel on peut écrire qu'il s'est véritablement intéressé au système scolaire c'est François Ier (nous sommes déjà au XVIe siècle) qui est intervenu très directement dans le processus de rénovation culturelle en imposant l'usage de la langue française dans les actes judiciaires et dans les registres de baptême, et surtout en instituant le Collège des lecteurs royaux en 1529 qui deviendra le Collège de France. Là, il faut rappeler que la fin du règne de François Ier est marquée par le début des affrontements entre catholiques et protestants ce qui n'est pas anodin pour le sujet qui nous intéresse ici. Luther avait vu qu'une instruction obligatoire était la condition indispensable pour une authentique éducation chrétienne et le développement de la religion protestante. Alors au moment où de nombreuses écoles de l'Est et du Midi de la France sont touchées par le protestantisme, l'Église catholique doit réagir et elle le fait au moment du concile de Trente ans décidant de créer dans chaque église "une petite école dans laquelle le Maître, précepteur choisi par l'évêque, enseignera gratuitement aux enfants pour la lecture, l'écriture, la grammaire, le chant, le calcul" ; ce faisant l'Église catholique veut lutter autant contre l'obscurantisme que contre le développement de la Religion Réformée. L'Église obtiendra le soutien du Pouvoir Royal puisqu'"en sa qualité de roi très chrétien, de roi obligé par serment de défendre l'église et par conséquent de faciliter l'instruction religieuse de ses sujets." L'Édit de Nantes (1598) permet aux protestants d'ouvrir des écoles publiques. En même temps le pouvoir royal, par les statuts qu'il impose à l'Université, conforte la mainmise qu'il a sur elle et affirme la sécularisation de l'éducation.
L'arrivée au pouvoir de Louis XIV est marquée, en matière d'école, par un succès grandissant des Jésuites et des écoles protestantes qui seront finalement interdites par la révocation de l'Édit de Nantes. Beaucoup de ces écoles protestantes continuaient leur activité de façon clandestine, il fallait donc que le pouvoir royal trouve une parade ; Louis XIV prescrit l'obligation scolaire jusqu'à 14 ans dans son ordonnance de 1698 espérant ainsi la conversion des enfants vivant dans les régions où le protestantisme s'était particulièrement développé. On voit alors prospérer deux congrégations religieuses qui se consacrent à l'enseignement gratuit des enfants pauvres : la Congrégation des Frères de Saint-Charles fondée à Lyon en 1666 par Charles Démia et l'institut des Frères des Écoles chrétiennes créé à Reims en 1680 par Jean-Baptiste de la Salle. Le pouvoir politique, en particulier le ministre Colbert, prend de la distance avec les collèges auxquels on reprochait d'instruire trop d'enfants ce qui "présentait un risque pour l'économie nationale et semblait compromettre le recrutement de la main-d'œuvre manuelle nécessaire à la production." On pensait donc qu'il y avait trop de collèges, toutefois le recensement des collèges organisés par Colbert n'entraîna pas de fermeture notamment en raison de la crainte de voir les villes protester. Cependant la suppression de la Compagnie de Jésus en 1764 entraîna la fermeture de nombreux collèges.
Après la mort de Louis XIV, le régent et Louis XV continu la politique de coercition vis-à-vis des écoles protestantes, et maintiennent une préoccupation forte à séculariser l'enseignement et à réglementer la vie universitaire. C'est ainsi qu'au niveau des écoles élémentaires, l'Intendant du Roi, en tant qu'il est tuteur des villes et des communautés rurales intervient à côté de l'évêque dans la vie des écoles, là où il y a des écoles. Mais l'intervention du Pouvoir Royal concerne essentiellement l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur : en 1719, par exemple, le roi instaure la gratuité des collèges universitaires de Paris, il crée des concours d'agrégation en 1766 pour les maîtres ès arts qui voulaient occuper une chaire, et il fonde diverses écoles techniques et militaires. À la même époque de nombreux ouvrages de pédagogie et des projets d'organisation de l'enseignement sont publiés à foison, je ne citerai que deux ouvrages : l'Essai d'éducation nationale (1763) écrit par de La Chalotais et le Mémoire sur l'éducation publique (1764) de Guyton de Morveau. Ces deux ouvrages, sans doute plus célèbres à l'époque que l'Émile de Jean-Jacques Rousseau, montrent l'état de la réflexion autour de l'éducation et de l'organisation d'un système scolaire national. Pour autant, ce ne sont que des ouvrages de "penseurs", et en aucun cas des textes réglementaires issus du Pouvoir Royal. Il faut attendre Turgot, ministre de Louis XVI, pour voir s'esquisser une structure étatique de contrôle, il préconisait l'organisation d'un conseil qui serait en quelque sorte une tutelle des Académies (comme l'Académie royale des Sciences), des universités, des collèges et des petites écoles. Mais l'idée d'une éducation nationale ne se concrétisera que dans les projets des législateurs de la Révolution de 1789.
On peut avancer l'idée que le Pouvoir Royal avait une volonté d'instituer un système national pour l'éducation des enfants du pays avec des écoles de plus en plus normatives. L'ordonnance de 1698 marque à la fois l'intérêt du Pouvoir Royal pour les collèges et les universités, et un intérêt fort pour l'instruction élémentaire dans la mesure où elle décrète l'instruction pour tous, en ordonnant que soit établi "autant il sera possible des maîtres dans toutes les paroisses où il n'y en a pour instruire tous les enfants." Mais il ne faut pas négliger le fait, comme le rappelle Jean de Viguerie, que le Pouvoir Royal, en soutien à l'Église, "attend d'abord des petites écoles, qu'elles christianisent le peuple et qu'elles convertissent les enfants des protestants." L'ordonnance de 1698 peut être considérée comme la traduction d'une politique d'éducation voulue et promulguée par Louis XIV ou peut être moins considéré comme une politique d'éducation que comme un outil de la politique royale à l'encontre des protestants ; elle intervient 13 ans après la révocation de l'édit de Nantes en réaction justement à la continuation en clandestinité des écoles protestantes, et cette ordonnance de 1698 avait été précédée le 21 juillet 1683 par une déclaration du roi "portant que les enfants de ceux de la religion prétendue réformée qui auront fait abjuration, seront instruits en leur religion". Dans cette déclaration le Pouvoir Royal relève que des protestants qui se sont convertis à la religion catholique négligent de faire instruire leurs enfants dans la religion catholique et les laissent soit sans éducation soit aller vers les écoles protestantes. Ainsi les "petites écoles" ont prospéré là où elles pouvaient être implantées sous l'impulsion des congrégations enseignantes. Par exemple, l'institut fondé par Jean-Baptiste de la Salle comptait, à la veille de la révolution, 760 religieux qui assuraient dans 114 maisons la formation primaire à un peu plus de 30 000 élèves. Les congrégations étaient confrontées aux capacités des villes ou des communautés rurales à pouvoir disposer d'un local et à leur capacité à rémunérer les enseignants. Ces derniers se répartissaient en deux grandes catégories : les membres des congrégations enseignantes qui recevaient une initiation pédagogique au cours de leur noviciat dans les congrégations, et les laïcs (souvent dénommés régents d'école) qui n'avait de formation que celle acquise auprès de celui qui avait été leur maître lorsqu'ils étaient eux-mêmes élèves. En Dauphiné, par exemple, on recrutait les maîtres d'école hors proposition des congrégations, soit par "candidature spontanée" ou par connaissance ou des régents que l'on recrutait à l'occasion de la foire aux régents. Dans ces foires on y distinguait ceux qui savaient lire et qui portaient une plume à leur chapeau, ceux qui savaient lire et écrire qui portaient deux plumes à leur chapeau et enfin ceux qui savaient lire et écrire et compter et qui portaient trois plumes à leur chapeau. Dans ces régions alpines les régents d'école étaient souvent, si l'expression m'est permise, des saisonniers : l'été ils travaillaient à la ferme, l'hiver la rudesse du climat empêchant les travaux des champs ils allaient, la fin de l'automne venue, louer leurs services à la foire aux régents. Une cartographie des petites écoles montrerait une forte disparité entre les régions, entre les villes et les villages, plus généralement entre les territoires en fonction de la richesse économique de ceux-ci, et permettrait de mettre en évidence que les écoles tenues par des maîtres des congrégations enseignantes se situaient essentiellement dans des villes suffisamment importantes pour avoir une activité économique permettant de rémunérer des maîtres des congrégations, alors que les régents étaient recrutés très majoritairement par de petites communautés rurales. On voit donc que s'il y avait une volonté royale de développer "l'enseignement primaire", il n'y avait pas une volonté étatique de mettre en place un système scolaire homogène pour répondre à un besoin d'éducation qui aurait été bien cerné. Mais répétons-le, les petites écoles se sont développées, les petites communautés rurales ont de plus en plus fréquemment fait appel à un régent au moins pendant les mois d'hiver, ce qui a permis certains résultats en matière d'éducation du peuple que l'on peut mesurer par exemple avec l'analyse de la présence d'une signature sur les actes de mariage : en 1686 peut dénombrer 21 % des actes de mariage signés, ils passent à 37 % cent ans plus tard, l'évolution est importante pour autant elle ne concerne qu'une petite partie de la population, ce qui est loin de l'assertion du commentateur de mon billet qui laisse penser, au vu de ce que furent ses aïeux, que la France entière était alphabétisée. Cette analyse conforte aussi les disparités territoriales que j'évoquais comme l'indique Antoine Léon : "Il va sans dire que ce pourcentage varie sensiblement selon le sexe et la région. À travers cette analyse on voit aussi que l'instruction des filles, d'une façon générale, est moins organisée que celle des garçons, on relève que les signatures des épouses sont deux fois moins nombreuses que celle des époux. Il faut noter à cette occasion que lorsqu'une communauté ne pouvait pas ouvrir deux écoles, seule une école pour les garçons était ouverte. Certes les congrégations comme celle des Ursulines accueillaient les filles pauvres mais encore fallait-il qu'une école tenue par elles soit ouverte.
Comme le relève Jean de Viguerie, "au début, la monarchie se borne à protéger les écoles, puis elle les contrôle parce qu'elle les protège, enfin elle les gère pour mieux les contrôler. Il y a donc une tendance à l'étatisation. Mais on ne saurait ici faire la part de ce qui revient à une politique délibérée ou à une volonté de puissance, naturelle à tous les États." La volonté du Pouvoir Royal de voir "exploser" le nombre d'écoles dans le royaume est indéniable mais les analyses sur le terrain montrent, même si le nombre d'écoles a considérablement augmenté et porté ses fruits en termes d'alphabétisation, qu'il n'y eut pas "d'explosion" pas plus que l'on peut parler d'instruction obligatoire et d'instruction gratuite malgré les listes de gratuité. En tout cas il ne s'agissait pas "d'un service public" au sens où le droit moderne l'entend. Ce n'est qu'au moment de la Révolution que les questions d'enseignement prennent une vraie dimension nationale et étatique et qu'apparaissent quelques velléités de constitution d'un service public, sans pour autant connaître tellement plus de succès que la politique voulue par le Pouvoir Royal. Avec la survenue de la Révolution une page de l'histoire des écoles en France se tourne et une autre s'ouvre. L'œuvre de la Révolution, puis de l'Empire et du 19e siècle dans son ensemble repose sur des mouvements philosophiques qui imprègnent la pensée politique et, concernant l'éducation des enfants et l'école installe durablement une pensée "pédagogique" où on s'intéresse beaucoup aux finalités de l'éducation et aux méthodes. On observe alors que l'État s'affranchit de plus en plus de sa dépendance vis-à-vis de l'Église, qu'il organise de plus en plus la société notamment en prenant en charge la gestion d'un système scolaire par la nomination d'un directeur de l'instruction publique subordonné au ministre de l'Intérieur (loi du 3 brumaire an IV - 25 octobre 1795), qui deviendra un ministre de l'instruction d'abord sous la tutelle du ministre de l'Intérieur, avant d'être indépendant par l'ordonnance du 28 août 1824 qui crée le ministère des affaires ecclésiastiques et de l'instruction publique. L'école s'étatise dans l'idée d'éduquer le peuple pour le maîtriser comme le disait Bonaparte : "je me crois obligé d'organiser l'éducation de la génération nouvelle de manière à pouvoir surveiller ses opinions politiques et morales" et en créant dès 1808 un corps enseignant du secondaire public. Puis il y eut la guerre et surtout la défaite de 1870 qui pour les Républicains avait pour principale cause l'insuffisante instruction du peuple : "c'est l'instituteur prussien qui a gagné la guerre", pour les catholiques c'est la déchristianisation qui est la cause de la défaite. Ainsi arrivent avec Jules Ferry les grandes lois scolaires qui confirment l'ancrage de l'école publique dans l'État et dans la société, en quelque sorte le républicain Jules Ferry achève l'œuvre commencée par le libéral François Guizot en 1833. Désormais l'école sera gratuite, le 16 juin 1881, laïque et l'instruction obligatoire pour tous les enfants de 6 à 12 ans, le 29 mars 1882. C'est l'éducation pour tous, et l'élimination de l'enseignement religieux au sein de l'école. On y enseigne la tolérance et l'égalité "sans Dieu ni roi". C'est la laïcité.
Signature :
Jean-Jacques LATOUILLE
Notes :
1 Jean Baubérot à propos des commentaires faits sur un de ses billets de blog sur Médiapart : "Un dernier mot sur ma Note "Israël-Palestine, notre responsabilité". Naturellement, comme un lecteur me le rappelle, en publiant des notes sur Mediapart, je m'expose à des critiques et je les accepte à l'avance (j'ajouterai : tant qu'elles respectent les principes contenus dans le préambule de la Constitution qui constituent notre lien politique). C'est effectivement le cas des remarques, même dures, qui ont été faites. OK. Néanmoins, puisque certain.e.s lectrices/lecteurs se sont déclaré.e.s "déçu.e.s" par ma Note, j'ai le droit égal de leur dire que, moi-même, j'ai été déçu par plusieurs réactions (pas toutes, loin de là). Il y a, me semble-t-il, certainement un malentendu et, peut-être, une divergence."
2 Isabelle Caubet, Population, famille et habitat à Toulouse en 1790 dans Toulouse, une métropole méridionale, Presses Universitaires du Midi.
3 Antoine Léon, Histoire de l'enseignement en France, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je
4 Eugenio Garin, l'éducation de l'homme moderne (1400 - 1600), Pluriel.
5 Eugenio Garin, l'éducation de l'homme moderne (1400 - 1600), Pluriel.
6 Alcuin, né dans le Yorkshire vers 735, et mort à Tours le 19 mai 804) est l'un des moines érudits et enseignants anglo-saxons les plus célèbres du Haut Moyen-Age, et qui fut dans la deuxième moitié de sa vie, l'un des principaux amis et conseillers de Charlemagne (±745-814).
7 Louis Naurois : "Les bénéfices ecclésiastiques constituent une variété très particulière des biens ecclésiastiques : masse de biens, du type de la fondation, dotée de la personnalité morale et gérée par le bénéficier ; les revenus sont affectés à la subsistance de celui-ci, à charge pour lui de remplir un office et d'affecter à des œuvres pies l'excédent de ces revenus par rapport à ce que requiert son "honnête subsistance". Certains offices sont par eux-mêmes assortis d'un bénéfice (offices d'évêque, de curé, de chanoine, par exemple) ; d'autres ne le sont qu'à la suite d'une fondation ; pour d'autres enfin, qui ne sont pas accompagnés d'un office, la subsistance du titulaire est assurée par d'autres moyens." Encyclopaedia Universalis
8 Antoine Léon, histoire de l'enseignement en France, PUF.
9 Antoine Léon, histoire de l'enseignement en France, PUF.
10 Antoine Léon, histoire de l'enseignement en France, PUF.
11 Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.
12 Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.
13 Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.
14 Les historiens ont pu relever que parfois ce "régent" était aussi tavernier et faisait l'école dans une salle annexe de sa taverne.
15 Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.
16 Maroun Eddé, La destruction de l'Etat, Bouquins, 2023 : "un service public se caractérise avant tout par son accessibilité, liée à sa quasi-gratuité et au principe de "continuité" tel que défini par les pères fondateurs de la IIIe République. La santé, l'éducation, la sécurité étaient alors considérées comme des biens communs suffisamment importants pour justifier que tout le monde y ait accès, sans considération de moyens ou d'origine sociale. C'est l'essence même de notre pacte républicain."
Constitution et service public | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)
Les lois du service public - Carrières Publiques (carrieres-publiques.com)
La notion de service public| vie-publique.fr
L'Université de Valence en Dauphiné et Jean de Montluc Évêque de Valence, pédagogue ou politique, calviniste ou diplomate ?
Le rôle de Jean de Montluc prend bien sa place dans l'interrogation que nous pouvons avoir du lien entre l'université de Valence et l'émergence de la Réforme à Valence. Ce rôle et l'action de Jean de Montluc se situent bien dans la provocation évoquée par la confrontation de deux mots de la question suivante : était-il calviniste convaincu ou fin diplomate ?
De lui Brantôme écrivait : "On le tenait luthérien au commencement et puis calviniste ; mais il se comportait par belle mine et beau semblant". Cette remarque trouve son origine à la fois dans les études que Jean de Montluc suivit, les rencontres qu'il fit, le discours qu'il tint et les attitudes bienveillantes dont il fit preuve à l'égard des tenants de la Réforme.
Ces études se passèrent tout d'abord à l'abbaye de Condom où officiait le célèbre évêque Jean Marre réputé comme humaniste et réformiste ; ne fit-il pas venir en 1517 Jacques Almain théologien nominaliste et gallican ? Pour lui succéder il appela Jacques Lefèvre d'Étaples qui se désista. On voit comment Jean de Montluc rencontra "la pensée réformatrice et humaniste". Il fut remarqué pour ses dons intellectuels, ce qui convainquit Jean Marre de l'envoyer étudier à l'université de Toulouse le droit civil et le droit canonique. Ses historiographes pensent, sans certitude, qu'il fréquenta aussi la faculté de théologie tenue par les Dominicains. De la même façon il n'existe aucune certitude qu'il assistât aux lectures des textes de Lefèvre d'Étaples faites dans un cercle d'étudiants animé par son professeur de droit, Jean de Boysonné. Durant l'hiver 1532 -1533 il quitta définitivement l'abbaye de Condom, au moment où Marguerite de Navarre passait dans la ville. La rencontra-t-il ? L'histoire n'en dit rien. Cependant on sait qu'il assista au carême commandé à Gérard Roussel par Marguerite de Navarre, et, semble-t-il, Jean de Montluc se serait rapproché d'elle. À tel point que Brantôme écrivit qu'elle le défroqua. Ce fut le début d'une longue carrière diplomatique, marquée entre autres par un séjour à Rome en 1535 durant lequel il enseigna la théologie au collège Sapienza, bien que le pape le soupçonnât d'être acquis aux idées luthériennes. Le 18 août 1553 le roi lui accorde le diocèse de Valence et de Die. Un diocèse où les idées hérétiques étaient déjà bien installées comme le rappelle Michel Devert (p77) : "A la mort de Jacques de Tournon, l'évêché de Valence et de Die était donc bien contaminé par l'hérésie ; ses adeptes semblaient bien résolus à propager leurs croyances. Si un évêque bien résolu ne venait lui faire échec, elle risquait de s'étendre à tout le diocèse".
C'est donc dans ce climat que Jean de Montluc arrive physiquement à Valence en 1555. Dès l'année précédente il déclarait sa résolution à prendre en charge la destinée de l'université de la ville. Dans une lettre aux consuls, François Joubert, professeur, écrivait : "Elle (l'université) est, m'a-t-il déclaré, la plus belle rose que les Valentinois aient à leur chapeau et qu'il aura moyen, comme il l'espère, faire tant que Monsieur Arnaud Ferrier conseiller du roi au parlement de Paris, l'un des premiers hommes de notre temps, pourra venir à Valence, lire et régenter pendant six mois qu'il a de vacations. Pour les autres six mois, il moyennera le semblable de Monsieur Coréas, conseiller du roi au parlement de Toulouse. D'avantage il aura moyen d'y faire venir Monsieur Govéa, homme de grand bruit et savoir pour continuer l'année". Dès lors il est indubitable qu'il mit tout en uvre pour favoriser le développement et la prospérité de l'université de Valence, allant jusqu'à offrir de l'argent pour que Cujas. Là où nous devons interroger son histoire, c'est dans le choix qu'il fit de certains professeurs qu'il attira à Valence, comme Bourg en 1556 ou Hotman en 1563, tous deux étaient réputés favorables aux idées hérétiques, le premier fut condamné à mort.
Là s'installent à la fois le doute et le paradoxe : Jean de Montluc soutenait la candidature de professeurs "hérétiques" en même temps qu'il s'opposait, en vain, à la venue de Loriol connu comme calviniste. Négligeait-il de voir les agissements des hérétiques en même temps qu'il rédige "les instructions chrétiennes de l'évêque de Valence" où il écrit : "notre religion est par les hérétiques déchirée, et peu sans faut délaissée par ceux qui la dussent maintenir Celles (les brebis) qui sont au vrai troupeau sont en continuel danger d'être séduites et diverties du bon chemin". Quoi de plus conforme à l'orthodoxie. Cependant l'évêque portait la barbe, prêchait sans habits sacerdotaux, se couvrait le chef du bonnet semblable ceux des réformés. Au-delà de cela, ses sermons heurtèrent la Sorbonne qui eut à en connaître, et qui les déclara hérétiques. L'uvre de Jean de Montluc à Valence au sein de l'université et en direction de ses diocésains fut sans doute tout empreinte d'un grand désir d'éducation, d'une éducation sans doute plus humaniste qu'hétérodoxe mais qui s'opposait aux privilèges du clergé local, notamment du chapitre cathédral. Cependant, notons qu'accusé par le doyen du chapitre d'être hérétique, il obtint réparation de la condamnation. Il fut quand même excommunié en 1563 mais la promulgation n'en fut jamais faite. Il est vrai qu'il était un des principaux conseillers de Catherine de Médicis.
Nous suivrons facilement Michel Devert lorsqu'il écrit qu'il est difficile de porter un jugement sur la personnalité religieuse de Jean de Montluc. Sans doute était-il un humaniste qui sans aller jusqu'à adhérer aux idées de la religion réformée, se trouvait bien à côtoyer les critiques de la corruption de l'Église, le retour aux textes fondateurs, et l'idée que l'homme peut participer à la compréhension du monde ; il croyait en l'Homme. Ne fut-il pas de ces évêques qui condamnèrent l'astrologie comme l'indique Marc Venard : "et nombre d'évêques, d'un bout à l'autre du siècle, condamnent l'astrologie divinatrice, tel Jean de Montluc, évêque de Valence en 1558, qui contre les clients des astrologues, leur rappelle : que nous sommes, nous et nos biens, sous le pouvoir de Dieu, et que toutes choses sont faites, mues et gérées par sa libre volonté.". Sans doute aussi, comme l'écrit Marc Venard, Jean de Montluc "comme d'autres prélats, plus politiques, voient surtout dans le protestantisme un remède à des abus invétérés et une position d'indépendance vis-à-vis de Rome." C'est dans ce cadre de pensée qu'il fonda ou qu'il soutint la fondation (il subsiste un flou dans la connaissance historique) d'un collège en 1564. À ce propos l'abbé Nadal souligne la décadence de l'enseignement de la théologie à Valence où entre 1560 et 1575 il n'y eut que deux promotions d'étudiants en théologie contre plus de trois cents en droit, et d'écrire : "Montluc s'étant aperçu du préjudice que causait à la religion la décadence de l'enseignement de la théologie, il forma un dessein qui honore sa mémoire Il résolut de confier aux jésuites l'éducation de la jeunesse de sa ville épiscopale".
Nous conclurons, provisoirement, par une citation extraite de la thèse (1893) de Hector Reynaud : "Ce qui frappe tout d'abord chez lui, c'est l'estime qu'il professe pour les lettres, le soin qu'il prend pour les mettre en honneur parmi ses diocésains. Il favorisa de tout son pouvoir l'enseignement public à Valence et inaugura, pour l'université de cette ville, une ère de prospérité".
C'est ainsi, dans cette uvre éducative, qu'il écrivit en 1461 dans "familières explications des articles de la foi" : "ployons notre esprit et l'assujettissons à consentir et à croire tout ce que le Saint-Esprit nous a révélé dans les Écritures".
Peut-on parler, en France, d'une politique publique d'accueil des enfants handicapés à l'école ?
Yves Mény et Jean-Claude Thoenig (1) écrivent qu'"une politique publique se présente sous la forme d'un programme d'action gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique". Donc il y a bien une politique publique d'accueil et d'inclusion des enfants handicapés à l'école. Je pourrais dire : mon exposé s'arrête là ; je vous remercie.
Mais dans la mesure où cette politique publique semble ne pas donner satisfaction aux différents acteurs il faut s'interroger sur la question de savoir d'où vient et comment s'est constitué l'objet de cette politique.
Pierre Muller écrit "qu'il y a une politique publique parce qu'il y a un problème à résoudre". Donc comment, en quoi et pourquoi la question de la scolarisation des enfants handicapés se présente depuis 40 ans sous la forme d'un problème qui doit être résolu par une (ou des) politique(s) publique(s) alors qu'auparavant la question semblait ne pas se poser. Muller précise que "la mise en place de ces politiques est liée à une transformation de la perception des problèmes."
Un regard sur l'histoire permettrait de voir comment la perception de la scolarisation des enfants handicapés a évolué jusqu'à devenir un problème et se constituer en objet politique pour finir par appeler dans les années 1970 une intervention forte des autorités politiques.
Je ne retracerai pas cette histoire, nous n'en avons pas le temps. Je m'arrêterai cependant sur le XIXe siècle pour lequel Polyanyi a souligné les effets de "dislocation" que l'industrialisation entraîne sur la société. Il apparaît alors une question sociale que l'État doit prendre en charge et qui amènera l'école de Jules Ferry à s'intéresser d'une façon particulière à ceux qui n'arrivent pas à apprendre et à ceux totalement réfractaires aux apprentissages et aux normes imposées par l'école. On sépara les élèves en deux catégories : ceux qui pouvaient bénéficier des bienfaits de l'école et d'autre part les élèves considérés comme des anormaux d'école. Parmi les anormaux d'école on repérait ceux atteints dans leurs facultés intellectuelles (les idiots, les imbéciles, les arriérés) dont on pensait qu'ils pouvaient tirer bénéfice d'un enseignement spécial dans des classes de perfectionnement annexées à l'école créées en 1910. Les autres ceux qui sont atteints dans leurs facultés morales (les imbéciles moraux, les instables, les pervers, les indisciplinés) étaient pris en charge dans des institutions spécialisées ou dans un asile psychiatrique.
Les politiques scolaires de cette époque organisent les ruptures entre types d'enfants et entre types d'institutions. Ainsi, les politiques publiques constituent le problème de la prise en charge des enfants handicapés en termes de secteurs d'intervention où chaque secteur érige ses propres objectifs comme à propos de qualification des personnels en demandant la création d'un diplôme d'état d'éducateurs spécialisé (1967). Les lois de 1975 et de 2005 ne supprimeront pas la sectorisation apparue au XIXe siècle et cela malgré la montée en puissance du courant de pensée initié par un psychiatre américain qui prône la désinstitutionalisation des lieux de soins (2). Cette sectorisation est aussi confirmée dans la loi de refondation de l'école de 2013 où l'article 7 mentionne la possibilité de coopération entre école et établissements spécialisés.
On observe donc que l'État a du mal à sortir de la sectorisation créée au XIXe siècle. Pire, la loi de 2005 amplifie la sectorisation en faisant entrer dans le dispositif les professionnels libéraux ce qui ne facilite pas les coordinations autour d'un projet pour l'enfant (élève), et qui a eu comme effet d'accroître le sentiment de non-reconnaissance chez les professionnels des établissements médico-éducatifs et médico-sociaux.
En rester sur cette observation négative ce serait oublier que l'objet d'une politique publique consiste à modifier l'environnement des acteurs concernés, la perception qu'ils peuvent en avoir et donc leurs conduites sociales. Pierre Muller ajoute que "prendre une décision, c'est déjà mettre en uvre une politique, dans la mesure où les différents acteurs (partenaires sociaux, citoyens, autres ministères) vont probablement modifier leurs conduites en fonction de cette décision." Si nous nous référons à la grille d'analyse des politiques publiques de Charles Jones nous interrogerons la loi sous l'éclairage de la 1re étape qu'il décrit : "l'identification du problème qui est la phase où le problème est intégré dans le travail gouvernemental".
Dans cette phase d'identification du problème sont associés un ensemble de processus. Comment l'État a associé les processus de perception du problème par les différents acteurs, donc comment a-t-il défini le problème, a-t-il agrégé les différents problèmes secondaires, comment a-t-il pris en compte les incidences sur l'organisation de structures, a-t-il tenu compte de la représentation des intérêts des différentes parties prenantes ?
Cette phase d'identification du problème permet de définir l'agenda politique qui constitue et qui regroupe l'ensemble des processus par lesquels les décideurs s'emparent d'une question pour construire un programme d'action. Cette phase a t elle vraiment eu lieu ?
Peut-être, comme l'écrit Pierre Muller au lieu de concevoir cette politique publique par une série de séquences successives, eut-il été préférable de la bâtir comme un ensemble de séquences parallèles interagissant les unes par rapport aux autres et se modifiant continuellement. En somme et synthétiquement au lieu d'empiler lois et règlements peut-être eut il été mieux et plus efficace d'envisager une loi-cadre dans un programme pluriannuel.
C'est ce que dit le CESE (juin 2020) qui préconise de renforcer le travail collaboratif et la mutualisation des missions entre les établissements scolaires et les établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour faire progresser l'inclusion scolaire, la socialisation et l'autonomie des jeunes en situation de handicap. Il s'agit notamment de décloisonner ces deux secteurs par la création de parcours mixtes, de mobiliser davantage l'expertise des professionnels et professionnelles des ESMS, dont la nécessité et les moyens doivent être confortés, au sein des établissements scolaires " Il aurait donc fallu travailler à une réforme, en parallèle et concomitamment, du secteur scolaire et des secteurs de soins (psychiatrie) et des établissements médico-éducatifs et médico-sociaux.
Notes :
1) Yves Mény et Jean-Claude Thoenig, politiques publiques, Paris, Puf, 1989
2) désinstitutionalisation des lieux de soins à la suite des travaux du sociologue Erving Goffman qui montraient le caractère totalitaire du fonctionnement quotidien de certaines institutions hospitalières qui imposent leurs propres rythmes et circuits à des individus vingt-quatre heures sur vingt-quatre au mépris des droits individuels.
Si former c'était discuter
On voit bien comment nous pourrions agir en formation vis-à-vis du Code de la route, par exemple, dire une règle nouvelle, peut être en expliquer la genèse, et sûrement expliciter les procédures de contrôle et de sanction. En serait-il tellement différent pour un protocole de soins ? Toutefois, dans un cas comme dans l'autre il faudra cependant que les choses fassent sens "dans" chacun des stagiaires et qu'ils se les approprient comme élément et but d'un processus de changement. Les stagiaires devront passer par une phase de dé-construction de leur savoir et de dé-formation de leur posture, pour ensuite construire un nouveau savoir et former une nouvelle posture, une nouvelle façon d'être vis-à-vis du thème de la formation. Un tel processus nécessite que soient mis en uvre trois temps, d'ailleurs pas chronologiques : réflexion sur l'expérience, information, mise en pragmatique des concepts et préparation de l'action. La phase d'information est celle qui occupe le plus de temps dans les actions de formation, très souvent elle occupe la totalité du temps comme c'est le cas dans les pédagogies dites frontales. Il est vrai qu'elle est la plus facile à mettre en uvre ; elle ne nécessite qu'une distribution d'informations ou de connaissances. Surtout elle ne met en péril personne, ni l'auditeur qui prend ou qui ne prend pas, ni le formateur qui n'a pas à rendre compte, à composer, à s'exposer. Mais est-ce de la formation ?
La question prend une tout autre acuité lorsqu'il s'agit de parler de phénomènes sectaires car il n'existe ni définition ni conduite à tenir univoques contrairement au cas de la règle du Code de la route. Là, les regards multiples des sociologues, des juristes, des philosophes, des psychologues donnent des lectures différentes qui n'aboutissent pas à "une solution" unique. Réunir ces lectures et ces analyses au sein d'un espace d'information amène à constituer un thésaurus, plus qu'un corpus, de savoirs et de connaissances disparate qui, en l'état, n'est pas opérationnalisable par les fonctionnaires en formation. Donc, ici plus qu'ailleurs le stagiaire doit être institué comme unique acteur voire unique sujet de l'action de formation.
L'acte de formation est avant tout une action de transformation, une intervention profonde et globale, entraînant chez le sujet un développement dans les domaines intellectuel, physique ou moral, ainsi qu'un changement dans les structures correspondant à ces domaines. Il y a quasiment transformation de la personnalité. Dans une action de formation il s'agit bien de faire passer l'individu d'un état T à un état T + 1.
Toutes les sciences de l'homme, peu ou prou, se sont penchées sur le berceau des processus en jeu dans ce passage. La pédagogique noyée dans les sciences de l'éducation a tenté une synthèse en s'appuyant sur la didactique. Il serait stupide de rejeter ces explications au seul prétexte que l'unique "chose" importante en formation est l'individu. Mais pour autant il ne faut pas, comme trop souvent, réduire l'humain à des processus et à des concepts. Ce qui caractérise l'homme, l'être humain, c'est à la fois son unicité et sa capacité à la dissidence.
L'homme est d'abord un individu, c'est-à-dire qu'il est à la fois indivisible, ce qui n'exclut pas la complexité, et singulier, formant une unité distincte dans une série hiérarchique formée de genres - prenant genre dans le sens très large d'une idée générale d'un groupe d'êtres ou d'objets présentant des caractères communs. Mais l'homme n'est pas dans la permanence, ni de genre ni de lui-même. C'est bien parce qu'il y a cette "apermanence" qu'un processus d'éducation et un principe d'éducabilité trouvent une raison, voire une nécessité, d'être.
Ainsi, une action de formation n'a de sens et d'efficacité que si elle s'adresse à un individu, et cela même si on en réunit plusieurs dans une même salle, et que cet individu se place dans son "apermanence" et accepte à la fois la mobilité et la transformation de sa singularité. Alors, il y a de la souffrance et de la douleur car pour former, et se former, il faut avant tout dé-former. René Kaës (3) évoque "une intolérable atteinte narcissique qui menacerait de porter un coup fatal à une illusion habillée de la densité du véridique et du respectable". Dès lors comment une action de formation pourrait-elle faire abstraction de l'Autre ?
Mettre l'Autre, le formé, l'apprenant, non seulement au cur de l'action de formation mais l'instituer comme unique acteur voire unique sujet de l'action. Les autres intervenants : animateurs, formateurs, conférenciers, ne sont que des médiateurs. C'est le parti pris que nous avons choisi pour animer cette action de formation. Qui mieux que la parole institue un individu comme acteur et sujet ?
Le style, ou le type, d'animation utilisé dans les "cafés philo" nous est apparu comme une ressource autant que comme une méthode de formation utile et devant être efficace dans le cadre de ces sessions de formation sur les phénomènes sectaires. La libre parole permet à chacun de s'exprimer, au sens de sortir de soi, par rapport à un thème. Ce faisant il se construit un double savoir : savoir sur soi et savoir sur le thème. Savoir sur soi autorise, ou pas, à déconstruire les savoirs ou les présupposés que le sujet a sur le thème, et à en construire de nouveaux. Savoir sur le thème consiste, une fois que le sujet s'est autorisé à la trans-formation, à constituer un corpus de compétences et de postures à partir du thésaurus de connaissances apporté par l'information et en appui sur son ressenti par rapport au thème.
La parole est un élément essentiel à la construction de la pensée, du moins d'une pensée organisée susceptible de concourir à l'élaboration d'une action pragmatique. Par la parole le sujet peut établir une relation entre lui ("moi") et l'objet ("le monde"). C'est par l'analyse et le développement (peut-être le perfectionnement) de cette relation que l'on peut construire du savoir. En outre, questionner un thème ou un objet n'est-ce pas déjà les constituer en savoir ? Savoir où ils posent problème. Savoir où et comment on se positionne en tant que sujet par rapport à cet objet. Savoir où il faut chercher des réponses. L'accumulation de ces savoirs plus pragmatiques que conceptuels ajoutée à la somme des connaissances apportées par l'information constitue le substratum fondamental nécessaire à une formation d'adultes chargés d'expérience.
Ainsi, autour des conférences et des tables rondes, nous réservons de larges plages de temps pendant lesquelles les stagiaires sont en "parole". D'abord une parole de soi à soi grâce à la médiation d'un journal de bord dans lequel le stagiaire s'exprime librement et dans l'anonymat autour de questions récurrentes : remarques, une idée-force, ce que je retiens pour mes pratiques, questions en suspens, ce que je livre au groupe. Bien entendu la séance d'écriture précède un moment d'expression verbale libre où l'animateur n'a de rôle que dans la régulation des tours de parole, sans qu'il lui soit interdit de réagir à ce qui est dit. Mais en aucun cas l'animateur n'apporte d'information.
Ce moment de parole permet d'aller de soi vers les autres et de partager de l'expérience comme dans les moments dénommés espaces stagiaires où là aussi il s'agit d'échanger mais à partir de supports comme la présentation des stagiaires et de leur école, la documentation, l'évaluation du stage.
extrait de mon site Parlons d'Ecole https://lecolecestquoi.blogspot.com/
Notes :
1) ESEN, puis ESENESR et aujourd'hui : institut des hautes études de l'éducation et de la formation (IH2EF).
2) Les écoles de service publique qui forment les cadres des fonctions publiques se sont rassemblées dans un réseau afin de mutualiser et de partager leurs savoir-faire, pour organiser des formations en commun et des actions de formation communes à leurs stagiaires.
3) R. Kaës et coll, fantasmes et formation, Dunod, Paris, 1975, 174p
les manuels scolaires
Ce paragraphe, extrait de L'année du certif de Michel Jeury, ouvre sur deux questions : celle de l'enseignement de la langue, celle du choix des manuels scolaires. Je traiterai de l'enseignement de la langue dans un prochain billet, pour l'heure que penser de la question des manuels scolaires.
Alain Braun introduit ainsi le numéro spécial que la revue Éducation & Formation a consacré à cette question en 2010 : "Voie royale pour introduire de nouvelles pratiques de classe ou, au contraire, outil du conservatisme pédagogique, les manuels sont à tout le moins des traces concrètes de la vie scolaire ou d'une certaine conception de celle-ci." Au-delà de la "simple question" de pratique pédagogique, le manuel scolaire est aussi un vecteur politique et social comme le rappelle l'UNESCO : "L'UNESCO travaille sur les questions liées à l'élaboration de manuels scolaires depuis sa création, en 1945, dans le cadre de sa mission fondamentale qui est de "construire la paix dans l'esprit des hommes et des femmes". Initialement, ce travail portait sur les manuels scolaires comme moyens pédagogiques de promouvoir la paix par la compréhension mutuelle, notamment entre anciens antagonistes. [ ] Bien que ces thèmes restent pertinents aujourd'hui, les initiatives les plus récentes de l'UNESCO sur les manuels scolaires et le matériel didactique se sont élargies pour inclure des considérations relatives au rôle de l'éducation dans la promotion des droits humains et la suppression de la discrimination sous toutes ses formes."
Le manuel scolaire n'est donc pas un outil neutre, au-delà de la pratique pédagogique le manuel distille des intentions, des stéréotypes, des préjugés, des partis pris auxquels, même s'il n'en est pas l'auteur ni qu'il n'y adhère, l'enseignant n'échappe pas et face auxquels il a le devoir, moral, d'être vigilant. Notons, toutefois et sans vouloir absoudre quiconque, que le manuel comme l'enseignant sont inscrits dans une société et son histoire ; ainsi se rappelle t on suffisamment combien "Le manuel est constitutif du roman national. Parmi les exemples les plus connus, le manuel de lecture Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, pseudonyme d'Augustine Fouillée (1877), "petit livre rouge de la République", a été vendu à trois millions d'exemplaires en dix ans et réédité pour son centième anniversaire par Belin. L'Histoire de France d'Ernest Lavisse (1884) a connu sa soixante-quinzième édition en 1950. Le "Petit Lavisse", s'adressant au jeune lecteur sur sa couverture, soulignait en ces termes la portée de son projet pédagogique : "Dans ce livre, tu apprendras l'histoire de la France. Tu dois aimer la France, parce que la nature l'a faite belle et parce que son histoire l'a faite grande".
Il se pose donc deux questions que la recherche a peu étudiées : le choix du manuel par l'enseignant, l'élaboration du manuel par l'éditeur mais aussi par l'État. Laissons cette dernière question en jachère pour limiter notre réflexion à la relation qui lie l'enseignant au manuel.
L'intérêt du manuel scolaire semble rassembler l'assentiment d'une très grande partie des acteurs de l'éducation, notamment en raison de l'efficacité qu'il a au regard de la qualité des apprentissages comme le souligne François-Marie Gérard dans une méta-étude : "Il apparaît que "la disposition personnelle d'un manuel par l'élève a un impact plus fort d'une part dans le domaine de la langue (lecture-grammaire) que dans celui des mathématiques et d'autre part dans les premières années du cycle primaire que vers la fin du cycle." À côté de cet impact individuel, les auteurs notent "la possibilité d'un effet collectif ou contextuel. [ ] Plus la proportion d'élèves qui disposent d'un livre est grande, plus en moyenne, chaque élève profite d'un contexte favorable aux acquisitions, même pour les élèves qui ne possèdent pas personnellement le manuel puisqu'il s'agit d'un effet contextuel." Pourtant ce ne sont, d'après une étude publiée dans Éducation & Formation, que 23 % des enseignants de primaire qui utilisent un manuel scolaire de façon régulière. Faut-il voir là un effet ou une conséquence liés au seul choix des manuels dont l'étude dit "que rares sont les enseignants qui choisissent, seuls, le manuel (14 %). Dans la majorité des cas (72 %), il s'agit d'un choix collectif de l'équipe disciplinaire." Dans le primaire l'aspect "équipe disciplinaire" n'existe pas mais nous pourrions interroger le collectif "équipe pédagogique". La question mériterait d'être étudiée au regard de ce qu'est l'équipe pédagogique : une société liquide par analogie au sens que donne Zigmunt Bauman "insaisissable et atomisée". Dès lors que le choix du manuel scolaire est le résultat d'un consensus au sein de l'équipe comment l'enseignant va-t-il s'en emparer pour construire son uvre pédagogique tellement intime ? Certes, déjà en 1991, Jean-Louis Jadoule, cité dans Éducation & Formation, écrivait à propos des manuels que "Tout dépend de l'usage qu'on en fait", ainsi un outil n'a jamais enfermé son utilisateur qui possède toute la liberté de l'utiliser suivant ses désirs, ses habitudes et ses projets. Il n'en demeure pas moins, qu'il apparaît, notamment en regard de la sophistication des manuels, que les enseignants peuvent, à dessein ou non, se laisser enfermer dans les processus pédagogiques du manuel voire aussi dans les connaissances fondamentales déployées. Cet "enfermement" n'est-il pas le résultat de la dépendance de l'enseignant par rapport à un manuel qui lui apporte de la "matière" et un cadre pédagogique ? C'est ce que montre Eric Bruillard lorsqu'il écrit : "Quand les enseignants sont censés être des spécialistes des domaines qu'ils ont en charge - ils les ont étudiés longuement à l'université - ils "incarnent" leur discipline et sont jugés peu dépendant des manuels scolaires. Quand leur expertise est moins affirmée, l'impact des manuels est certainement plus important. C'est le cas en élémentaire, mais également en géographie (enseignée majoritairement par des historiens) et sans doute de manière moins visible dans des disciplines scolaires basées sur plusieurs champs universitaires". Cette dépendance, voire cette soumission, au manuel n'est-elle pas encouragée par le Ministère lorsqu'il préconisait pour enseigner le français au cycle des apprentissages fondamentaux : "l'appui sur un manuel de qualité est un gage de succès pour cet enseignement délicat" L'enseignant se dédouanera de toute dépendance, à tort, en rappelant que les manuels scolaires sont le plus souvent accompagnés d'un livre du maître, véritable guide pédagogique. Choisi ou subi le manuel est un outil à l'usage de l'enseignant, alors pourquoi et comment l'utilise t il ?
Le manuel scolaire est à la fois un support d'enseignement : illustration, exercices proposés, textes de lecture et aussi un support de préparation de classe. La préparation de la classe est une des tâches majeures d'un enseignant pour laquelle le manuel (livre de l'élève comme livre du maître), quand il ne les livre pas clé en mains, va permettre de concevoir les séances que l'enseignant va mettre en uvre et va proposer les supports d'apprentissage à destination des élèves. En outre le manuel peut constituer un lien avec l'extérieur de la classe grâce aux supports qu'il offre et que l'élève peut transporter avec lui.
Il faut donc s'interroger sur la variabilité de l'usage du manuel scolaire entre les mains des enseignants, des élèves, des parents mais aussi des inspecteurs dont on ne sait pas quel regard ils portent sur cette question lorsqu'ils conduisent une inspection ; une observation succincte de rapports d'inspection montrait, au regard de notre sujet, qu'exceptionnels sont les rapports qui traitent de l'usage de la photocopie et plus exceptionnels sont ceux qui font mention de la qualité des manuels scolaires utilisés et surtout de l'usage qu'en fait l'enseignant "inspecté".
L'étude de la question des manuels scolaire devient aujourd'hui essentielle comme l'indiquait déjà en 2012 l'Inspection générale dans son rapport "Les manuels scolaires : situation et perspectives" : "Le manuel scolaire est un objet familier de nos classes. Son utilisation est ancienne, il est universellement diffusé. Toutefois, à l'heure de la révolution numérique, au moment où l'école cherche les voies d'une meilleure performance et les moyens d'un enseignement plus personnalisé, la question du manuel, de sa forme, de son utilité et de son utilisation, se pose dans des conditions nouvelles. L'importance des financements qui lui sont consacrés, le développement rapide de nouveaux outils et de ressources pouvant servir la pédagogie, justifient que le manuel ne fonde pas sa légitimité sur la seule coutume. À quoi sert-il ? Sert-il effectivement ? Dans quelle mesure et pour quoi les élèves et les enseignants en ont-ils besoin et l'utilisent-ils ? Qu'en attend l'institution ? Qui doit payer ? Que signifie, au siècle de Steve Jobs, le manuel pensé du temps de Jules Ferry ? Quelle (s) forme (s) doit-il prendre, s'il a encore un avenir ?"
En guise de conclusion, provisoire bien sûr, ne faut-il pas poser la question : les enseignants sont-ils suffisamment formés à la question du manuel scolaire, sont-ils seulement formés ?
Complément de lecture :
François-Marie Gérard et Xavier Roegiers, Des manuels scolaires pour apprendre : Concevoir, évaluer, utiliser, De Boeck Supérieur, 2009.
Éduquer : querelle de méthodes.
Dans une époque où certains nous expliquent que les neurosciences vont organiser et faire réussir toute éducation, où le ministre de l'éducation nationale se présente comme un addicte des neurosciences matinée d'autoritarisme, il est peut-être reposant, sinon intéressant, de se replonger dans la littérature du 19e siècle pour y voir que la querelle des méthodes ne date pas d'aujourd'hui et qu'en tout cas l'éducation n'est pas chose simple et qu'on ne peut pas la réduire, fusse à propos de l'apprentissage de la lecture, au seul fonctionnement du cerveau.
Anatole France et son roman Le Crime de Sylvestre Bonnard nous offre cette distraction et ouvre à la réflexion à propos de l'éducation. Lisons :
"Une éducation qui n'exerce pas les volontés est une éducation qui déprave les âmes. Il faut que l'instituteur enseigne à vouloir.
Je cru voir que maître Mouche m'estimait un pauvre homme. Il reprit avec beaucoup de calme et d'assurance.
- Songez, monsieur que l'éducation des pauvres doit être faite avec beaucoup de circonspection et en vue de l'état de dépendance qu'ils doivent avoir dans la société.
Le notaire s'appliqua, de nouveau, à justifier le système d'éducation de Mademoiselle Préfère, et me dit, en matière de conclusion :
- On n'apprend pas en s'amusant.
- On n'apprend qu'en s'amusant, répondit je. L'art d'enseigner n'est que l'art d'éveiller la curiosité des jeunes âmes pour la satisfaire ensuite, et la curiosité n'est vive et Scène que dans les esprits heureux. Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent. Pour digérer le savoir il faut l'avoir avalé avec appétit. Je connais Jeanne. Si cette enfant m'était confiée, je ferais d'elle, non pas une savante, car je lui veux du bien, mais une enfant brillante d'intelligence et de vie et en laquelle toutes les belles choses de la nature et de l'art se reflèteraient avec un doux éclat. Je la ferais vivre en sympathie avec les beaux paysages, avec les scènes idéales de la poésie et de l'histoire, avec la musique noblement émue. Je lui me rendrai aimable tout ce que je voudrais lui faire aimer."
Et si enseigner n'était qu'une question d'amour et de passion pour les choses et les êtres, et une volonté de partage avec les autres, avec l'Autre ?
Vous avez dit bac L'impossible réforme.
2005, donc
En un siècle l'École française est devenue autiste, au sens de la définition du dictionnaire Robert pour l'autisme : attitude de détachement de la réalité extérieure accompagnée d'une vie intérieure intense. C'est ainsi que tout ce qui lui est adressé par l'extérieur est suspecté de vouloir la détruire. Ainsi, aucun ministre de l'éducation nationale ne peut faire son travail dans la sérénité. Dès lors qu'il propose quoi que ce soit, et les enseignants sont dans la rue.
C'est ainsi aussi que tout ce qui, en son sein, ne correspond pas à sa norme idéale (souvent plus supposée que réelle) est rejeté ou, pour le moins, mis en marge. Tout cela se déroulant sur fond de réflexion intense où le discours des chercheurs est limité, voire encadré, par les revendications corporatistes, souvent démagogiques, des syndicats, et amoindri, voire débilisé, par les propos réducteurs des médias. Une réflexion intense où se mêlent les voix discordantes de ceux qui manifestent de leurs intérêts professionnels, de ceux qui craignent pour l'avenir de leurs enfants et du politique qui n'arrive pas à construire le discours de la Nation pour son École. De cette doxa incertaine, qui s'échafaude entre contre-vérités et paradoxes, émerge une institution ingouvernable parce que sans cesse en marge de la Loi, souvent hors la Loi. L'École vit pour elle-même dans le plus total irrespect voire dans la négation de la nation et des citoyens, de la société et des usagers.
La longue histoire des enfants handicapés, de ceux dits déficients intellectuels, des intellectuellement précoces, des inadaptés, illustre bien, pour reprendre le mot de Francine Muel, comment cette "école pour tous, n'est plus l'école de tous". Il serait toutefois hasardeux d'être trop simple, trop schématique pour dire une histoire complexe qui repose, en grande partie, sur des suspicions réciproques. C'est, par exemple, le gouvernement de Vichy qui, craignant le "gauchisme" de l'École, cru bon de confier l'éducation des enfants "en marge" à des institutions privées et charitables, le plus souvent confessionnelles. Ce sont aussi les parents d'élèves qui craignent la cohabitation comme déjà le signalait Victor Duruy au milieu du 19e siècle lorsqu'il attribuait "à la peur des parents devant la promiscuité et la contagion" une bonne part de l'échec des réformes de l'école primaire. Mais, aussi les médecins du début du 20e siècle qui considéraient que la loi de 1882, en instituant l'obligation scolaire, était coupable d'avoir créé les marginaux d'école. Bien sûr ceux là, avant, n'allaient dans aucune autre école que celle de la rue ou des champs. On voit donc, déjà, qu'autour de l'École dont tout le monde pense sincèrement dans un idéal philosophique qu'elle doit être ouverte à tous les enfants, se construisent des pratiques pédagogiques, éducatives et des intérêts éminemment singuliers.
Continuons cette histoire particulière pour arriver en 1975 où une part des suspicions, celles des gouvernants vis-à-vis des enseignants, est levée, ou presque. En trente ans, à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, École et gouvernements ne vivent qu'au rythme d'un modus vivendi. Les gouvernements, représentants des citoyens, n'ont gouverné l'École qu'à la condition de concessions importantes aux syndicats qui ne représentent, eux, que les enseignants et cela même s'ils essaient de montrer que les intérêts de leurs mandants seraient analogues à ceux des usagers. Il en est toujours ainsi, par exemple, pour le nombre d'enseignants qui devraient être face aux élèves ou pour la décision de redoublement. Rappelons aussi comment le gouvernement de l'époque a cédé devant le SNES quant à la façon d'organiser la scolarité au sein du collège unique, on parlait alors, à l'instar du député communiste Jacques Duclos, d'un risque de "primarisation (1) " du collège. Loin de reprendre ce qui avait réussi avec l'école primaire supérieure puis le cours complémentaire, le SNES réussit à modeler le collège sur le modèle du lycée construit pour une très faible proportion des enfants du pays. Là, qui a perdu : les enfants de l'élite ou la masse de ceux du peuple ? Ce faisant, la gestion du système scolaire ne se fait que dans un rapport de force constant duquel, depuis 1945, la Nation n'est jamais sortie vainqueur tant son École lui échappe et l'écart entre elles d'eux s'agrandit.
Revenons à 1975, année où un gouvernement de droite faisait voter la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées. La société s'ouvrait, enfin, aux personnes en situation de handicap qui désormais bénéficiaient des mêmes droits et avantages que les personnes valides. L'École était particulièrement interpellée par cette loi qui indiquait clairement que le lieu premier de scolarisation des enfants handicapés est l'école "ordinaire". Or cette institution, siège d'intellectuels majoritairement de gauche, amplement aidée par des ministres, de droite, qui n'osèrent pas être fermes, et soutenue par ceux de la "gauche" bien-pensante qui ne songeait qu'au bien-être des élèves handicapés, cette institution l'Ecole n'avait toujours pas mis en uvre convenablement la loi en 1982. C'est ce que rappelèrent par deux fois, en janvier 1982 puis janvier 1983, Nicole Questiau, ministre de la santé, et Alain Savary, ministre de l'éducation nationale. Malgré tout, chacun fut à même de mesurer le peu d'effet des lois, des textes réglementaires et des discours ministériels. Si bien qu'il fallut toute la pugnacité de Ségolène Royal, dont les enseignants disaient qu'elle était la ministre des parents d'élèves plus que celle des enseignants et de l'École, pour que les choses commencent à bouger de façon significative. De cette affaire nous pourrions retirer la question de savoir si pour la Nation et les usagers de l'école, il vaut mieux que soient des professeurs intellectuels et de gauches, ou que soient des professeurs charitables et de droite ? Mais, à la décharge des enseignants, qui dans ce cas ne sont pas les modèles que voulait Jules Ferry, leur peu d'empressement à accueillir ces élèves rencontrait le soutien d'une large majorité de parents craintifs devant un accueil dont ils craignaient qu'il pût ralentir la progression de la classe donc mettre en péril celle de leur enfant. Mais personne, bien sûr, ne s'opposa jamais de front à ce que les élèves handicapés aient une place, leur place, à l'École. Tous réclamèrent moyens et formation, on sait que malgré les uns et l'autre la situation n'évolua qu'à la marge, une toute petite marge.
L'attitude de soumission et parfois de connivence forte des parents d'élèves au discours du monde enseignant est remarquable en ce qu'il semble être le résultat d'un double mouvement. Un premier mouvement, affectif, qui consiste à ne pas prendre de risque vis-à-vis de son enfant. Donc il ne faut pas alourdir les classes, comme le disent les enseignants, mais à aucun moment on avance qu'on pourrait travailler autrement ou avec des aides extérieures. Dans le même mouvement, en synergie, il ne faut pas fâcher les professeurs car cela, comme si c'était possible, pourrait se retourner contre son enfant. N'y aurait-il pas là une réminiscence d'un passé scolaire ? Curieusement autant pour le "grand public", les parents que pour beaucoup d'enseignants, le second mouvement est celui qui consiste à accorder une crédibilité totale et sans faille au discours médian sur ce que seraient les conditions convenables pour un bon exercice de l'acte pédagogique. Là, l'École se noie dans une doxa molle composée d'un discours syndical de promotion des intérêts corporatistes et celui trop souvent réducteur des médias. Cette doxa est le lit du développement de tous les paradoxes, si l'on entend par paradoxe toute proposition contraire à l'opinion communément admise ou à la vraisemblance. Là, l'expérience des chercheurs va à l'encontre de l'opinion communément établie, par exemple à propos du redoublement ou des devoirs à la maison. Personnes n'a jamais pu apporter la preuve qu'un redoublement fût efficace ou simplement qu'il fût la cause d'un succès postérieur. À bien regarder la souffrance de ce garçon dans le film "Être et avoir", dans la cuisine familiale, en train d'essayer de faire quelques multiplications, on voit bien que les devoirs à la maison ne servent que ceux dont les parents peuvent "intellectuellement" les aider, donc ceux qui n'en ont pas besoin. L'opinion commune bat en brèche la vraisemblance et se heurte avec celle des chercheurs.
C'est comme cela que professeurs, installés dans leurs habitudes intellectuelles, parents apeurés et élèves sous informés se réunissent dans la rue pour protester contre un projet, à peine embryonnaire, de réforme du baccalauréat. Contrairement au certificat de fin d'études primaires de jadis et aujourd'hui au brevet des collèges, le baccalauréat marque plus l'achèvement d'une propédeutique que la fin d'un cycle de scolarisation. Le certificat d'études n'existe plus, quant au brevet il n'est pas nécessaire de le posséder pour accéder à la classe de seconde. Pour le baccalauréat il en va autrement : il est inutile pour l'insertion professionnelle, il ne sert que de sésame pour être autorisé à s'inscrire à des concours, à entrer en classe préparatoire aux grandes écoles ou pour l'accès à l'université, encore que dans ce dernier cas il y ait d'autres modalités.
En quoi la réforme, nécessaire, proposée par François Fillon mettrait-elle en péril cette institution d'un autre âge qu'est le "bac" ? Qu'il y ait contrôle continu ou pas, qu'il soit délivré par tel ou tel lycée n'a aucune importance pour l'entrée dans la vie professionnelle où il ne représente plus rien. Pour le cas des concours, il n'y a pas d'incidence puisque les épreuves sont anonymes. Dans le cas de l'universités, celles-ci ne décident pas des modalités d'inscriptions qui sont fixées par des règlements nationaux. Restent les classes préparatoires pour lesquelles on sait depuis longtemps qu'une sélection est effectuée en fonction du lycée d'origine. Au-delà de cette crainte infondée, d'autant que le ministre a annoncé que le diplôme resterait national, notons à quel point les discours, des lycéens, des professeurs et des partis politiques de gauche, sont tout aussi paradoxaux que contradictoires. Alors qu'on souhaite le maintien des travaux pratiques encadrés (TPE) qui sont largement évalués en contrôle continu, on refuse l'introduction de toute notation en contrôle continu pour les autres matières. Plus curieux, ces jeunes sont soutenus par ceux-là mêmes qui, dans les années 1968, réclamaient le contrôle continu voire l'abolition des examens au nom de l'iniquité de ceux-ci. Pire, sans doute, les politiques qui aujourd'hui protestent, sont ceux qui, hier, faisaient inscrire le contrôle continu dans le code de l'éducation : "En vue de la délivrance des diplômes, il peut être tenu compte, soit des résultats du contrôle continu, soit des résultats d'examens terminaux, soit de la combinaison des deux.". Arguons que protester aujourd'hui et mettre les lycéens dans la rue peut cacher la couardise d'hier.
Signature :
Jean-Jacques LATOUILLE
Notes :
(1) Le collège ressemblerait à l'école primaire. A cette époque les lycées, surtout ouverts aux enfants "bourgeois" des villes accueillaient un cycle équivalent à l'école communale, mais on ne parlait pas de cycle "primaire" ; ces classes ne s'appelaient pas CP, CE1 CM2 mais 11ème, 10ème et 7ème.