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John Ward

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Descriptif auteur

Reponsable de formation des travailleurs sociaux, l'auteur mène des recherches et un enseignement sur l'histoire des exclusions. Il s'intéresse aussi à l'utilisation de la méthodologie de la recherche en histoire comme levier de formation.
Après des études de philosophie en Angleterre, John Ward s'est installé en France et a poursuivi une carrière de travailleur social et de formateur. Il a été chargé d'enseignement à plusieurs universités et fait partie de l'équipe de direction élargie de l'IRTS Montrouge Neuilly-sur-Marne. I

Structure professionnelle : IRTS Ile de France Montrouge Neuilly sur Marne, 150 rue Paul Vaillant Couturier, 93330 Neuilly sur Marne

Titre(s), Diplôme(s) : Thèse d'histoire sociale

Fonction(s) actuelle(s) : Responsable de pôle

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AUTRES PARUTIONS

Guide de l'épreuve du dossier de pratiques professionnelles du DEAS, éditions EHESP.

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

<em>Quelques réflexions sur le scientisme en matière de prévention de la délinquance</em>

L'idée d'une intervention précoce auprès des très jeunes enfants pour prévenir la délinquance n'est pas nouvelle, même si elle est revenue à la mode avec la force d'une évidence politique dans les propos du président Sarkozy, il n'y a pas longtemps. Les propos du Président de la République basé sur une enquête de l'INSERM ont provoqué un tollé. Ils choquent, notamment en raison des phantasmes sécuritaires qu'ils véhiculent et font craindre un dérapage vers la mise en place d'un système de fichage, une stigmatisation de certaines populations ou une société eugénique, comme l'a souligné le collectif "zéro de conduite".

Au début du vingtième siècle aux États-Unis, l'hygiène mentale a promu des recherches et des pratiques qui ne sont pas sans rappeler le débat actuel sur ces questions. Sans tirer des conclusions trop anachroniques d'une telle comparaison, j'ai essayé dans mon livre sur l'histoire du mouvement d'hygiène mentale de montrer comment ce mouvement s'est emparé d'idées scientifiques et philosophiques pour justifier des actions "prophylactiques" : ce mouvement a prôné des actions qui paraissent (un siècle plus tard), pour le moins liberticides, et ceci, au nom de la science. Elle a frôlé de près l'eugénisme coercitif sans toutefois réellement y sombrer.

En effet, les recherches scientifiques qui imputent la cause des conduites déviantes de la jeunesse à une hérédité viciée (et aux errements de leurs parents) ont été entreprises dès la genèse des premières institutions de guidance infantile aux États-Unis. Cette institution est créée au milieu des années 1920 dans le giron de la justice, étant initialement rattachée aux tribunaux et fondée sur des bases optimistes se réclamant de la nouvelle science de la psychologie. Charles Hoffman, juge du tribunal pour enfants à Cincinnati, déclare que le service principal d'un tribunal pour enfants est de "rendre la vérité publique" : il faut que pour chaque délit traité, les vérités psychologiques soient explicitées. Cette maxime s'applique autant à la vérité des faits lors d'un délit, que pour la propagation des nouveaux savoirs permettant de "disséminer des informations sur les forces qui gouvernent le comportement humain".(1) À ses débuts, la guidance infantile adopta une approche moraliste et passablement coercitive. Par exemple, on conseille sans vergogne à un père de se séparer de son épouse qui fait régner le désordre dans le foyer sous peine de ne plus voir ses enfants s'il ne le fait pas.

En outre, dans sa recherche de "vérité psychologique", la psychiatrie pénitentiaire tente de codifier tous les déterminants des comportements déviants. La méthode des "chartes de vie" développée par le psychiatre Adolf Meyer, va permettre, par exemple, à son confrère Sheldon Glueck de produire une étonnante synthèse des facteurs à l'œuvre dans le passé des incarcérés de "Sing Sing" conduisant à leur "mal-ajustement".(2) Les défauts héréditaires constatés à un jeune âge (l'infériorité constitutionnelle, les "insultes à l'évolution psychosociale et autres problèmes issus du "fond racial" (racial stock) sont aggravés et complétés par une multitude de facteurs biopsychosociaux constatés au cours de la vie allant des "excès sexuels" (vers 20 ans) à l'échec économique en passant par une période climactique (climaterium period) de renonciation constatée à l'âge mur…

Etiologie du mauvais ajustement
Etiology of Malajustment (2)


Note : une version plus grande de cette image peut être vue sur le site personnel de l'auteur :

Fort de ces connaissances, la psychiatrie américaine des années vingt entrevoit la possibilité d'une vaste politique de prévention de la délinquance. Elle interviendrait le plus précocement possible, à chaque stade du développement de l'individu, pour éviter à chaque fois les mauvais tournants du développement, et soulager le "poids" héréditaire, ceci en commençant par une rééducation soigneuse des conduites parentales, éducatives et familiales dès le plus jeune âge. La psychiatrie interviendra à tous les niveaux de la société comme moteur de ce projet.

Fort heureusement pour la société américaine, ces vastes projets se sont dilués en actions bien plus modestes. À partir de la fin des années vingt, l'hygiène mentale s'est retranchée sur son domaine d'action principal, l'hôpital. Le travail social a délaissé la pensée eugéniste, renonçant à toute forme d'action coercitive pour se tourner vers une forme de "casework" très libre, imprégnée de la théorie de la non-directivité.

Au fond, ce qui a été dangereux dans ces idées n'est pas, selon nous, l'appel à la recherche scientifique pour essayer d'orienter la prise en charge de l'enfant ou de l'adulte. Ce n'est pas non plus la notion de prévention en elle-même. Qui s'opposera à une aide psychologique offerte aux enfants souffrant de troubles de comportement et à leurs parents, dès lors qu'elle est pleinement acceptée et comprise ? Par contre, quand la recherche se transforme en certitudes, quand les systèmes heuristiques dégénèrent en slogans, et surtout quand les idées non encore abouties sont utilisées pour justifier des interventions coercitives dans la sphère de la vie privée au nom de la science, à ce moment-là, l'instrumentalisation scientifique peut représenter un péril. Il s'agit sans doute moins d'un problème de vulgarisation scientifique que d'un "scientisme", c'est-à-dire de l'utilisation d'idées scientifiques mal assimilées à des fins particulièrement interventionnistes.

Chez les hygiénistes américains du début du vingtième siècle, ce "scientisme" conduit à déduire la future conduite possible d'un individu à partir de traits et d'événements de son passé, sans réelle réflexion ni modélisation des processus de causalité supposés être en jeu. Il est doublé d'un discours inspiré du pragmatisme de William James. Ce philosophe à la production très volumineuse pose les principes de sa philosophie sur une base épistémologique très complexe qui fait de l'action la source de la vérité scientifique. Son ontologie darwiniste est déformée par les hygiénistes en un eugénisme actif, inspiré de quelques slogans issus de son œuvre sans réelle compréhension de celle-ci par les praticiens qui s'en emparent.

Épistémologie mal comprise, appel en faveur d'une approche "pragmatique" en lieu et place d'une éthique d'intervention, déductions hâtives à partir de quelques données scientifiques prises hors contexte, projets démesurés par rapport aux moyens disponibles pour les mener…. L'hygiène mentale américaine a dû passer par ces errements pour en arriver à des approches préventives plus solidement fondées aujourd'hui outre-Atlantique. Espérons qu'il ne faille pas passer par un tel cheminement avant de consolider les bases de l'action préventive menée en France.

Notes :
1. William L. Russell, "Mental Hygiene in preventive medecine", in Williams, Frankwood, E., Some social aspects of mental hygiene, Annals of the American Academy, 1930, p.12.
2. Sheldon Glueck, "Types of delinquent careers", Mental Hygiene, April 1917, vol 1. P. 174.
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DE L'ENFANT "SANS ÉTAT" A L'ENFANT COMME "PERSONNE" L'EVOLUTION DE LA CONDITION DES ENFANTS EN FRANCE, DU MILIEU DU 19EME SIECLE AUX ANNEES 1920 SYNTHESE ET DISCUSSION DE LA LITTERATURE A PARTIR DE QUELQUES SOURCES INEDITES

Cet article de synthèse de la littérature sur l'histoire de l'enfance a été écrit à l'origine à l'occasion d'une rencontre du club d'histoire de la ville de Montreuil. Il contient quelques citations de documents d'archives issus des recherches de l'auteur. Sans prétendre être exhaustif, il donne un aperçu des courants de recherche dans ce champ et les débats qui le traversent. L'article se propose de retracer les conditions sociales ayant contribué à l'émergence de nouvelle conception de l'enfance prévalente au vingtième siècle : au départ considéré comme un être sans statut particulier, il devient progressivement un sujet doté de droits spécifiques et, plus tard, une "personne" à part entière.

Jusqu'au 19e siècle, pour la plupart des groupes sociaux, l'enfant a été considéré par ses éducateurs soit comme un adulte en miniature, soit comme un être incontrôlé presque sauvage à qui il fallait inculquer des règles de sociabilité par la force. Du point de vue des parents, l'enfant est resté longtemps une "propriété" dénuée de statut légal indépendant de l'unité familiale, ceci quelle que soit l'intensité de l'amour parental dont il fait l'objet le plus souvent. En effet, c'est seulement vers le milieu du 19e siècle que s'opère une prise de conscience parmi les classes moyennes de l'existence de "l'enfance" en tant que période de la vie privilégiée. L'enfant des classes populaires, voué à un avenir de labeur dès le plus jeune âge, ne bénéficiera réellement d'un "temps de l'enfance" que bien plus tard encore, à partir des années 1920 - 30.(19)

Pour que le concept contemporain de "droits" de l'enfance puisse apparaître, il a fallu une transformation radicale de ces conceptions de l'enfance et une prise de conscience que le petit de l'homme peut exister en tant qu'être humain à part entière, sujet de droit en son propre nom.(20)

Aujourd'hui, cette idée prend presque la valeur d'une évidence, malgré le fait que certains enfants subissent encore les pires atrocités au sein de familles et d'institutions maltraitantes, que l'enfant est encore associé aux efforts de guerre, quand il n'est pas tout simplement combattant en première ligne et que l'exploitation de la force de travail infantile reste une réalité.


Les difficultés intrinsèques à l'étude de l'histoire de l'enfance

La condition de l'enfant est difficile à cerner, car elle laisse peu de traces. Les historiens ont essayé de l'aborder en cherchant des indicateurs dans les classes intellectuelles qui s'intéressent pour la première fois à l'enfant en tant que tel : les médecins, les fonctionnaires, le personnel pénitentiaire, les premiers éducateurs, notamment. Il existe également tout un courant d'étude de la représentation de l'enfance qui s'attache à relire la littérature pour enfants et à analyser les images artistiques et populaires.

Parmi les grands courants d'étude actuelle, deux approches se détachent nettement :

L'une, plutôt tournée vers des études fondées sur la démographie et l'historiographie, s'attache à connaître le plus objectivement possible la vie de l'enfant en multipliant les approches et les sources. Les historiens de ce courant ont étudié, notamment, l'évolution de la mortalité infantile et les raisons de sa baisse, les pratiques de soins aux petits enfants. Les travaux de Catherine Rollet (étude de l'évolution de la mortalité infantile), Françoise Loux (ethnographie, historique du maternage), Nadine Lefaucheur (sociologie de l'émergence d'une puériculture scientifique) tendent à montrer l'importance de la médicalisation des soins apportés au petit enfant.

Catherine Rollet, historien-démographe, une des figures majeures de cette école, est à l'initiative de nombreuses études, partant plus particulièrement de la question des causes de la mortalité infantile. Elle insiste, notamment, sur l'impact de la médecine, la baisse sensible de la mortalité est due, selon elle, à la vaccination jennérienne (début du 19e siècle) et à la révolution pasteurienne (début du 20e).

L'autre courant, prends position dans le sillon de Michel Foucault, en essayant d'analyser les structures de la société tout entière, telles qu'elles déterminent la place de l'enfant au sein des institutions familiales, scolaires ou du travail, institutions qui le relèguent à une position "d'exclu" par définition. Dans cette optique les travaux fondateurs de Michel Chauvière L'enfance inadaptée : l'Héritage de Vichy et de Jacques Donzelot, La police des familles, ont particulièrement marqué le champ.

Les études du statut juridique, des institutions d'accueil des enfants ou des pratiques répressives et éducatives dont fait l'objet "l'enfance irrégulière"" adoptent en général une approche plus sociologique. Le problème pour l'historien est moins de connaître avec exactitude le vécu de l'enfant, les paroles ou pratiques culturelles qui l'entourent, mais plutôt d'aborder les déterminants de ces derniers dans l'organisation sociale. Les historiens qui adoptent cette perspective n'adhèrent pas tous aux analyses de Michel Foucault, selon lequel, l'enfant fait l'objet d'un "grand enfermement", d'un contrôle par le "regard" organisé suivant les principes du panoptikon de Bentham.(1) Mais tous (y compris beaucoup d'historiens anglophones) font référence d'une manière au moins implicite aux travaux du philosophe, soit dans la continuité de ses thèses, soit pour apporter la contradiction.

La problématique centrale de ce courant peut se résumer autour de la question : les efforts des philanthropes, de l'État et des professions sociales émergentes relèvent-ils d'un contrôle progressivement plus insistant et plus insidieux sur la sphère "privée" de l'enfance et de la famille, ou au contraire s'agit-il réellement d'un "progrès" passant de la "sauvegarde" de sa vie à la recherche de son "bien-être global" ? Pour reprendre les slogans s'agit-il de la "Police des familles" (titre du célèbre ouvrage de Jacques Donzelot) ou de la "Cause des enfants" (qui a existé bien avant que Françoise Dolto s'en empare) ?

Voyons d'abord l'apport du premier courant principalement centré autour de la question de l'émergence d'une prise de conscience de la valeur de l'enfance. Nous étudierons dans un second temps les recherches sur l'institution de l'enfance et le "contrôle social" dont il fait de plus en plus l'objet au fur et mesure que cette prise de conscience s'opère. (2)

La lente prise de conscience de la valeur de l'enfance à travers la lutte contre la mortalité infantile

L'un des signes les plus significatifs de l'émergence d'un intérêt pour l'enfance est donné par la littérature de plus en plus copieuse consacrée à sa survie vers la fin du 19e. Selon Paul Strauss, auteur de nombreux études et tracts à ce sujet, sénateur et promoteur de la protection de l'enfance, le taux de mortalité infantile situe la France en mauvaise posture comparée aux autres pays de l'Europe : 180 enfants décèdent entre l'âge d'un jour et un an pour mille naissances en 1889, comparé à 167, 5 pur l'Angleterre et Galles 12,6 pour l'écosse et 96, 8 pour l'Irlande. Ce taux est plus élevé encore en ce qui concerne les enfants assistés dont 68 décèdent avant l'âge de vingt ans en 1893. Voyons quelques un des initiatives prises pour endiguer cette hécatombe.

Améliorer les conditions de l'accouchement

Une des premières cause de mortalité au 19e siècle, l'accouchement se déroule dans la majorité des cas chez soi, à la maison. Chez les plus nantis, on garde la chambre quarante jours après l'accouchement, pratique qui, selon Catherine Rollet, rappelle la "traditionnelle exclusion des femmes accouchées réputées impures" (3). Concernant la classe ouvrière, certains industriels et philanthropes éclairés ont réussi à améliorer considérablement le taux de mortalité infantile en créant des systèmes de prévoyance permettant le premier "congé maternité". En Alsace, par exemple, Jean Dolfuss, fondateur du mouvement des cités ouvrières, a créé l'association des femmes en couches de Mulhouse, fondée le 20 juillet 1866. Les ouvrières de dix-huit à quarante-cinq ans, s'engagent "à payer 15 centimes par quinzaine. Les fabricants (huit entreprises sont concernées) versaient de leur côté une somme égale" ce qui permet d'indemniser six semaines de "secours" durant les couches.

Créer des alternatives à l'abandon d'un enfant illégitime


La condition des "filles mères" est souvent désespérée, les conduisant à abandonner leur progéniture dans des conditions épouvantables. À la honte de la future naissance illégitime, s'ajoute la perte d'emploi, le plus souvent renvoie de service domestique et la perspective d'un accouchement au mieux dans l'hôpital public où l'on est logé à quatre dans le même lit.(5) Malgré la désapprobation qui continue de peser très lourdement sur ces femmes, des initiatives philanthropiques sont prises en leur faveur. Une "dame patronnesse", Marie Léon Béquet de Vienne, fondatrice de la société pour la propagation de l'allaitement maternel a obtenu la création d'un "asile-dortoir" pour femmes enceintes, fondé à Paris par décision du Conseil municipal du 24 mars 1890. En 1895, 1591 femmes ont été admises dans cette Asile Michelet, dont 799 domestiques. Paul Strauss s'inquiète en 1898 du sort des 1000 autres femmes qui se sont présentées sans pouvoir être reçues. La société de Mme Béquet ne se contente pas de fournir un refuge, mais cherche à relever les femmes dans un esprit tout à fait moraliste : se faisant promoteur des vertus d'un sain labeur et cherchant à obtenir la reconnaissance de paternité par le père errant. Voici un extrait de son manifeste publié par le Sénateur et philanthrope, Paul Strauss :

L'action de la société pour la propagation de l'allaitement maternel


"Un des moyens auxquels recourt Mme Bequet est celui de l'association provoquée entre deux délaissées, dont l'enquête a révélé les sentiments honnêtes. Une giletière très habile était entravée dans son travail par les soins à donner à son enfant, tandis qu'ailleurs une domestique ne sachant rien faire de ses dix doigts, ne parvenait pas à payer sa chambre. La société les rapproche et les engage à mettre en commun leur aiguille et leur tablier désormais une chambre assez grande avec deux berceaux leur suffit. L'ouvrière qu'aucun souci n'interrompt, gagne ses 4 francs par jour, la bonne fait la cuisine, lave, porte l'ouvrage, soigne les bébés. Au premier terme on les a aidées : une petite voiture pour promener les nourrissons leur a été donnée. À la fin de la première année, la gêne avait disparu, le budget s'équilibrant, les enfants étaient mis à la crèche et la domestique dégrossie apprenait à son tour le métier de giletière". Plus de soixante associations de ce genre, ingénieuses et touchantes ont été effectuées" (6).

Les conditions de l'aide par cette société :

- La société est laïque, aucune considération de croyance,
- La mère s'engage à donner le sein à son enfant et à "accomplir les devoirs de mère"
- Et à accepter la visite, la pesée, l'examen de l'enfant "sous toutes les coutures" et de la garde-robe
- On ne lui donne aucune aide en argent - elle reçoit 32 livres de pain, de la viande et du lait


La lutte contre l'infanticide


Les infanticides condamnées par la justice sont en grande majorité perpétrées par des mères.(7) Le nombre est en constante progression, jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle, le nombre de condamnations passant de 94 infanticides par an en moyenne pour la décennie 1883 à 1894 pour celle de 1880, et 48 en moyenne de 1920 à 1930.(8) Selon les Comptes généraux de la justice criminelle, sur la décennie 1830 à 1840, 422 infanticides ont été enregistrés en moyenne de 1870 à 1880 ce chiffre s'élève à 606, de 1900 à 1910 il diminue à 476.(9)

Des contrôles imposés à "l'industrie nourricière"


Une "industrie nourricière" fleurit pendant tout le XIX siècle.(10) En 1865, 41% des bébés nés à Paris sont élevés par 22 428 nourrices, dont 2 864 "sur lieu" (c'est-à-dire, à domicile) - 6000 sont confiés à une nourrice directement par les parents, 11 906 par des bureaux privés. Le taux de mortalité est de 77 pour cent selon Strauss. L'étendue du problème est soulignée par le fait que pendant le siège de Paris en 1871, les nourrices n'ont pas pu aller à Paris pour chercher des enfants à garder et la mortalité infantile dans le Morvan passe de 64 pour 100 à 17 pour 100.(11) En effet, les nourrices avaient tendance à "sacrifier" leur propre enfant en gardant le lait maternel pour l'enfant placé : leurs enfants sont nourris aux bouillies et au lait de vache afin de pouvoir allaiter l'enfant mis en nourrice.


Le problème de l'hygiène


Les traditions de soins à la campagne ont constitué en elles-mêmes un risque ont perduré à la campagne au moins jusqu'au milieu du vingtième siècle :

L'absence de lavage : dans la société traditionnelle l'eau est un bien rare : la maison rurale est peu chauffée, on peut attraper froid en se lavant. On ne lave pas la tête : c'est ce qui distingue l'homme de l'animal : la fontanelle était considérée comme perméable notamment aux vers. Pour enlever le ver : on fendant en deux un pigeon vivant et l'appliquait encore pantelant sur la tête de l'enfant : dans le but "d'appâter le ver et de l'inciter à se retirer du cerveau. On disait "la maladie de peau est la santé des boyaux", suivant la théorie des humeurs qui ferment à l'extérieur du corps de l'enfant et non à l'intérieur ? D'autres croyances allaient à l'encontre de l'hygiène moderne : "Tailler ses ongles le dimanche c'est donner du pain bénit au diable"(12).

L'emmaillotement : consiste en un maillot formé d'un lange attaché par des bandelettes dans lequel sont enserrée s les jambes c'est par crainte de le laisser seul, pour éviter les accidents. Dans certains milieux on modèle également le crâne et le nez du nouveau-né. Parfois l'enfant est suspendu à un clou par sa sangle pour des raisons essentiellement pratiques, les dangers encourus par l'enfant non surveillé, mais aussi pour des raisons symboliques : l' idée que les jambes devaient s'affermir (ne pas rester croches).

L'alimentation. L'alcool dans le biberon : selon le savant Buffon : "en permettant aux enfants de voire de temps en temps un peu de vin on préviendrait peut être une partie des mauvais effets que causent les vers : car les liqueurs fermentées s'opposent à leur génération

L'enfant est nourri dès qu'il pleure. Pour avoir du lait, la mère a parfois fait un pèlerinage. Elle a fait former le bout de ses seins en se faisant téter par un agneau ou un jeune chien, ou par son mari...l'allaitement est rarement inférieur à un an.

Ajouté à tous ces dangers, le transport de l'enfant constitue aussi un facteur de mortalité important. Catherine Rollet, cite la description de la Comtesse de Ségur :
"Le wagon était plein, il y avait trois nourrices munies de deux nourrissons chacune... Les poupons criaient tantôt un à un, tantôt tous ensemble. Les nourrices faisaient boire l'un, changeaient, secouaient l'autre ; les couches salies restaient sur le plancher pour sécher et pour perdre leur odeur repoussante".(13)


La surveillance des nourrices


La loi Roussel 23 décembre 1874 introduit des procédures de surveillance des nourrices. Elle amorce la lutte hygiéniste contre ces différentes pratiques en faisant la promotion des connaissances médicales supposées mieux protéger l'enfant. En1896, 96 000 enfants de moins de 2 ans sont protégés par cette loi.

L'article trente de cette loi crée quatre statuts de nourrice : "au biberon, à la chèvre, sevreuse et gardeuse". Le carnet délivré à la nourrice contient deux pages de recommandations de l'Académie de la médecine que nous reproduisons ci-contre pour illustrer à la fois la modernité de l'approche de la protection de l'enfant, guère différente de l'esprit de la Protection Maternelle Infantile de nos jours.(14)


Pour voir un carnet de nourrice à la chèvre entier délivré à Rose Magny en avril 1887 le lecteur pourrait consulter le site d'un généalogiste : http://olijuseb.free.fr/nourrice.htm
Les faibles tentatives d'améliorer le sort de l'enfant ouvrier
Dans les classes ouvrières comme dans le monde paysan, l'enfant travaille très jeune. La proportion des enfants de moins de 12 ans par rapport à tous les travailleurs s'élève à 6,5% en 1876. En 1851 la ½ des employés dans les usines sont des femmes et des enfants. De ce point de vue les enfants placés à l'Assistance publique sont plutôt privilégiés, car la mise au travail (domestique, agricole ou armée étant les trois principales voies d'insertion) ne se fait qu'à 13 ans.
Les ouvrières sacrifient littéralement leur enfant, faute d'autre solution. Progressivement, les industriels prennent conscience qu'il n'est pas de leur propre intérêt de faire mourir les enfants à la tâche. Face à la pression de groupes sociaux progressistes, des enquêtes sociales de Villermé et l'action du mouvement ouvrier, une protection se met en place

- 1874 : 15 inspecteurs du travail sont nommés, le travail à l'usine est "interdit" avant 12 ans

une loi limitant l'horaire mensuelle à 11 heures par jour pour les femmes et enfants de 16 à 18, de 13 à 16 ans 10heures et pas de travail à moins de 12 ans

- 1900 une nouvelle loi limitant l'horaire à 10 ans pour tous

- 1905 la journée de 8 heures est introduite dans le mines et

- 1919 elle est étendue à tous les travailleurs

Ces mesures ont une certaine efficacité : la proportion des enfants de moins de 12 ans par rapport à tous les travailleurs : 6,5% en 1876


La répression pénale des sévices sexuels à l'égard des enfants


La prise de conscience du problème de la mortalité infantile va de pair avec d'autres nouvelles mesures destinées à préserver l'intégrité physique de l'enfant, notamment, la répression du viol. Au cours du 19e siècle, la répression des abus de l'enfant par la justice se fait de plus en plus sévère. Les crimes et délits ne sont plus confondus avec ceux des adultes ni déniés par méconnaissance d'enfant en tant qu'être à part entière, comme cela avait été le cas auparavant.

"Le viol sera puni de six ans de fers" : l'article 29 du code pénal de 1791 introduit déjà un changement important : on ne fait plus allusion au rapt. Le viol est à lui seul condamnable. Suivant les analyses de l'historien Georges Vigarello, ce texte signifie déjà un changement majeur de perspective sur l'homme et la femme, car il nécessite de penser la citoyenne (et le violeur) en tant qu'individu et non comme propriété ou comme propriétaire.(15) Cependant, à cette époque l'enfant n'est pas considéré comme victime de viol, mais "d'attentat", crime considéré comme étant de bien moindre gravité.

Le fait que le viol de l'enfant reste inconcevable avant le 19e siècle peut être compris à la lumière de cet exemple donné par l'historien GeorgesVigarello, au sujet d'un marchand de vin, François Bedu condamné en 1781 :(15)

Ce marchand de vin de 50 ans habitant rue de la Tonnellerie à Parie a introduit a diverses reprises deux enfants dans sa chambre, les a violées, contaminées et terrorisée : les parents d'une de ces enfants de 6 ans porte plainte : il est emprisonné pour plus ample informée : il est disculpé en février 1784. Les médecins sont déjà présents sur la question de l'expertise : reconnaissent la brutalité et ses signes : mais ne concluent pas là la défloration.

C'est qu'on a la conviction à cette époque qu'il est impossible de violer un enfant que ces crimes sont plus ou moins avortés.

L'acte de viol est jugé impossible compte tenu de la petite taille de l'enfant.

Encore en 1825, l'auteur relève 37 % d'acquittements pour des violences sur enfants, contre 52% pour le viol de femme adulte

Un changement de mentalité est perceptible déjà lors de la révision du code pénal en 1832 qui définit tout atteinte sexuelle sur un enfant de moins de 12 ans comme violente. En 1863 le seuil est augmenté d'un an s'appliquant à ceux de moins de 13 ans. Ainsi, une peine de deux ans de prison a été infligée au le lieutenant d'Avy en 1837 pour "avoir attenté à la pudeur sans violence sur une enfant de 8 ans dans la forêt de Fontainebleau.(16)

Vigarello relève, au milieu du 19e siècle, des évolutions dans la conception juridique du viol qui tendent à préciser le statut de l'enfant et à affiner la définition des crimes et délits sexuels :

• Un accroissement du nombre de condamnations
pour viols et attentats sur enfants, en 1825 101 en 1855 594

• Une tentative de classification et d'échelonnement des violences : attentat à la pudeur avec et sans violence, viol, avec recours à l'expertise

• Un début de reconnaissance de la violence morale exercée sur l'enfant :

• avec emprise physique

• reconnaissance pour la première fois du libre arbitre du violeur


Vers la fin du 19e siècle, le crime de viol d'enfant est enfin reconnu comme spécifique. Les jugements rendus montrent progressivement une moindre indulgence pour les violeurs. Par exemple, en 1827 un violeur nommé Médant avait été acquitté pour une raison jugée évidente : le charme de sa femme d'une beauté remarquable lui donnait aucune raison de chercher de satisfactions sexuelles ailleurs, un tel argument n'est plus accepté à la fin du siècle à plus forte raison quand il s'agit du viol d'un enfant.

Enfin, sous l'influence grandissante du savoir psychiatrique, la fin du siècle voit paraître un recours à l'expertise médical accru, notamment par l'apparition dans les condamnations de 1890 d'une terminologie médicale : la "perversité morale", "la dégénérescence", "l'alcoolisme", termes à connotation morale appliqués désormais au violeur et non à la victime, comme ce fut le cas auparavant.

À travers cet exemple, nous voyons que l'intérêt contemporain pour les cas d'abus sexuel d'enfants n'est pas tout à fait nouveau, contrairement à ce que peuvent dire certains des promoteurs des campagnes contre la maltraitance. Implicitement, un "droit à l'intégrité physique" est déjà présent dans la pratique de la justice vers le milieu du dix-neuvième siècle, même s'il n'est pas formulé comme tel.

En conclusion à cette première partie, il est possible de constater en France un progrès certain au moins dans les intentions. Au début du 19e l'enfant abandonné ou orphelin est secourable par l'Assistance Publique et par la charité individuelle, dès lors qu'il n'a plus de famille. À la fin de ce siècle, toutes sortes d'initiatives parcellaires et insuffisantes certes, sont prises en vue de le protéger même au sein de sa famille naturelle et via les institutions qui l'entourent. Dans le discours philanthropique, la notion des droits de l'enfant émerge, essentiellement conçue en terme d'un droit à la survie et au secours, puis comme un droit de se développer normalement.


Le rôle de l'État dans la protection de l'enfant, police des familles ou progrès vers le droit de l'enfant ?


L'organisation de la protection de l'enfance revient pour une large partie à l'État républicain. Son instrument d'intervention est constitué avant tout par l'appareil juridique qui accorde progressivement un statut de plus en plus précis à l'enfant. Les institutions sociales sont créées progressivement pour répondre aux exigences de ces lois, ancêtres de l'Aide Sociale à l'Enfance et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Dans cette partie nous verrons quelques-uns des principaux textes, avant d'aborder les termes du débat soulevé par le courant sociologique de l'histoire.

L'enfant "bien national"


Au moins depuis le temps de Napoléon premier, l'enfant sans famille est considéré comme appartenant à la "nation". Ainsi, le décret de 1811 organise le destin des enfants trouvés futurs combattants de la marine nationale.

Il précise que "à partir de leur dixième année, les enfants ne pourront être rendus aux parents, soit à titre gratuit, soit en remboursant leurs dépenses, qu'à la charge de les représenter à la première réquisition qui pourrait en être faite pour le service de la marine ou pour celui de la guerre".

La métaphore de la "mère patrie" fonctionne comme un support non seulement au sentiment patriotique, mais aussi comme une réalité, faisant de l'enfant de sexe masculin "le fils" de la nation, dont les représentants exercent sur lui un réel pouvoir paternel. Cette citation de Michelet mise en exergue par le philanthrope Paul Strauss, dans la préface de son ouvrage "L'enfance malheureuse" permet de saisir l'intensité de cette rhétorique. La France est une :
"grande-mère" qui va prendre pour l'enfant délaissé les soins d'une nourrice et "te fera de sa main héroïque la soupe du soldat, et si elle n'avait pas de quoi envelopper, réchauffer tes petits membres engourdis, elle arracherait plutôt un pan de son drapeau"


Par ailleurs, l'enfant est progressivement associé à l'effort de guerre en tant que combattant à part entière, "mascotte" du régiment ou comme soutien aux soldats à l'arrière avec des échanges de lettres, de cadeaux, de prières qui sont organisés à très grande échelle durant la guerre 14-18.

Ce même esprit est visible dans l'image de couverture de notre livre, vignette distribuée à ses clients par les Galeries Lafayette durant les années 1870. L'apogée de ce concept de "parens patriae" (parent patrie) est constitué par les deux lois du 27 juin 1917 et du 26 octobre 1922. Ces textes prévoient l'adoption des enfants par la nation et offrent une aide aux pupilles de la nation destinée à l'enfant dont le père ou le soutient était soit mort au combat, soit mutilé, blessé ou gazé.

La France adopte ces enfants sur la demande d'un parent et leur donne un soutien moral et matériel jusqu'à 21 ans.
L'allégorie de Michelet Jules, est souvent citée par les promoteurs de ces dispositions : (18)

"Si ta mère ne peut te nourrir, si ton père te maltraite, si tu es nu, si tu as faim, viens mon fils, les portes sont toutes grandes ouvertes, et la France est au seuil pour t'embrasser et te recevoir. Elle ne rougira pas, cette grande mère, de prendre pour toi les soins de la nourrice, elle te fera de sa main héroïque la soupe du soldat, et si elle n'avait pas de quoi envelopper, réchauffer, tes petits membres engourdis, elle arracherait plutôt un pan de son drapeau

Un dispositif de protection organisée par filière

La protection de l'enfance publique s'organise autour d'un double dispositif juridique et institutionnel dont les pièces maîtresses sont le Code Civil et la loi de 1889 d'une part, l'Administration de l'Assistance publique avec son corps d'Inspecteurs et ses orphelinats et familles "nourricières", d'autre part. À côté de ce dispositif public, l'initiative privée (catholique en large partie) mise sur les orphelinats, les "colonies agricoles" et le placement individuel des enfants "méritants" en apprentissage auprès de familles fiables et pratiquants. Voyons d'abord les dispositions essentielles du côté de l'autorité publique :


Le rôle de l'Assistance publique

L'Assistance publique est créée dans la suite de la révolution française pour accueillir les "orphelins"
Le nombre d'enfants placés varie de 10 à 15 mille par an sur la période 1870-1920. De ces enfants, entre cinq et neuf pour cent, suivant les années, sont immatriculés comme "orphelins". À ces chiffres il faut ajouter les enfants pris en charge par les œuvres privées dans des orphelinats, des colonies agricoles ou des placements en apprentissage auprès de familles (pratique appelée parfois "adoption"). Environ 16 000 enfants de moins de 12 ans sont "adoptés" par les Oeuvres, dont une majorité d'orphelins de père et de mère.(20) Ainsi, nous pouvons estimer que ces derniers représentent environ un tiers des jeunes enfants pris en charge.

Trois catégories d'enfants existent depuis le décret du 19 janvier 1811,
Article 2 : les enfants trouvés sont ceux qui nés de pères et mères inconnus, ont été trouvés exposés dans un lieu quelconque, ou porté dans les hospices destinés à les recevoir
article 5 : les enfants abandonnés sont ceux qui, nés de pères ou de mères connus, et d'abord élevés par eux ou par d'autres personnes à leur décharge, en sont délaissés sans qu'on sache ce que les pères et mères sont devenus, ou sans qu'on puisse recourir à eux,
article 6 : les orphelins sont ceux qui, n'ayant ni père ni mère, n'ont aucun moyen d'existence.

Puis en 1889, vient la légalisation, d'une autre catégorie les "enfants moralement abandonnés". Ce sont les enfants dont les parents font l'objet d'une déchéance de la puissance paternelle ou qui sont condamnées en justice
La loi de 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés

Elle est introduite après 10 ans de débats au parlement qui on porté notamment sur le rôle de l'église. L'assistance privée est admise essentiellement pour des raisons financières. Dans le département de la Seine : on comptait 2 967 enfants admis dans le service des enfants assistés en 1888, dont 905 filles 2065 garçons

L'objectif est double :

• Soustraire le mineur aux mauvais traitements au délaissement à l'exploitation, mais aussi

• Prévenir le crime et la marginalité
Le texte énumère les motifs pour lesquels la déchéance de la puissance paternelle est judiciairement prononcée :
A. indignité des parents :

• la déchéance est obligatoire en cas de condamnation pour crimes commis contre les enfants ou de condamnations deux fois de suite pour incitation à la débauche,n

• la déchéance est facultative en cas de condamnations diverses, mauvais traitement, ivrognerie, inconduite notoire, défauts de soin compromettant la santé, la moralité d'un ou plusieurs enfants.

L'autorité judiciaire peut en outre facultativement prononcer la déchéance en cas de condamnation pour séquestration suppression ou exposition d'enfants ou pour vagabondage. Peuvent être déchus les père et mère qui, par leur ivrognerie habituelle leur inconduite notoire et scandaleuse, ou par leus mauvais traitements, compromettent soit la santé, soit la sécurité soit la moralité de leurs enfants. Si le père seul est déchu, la mère peut se voir conférer l'exercice des droits de la puissance paternelle

Incapacité des parents
Dans ce cas il y a prononciation d'une délégation volontaire de la puissance paternelle à l'assistance publique. Des enfants confiés à des particuliers ou à des associations sont placés sous la surveillance de l'État

La loi distingue deux niveaux :

• la jouissance de la puissance paternelle attribuée à l'Assistance publique à défaut des pères ou tuteurs, et

• l'exercice de la puissance paternelle qui peut être confié à un particulier ou à un établissement (mais qui n'est pas la tutelle).

La collectivité acquiert le droit de contrôler le bon exercice de cette délégation. L'État assure 1 cinquième du financement de la loi ce qui augmente considérablement sa contribution par rapport à la situation antérieure.

Textes législatifs complémentaires :
- 18 avril 1898 : punitions plus sévères pour les actes de cruauté commis envers les enfants de moins de 15 ans et garde provisoire des enfants maltraités en attendant la décision judiciaire
- loi du 21 novembre 1901 : atténuation de la peine prévue pour la mère coupable d'infanticide : transformant la peine de mort prévue en travaux forcés à perpétuité
- loi du 8 décembre 1904 : interdiction de prendre une assurance décès reposant sur la tête d'enfants de moins de douze ans.

Loi de 1904 sur les enfants assistés

Il s'agit d'une loi "organique" prévoyant, notamment, les dispositions suivantes :
o le service des enfants assistés est un service d'État, les enfants peuvent être admis jusqu'à 16 ans
o une nouvelle organisation des catégories d'accueil des enfants sans famille : secourus et en dépôt : enfants placés sous la protection de l'autorité publique, enfants "en garde" en vertu d'une décision de la justice, enfants trouvés, abandonnés, orphelins pauvres,o enfants, maltraités délaissé ou moralement abandonnés.

Tous ces enfants sont désormais dénommés pupilles de l'Assistance et placés par voie de conséquence sous la tutelle de l'autorité publique à l'exception des enfants secourus qui peuvent recevoir une aide à domicile ou un "placement temporaire".

La loi Rivet : 16 nov 1912 : Autorise la recherche judiciaire de la paternité naturelle ce qui était jusque-là interdit par
l'article 340 du Code civil et permet de demander légalement une pension alimentaire pour l'enfant.

Cette loi rétablit l'admission "au bureau ouvert" pour les enfants abandonnés (procédure qui correspond à "l'accouchement sous X aujourd'hui), droit qui avait été supprimé avec obligation de décliner ses noms et domicile avec enquête en 1850 lors d'un abandon d'enfant.

"Toute personne qui présentera un enfantin en vue de l'abandon est avertie que des questions vont lui être posées dans l'intérêt de l'enfant, mais qu'il lui est loisible de ne pas répondre ou de ne fournir qu'une partie des renseignements demandés. La production du bulletin de naissance ne sera pas non plus obligatoire " (Injonction affichée dans la salle d'attente du bureau des admissions à l'hospice de la rue Denfert Rochereau à Paris).

Cette loi consolide l'intervention de l'État sur le plan du financement à hauteur de 2/5 des dépenses engagées. Elle introduit un caractère obligatoire des dépenses par le département.

L'adoption

Jusqu'en 1917 l'adoption proprement dite fut restreinte aux personnes majeures, l'adoptant devant lui même être âgé de 50 ans ou plus.
La première loi du 19 juin 1923 sur l'adoption par des particuliers constitue une modification profonde du Code civil. Elle étend l'adoption aux mineurs les liens des adoptés avec leur famille d'origine n'étaient pas rompus, mais l'adoptant obtient les droits de la puissance paternelle (il doit avoir 40 ans ou plus. Le nombre des adoptés varia entre 1 000 et 1 700 chaque année entre 1924 et 1942

La prise en charge des enfants "irréguliers" et "anormaux"

Aux côtés des enfants abandonnés, les délinquants et les débiles mentaux font progressivement l'objet des attentions des autorités. Évoquons brièvement deux grands champs de l'intervention publique destinés à prendre progressivement une place prépondérante dans le paysage de la protection de l'enfance.

Le système judiciaire

Il s'adresse en principe aux enfants "discernants" : c'est-à-dire ceux qui ont conscience qu'ils ont fait un acte délictueux. La cour de justice les adresse vers le système pénitentiaire qui peut les orienter vers des établissements gérés par des philanthropes privés. Les moyens :
Les colonies pénitentiaires (Belle Ile, Mettray....)
Les colonies agricoles avec des "cottage homes"
La prison

La neuropsychiatrie infantile

Impulsée par des médecins aliénistes comme Georges Heuyer à partir du début du 20e siècle, cette approche consiste en la classification des enfants en fonction de leur état mental.
Les moyens de cette nouvelle orientation comprennent :
• l'expertise psychiatrique
• l'enquête sociale effectuée au tribunal
• la "prophylaxie" c'est à dire des campagnes de prévention des principaux "fléaux sociaux" : tuberculose, syphilis, alcoolisme
• le placement en établissements spécialisés en fonction du degré d'arriération
• le placement à l'asile en pavillon spécialisé pour enfants "aliénés"

L'initiative privée : aiguillon de la conscience collective

Le "sauvetage des enfants" est en large partie l'œuvre de la philanthropie privée d'inspiration religieuse et plus tard laïque.
Un exemple parmi bien d'autres, "L'Oeuvre de l'adoption", fondée en 1859 par Mgr Gaillot, qui prend pour devise Math XXV 40 "Ce que vous aurez fait pour l'un ces tout petits, vou l'aurez fait à moi-même". Sa vocation consiste essentiellement en la levée de fonds par le paroisses pour financer des places à l'orphelinat ((7 établissements recensés en 1870) puis auprès de familles pieuses pour l'apprentissage.
Dans l'Ange de la famille de janvier 1922 on peut lire
"L'oeuvre est née en 1859. Pendant cet intervalle de 63 ans, c'est plus de 12 000 orphelins qu'elle a recueillis, adoptés, fait élever chrétiennement".
La rivalité avec l'Assistance publique est encore vive en 1929. Dans le même journal, son directeur général Mgre Rimbault, écrit
"ces enfants, sans nous, que deviendront-ils ? L'Assistance publique ? C'est à dire la misère de l'âme, du cœur, l'anarchie de l'esprit, la vie même compromise ! Non ! Non ! Non ! Prenons les entre nos bras, ces chers petits en péri de mort".
Jusqu'à nos jours, cette rivalité entre les services de l'Etat et les initiatives privées reste très sensible. Les institutions privées acceptent la tutelle des autorités publiques (décentralisées depuis la "loi particulière de 1986) moyennant un financement souvent jugé insuffisant et tout en réclamant une certaine indépendance. Cette histoire pèse également sur le champ de la formation - les éducateurs n'ayant jamais accepté d'intégrer celle-ci dans le ministère de l'Éducation nationale, revendiquant un champ éducatif à part et réclamant la place au sein du ministère de l'action sociale jugé plus ouvert à la spécificité de leur métier.

Ordre étatique ou adaptation du droit aux nouvelles moeurs et représentations relatives à l'enfant ? Que faut-il penser de la thèse du "contrôle social"

Comme nous pouvons le voir à travers cette étude des différents dispositifs législatifs de protection de l'enfance, le champ de l'intervention de l'Etat s'avère d'une extrême complexité. La thèse d'un "contrôle social" dans sa version la plus simpliste semble peu crédible, ne serait-ce que pour cette raison. En effet, chaque nouveau dispositif législatif a apporté une complexité accrue, au point que les institutions se sont trouvé dans l'impossibilité de réaliser l'ingérence dans la sphère privée que le législateur a pu préconiser.

Que pouvons-nous retenir des thèses de l'école du "contrôle social" ? Pour conclure cet article, reprenons une par une les principales affirmations de ce courant (Donzelot, Meyer, Chauvière). Il ne s'agit évidemment pas de trancher ce débat, dont les termes ont considérablement évolué depuis la publication des ouvrages de ces auteurs. Nous essayerons simplement de suggérer quelques pistes pour le prolonger.

1. La loi de 1889 et les textes qui lui succèdent tendent tous à enlever un pouvoir aux parents quant à l'éducation de leurs enfants et à jeter la suspicion sur les capacités éducatives de la classe défavorisée.

Cette affirmation est à nuancer d'abord au regard de la faible application de la loi dans les tribunaux. Il s'avère difficile d'apporter la preuve de la maltraitance parentale, si bien que la notion de maltraitance est partiellement "oubliée par l'opinion publique à la publication d'une nouvelle loi un siècle plus tard, le 31 juillet 1989. Le nombre d'enfants "en danger moral" suivant les termes de la loi de 1889, reste relativement restreint au regard de l'énorme quantité d'enfants orphelins ou abandonnés reçus par l'Assistance publique.

2. L'espace privé de la famille fait de plus en plus l'objet d'un regard normatif venant de toute une cohorte de nouveaux professionnels défenseurs de l'ordre moral bourgeois.

Les philanthropes à l'origine des textes cités ci-dessus ont cédé la place aux premiers travailleurs sociaux. Il ne fait pas de doute que ces assistants de service social et infirmières visiteuses sont mus de valeurs morales chrétiennes. Elles poursuivent un projet normatif visant à "réunir les familles désunies" par l'alcoolisme, l'inconduite sexuelle, les mauvaises habitudes, etc. Pour autant les moyens mobilisés au service de ce projet restent très faibles au regard de l'amplitude de la pauvreté, des mauvaises conditions de logement, de l'errance des enfants et de la maladie. Les premiers AS s'occupent bien plus de la vaccination contre la tuberculose que de l'inconduite des "filles mères", par exemple.

De plus, le secret professionnel, introduit très tôt dans les fondements de la profession, offre une protection contre le regard insistant de la préfecture, les autorités d'immigration, les patrons d'industrie et les fondations de bienfaiteurs qui constitue l'essentiel des financeurs du service social. Les services sociaux font, certes, du contrôle social, mais plutôt pour leur propre compte que pour l'État.

Enfin, la thèse du contrôle social néglige l'aspect émancipateur et laïc de l'action des femmes en faveur des enfants. Beaucoup adhèrent aux mouvements progressistes des années vingt : "soroptimistes", mouvements pour le suffrage des femmes, pacifistes, etc. Durant la période que nous avons étudié en tout cas, il ne semble pas que les intervenants sociaux soient uniquement occupés à normaliser l'espace familial, mais plutôt à y améliorer les conditions de vie.

3. Le monde économique a de plus en plus besoin d'une main d'oeuvre disciplinée et éduquée. L'état se charge de lui la lui fournir en s'occupant des enfants destinées autrement à représenter une menace pour le nouvel ordre moral économique.

Il ne fait pas de doute que les principales oeuvres philanthropiques et l'Assistance publique raisonnent en terme de reproduction de classe, et non en terme de promotion sociale. Les orphelins de l'assistance et de la philanthropie privée sont destinés aux travaux domestiques, à l'agriculture ou à l'armée.

L'Assistance publique a néanmoins constitué une force de progrès par rapport au destin social de ces enfants pauvres : l'enfant de l'Assistance entre "en service" avec un contrat d'indenture et un pécule assuré à 13 ans en 1870 là où la plupart de ses camarades non accueillis travaillent déjà depuis 8 ans pour un salaire de misère non garantis. De même l'orphelinat, constitue à bien des égards un destin enviable, en comparaison à la vie dans la rue des enfants saltimbanques, ou ramoneurs, malgré la rigueur du régime qui y règne.

La cruauté de la vie des enfants délinquants dans les "bagnes" est également sujette à controverse, comme le montrent les travaux de l'historien Thierry Fillaut sur la colonie pénitentiaire de Belle Ile. Par ailleurs, voyons cette citation d'un philanthrope anglais en visite à la colonie de Mettray : il s'agit du diplomate James Alipius Goold qui rendant visite à Mettray trouve que, "pour des garçons français, ils ont l'air bien nourris et en bonne forme".(22). Les "bagnes" deviennent un véritable enfer au milieu du vingtième siècle, mais ne l'étaient peut-être pas à leurs débuts.

4. La protection de l'enfance est productrice de "filières" administratives qui ont un effet stigmatisant sur les enfants et qui sont intériorisées. Cette catégorisation agit si fortement que l'enfant est privé d'identité personnelle, catégorisé en fonction d'une pseudoscience psychiatrique et orienté vers des voies de relégation au moment de l'insertion dans le monde adulte.

Cette idée mérite une attention particulière. Il ne fait pas de doute que l'administration procède par filières et que la stigmatisation attachée aux statuts multiples de l'enfant placé, par le passé comme aujourd'hui, constitue un handicap lourd pour les enfants concernés. L'historien est constamment confronté à des questions de vocabulaire changeant au gré des nouvelles théories, productrices d'un vocabulaire pseudo scientifique ou administratif (enfants "pervers", enfants "inadaptés", enfants "de la dass", enfants "psychotiques").

5. En se constituant comme administration républicaine au sein d'un État omniprésent, la protection de l'enfance promeut des valeurs et des pratiques conservatrices, fondées sur la discipline, le respect de l'autorité, la primauté du groupe sur l'individu

La tension entre les approches conservatrices de l'éducation et celles plus libertaires est inhérente à tout le champ éducatif. En effet, le secteur de l'enfance inadaptée et de l'enfance en danger est très prolifique en approches originales de l'éducation s'inspirant bien plus de la tradition de Rousseau que de celle des éducateurs catholiques. Cette dialectique existe dès le début du vingtième siècle et nécessite une approche très nuancée. Le mouvement pour les droits de l'enfant né d'initiatives privées, d'inspiration protestante aboutit à la première déclaration de ces droits en 1924. La conception de la sphère familiale reste très conservatrice chez ses promotrices (notamment la quakeresse anglaise, Eglantyne Jebb). Ce mouvement intègre néanmoins des idées radicalement nouvelles telles celles proposées par Janusz Korzac.

Michel Chauvière a certainement raison de souligner la continuité entre l'État de Vichy et celle de l'après-guerre dans la recherche d'un mode d'administration normatif, inspiré du scoutisme et fondé sur des valeurs nationales que nous jugerons aujourd'hui extrêmement conservatrices. Pour la période antérieure à la deuxième guerre mondiale, il est moins sûr que ces forces conservatrices soient aussi influentes.


Pour conclure


Ces deux courants de l'histoire de l'enfance, centrés respectivement sur la condition de l'enfant en lui même et sur le statut que la société lui réserve, peuvent se lire finalement en complémentarité. Ils nous permettent de repérer clairement les deux conditions d'émergence des "droits de l'enfant" durant les années vingt :

1. Prise de conscience de la valeur de l'enfance et des souffrances que le monde des adultes lui fait subir

2. Nécessité de donner un fondement philosophique et moral autre que religieux à la protection de l'enfance tout en prenant en compte les limites de l'action de l'ÉTAT.

À travers la période de 1850 au milieu des années 1920, les bases du système actuel de protection de l'enfance sont dessinées. Cette évolution s'accompange d'un changement fondamental des mentalités à l'égard de l'enfance. Il prépare la voie pour les évolutions du 20e siècle qui sont loin d'être toutes favorables au bien-être de l'enfant, mais qui lui accordent une toute autre place dans l'imaginaire familiale et dans la cité que celle prévalente au début du 19è siècle.


Quelques éléments de bibliographie

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Egle Becchi et Dominique Julia, Histoire de l'enfance en Occident, tome 1 de l'Antiquité au XVIII° siècle , tome 2 du XVIII° siècle à nos jours, collection Points histoire, Paris, Seuil, 1998.
Badinter, Elisabeth L'amour en plus, histoire de l'amour maternel, XVII° XX° siècles, Paris, Flammarion, 1980.
Chauvière, Michel, L'enfance inadaptée, l'héritage de Vichy, Paris, éditions ouvrières, 1980.
Chauvière, P. Lenoël, E. Pierre, Protéger l'enfant, raison juridique et pratiques socio judiciaire XIX°/XX° siècles, Presses Universitaires de Rennes
De Luca, Virginie, Aux origines de l'Etat Providence, Les inspecteurs de l'Assistance publique et l'aide sociale à l'enfance, 1820-1930, Paris, INED, 2002.
Delaisi, Geneviève, Verdier, Pierre, Enfant de personne, Paris, Odile Jacob, 1994.
Donzelot, Jacques, La police des familles, Paris, Minuit, 1975.
Knibielher, Yvonne CatherineFouquet, Histoire des mères, Paris, Montalba, 1977.
Laplaige, Danielle, Sans famille à Paris, Orphelins et enfants abandonnés de la Seine au XIXe siècle, Paris, Le Centurion, 1989.
Loux, Françoise Traditions et soins d'aujourd'hui, Paris, Masson 1998.
Pontault, Monique, Frères de sang, sœurs de lait, Paris, L'Harmattan, 2001.
Quincy Lefebvre, Pascal Une histoire de l'enfance difficile, 1880/ fin des années trente, par ¨
Renaut, Alain La libération des enfants,, ed Pluriel, Hachette, 2003.
Rollet, Catherine Les enfants au XIX° siècle, par, ed Hachette, collection vie quotidienne
Rollet, Catherine Rollet, L'enfant au 19e siècle, Paris, Hachette, 2001.
Sandrin, Jean, Enfants trouvés, enfants ouvriers, 17è-19è siècle, Paris, Aubier, 1982.
Vigarello, Georges Histoire du viol, Paris, Seuil, 1998.
Youf, Dominique, Penser les droits de l'enfant, par, Paris, PUF, 2002.
Zeldin, Theodore, Histoire des passions françaises, Paris, Payot, 2003.
Revue d'Histoire de l'Enfance Irrégulière, http://rhei.revues.org/

Notes :
1. Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1993.
2. Les sources primaires citées proviennent de la Bibliothèque Internationale de Documentation Internationale BDIC à Nanterre et des archives de l'Assistance Publique à Paris, voir aussi, John Ward, Placements et adoptions de orphelins au Royaume-Uni, 1870-1926, L'harmattan, 2010.
3. Paul Strauss, L'enfance malheureuse, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1896, (293 pages) p. 236 et 238.
4. Catherine Rollet, Les enfants au XIXè siècle, Hachette, 2001, p. 18 et suivantes.
5. Strauss, ibidem, p. 5
6. Paul Strauss, L'enfance malheureuse, Paris, Bibliothèque Charpentier 1896, 293 pages, page 205.
7. Lucien Gambut, De l'état social et mental des mères qui tuent leurs enfants et de la protection à leur assurer. Thèse, faculté de médecine, Lyon, Bosc frères, 1932.
8. Paul Brouardel, L'infanticide, JP Baillière, 1897.
9. Comptes généraux de la justice criminelle, citée par Lucien Gambut, ibidem, De l'état social et mental des mères qui tuent leurs enfants et de la protection à leur assurer, thèse, faculté de médecine, Lyon, Bosc frères, 1932.
10. Ibidem, p.238.
11. Yvonne Kniebhieler, Histoire des mères, Paris, Puf, 1980, p. 219.
12. Françoise Loux, Traditions et soins d'aujourd'hui - Anthropologie du corps et professions de santé, Paris, Interéditions, 1995, p. 211.
13. Catherine Rollet, ibidem, p.29.
14. Danielle Laplaige, Sans famille à Paris, Orphelins et enfants abandonnés de la Seine au XIXe siècle, Centurion, 1989, 2001 pages.
15. Georges Vigarello, Histoire du viol, p. 107 et suivantes
16. Ibidem, p. 161.
Ward, op cit.
17. Le peuple, 1846 Champs Flamarion 1974.
18. Muriel Jeorger, "Enfance abandonnée et société en Europe, XIVes - XXe siècles ", Rome, École française, 1991. À l'hospice dépositaire rue d'Enfer à Paris le nombre d'enfants pris en charge en 1882 s'élève à 58 634 et en 1913 à 101 855.
19. En 1881, 16 170 enfants de moins de 12 ans et 23 865 enfants de plus de 12 an.
20. Une quatrième catégorie, les "moralement abandonnés" présente dans les dossiers de l'Assistance publique de la Seine dès 1870 est rendu officielle par la loi du 25juillet 1989 désigne des enfants dont les parents sont connus, mais disqualifiés par leur inconduite et, à partir de 1889, déchus de leurs droits parentaux..
22.. Carnet personnel de Goold, http://www.unisanet.unisa.edu.au.
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Ethique de la responsabilité et éthique du "care" : quelles logiques pour fonder une éthique de l'intervention sociale ?

Le "care" devient un terme à la mode depuis que certains politiques français s'en sont saisi. Pour autant la notion d'une éthique du care va au delà d'un simple appel à une société de la sollicitude ou de la solidarité. L'article, paru pour partie dans Vie Sociale no 3 2009, reprend quelques sources philosophiques de l'éthique professionnelle et met en évidence la possibilité d'une autre approche plus ancré dans le quotidien des relations humaines.

On ne peut pas trouver pire reproche à faire à un travailleur social que de l'accuser d'agir "en électron libre", "en solo" ou "en libéral", ce qui veut dire dans la bouche de certains, qu'il ne s'intéresse qu'à son propre intérêt et qu'il utilise les usagers pour poursuivre ses propres fins.
Etre responsable, c'est assurément le contraire de cette attitude, car la responsabilité implique la capacité à respecter autrui et à rendre des comptes sur ce que l'on fait.

Mais le sens de ce terme est-il toujours aussi évident ? Que signifie le fait d'être "responsable" quand la personne dont on s'occupe met à mal les projets les plus manifestement utiles pour lui : quand on est confronté à quelqu'un qui menace de se suicider, qui refuse de donner le minimum d'informations nécessaires pour l'obtention de ses droits sociaux ou qui continue de s'alcooliser alors qu'il a pris l'engagement de limiter sa consommation ? Dilemmes encore plus difficiles : comment mesurer sa propre responsabilité quand l'on agit auprès d'un tiers "responsable", un parent qui éduque (mal) son enfant, un conjoint qui ne rend pas visite à son époux malade, un adulte qui se soucie peu de ses parents vieillissants ?

Je vais suggérer que beaucoup des dispositifs que nous utilisons sont fondés sur une conception "rationnelle" de la responsabilité. Ils nous invitent à introduire des procédures contractuelles, à considérer l'usager comme un être lui-même rationnel ou à l'inciter à devenir. La référence à "l'éthique de la responsabilité" qui caractérise ces dispositifs, n'est pas suffisante, selon moi, pour répondre à certains "cas limites" auxquels les travailleurs sociaux sont souvent confrontés. Une autre piste est suggérée par "l'éthique du care" proposée par la psychologue américaine Carol Gilligan.

Etymologie et définitions

Avant d'aller plus loin, examinons d'abord les définitions couramment employées du terme "responsabilité".

Le dictionnaire étymologique (centre national de ressources textuelles et lexicales) indique que le mot "responsabilité" vient du latin respondere en latin : répondre de. Il apparaît pour la première fois dans a première moitié du quinzième siècle. Elle signifie "l'obligation de répondre de ses actes". En anglais, le terme responsibility apparaît en 1776 dans le Gentleman's Magazine et à la même époque en allemand, ce qui illustre l'engouement pour ce mot à la fin du 18ème siècle dans la langue des journaux et des discours politiques." Il s'agit d'un terme qui n'a pas d'équivalent chez les Grecs ce qui explique peut-être pourquoi il relève davantage des sciences juridiques que de la philosophie.

Une définition plus philosophique souligne que être responsable nécessite de remplir trois conditions :
- le fait d'être conscient et volontaire par rapport à l'action engagée, de n'avoir subi aucune contrainte pour le faire,
- l'engagement de l'individu à accomplir cette action - plus que l'absence de contrainte, c'est le fait d'avoir accepté au départ la responsabilité avant de l'avoir exercé qui rend "imputable" la responsabilité de l'action,
- l'acceptation des conséquences de l'action ou celles de son non accomplissement.

Par ailleurs, être responsable fait référence "à l'obligation de réparer une faute, de remplir un devoir ou un engagement, d'assumer les conséquences de ses actes". Ainsi, en réponse à la question "responsable de quoi ?", on peut répondre en terme d'action (responsable de réaliser ou non une visite à domicile, par exemple), en terme de bien matériel (être trésorier d'une association, assurer une tutelle auprès d'une personne vulnérable) ou encore en terme de personne (responsable d'un enfant). Le terme est utilisé couramment pour parler de la responsabilité à l'égard des biens matériels (par exemple, dans le cas d'une tutelle), à l'égard des actes engagés ou non engagés (par exemple, être responsable d'un accident, être responsable de la non transmission d'une information importante) et enfin, à l'égard du bien être d'une personne.

Autre complication soulevée par la définition du terme : l'on distingue assez couramment la responsabilité individuelle de la responsabilité collective, distinction présente dans le droit français (mais pas dans tous les autres systèmes juridiques) à travers certaines différences entre les juridictions (le droit civil et plus tourné vers la responsabilité individuelle que le droit administratif, par exemple). Quand une collectivité est considérée comme responsable de quelque chose (par exemple, l'explosion de l'usine à Toulouse), il s'agit de sa "personnalité morale", ce qui veut dire qu'elle est identifiable comme une institution à part entière et unique. Dire que "la société toute entière est responsable de la dégradation des valeurs morales", par exemple, serait impropre, dans la mesure où la "société", n'est pas une personne morale.

Dans le domaine des politiques sociales, en s'inspirant du philosophe François Ewald, nous pouvons une nouvelle forme de responsabilité collective a émergé autour de "l'assurance risque", que cet élève de Foucault associe aux premières indemnisations pour accident de travail (loi de 1898). Cette réparation de l'accident imputée à l'employeur est devenue possible, selon Ewald, grâce à la nouvelle possibilité de calculer le degré de risque et par un mécanisme de mutualisation de ce risque entre groupements d'employeurs. L'accident n'est plus la "faute" de l'employeur, mais la responsabilité est assumée par lui, néanmoins. Il assume la responsabilité des conséquences des dangers encourus au sein de l'usine, mais non pas la culpabilité car il n'est pas la "cause" de l'accident. C'est l'idée que l'on peut être "responsable", mais pas "coupable", avant l'heure.

Cette dernière remarque permet de faire encore une autre distinction car, évidemment, quand Georgina Dufoix, la ministre, a prononcé cette phrase, elle voulait dire qu'elle ne "se sentait pas coupable" des contaminations par le sang transfusé. En effet, la culpabilité est à la fois un sentiment et un état.

L'éthique de responsabilité : un fondement rationnel pour le travail social ?

La notion "d'éthique de responsabilité" a été très présente au moment de la réforme des études des Assistants de service social. Elle figure en bonne place dans la première proposition du CNESS, piloté par Guy le Boterf et déposé en 1999. L'idée était que pour déterminer sa conduite, l'Assistant de service social doit mettre de côté ses convictions pour étudier les conséquences de ses actions. Cela va de pair avec l'idée que l'usager est libre de décider ou non de suivre les conseils donnés et qu'il appartient au professionnel de favoriser cette autonomie.

L'éthique de responsabilité s'exprime surtout par une approche contractuelle de l'intervention sociale. Dans le service social, nous sommes souvent amenés à évoquer la responsabilité dans le cadre de dispositifs contractuel, dont le plus connu est le RMI. La notion de contrat repose sur la responsabilité réciproque de deux parties placées sur un pied d'égalité. Logiquement, comme pour toute autre forme de mise en acte de la responsabilité, le non respect des engagements contractuels vaut sanction. Tout le problème du RMI, quand cette prestation a été introduite, a été de déterminer qu'elle était la sanction que l'on pouvait imposer à l'usager, en cas du non respect du contrat. De quel recours la collectivité dispose-t-elle quand l'usager refuse de "s'insérer" socialement, en renonçant à chercher un travail, une formation ou en continuant à s'alcooliser ? Beaucoup de travailleurs sociaux reconnaîtraient sans doute dans le propos de Cristina de Robertis à ce sujet. Pour cette spécialiste de la méthodologie d'intervention sociale, le RMI relève d'un contrat de type "socio-éducatif".

La sanction est contenue en quelque sorte dans l'échec du projet mis en œuvre, car l'usager est toujours en position défavorable faute d'avoir "appris" à s'insérer. Ainsi, cette application de l'éthique de la responsabilité nous invite à regarder en priorité les conséquences résultant du projet et laisser de côté nos éventuelles convictions sur le bien et le mal. L'intervention garde un caractère moral, néanmoins, dans la mesure où le travailleur social est en droit de ré orienter l'aide proposée et de faire connaître sa désapprobation.

Bien sûr, le problème du "contrat" en travail social n'est pas simple, car il existe plusieurs types de contrat. De plus, dans le cas du RMI, le contrat d'insertion semble très inégal. En effet, il s'engage entre une "personne morale", le Conseil Général, et une personne tout court, l'usager, qui plus est, en situation de faiblesse. On peut s'interroger aussi sur la meilleure définition de la responsabilité collective revenant à une autorité publique (le Conseil Général) à l'égard de tout les RMIstes et celle individuelle du travailleur social qui prépare le contrat.

Il me semble que l'approche contractuelle relève d'une éthique qui fait de la recherche de rationalité le fondement de l'éthique. Cette manière de voir fonde l'intervention sociale sur une éthique faite de règles abstraites. Quand les professionnels se lancent dans ce type de réflexion éthique l'on retrouve souvent une recherche des sources de norme sociale ce qui remonte en définitive à chercher les sources du droit. Il s'agit d'identifier les valeurs fondamentales qui donnent de sens à la notion de justice sociale qui a fondée ces normes.

Dans la tradition philosophique, cette recherche d'une abstraction et d'une règle normative a été exprimée par deux courants majeurs : l'éthique d'Emmanuel Kant et l'utilitarisme de Jeremy Bentham et de John Stuart Mill. En effet, ces deux grands courants philosophiques ont proposé des orientations pour la réflexion éthique qui se retrouvent dans la plupart des réflexions autour de ce qui est "juste" et ce qui ne l'est pas. Dans les deux cas, il y a une sorte de principe général qui préside à tout le raisonnement.

Le fameux axiome de Kant permet de justifier cette position en mettant l'accent sur l'intention des actions engagées. Tout le monde connaît sans doute cette phrase d'Emmanuel Kant :
"Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle" (traduction utilisée par le philosophe Paul Ricœur)
"Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature" (traduction couramment employée).
Un exemple de ce raisonnement : si tout le monde ne tient pas ses promesses, il n'est plus possible de faire des promesses. Et si tous les RMIstes s'étant engagés à faire une formation omettaient de la suivre, par exemple, non seulement les instituts de formation seraient ils fermés, mais aussi, nous aurions nous encore plus de personnes au chômage tout en laissant les entreprises sans main d'œuvre suffisamment qualifié. D'une manière générale, permet au moins de relativiser la place de l'individu en le situant par rapport à une loi universelle.

L'orientation Kantienne et la recherche de principes justes pour guider la conduite du travailleur social au fond le respect du secret professionnel, la recherche du consentement de l'usager, le droit de la personne à connaître les mesures prises à son égard. Si le travailleur social ne respectait pas ces principes, c'est toute l'action sociale qui s'écroule. D'autre part, on peut remarquer que l'éthique kantienne focalise la discussion sur les intentions des personnes concernées. Cela est manifeste dans l'expression "agis comme si.." par exemple. On retrouve ce type de raisonnement dans la notion de "bonne foi". Le Rmiste qui n'arrive pas à tirer profit d'une formation alors qu'il a essayé "de bonne foi" de la suivre avec assiduité n'est pas en rupture de contrat.

Les utilitaristes, philosophes anglais, comme Jeremy Bentham et John Stuart Mill, défendent un autre grand principe, tout aussi abstrait : "Poursuit toujours le plus grand bonheur de toi-même et de tout le monde, dès lors que cette quête du bonheur n'interfère pas avec le bien - être d'autrui." Le "test" d'une bonne action dans cette optique est à appliquer non pas à l'intention mais à ses conséquences. Si le Rmiste souhaite continuer à boire, pourquoi l'en empêcher, dès lors qu'il ne devient pas violent à l'égard de sa famille. L'action sociale viserait au mieux à lui faire prendre connaissance que son bonheur, son propre intérêt peut être mieux servi en arrêtant de s'alcooliser. Le "contrat d'insertion" pourrait être inscrit dans ce sens, dès lors que l'individu reste "autonome" dans sa recherche.

La limite de ces deux grandes écoles d'éthique se situe à plusieurs niveaux :
- L'éthique rationnelle ne tient pas compte ni de l'imprévisibilité du comportement, ni des effets de la relation.
- - Les êtres humains poursuivent assez rarement leur propre intérêt objectif, ne font pas des choix rationnels, on le constate tous les jours.
- - Pour aider quelqu'un à changer sa manière de faire ou de vivre, son consentement n'est jamais donné en une seule fois. Il est impossible de savoir si l'adhésion au projet est réelle ou non.
- Malgré tout l'effort de professionnalisme, il est difficile de rester dans une totale neutralité. L'attitude "sans jugement" que requiert une éthique fondée sur la rationalité pure, n'est pas toujours possible, quand il s'agit d'établir une relation humaine.
- L'éthique rationnelle ne tient pas compte de l'émotion. Or aider quelqu'un d'autre ne peut se faire qu'avec une posture, une attitude, bienveillante et volontaire.
- L'application de telles règles est désincarnée, indépendant des personnes qui les appliquent. Alors que dans la réalité, le pouvoir d'appliquer une règle dans la vie institutionnelle et sociale dépend d'une relation assumée entre des acteurs, des personnes en chaire et en os dotées d'un pouvoir d'agir.

On peut illustrer ces limites du raisonnement philosophique à travers deux exemples :

L'hospitalisation sous contrainte d'une personne malade mentale, signée par un proche parent dénature la relation familiale. Comment aider une personne à signer une HDT dans "l'intérêt du patient" tout en l'aidant à rester épouse, mère ou enfant de cette même personne ? La décision ne pourrait être prise qu'au cas par cas.

L'évaluation du risque de danger qu'encoure une personne vulnérable. Dans le cas d'une sortie d'hôpital à risque. Faut il privilégier l'intérêt de la collectivité (libérer un lit d'hôpital pour quelqu'un qui en a "réellement" besoin) ou jouer la sécurité ? Le risque associé à cette sortie ne peut être évaluée qu'à la lumière des réalités spécifiques telles que la personne les voit elle-même et dans le cadre d'une relation d'accompagnement.

Dans ces deux cas, l'évaluation de la situation critique et du risque encouru va intégrer la question du lien entre les travailleurs sociaux, les soignants et les soignés et ce lien ne pourrait avoir de sens que dans un positionnement "éthique" - c'est-à-dire
- en cherchant à expliciter avec les personnes les risques qu'eux-mêmes encourent et les conséquences de ces risques et les procédures visant à assurer la protection de chacun,
- en portant une attention - une sollicitude- suffisamment soutenue pour maintenir ce lien,
- en adoptant une attitude "responsable".

L'éthique du care : la responsabilité déterminée par une relation de proximité

La question de l'éthique professionnelle ne peut pas se réduire à cette recherche de justice et de la meilleure application d'un principe généralisable. Elle ne se réduit pas au débat entre les kantiens et les utilitaristes. L'éthique du "care" tente de répondre aux limites de ces raisonnements en intégrant le fait que la réponse éthique tient compte de l'altérité (l'autre n'a pas la même conception de son intérêt que soi). Elle tient également compte que le choix effectué se réalise dans le cadre d'une relation (être hospitalisé par son frère n'a pas la même signification qu'être hospitalisé par un inconnu). Enfin, elle souligne que les règles ne sont pas désincarnées, mais sont élaborées par des personnes en chair et en os, dans le cadre d'institutions elles-mêmes en constante évolution.

Cette notion d'éthique du care peut être rapprochée à plusieurs notions courantes :

La sollicitude.
Comme le souligne Ricœur, faire un geste "amical" n'est pas possible sans ressentir de l'amitié. C'est cela l'idée de sollicitude.
Le soin
Le travail quotidien du soin que peut apporter un proche à quelqu'un de malade aussi bien qu'un soignant professionnel,
L'Attention portée au bien être d'autrui
Il s'agit du point le plus proche du travail "social" comme pratique professionnelle visant à favoriser l'autonomie de l'autre.
La responsabilité à l'égard d'autrui
Dans cette conception, "l'imputation" dans l'idée classique de la responsabilité, devient une "implication" par rapport à autrui.
La reconnaissance que la responsabilité s'inscrit dans une relation de pouvoir
Les femmes sont plus abonnées au "care", non pas en raison de leur nature plus encline à s'occuper d'autrui et plus altruiste, mais en raison des inégalités de pouvoir liées au genre. Par conséquent, la frontière entre la sphère privée et la sphère publique doit être questionnée.

Le "care" est donc une notion polysémique recouvrant l'idée de sollicitude, de travail, de soin, de l'attention à autrui. Elle est orientée vers les besoins d'autrui. Il faut comprendre que chaque geste du care nécessite "une attitude et une activité spécifique".
Le caractéristique le plus marquant du "care" est que cette pratique induit une relation asymétrique : "on en a le plus besoin au moment où on ne peut pas l'offrir en retour" qui peut être compensée, au moins partiellement, par l'utilisation du "contrat" technique visant à rétablir une symétrie dans la relation. Mais ce "contrat" implicite ne sera pas immédiat, ni rationnel. Il porte sur des choses difficilement mesurables et son accomplissement se fait dans "l'implication" et non dans "l'imputation" ou la sanction.

Enfin, le "care" est à la fois en lui-même une valeur en soi, une vertu, mais aussi, un jugement moral sur une activité (le care qui est fait "bien" a de la valeur en tant que care - mais celui qui est fait sans ce "bien" c'est à dire sans cette "félicité", n'est pas réellement du care, simplement du travail). Un peu comme l'amitié - un geste amical, n'est amical que s'il est fait avec amitié.

In fine, le terme "care" - recouvre à la fois l'idée de responsabilité par rapport à autrui, de sollicitude à son égard et de soins au quotidien.

Pour résumer notre propos sur le care, soulignons que :

 l'idée de "sollicitude" évoquée par Ricœur n'est pas une idée "rationnelle" accessible purement par la logique. Quand on apporte un soin, on doit le faire non seulement pour les "bonnes raisons" ou suivant Kant "en ayant les meilleures intentions" - il faut y apporter une certaine constance, une disposition affective, une ouverture à autrui - toutes qualités qui semblent échapper à la faculté de raisonnement.
 La notion "d'autonomie" ne correspond pas à celle d'un être rationnel qui poursuit toujours et exclusivement son propre intérêt. Ainsi, être autonome pour un toxicomane, peut vouloir dire aussi bien gérer au mieux sa consommation que faire une demande de cure médicale- dans les deux cas, rien ne permet de dire que ces choix sont "libres" (sincères, pris en connaissance de cause, susceptibles d'être suivi d'effet), ni qu'ils soient réellement dans le meilleur intérêt de la personne (le sevrage comporte des risques, tout comme la continuation de la consommation….)

La réflexion de Carol Gilligan à ce sujet permet de reformuler les dilemmes éthiques en des termes différents. Le care, selon elle, recouvre deux choses : la sollicitude et la responsabilité à l'égard d'autrui. L'avantage du concept de "care" étant justement qu'il permet de rendre compte de la diversité des situations

Enfin, le "care" n'est pas un bien qui peut se revendiquer. Elle s'adresse à des personnes vulnérable, c'est-à-dire dans une certaine incapacité à être autonome dans leur rapport à la parole, (ne pas savoir ce qu'on dit) à l'agir (faire des bêtises sans pouvoir se contrôler), enfin, se conformer à un ordre symbolique (insulter les forces de l'ordre, ne pas être capable de payer ses impôts, son loyer….). Le "care" est porté à l'égard de personnes vulnérables qui, par conséquent, ne peuvent pas retourner le "don" qui leur est fait, du moins, ils ne peuvent pas le faire dans les termes analogues au contrats que nous passons habituellement dans la vie courante.

Pourtant - paradoxalement- les politiques de care insistent sur l'importance de la "responsabilisation". En effet, le "care" ne se réconcilie pas avec des politiques sociales exclusivement basées sur les "droits sociaux" et la notion "d'ayant droit" qui accentuent la dépendance plus qu'elle ne la compensent. D'autre part, pour permettre à une personne vulnérable de garder sa dignité et le niveau d'autonomie qui lui reste, il faut que la responsabilité du "care" soit partagée entre l'aidant et le récipient.

Enfin, le care peut s'analyser sur un continuum entre sollicitude et responsabilité
Ce continuum s'étend à travers l'espace privé la chambre du malade, par exemple et l'espace public, les paroles tenues auprès de ses proches, les décisions prises en matière de sortie. Par ailleurs, elle recouvre différentes sortes de gestes : celles nécessitant de la réflexivité (aider un paient à respirer) celles répondant à un code et à des conventions précises - (poser un cathéter).

Les objectifs du "care" sont "l'aisance familière" de la personne et le "maintien de soi". Pour cela il faut créer une "proximité" - par exemple, comme les vieux couples, savoir quel geste peut apporter un réconfort... "la félicité d'un rapport familier au monde"
Selon Sevenhuijsen "l'amitié, l'attachement, l'intimité, la dignité et le respect ne sons pas des besoins que l'on peut revendiquer mais néanmoins des besoins nécessaires pour permettre une vie véritablement humaine"
- la conviction que l'autre personne est à égalité avec soi-même : ce qui veut dire que le soin n'est pas un acte de sacrifice de soi, ni d'abnégation
- la prise en compte de la complexité des situations, prise de responsabilité conçue plutôt comme un réseau de possibilités que comme un choix déterminé en une seule fois,
- l'absence de réponse univoque recouvrant toutes les instances d'un problème donné

Conclusion
La responsabilité en travail social nécessite la prise en comte des conséquences de la relation établie et pas simplement de l'imputabilité des actions. Si nous adoptons une approche inspirée " care" elle se conçoit d'abord dans la capacité à être un proche, sans pour autant être un proche parent ou un ami. En cela, on peut suggérer que le travail social et les soins relèvent d'un même champ de responsabilité quand il s'agit de "prendre soin" du bien être d'autrui, d'exprimer de la sollicitude à travers une intervention sociale ou encore de promouvoir son autonomie.

La responsabilité engagée dans l'intervention sociale oblige à rendre des comptes à l'égard d'une entité impersonnelle, l'institution qui confie une mission au travailleur social. Elle nécessite que les lignes de responsabilités soient clairement définies et que les sanctions positives et négatives des actes engagés soient identifiées. Par contre, l'éthique du travail social ne se réduit pas à ces conditions nécessaires à "l'éthique de responsabilité". Elle nous convie à prendre en compte la "voix différente" suggérée par Carole Gilligan, dans la prise en compte des spécificités de la relation du "care" et des responsabilités que cette approche engage à l'égard des personnes vulnérables.

Bibliographie

Patricia Paperman, Sandra Laugier et éds, Le souci des autres. Éthique et politique du care, Paris, Éditions de l'École des hautes Etudes en Sciences Sociales, 2005.
Brigitte Bouquet, Ethique et Travail Social, une recherche de sens, Dunod, Paris, 2003.
Carol Gilligan, Une voix différente - Pour une éthique du care, Flammarion, Paris, 2008.
Mary Midgley, The essential Mary Midgley, Taylor and Francis, Londres 2005.

Notes :
Une partie de cet article est repris d'un texte à paraître dans Vie Sociale, octobre 2009.
Fabien Lamouche, "La responsabilité entre éthique, philosophie et droit", Vie Sociale, à paraître en octobre 2009.
François Ewald, L'Etat Providence, Paris, Grasset, 1986.
Cristina de Robertis, Le contrat : un outil pour le travail social, Bayard, Paris, 1993.
Paul Ricœur, De la morale à l'éthique et aux éthiques, consulté en ligne le 22 septembre 08.
Luca Pattaroni, "Le "care" est il institutionnalisable ? Quand la politique du care émousse son éthique", in P. Paperman et S. Laugier, Le souci des autres, éthique et politique du care, Ed de l'HESS, 2005.
Ibidem, p. 179.
In : Patricia Paperman, Sandra Laugier et éds, Le souci des autres. Éthique et politique du care, Paris, Éditions de l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2005, p.180.
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