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Juan Carlos Pita Castro

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Juan Carlos Pita Castro

Descriptif auteur

Docteur en Sciences de l’éducation, je suis actuellement Maître-assistant à l'Université de Genève. Mes travaux portent principalement sur les parcours de vie, sur les parcours de diplômés d’écoles d’art, sur la formation de l’artiste ainsi que sur la jeunesse et l'insertion.












DEVENIR ARTISTE, UNE ENQUETE BIOGRAPHIQUE

L'ouvrage est tiré de ma thèse de doctorat. Il décrit et analyse les parcours de formation et d'insertion de jeunes diplômés d'écoles d'art. Par l'usage de récits de vie, il considère les profondeurs diachroniques et les dimensions subjectives à l'oeuvre dans la formation des artistes en devenir. Il donne une place importante aux récits tout en ne renonçant pas à l'exigence de théorisation.

Voici quelques extraits de son introduction:

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CONSTRUIRE SA VIE

Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat. Il donne une large place aux dimensions empiriques. C’est à l’intérieur de récits autobiographiques de jeunes diplômés d’écoles d’art qu’il étudie des parcours et des identités.
Le diagnostic de Rosa (2005/2010) mis ici en exergue ex- prime le fond théorique sur lequel se détache la problématique générale de cet ouvrage. Les travaux sociologiques et historiques relatifs aux modèles d’identité convergent vers une définition de l’identité prémoderne comme « établie et prédéfinie de l’extérieur » (p. 278, souligné par lui), par les diverses institutions qui à la fois la contiennent et la configurent. La considération de l’individu comme sa définition y sont corrélées à sa place ainsi qu’à son insertion dans un ordre social relative- ment stable. C’est avec la modernité qu’une première fissure a eu lieu. Elle a contribué à un écart entre le soi et le monde (Martuc- celli, 2010) et initié un processus d’individualisation. Ce n’est qu’alors que l’identité a pu devenir autodéterminée, qu’elle a pu se faire projet réflexif et que la figure de la vocation a trouvé un espace à sa diffusion et à sa démocratisation.
L’individualisation moderne est reliée à la possibilité effective d’une planification de son parcours de vie. Un processus d’institutionnalisation et de standardisation, typique de la modernité organisée, sous-tend largement cette possibilité. Le projet d’accomplissement de soi comme projet temporel est en effet indissociable d’une succession fiable de séquences temporelles au contenu globalement prévisible en fonction des âges de la vie. Dans la sphère professionnelle, jusqu’aux alentours des années septante, les carrières étaient marquées par une relation d’emploi durable à un employeur, par la stabilité ainsi que par des possibilités réelles de progression caractéristiques de ce qui est aujourd’hui désigné comme société salariale. C’est dans un tel contexte que l’identité constitue un projet temporel qui se déploie dans l’accomplissement d’une vie. Il s’agit de trouver et de choisir sa place dans un monde où la projection dans un plan de vie est aisée et garantie par une institutionnalisation et une standardisation des parcours.
Les transformations de l’environnement social et culturel contemporain fragilisent les perspectives de vie. En modernité avancée, le rythme des changements est devenu intragénérationnel. Une poussée des contingences et de l’instabilité en résulte. Les identités qui visent la stabilité ne seraient plus aptes à suivre le rythme des transformations. Nous assisterions à une temporalisation de l’identité (Rosa, 2005/2010). Deux alternatives : se concevoir ouvert et flexible, ou bien s’exposer au risque d’une frustration suite aux échecs répétés de projets de vie polarisés par un désir de stabilité. Pour certains, un nouveau modèle d’identité prendrait forme. Cette identité abandonne tout projet de stabilité transsituationnelle et se restructure sans cesse au fil du temps et au gré des opportunités. Elle est malléable, flexible, et en dernière analyse dépendante de situations elles-mêmes labiles. Peut- on cependant se construire et construire sa vie en délaissant toute perspective de stabilité transsituationnelle ? Le modèle de l’installation (Dubar, 2007) appartient-il au passé ?
Cet ouvrage explore les répercussions, sur l’identité, de la tension entre aspiration à la réalisation de soi, typique de la modernité classique et organisée, et de l’incertitude structurelle et culturelle propre à la modernité avancée. Il privilégie les dimensions subjectives et les dynamiques biographiques. Il n’évacue cependant pas les dynamiques relationnelles et les dimensions institutionnelles. Il décrit et analyse des parcours afin de com- prendre des identités.

UNE FIGURE, UNE RECHERCHE

Le projet artiste est incertain mais toujours signifiant pour ce- lui qui le porte. La figure du jeune diplômé d’école d’art est emblématique de la tension entre aspiration à la réalisation de soi et incertitude. La formule « s’accomplir dans l’incertain » (Menger, 2010) exprime ce que cette figure permet d’étudier : des identités individualistes, résultant « d’un mode de socialisa- tion qui privilégie le processus d’individualisation et de distinction personnelle sur celui d’appartenance collective et de conformation sociale » (Dubar, 2010, p. 223), mais incertaines. Ces identités se réfèrent « à la vocation et à la création », à « l’authentique » (ibid.), à une certitude ontologique d’être artiste mais elles risquent des « reconnaissances limitées », des « frustrations maintenues » (ibid.), des déceptions répétées.

(…)

UNE ENTREE AUTOBIOGRAPHIQUE

Cet ouvrage privilégie une perspective autobiographique (Bertaux, 1980 ; Dubar, 2012 ; Dilthey, 1927/1988 ; Lewis, 1963 ; Thomas & Znaniecki, 1920). Les entretiens déplient les identités sur l’ensemble de l’axe scolaire-professionnel. Le genre de l’autobiographie suppose une perspective diachronique et non synchronique, sollicite la narration plutôt que l’argumentation. Il propose l’histoire du développement d’une personnalité (Lejeune, 1996a). Les entretiens permettent d’appréhender le développe- ment (involution) d’un artiste dans un temps long en intégrant ce « trait de subjectivité » (Baudouin, 2010) caractéristique de l’autobiographie, où une relation d’identité relie l’auteur (celui qui est invité à se raconter) et le personnage principal (les divers sujets anciens configurés et proposés par le récit).
Les parcours sont découpés en trois périodes, à l’intersection de catégorisations naturelles, institutionnelles et théoriques. La première période est celle de la vocation artiste. Elle raconte l’orientation dans le domaine artistique. Il y a ensuite celle de la formation de l’artiste. C’est la période de fréquentation de l’institution de formation. Il y a enfin la période de l’insertion de l’artiste. Elle est travaillée, en profondeur, par la confrontation avec le monde du travail. Elle donne le plus souvent lieu à une rupture. L’analyse révèle une continuité biographique entre la période de la vocation artiste et celle la formation de l’artiste. Le passage de la formation au monde du travail brise le plus souvent cette continuité.
Comment prend forme la décision de confier sa vie à une ac- tivité susceptible de réaliser ses aspirations, mais incertaine quant à la possibilité de s’insérer professionnellement ? Comment se construit-on dans un contexte qui privilégie la singularité et la personnalisation, qui offre un espace à l’investissement de dimensions personnelles et à l’émergence d’idiosyncrasies ? Qu’advient-il d’une vocation dès lors qu’elle sort de l’espace protégé de l’institution de formation, qu’elle affronte un monde fait d’hyperflexibilité et d’hyperconcurrence, où les carrières sont façonnées par la précarité et une faible lisibilité de l’avenir professionnel ? Quels permanences et changements configurent l’identité de jeunes diplômés d’écoles d’art au moment du pas- sage de la formation initiale au monde du travail ? Peut-on lire dans ces récits l’émergence d’un nouveau modèle d’identité. Cet ouvrage apporte quelques éléments de réponse à ces questions.

(…)

LE RECIT

Cet ouvrage prend au sérieux les ressources épistémiques du récit. Le récit permet de mettre au jour l’autre «moitié du monde » (Bertaux, 1976), celle qui échappe pour partie au monde de l’objectivité. Il donne accès au travail des attitudes, des interprétations et des rationalisations qui configurent également l’expérience (Thomas & Thomas, 1928). Il permet de

se mettre à la place du sujet qui cherche sa voie dans le monde, sans jamais oublier que l’environnement qui l’influence et auquel il s’adapte est son monde et non pas le monde objectif de la science. Le sujet individuel réagit à son expérience propre, laquelle n’est pas équivalente à ce qu’un observateur pourrait déterminer dans la sphère de portée de l’individu ; elle se réduit à ce que l’individu lui- même y trouve. (Baudouin, 2010, p. 47, souligné par lui)

Le récit est une voie d’accès privilégiée au monde de per- sonnes ainsi qu’à la façon dont il s’est constitué, a progressivement pris forme. Comment ne pas souligner ici un recoupement avec le roman ?

Le roman s’est longtemps défini, et continue de le faire, par l’ambition de recréer une perception globale du monde social. En lisant une intrigue, et grâce à la mise en situation d’un personnage, c’est un monde tout entier qui se construit et se révèle au fur et à mesure des lectures. (Barrère & Martuccelli, 2008, p. 12)

Il est remarquable que le roman ait été victime, après une pro- fonde résonance initiale avec les sciences humaines et sociales naissantes, d’une « destitution épistémique » (Baudouin, 2010).
Une lucidité est cependant indispensable. La recherche gagne en effet à dépasser la transparence caractéristique d’une appréhension naïve du récit. Des médiations cultuelles et des artifices narratifs altérèrent l’expérience dès lors qu’elle est racontée (Baudouin, 2010 ; Rastier, 1999). Cette lucidité fut structurante de la recherche dont cet ouvrage fait part.
L’opération narrative ne laisse pas indemne l’expérience qu’elle porte au langage. Le récit donne à connaître mais tout en occultant. La perspective défendue dans cet ouvrage honore les récits et assume une responsabilité éprouvée envers ceux qui se sont racontés. Elle retient cependant le geste interprétatif. Elle prône une distance qui suspend le geste interprétatif afin ensuite de se rapprocher du récit.

Il est non moins désirable qu’entre nous-mêmes et l’objet que nous aspirons à mieux connaître, entre notre « discours » et notre objet, l’écart et la différence soient marqués avec le plus grand soin. Il n’y a de rencontre qu’à la condition d’une distance antécédente ; il n’y a d’adhésion par la connaissance qu’au prix d’une dualité première- ment éprouvée, puis surmontée. (Starobinski, 1974, p. 228)

Elle veut tenir ensemble distance objectivante et sensibilité.

(...)
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Une recension accessible gratuitement en a été faite dans le revue Temporalités :

https://temporalites.revues.org/2946

Divers articles ont constitué des prolongements à cet ouvrage, dont:

Pita Castro, J.C. (2015). Social gravities and artistic training paths: the artistic vocation viewed through the prism of the concept of temporal form of causality. European Journal for Research on the Education and Learning of Adults, Vol.6, No.2. http://www.rela.ep.liu.se/issues/10.3384_rela.2000-7426.201562/rela_0146/rela_0146.pdf

Pita Castro, J.C. (2014). The transition from initial vocational training to the world of work: the case of art school students. European Journal for Research on the Education and Learning of Adults, Vol.4, No.2. http://www.rela.ep.liu.se/issues/10.3384_rela.2000-7426.201351/rela0107/rela_0107.pdf

J'ai contribué à divers ouvrages collectifs publiés à l'Harmattan:

Baudouin, J.-M. & Pita, J.C. (2014). Vers un nouvel ethos de la formation des adultes. In M. Beauvais & A. Haudiquet (Eds.), Ethique et ingenierie de la formation.Paris: L'Harmattan.

Baudouin J.-M. & Pita J.C. (2010). Récit de vie et pluralité interprétative en sciences de l’éducation. Le cas des histoires de vie. In A. Petitat (Ed), La pluralité interprétative. Aspects théoriques et empiriques (pp. 263-286).Paris : L’Harmattan.

Structure professionnelle : Université de Genève

Titre(s), Diplôme(s) : Docteur en sciences de l'éducation

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AUTRES PARUTIONS

Pita Castro, J.C. (2015). Social gravities and artistic training paths: the artistic vocation viewed through the prism of the concept of temporal form of causality. European Journal for Research on the Education and Learning of Adults, Vol.6, No.2.

Pita Castro, J.C. (2014). The transition from initial vocational training to the world of work: the case of art school students. European Journal for Research on the Education and Learning of Adults, Vol.4, No.2.

Friedrich, J. & Pita Castro, J.C. (Eds) (2014). La recherche en formation des adultes, un dialogue entre concepts et réalité. Dijon: Raison et Passions.

Pita Castro, J.C. (2014). Identité et récit de vie : dépliage et analyse du développement. In J. Friedrich & J.C. Pita Castro (Eds). La recherche en formation des adultes, un dialogue entre concepts et réalité. Dijon: Raison et Passions.

Pita, J.C. (2013). Interrelations between narration, identity and place. In. Formenti, L., West, L. & Horsdal. M. (Ed.), Embodied narratives. Connecting stories, bodies, cultures and écologies (pp. 146-172). Odense : University of Southern Denmark Press.

Baudouin J.-M. & Pita J. C. (2011). Récit et formation, reconnaissance et évaluation en tension. In A. Jorro & J.-M. De Ketele (Ed), La professionnalité émergeante (pp. 83-97). Bruxelles : De Boeck.

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Version en français / Pita, J.C. (2013). Interrelations between narration, identity and place. In. Formenti, L., West, L. & Horsdal. M. (Ed.), Embodied narratives. Connecting stories, bodies, cultures and écologies (pp. 146-172). Odense : University of So

Juan Carlos PITA CASTRO

DE QUELQUES NTERRELATIONS ENTRE RECIT, IDENTITE ET LIEU

INTRODUCTION

La thématique de cet ouvrage fait résonnance avec certaines problématiques travaillées dans une recherche récemment achevée (Pita, à paraitre). Trois gestes la constituent. Tout d'abord reconstruire, en faisant usage du génie propre au récit, des parcours de jeunes diplômés d'écoles d'art, des parcours d'artistes en devenir ou déjà ébranlés dans leur projet de vie, puis analyser des processus identitaires afin de comprendre des identités.
Cette recherche porte l'écho des liens qui unissent lieu et identité, sur deux plans. Au plan méthodologique, nous nous sommes confronté à l'entreprise de reconstruction de parcours. Le récit procède d'une "mise en intrigue" (Ricœur, 1983) ainsi que d'un processus de catégorisation de l'expérience sous un certain nombre de catégories diversement valorisées (Dubar, 2006). L'ensemble de ce processus est cependant à approcher comme indissociable d'un travail de mémoire. Nous avons empoigné cette problématique de la mémoire, dans ses liens avec le lieu. Cette réflexion nous a conduit à mettre sur pied un dispositif particulier de "co-production" de "matériaux biographiques", combinant deux formes d'entretien. L'un d'eux a ceci de spécifique qu'il est indissociable du déplacement sur des lieux, le récit de lieu.
Au plan théorique, notre recherche a trouvé des prolongements dans la transformation actuelle des parcours de vie, relativement à son impact sur les formes de rapport au lieu notamment. L'identité muterait. Pour cette forme d'identité, plus rien du lieu ne la constituerait. Elle serait sans histoire, mais aussi déterritorialisée.
Nous désirons ici présenter notre dispositif de "co-production". Il s'agit de pointer l'apport du récit de lieu dans la reconstruction des parcours et la compréhension d'identités, mais aussi d'apprécier une autre façon de mettre en mots l'expérience dès lors que le récit est fait sur et à travers un lieu. Nous procéderons ensuite à une analyse des relations entre lieu et identité.

I. PRETEXTE
Avant d'entrer au cœur de notre propos, il nous faut présenter notre recherche. Bien que notre contribution soit un discours de second niveau, polarisée par une interrogation particulière, elle s'en détache, indéniablement.
Notre recherche s'inscrit à l'intérieur de la problématique des transformations des identités. Avec la modernité, l'identité devient indissociable des représentations d'autonomie et d'authenticité. Elle passe par l'exploration de sa nature (Taylor, 1998), par un processus d'appropriation (Dubar, 2007) et est reliée à la possibilité effective de planifier son parcours de vie. Elle constitue un projet d'accomplissement de soi, orienté vers le futur, et qui se réalise le long d'un parcours. La modernité "avancée" déstabilise cette configuration par l'instabilité et l'incertitude qui la caractérisent.
Une tension entre aspiration à la réalisation de soi et incertitude est ainsi symptomatique des sociétés contemporaines (Rosa, 2010). Notre travail en prend acte, et tente d'en observer le fonctionnement sur une population particulière, posée comme prototypique de phénomènes qui la débordent, les jeunes artistes.
La formule "s'accomplir dans l'incertain" (Menger, 2010) ramasse ce que cette population permet d'étudier. Les professions artistiques sont imprégnées d'un certain enchantement. Elles impliquent en effet l'identification à une activité qui à la fois réalise et définit le sujet. Et elles constituent des positions à faire. Elles se situent ainsi à l'opposé des professions hétérodéterminées. Le marché du travail y est cependant hyperconcurrentiel et l'hyperflexible (ibid.). Les carrières d'insertion se caractérisent alors par une forte inégalité de réussite, et une grande précarité. L'organisation du marché du travail contraint à la mobilité et à une organisation par réseau. D'un côté un projet artiste configuré par l'identification à une activité censée permettre une réalisation de soi donc, de l'autre des carrières d'insertion incertaines, et par définition imprévisibles quant à leur déroulement. La tension au centre de notre travail est ici concentrée, et les jeunes artistes s'imposent comme un laboratoire privilégié pour l'étude de ce que cette tension provoque au plan des identités.
La reconstruction des parcours a eu lieu au moment où ces jeunes cherchent à s'insérer comme artistes, la tension étant alors à son point culminant. Nous avons choisi de porter notre attention sur deux vocations artistes, des diplômés des beaux-arts et des stylistes. Les établissements sont situés en Suisse Romande. Les "matériaux biographiques" produits nous ont permis de prendre la mesure de ce qui se joue lors de l'insertion tout en lui restituant une profondeur diachronique et une teneur subjective. Des identités s'y sont dépliées. Treize jeunes ont été rencontrés. Nous avons procédé à un découpage des parcours en trois coupes archéologiques, au croisement des caractéristiques narratives de nos "matériaux" et de catégories théoriques et institutionnelles : la période de la vocation artiste, de la formation de l'artiste et de l'insertion de l'artiste. Cette dernière période s'étend sur une durée de cinq ans.

II. RECONSTRUIRE
C'est relativement à notre dispositif de reconstruction des parcours que le lien entre mémoire, lieu et identité a été pour la première fois posé dans notre travail. La réflexion était d'abord tout théorique.
Mémoire(s)
La mise en récit d'un parcours est indissociable d'un processus de rappel. Les souvenirs s'inscrivent toujours dans une durée vécue. La mémoire déclarative est avant tout une mémoire réflexive. La tradition du regard intérieur (Taylor, 1998) confère une place centrale à cette réflexivité. Pour elle, identité, conscience et mémoire sont indissociables, rejoignant sur ce point l'expérience et le langage ordinaires, pour qui :

(i) Se souvenir de quelque chose implique le souvenir de soi. Ce sont toujours mes souvenirs qui sont formulés. La mémoire est ainsi un modèle de mienneté.
(ii) Il existe un lien "originel de la conscience avec le passé" (Ricœur, 2000, p. 116) qui réside au cœur même de la mémoire. C'est alors dans la mémoire personnelle que réside la continuité temporelle.
(iii) Cette continuité constitue la condition nécessaire pour qui veut remonter du présent vécu aux événements passés. La mémoire est indissociable de la capacité à remonter le temps.
(iv) Les souvenirs s'organisent "en archipels, éventuellement séparés par des gouffres" (ibid.). Ces gouffres, c'est l'oubli, cette négativité toujours menaçante.

Augustin peut être considéré comme l'inventeur de l'intériorité, mais aussi comme le fondateur de cette tradition du regard intérieur. Pour ce dernier, c'est toujours l'homme intérieur qui se souvient, et cette intériorité est le lieu, intime, où les souvenirs sont comme déposés. Ce sont ces "vastes palais de la mémoire". A le suivre, lorsque l'on se souvient des choses, on se souvient dans un même mouvement de soi-même. Une coïncidence forte entre mémoire et sujet qui se rappel est ainsi par lui affirmée. "Là, je me rencontre aussi moi-même, je me souviens de moi, de ce que j'ai fait et quelle impression j'ai ressenti quand je le faisais" (Augustin, cité par Ricœur, op. cit., p. 119). Mais c'est aussi une distanciation entre soi et soi-même qui est posée. C'est cette réflexivité, indissociable et constitutive de la mémoire déclarative.
Locke est lui aussi en position-clé relativement à la question du lien entre identité et mémoire. Il a contribué à forger la triade "identité-conscience-soi" (Ricœur, 2000). Pour Locke, la conscience est en effet avant tout définie par sa mémoire. L'identité est alors fondamentalement réflexive, et elle relève de la catégorie de la mêmeté : malgré les lieux et les moments différents, c'est bien cette chose-là et non une autre qui a été en ces lieux et moments ; et c'est cette chose-là qui est dite être la même. L'identité personnelle implique la possibilité de "se considérer soi-même comme soi-même, une même chose pensante en différents temps et lieux" (Locke, cité par Ricœur, op. cit., p. 125). L'identité personnelle est une identité temporelle : "l'identité de telle personne s'étend aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée ; c'est le même soi maintenant qu'alors, et le soi qui a exécuté cette action est le même que celui qui à présent réfléchit sur elle" (Locke, cité par Ricœur, ibid., p. 126). Mais aussi une identité située dans l'espace. En différents temps et lieux… Retenons.
L'union entre souvenirs tenus ensemble (ces archipels), continuité temporelle et celui se souvenant est cependant fragile. Husserl, dans une perspective phénoménologique, permet d'appréhender la fragilité de ce lien. Il distingue l'impressionnel, qui désigne la présence vive à la conscience, du rétentionnel, qui désigne le tout juste passé, avec son extension temporelle, toujours relative. Cette distinction en ouvre une autre : celle entre souvenir primaire, encore relié à la rétention, et souvenir secondaire, détaché de cette dernière. La rétention est comme toujours "accrochée" à la perception et à son impression (pathos). Un "décrochage" d'avec la perception peut avoir lieu. L'objet n'est alors plus présent, "accroché". Il est pour ainsi dire passé. Entre cet objet temporel qui a décroché et la conscience s'introduit alors un entre-deux. C'est cela qui définit en partie la constitution du souvenir secondaire. Dans ce cas, il faudra reconstruire.
Relais
La relation entre mémoire, intériorité, réflexivité, et continuité temporelle a été posée dans notre travail. Nous avons alors opéré un basculement : s'intéresser au pôle mondanéité de la mémoire. Pour le champ des histoires de vie en formation, ce pôle semble moins évident. Il relativise cette dimension réflexive de la mémoire. Cette entrée permet cependant un renouvellement du regard.
Débutons par une affirmation, elle séduit par sa simplicité : "on ne se souvient pas seulement de soi, voyant, éprouvant, apprenant, mais des situations mondaines dans lesquelles on a vu, éprouvé, appris" (Ricœur, 2000, p. 44). Ces situations dont on se souvient impliquent toujours le corps propre, celui des autres, un certain espace vécu, ainsi qu'un monde partagé. Ce point est évident dès lors que le corps est considéré. Il est imprégné d'une mémoire individuelle, non réflexive, une mémoire habituelle, agie. Faire du vélo ou un geste mille fois répété en sont des exemples emblématiques. L'expérience peut être "incorporée", prendre consistance dans un "corps-soi". Cette mémoire ne transite pas par la réflexivité. L'écart réflexif, constitutif de la mémoire réflexive, n'est pas nécessaire. Cette mémoire du corps ne doit cependant pas être confondue avec la mémoire événementielle du corps. Cette dernière procède en effet d'une rupture du régime de familiarité invitant à faire récit. La mémoire corporelle se distribue entre mondanéité et réflexivité.
La mémoire des lieux relève pour une part du pôle mondanéité. Ils peuvent être approchés comme le "dépôt" d'une mémoire. Et les choses souvenues sont toujours associées à des lieux. "Ce n'est [en effet] pas par mégarde que nous disons de ce qui est advenu qu'il a eu lieu" (Ricœur, 2000, p. 51.). Le lieu porte l'empreinte de la relation, "il n'est pas indifférent à la "chose" qui l'occupe" (ibid.). Les lieux de commémoration sont typiques de ce lien.
Faisons un pas de plus. Récit et construction opèrent une même inscription, l'un dans la durée, l'autre dans la dureté du matériau. La ville est archétypique de cette inscription. Elle est une sorte de récit.
Une ville confronte dans le même espace des époques différentes, offrant au regard une histoire sédimentée des goûts et des formes culturelles. La ville se donne à la fois à voir et à lire. Le temps raconté et l'espace habité y sont plus étroitement associés que dans l'édifice isolé. (Ricœur, 2000, p. 187)
Un levier était ici pour nous à l'horizon : les lieux comme reminders (Casey, 1987) des épisodes d'une vie. Les lieux comme appui dans le travail de mémoire donc.
Complémentarité
Afin de reconstruire nos parcours, deux outils ont été utilisés. Le premier est l'entretien biographique. Il a pour objectif de "co-produire" un récit relatif à l'entièreté du parcours dans le domaine artistique. Il explore l'ensemble de l'axe scolaire-professionnel. La consigne invitait le "sujet-auteur" à raconter ce qui s'est à ses yeux passé d'important dans son parcours. Elle insistait sur les évènements socio-cognitifs, et non sur une expression de représentations et de discours. Non pas ce que vous pensé de, mais ce qui s'est passé, ce qui est arrivé, ce que vous avez entrepris, ce que vous avez vécu. La consigne de l'entretien biographique peut être synthétisée de la façon suivante :

Raconte-moi ce qui s'est passé pour toi d'important dans ton parcours dans le domaine artistique. C'est un peu une autobiographie.
L'entretien biographique proposait ainsi de faire usage du genre de l'autobiographie.
Le récit de lieu faisait suite à l'entretien biographique. Il s'ancrait dans ce dernier, et il le prolongeait. Sa consigne peut être synthétisée de la façon suivante :

Raconte-moi ce qui s'est passé d'important pour toi ici, pourquoi ce lieu est important dans ton parcours.
La consigne invitait là aussi à une centration sur les événements socio-cognitifs. Le récit de ville impliquait un déplacement sur les lieux choisis par les personnes (quatre ou cinq), où un entretien d'environ trente minutes a été mené.
Ce dispositif a pleinement considéré la reconstruction des parcours comme un processus, comme un travail qui se stabilise progressivement dans un grand récit, l'ensemble des entretiens "co-produits" ave le "sujet-auteur".

III. SE METTRE EN MOTS
Peut-on déterminer des différences entre le récit produit à l'occasion de l'entretien biographique et celui produit à l'occasion du récit de lieu ? Deux distinctions s'imposent. Tout d'abord raconter versus explorer. Puis une mise en mots d'actants institutionnels qui peine à se décanter dans les entretiens biographiques et émergent dans le récit de lieu.

Raconter vs explorer
L'entretien biographique invite le "sujet-auteur" à "co-produire" un récit à dominante autobiographique. Ce genre de texte peut être défini comme un "récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité" (Lejeune, 1996, p. 14). Cette autobiographie a été produite avec l'aide du chercheur. Il ne faut l'occulter, l'auteur est ici mixte. Mais c'est bien le "sujet-auteur" qui fait son autobiographie, avec l'aide d'un chercheur qui est en soutien et qui cherche à comprendre.



Le graphique ci-dessus représente l'économie cinétique de l'entretien biographique d'Iléana, une jeune styliste. Servons-nous en afin d'expliciter une des caractéristiques de nos entretiens biographiques. En ordonnée figure le nombre d'années raconté par page. En abscisse figure l'âge du personnage principal. Lorsqu'Iléana nous fait son récit, elle a 28 ans. L'ici et maintenant de l'entretien, cette Iléana de 28 ans, se trouve toute à droite sur l'abscisse. Ce graphique permet de visualiser le dépliage de cette Iléana sur l'axe scolaire-professionnel. Il est amputé de l'enfance. Le récit y est en effet si rapide que son inclusion écrase le graphique. Plus le graphique se rapproche de l'abscisse, plus le récit développe certaines séquences. Trois séquences sont particulièrement développées : la séquence "Réponse", où une heure est relatée en une demie page ; la séquence "Jour du diplôme", où une journée est racontée en une page ; la séquence "Eclatement", où un mois est évoqué en une page. A l'analyse, ces trois séquences s'imposent comme fondamentales pour la compréhension du développement identitaire d'Iléana. Une hypothèse sous-tend en effet la production et l'usage de ce graphique: le récit autobiographique développe prioritairement ce qui du point de vue du sujet est important. Il déplace la subjectivité du chercheur vers celle du "sujet-auteur". Il constitue alors un précieux "garde-fou" herméneutique.
Des recoupements avec l'autobiographie se dégagent de nos entretiens biographiques. Ici, qui chercher trouve, évidement. Ce genre a ceci de particulier qu'il implique une relation d'identité entre auteur, personnage principal et narrateur. L'autobiographie est cependant profondément marquée par une sorte de dédoublement entre un sujet actuel qui configure divers sujets anciens afin de retracer les permanences et les changements dans son développement. Un rapport bien particulier unit dans l'autobiographie le narrateur et le personnage principal. Il peut être modulé en fonction de "la prééminence dévolue au présent, marquée par la suprématie de la position du narrateur, ou au contraire dévolue au passé, avec l'hégémonie d'un personnage principal restitué" (Baudouin, 2010, p. 148). Mais quelque soit l'option choisie, ce dédoublement autobiographique en constitue une dimension indépassable. L'autobiographie configure une expérience passée, encapsulée dans un temps raconté, et qui ne se confond pas avec l'ici et maintenant. Au mieux, son développement y ramène. C'est ce que ce graphique nous permet de visualiser.
Du point de vue narratologique, le travail autobiographique requiert un travail de périodisation (Lejeune, 1996) qui donne lieu à une segmentation du parcours en unités temporelles de plusieurs années. Elles fournissent autant de clôtures partielles successives qui permettent un déploiement du récit. Pour chaque période, il est possible de déterminer une identité qui progressivement se stabilise et un ou des épisodes estimés significatifs au regard de qui l'on est devenu. A l'intérieur de chaque période, une séquence est particulièrement développée. Les pics en permettent l'objectivation.
Nos récits de lieux s'inscrivent pour une part dans cette perspective autobiographique, notamment lorsqu'ils concernent les périodes de la vocation artiste et de la formation de l'artiste. A la faveur d'un lieu, le "sujet-auteur" s'empare du genre autobiographique et adopte ses ressources particulières. C'est le cas du récit d'Iléana à l'hôpital. Son entretien biographique propose une reconstruction de son parcours sur l'ensemble de l'axe scolaire-professionnel et privilégie les dimensions qui concernent l'identité professionnelle. Ce qui frappe dans son entretien biographique, c'est la vitesse à laquelle est racontée la période de fréquentation de la Haute Ecole. Il ne décélère qu'en fin de formation. A l'analyse, son récit de formation laisse un goût d'inachevé. C'est le récit fait à l'hôpital qui offre une prise à l'analyse de la période de formation.

Extrait 1
Cela a été un tournant de ma vie que d'avoir passé à l'hôpital ! J'ai fait une crise d'angoisse hyper violente, et je me suis retrouvée aux urgences psychiatriques. […] Ce qui s'est passé, c'est que ça a complètement changé ma vision du stylisme. […] Je voulais me relier aux choses essentielles, ne rien perdre, ne pas perdre dans ma vie l'essentiel. […] Pour moi c'est devenu quelque chose de complètement futile. De faire des fringues pour faire des fringues, ça avait plus de sens pour moi ! (Iléana)

Iléana nous raconte ici un "tournant" de sa vie. Cette expérience passée a changé son positionnement artiste. Iléana formule par la même occasion ce qu'elle valorise depuis dans son travail artistique. L'"essentiel" s'oppose ici au "futile". Cette opposition traverse son entretien biographique. Le récit à l'hôpital permet l'analyse, ancrée dans une expérience vécue, des racines de cette opposition, et par là même d'un investissement artistique qui progressivement privilégie l'expression "des tripes" et une démarche "cathartique", où le "travail sur le tissu" est en position de médium, sans considérations sur le "commercial".
Dans le récit à l'hôpital, Iléana va "donner vie" à une Iléana passée, qui, confrontée à un événement, va transformer et stabiliser ses valorisations. Cette expérience se déroule hors de l'espace/temps de la Haute Ecole. Faire le récit de son parcours dans le domaine artistique... Il y a là une consigne qui privilégie l'identité professionnelle. Cette consigne n'est sans doute pas étrangère au fait que cette expérience ne soit pas présente dans l'entretien biographique. Le récit de lieu la retient cependant. Dire comment je suis devenu qui je suis implique de raconter cette expérience... Certaines expériences sont en effet indispensables au développement du récit autobiographique (Baudouin & Pita, 2011). Elles sont massives et polarisent la mise en intrigue.

Extrait 2
[A propos de son arrivée à l'hôpital] Je suis arrivé avec ma mère et mon copain… C'est un jour où je voulais me suicider… […] Ben voilà, j'ai appelé mon copain, pour qu'il vienne tout de suite, parce que des fois je me disais : "Je vais sauter !". Donc voilà, on est parti chez le médecin, on est venu aux urgences. Elle m'a donné des antidépresseurs ou des anxiolytiques. Après, je suis restée pendant un mois. Je ne suis pas sorti de chez moi. Pendant deux semaines je ne me suis pas douchée. Je faisais rien. Après, mon copain, il m'a balancé dans la douche. Ce qui m'a fait un déclic… Enfin, le phénomène de la douche… Je me suis dit… "C'est bon, je reprends vie !" (Iléana)

Notons au passage qu'Iléana reprend "vie" à la suite d'une expérience corporelle. C'est de son corps que provient le "déclic". Dans cette séquence, Iléana reconfigure du passé, raconte ce que ce personnage principal a affronté, et comment il en sort transformé. L'usage de déictiques est frappant. Les "ici", "là" et autres "ça" apparaissent fréquemment. Ils permettent de saisir un travail de mémoire où le lieu fait office d'appui.

Extrait 3
Je n'ai pas du tout envie d'être la personne que je décris, ce que je dis de moi dans cet hôpital. Non, je n'ai pas du tout envie. Ici, c'est un peu tout ce que je ne veux pas être. (Iléana)

"Ici" nous dit Iléana. Et elle ne désire pas être cette personne dont les actions sont racontées. Son récit pointe alors vers l'autoportrait, bien qu'il soit à dominante autobiographique.

Portraiturer
Tout comme l'autobiographie, l'autoportrait est porteur d'un "trait de subjectivité" (Baudouin, 2010). Il se distingue de l'autobiographie sur un certain nombre de dimensions. Il fait l'impasse sur le plan rétrospectif et narratif. Il privilégie une "perspective thématique non-chronologique" (ibid.). Elle a pour conséquence "un rapprochement voir une identification […] du je du narrateur et du je non plus narré mais évoqué" (ibid., p. 129). L'évocation et non la narration. L'autoportrait propose une traversée et une exploration d'un ensemble de thèmes que l'auteur utilise afin de se portraiturer. Il y a superposition du je du narrateur avec le je évoqué. Il n'est pas concerné par la tension identitaire qu'implique le dédoublement autobiographique. Il est un "miroir d'encre" (Beaujour, 1980). Celui qui se fait le portrait n'est pas concerné par une reconstruction narrative de divers je en fonction d'un je présent. Il ne raconte pas. Il explore divers thèmes, afin de dire quoi je suis. L'autobiographe se raconte, afin de dire qui je suis. La nuance est de taille.
Une "loi de proximité" s'impose. Dès lors qu'il concerne les périodes de la vocation artiste et de la formation de l'artiste, le récit de lieu fait usage du genre autobiographique. Alors que lorsqu'il qu'il concerne la période de l'insertion de l'artiste, c'est le genre de l'autoportrait domine. Le lieu propose divers thèmes et fait office de soutien pour un autoportrait. Nos "matériaux biographiques" changent alors de nature. Ce dépliage de l'identité qui fonde notre entreprise est comme contourné. Il y a retour au synchronique, abandon de l'axe diachronique. Mais par la même occasion, les catégories-clés des identités sont formulées.

Extrait 4
Ecoutes, je t'amène là parce qu'on est dans un endroit intéressant pour moi. […] Les gares et les aéroports, j'aime bien, parce qu'on peut observer les gens. Il y a beaucoup de cultures différentes. J'aime beaucoup ces endroits-là. L'idée, à la base, c'était de t'amener dans un déplacement, parce que c'est le déplacement qui me fascine assez fort. Je suis assez heureuse quand je ne suis ni à un point a ni à un point b, mais dans cet espèce de no man's land qu'il y a entre les deux. Je me sens très calme et très apaisée. (Camille)

A l'occasion du récit fait à l'aéroport, Camille propose une exploration de dimensions qui la caractérisent. "J'aime"… Le récit à l'aéroport nous parle de Camille, de celle d'aujourd'hui. Le déplacement sur le lieu constitue un appui à une présentation de soi, au travers des thèmes que véhicule l'aéroport. Exit ici les Camille antérieures. Elle ne nous fait pas une autobiographie. La focale est mise sur la Camille d'aujourd'hui. Il en va de même pour Christophe, diplômé des Beaux-Arts.

Extrait 5
C'est un endroit auquel j'adore venir déjà, parce qu'on se situe à la lisière de la ville. C'est un peu à la lisière de la ville. Entre la ville, on entend encore les voitures au loin, et la forêt, la rivière. […] Cet espace un peu à la lisière, un peu plus libre. […] La lisière, pour moi, c'est un terme me convient bien, ça veut dire que c'est à la fois dedans et dehors. Oui, quand même une position que les artistes doivent quand même avoir. Ils doivent quand même être dehors pour avoir une certaine distance, une capacité de percevoir. […] Et, en même temps, tu dois être dedans. (Christophe)

Il utilise la position particulière de son atelier afin d'argumenter sur le positionnement de l'artiste, catégorie à travers laquelle il se définit. Tout comme Camille, il se présente ici par le truchement du lieu. Il lui offre ses caractéristiques géographiques. C'est à travers elles qu'il nous fait part de ce qu'il est, un artiste à la fois dehors et dedans.

Un monde partagé
Le récit est inconcevable sans un certains nombre d'actants. La grammaire narrative (Greimas, 1966), qui classiquement permet l'interprétation des Epreuves proposées par le récit, les fait intervenir. Ils mandatent, apportent leurs ressources, s'opposent, et qualifient le sujet.
Le récit de lieu favorise la mise en mots d'actants institutionnels. Il facilite la mise en mots du collectif, que cela soit sous la dominante de l'autobiographie ou bien de l'autoportrait. Là encore, cette "loi de proximité" s'impose. Plus les lieux sur lesquels le récit est fait concernent la période de l'insertion, plus ils se focalisent sur un actant institutionnel. Le récit sur le lieu articule alors un Autrui généralisé (Mead, 2006), mais aussi un sujet en quête d'une appartenance et d'une reconnaissance dans la sphère de la coopération sociale (Honneth, 2000). Il facilite l'évocation d'un monde commun à l'intérieur duquel le sujet cherche une inscription. Il complète alors l'entretien biographique. Il dit ce que ce dernier, sans totalement l'abandonner, à tendance à secondariser.
Cette focale est patente chez Christophe. Le récit qu'il fait à l'occasion du déplacement au Forum, une institution qui travaille dans le journalisme et organise des rencontres thématiques, nous décrit un Christophe, contemporain au récit, qui évolue dans un cadre institutionnel.

Extrait 6
Cet endroit, je dirais, maintenant, il est une espèce d'étape. […] J'ai une part de créativité. Là, j'ai une partie qui m'intéresse beaucoup. Le Forum, c'est huit colloques, trente films et une exposition. […] J'ai proposé des thèmes pour les colloques, des intervenants et élaboré certaines questions. […] J'ai une place ! […] Ce n'est pas moi ! Je veux dire, il y a quand même un cadre. Je ne peux pas faire n'importe quoi. Mais c'est un cadre proche de moi, de mes intérêts, et c'est certainement un peu plus institutionnel. (Christophe)
Il a débuté une carrière de réalisateur de documentaires, à l'intersection de l'art et de l'engagement politique. Son entretien biographique nous dit comment il a progressivement investit l'art et l'engagement, et comment son positionnement artiste s'est stabilisé. Lorsque son entretien biographique s'achève, après avoir déplié cette identité professionnelle et qu'il effleure la période contemporaine de ce Christophe qui raconte, il évoque une expérience qui lui a fait prendre conscience de la "violence du système" comme de l'impossibilité à "vivre" de son art. Il est à un "virage". Il doit se reconstruire sans abandonner l'identité qui s'est cristallisée. Le Forum concerne cette période particulière. Il évoque cette "étape", ce "maintenant". Le Forum lui donne une "place" dans un "cadre", plus grand que lui mais qui lui permet de conserver sa "créativité". Le récit de lieu décrit ce cadre, il s'y attarde.

Extrait 7
[Revenant sur l'entretien biographique] Il y avait cette histoire de déterritorialisation et de reterritorialisation… Ben, ça reste ça quoi ! A un moment donné tu peux te déterritorialiser, ou te libérer des contraintes d'un champ donné, ou d'une institution donnée, et à un moment donné tu dois le partager. Et puis, le moment du partage peut être relié à un retour vers un champ donné, ou une institution donnée. (Christophe)

Besoin de conférer un territoire à son travail, un cadre, afin de "partager". C'est ce que lui offre le Forum. Il est pris dans un processus visant à combler la solitude d'un créateur "autiste". Mais à l'occasion du récit au Forum, Christophe nous dit plus.

Extrait 8
C'est la question de la reconnaissance. C'est important pour moi. […] Eux, en retour, ils m'ont félicité, et m'ont remercié pour ce travail, ils m'ont reconnu ! Dans le premier mois, quand tu entres dans une nouvelle institution, il y a comme un travail un peu de traduction. Qu'est-ce que c'est cette institution ? Comment est-ce qu'elle travaille ? Qui fait quoi ? Où est-ce qu'elle essaye d'aller ? Alors, il y a un travail de traduction de ce cadre institutionnel et, ensuite, il y a comme un moment de négociation. Il y a l'institution, et il y a moi. Alors, moi, je ne veux pas faire n'importe quoi pour cette institution ! Il faut que je trouve un entre-deux ! (Christophe)
Reconnaissance, et son corolaire, l'estime sociale. Mais aussi un travail de "négociation". C'est vers un processus de reconstruction identitaire dans un monde partagé que pointe le récit de lieu. A la suite de cette expérience malheureuse, Christophe s'est retrouvé au seuil d'un "no man's land du sens" (Dubar, 2007). Il a éprouvé une crise, au sens de "fin de quelque chose et de "début de rien" (Mazade, 2011), ou du moins de rien de satisfaisant à ses yeux. Son identité pour soi a été déstabilisée, et ses anciens ancrages (identité pour autrui) se sont affaissés. Le Forum est une "structure de plausibilité" (Dubar, op. cit.) qui va lui permettre d'avancer vers une reconstruction susceptible de maintenir un lien avec l'identité forgée au cours des périodes de la vocation artiste et de la formation de l'artiste.

IV. ADHERENCES
Les parcours que nous avons reconstruits dans notre recherche nous ont permis le dépliage d'identités configurées par un désir d'affirmer et de maintenir une autonomie et une authenticité. Mais aussi marquées par l'instabilité, la mobilité, et parfois une sorte de vide. Intégrées et confrontées à une organisation par réseau, déterritorialisée, aussi.
Une thèse est actuellement proposée, celle d'une identité situative, qui s'imposerait dans les sociétés contemporaines où se diffusent les caractéristiques d'une modernité "avancée". Cette forme d'identité est définie comme en cohérence avec les exigences d'une société de l'accélération et de l'incertain. Elle a deux implications. La première, un abandon des prétentions d'autonomie et d'authenticité ainsi que de tout projet trans-situationnel. Les identités prendraient forme en dehors de tout désir de réaliser des aspirations de type ontologique, et en dehors de toute tentative d'atteindre une forme définitive. La seconde, une déprise de l'identité d'avec tout lieu. C'est cette seconde qui sera ici traitée. Peut-on dire, dans le cas de ces identités mobiles et en réseau sur lesquelles nous nous sommes penchés, que plus rien du lieu n'y est attaché, que les identités prennent forme en dehors de toute adhérence, que le lieu ne participe plus des identités, qu'il ne les informe ni ne les forme de façon durable ?
"Notre perception de qui nous sommes […] dépend directement de notre rapport à l'espace, à nos contemporains et aux objets de notre environnement" (Rosa, 2010, p. 275). Notre rapport à soi est actuellement affecté par un principe d'accélération. Son augmentation, quantitative, a pour conséquence une transformation qualitative de ce rapport à soi. S'opérerait en effet un "déplacement des identités stables dans le sens de rapports à soi dynamiques, caractérisés par des "révisions biographiques permanentes" ou tout au moins par une contingence accrue des anciens éléments fixes de l'identité" (ibid., p. 277). Ces révisions, désirées ou contraintes, se font récurrentes. Et, "lorsque le passé, le présent et l'avenir doivent en permanence être associés et interprétés de manière nouvelle, la notion de qui l'on était, qui l'on est et qui l'on sera se transforme aussi constamment" (Rosa, 2010, p. 291). Les sujets se trouveraient alors face à une impossibilité à évaluer la ou les dimensions principales de leur identité. "Sa stabilité ne repose plus sur des identifications substantielles" (Rosa, 2010, p. 291). L'identité risque alors d'être absorbée par la flexibilité, le changement, le transitoire. Relativement au lieu, la conséquence est importante. Identité et lieu se disjoignent. "Plus rien du lieu (temporalisé) où se déroule son existence n'adhère "essentiellement" au sujet et, inversement, le sujet ne s'investit plus dans le lieu" (Rosa, 2010, p. 298).
Nos récits de lieu résistent à cette perspective. Les y couler apparaît être une violence. Ils nous contraignent à valider le maintien d'un lien fort entre identité et lieu. L'identité semble toujours adhérer à des lieux. Et leurs interrelations concernent des dimensions considérées par le "sujet-auteur" comme essentielles. Avançons quelques fragments d'empirie. Le sujet y apparaît attaché à un lieu, que cette attache soit imprégnée par une sorte de nostalgie ou bien par une actualité toujours vive.

Paradis perdu
Iléana, à l'occasion du déplacement à la Haute Ecole, fréquentée cinq ans auparavant, articule, émue, une adhérence toujours à l'œuvre entre ce lieu et son identité.

Extrait 9
Cette école, elle m'a permis de que j'aime créer avec mes mains, que c'est là que je suis bien, dans ces moments-là, où je suis le plus prêt de moi… de mes racines… […] Je m'identifie complètement à cette école. J'ai l'impression que c'est chez moi ! Non, je ne sais pas, c'est une partie de ma vie tellement importante ! que, pour moi, elle fait encore partie de moi […] C'est une partie de moi, de ma vie, et je ne peux pas l'oublier. Je me reconnais plus des fois… Tu sais, j'ai plus cette énergie. Je n'ai jamais été comme ça, sans énergie, sans cette envie de faires de choses. A cette époque, j'étais bien. (Iléana)
Iléana, lorsque nous la rencontrons, est prise dans un processus de reconstruction. Son insertion dans le domaine du stylisme n'a pas été possible. Il s'agit pour elle de changer, mais sans "se perdre". Changer sans laisser partir cette part d'elle-même reconnue à la Haute Ecole. Pour cette identité qui se déplie à l'occasion de notre recherche, la Haute Ecole constitue un lieu temporellement situé où une "énergie" circulait - par et grâce à une émulation collective - et où une motivation "à créer" se transmettait "entre copines". Pour Iléana qui retrace son archéologie, quelque chose d'elle-même est attaché à ce lieu. Prise dans cette reconstruction, Iléana nous dit bien qu'il continue à être "chez moi". Il faut l'entendre, et en prendre la mesure. Le lien d'adhérence est affectif, et relié à une période importante de sa vie, où elle s'est "découverte", en compagnie des autres, et dans une institution qui lui a conféré une estime sociale par sa reconnaissance.
Ce lieu est à situer dans la dynamique que l'entretien biographique permet de reconstruire. Il contraste avec la déréliction vécue par Iléana à la fin de ses études, lors de la séquence "Eclatement", que repère l'analyse de l'économie cinétique de son entretien biographique. Une fois la Haute Ecole achevée, Iléana a chuté d'un monde partagé, celui de la Haute Ecole. Elle s'est alors confrontée à une solitude, à une panne créative par perte de ce collectif, mais aussi à une certaine angoisse du fait d'évoluer dans une sorte de vide. L'Iléana qui se raconte depuis cette période d'insertion est toujours reliée à ce lieu. Il constitue dans son histoire un repère majeur, malgré les nombreux projets de reconstruction entrepris au cours des cinq années depuis qu'elle a cessé d'y évoluer. Pour cette identité, une adhérence perdure. Ce lieu reste ce "chez moi", une sorte de paradis perdu.

Consistance
Camille thématise elle aussi un lien étroit entre identité et lieu. Il est en partie semblable, mais il est dénué de cette nostalgie. A l'occasion du déplacement dans un bistrot, elle formule le lien étroit qui l'unit à sa ville.

Extrait 10
Où sont nos racines ? Moi, je me suis posée souvent la question de la racine, parce que quand j'ai terminé mon voyage en Chine. […] Je me suis dit que tous se passe depuis l'endroit où il y a les gens que j'aime. C'était mes piliers ! Et, du coup, il fallait que je sois près d'elles pour être plus créative. Ça, je l'ai compris à mon retour de Chine, parce qu'avant, j'étais prête à vivre ailleurs, développer ma carrière ailleurs. Je suis revenue, j'ai perdu mon copain, mon frère me faisait la gueule et mes parents ne se parlaient plus… Et j'avais plus d'endroit, plus de chez moi. (Camille)
Le parcours de Camille est différent de celui d'Iléana. A la fin de ses études, elle a été projetée dans le réseau international du stylisme. Elle a mené une vie frénétique, avec des "actualités sur différents continents". Elle a quitté sa ville, et l'ensemble de ses repères pendant près de deux années. Elle a été une styliste international. A son retour, elle a cependant senti que ses "repères", ses "attaches", s'étaient évanouis. Elle n'avait plus de "chez moi". Elle n'était littéralement de nulle part, et de partout à la fois. Organisant des rendez-vous d'affaires dans les différents aéroports où une brève halte était possible, vivant de projet en projet. Elle incarnait cette identité en réseau, déterritorialisée, sans attaches. Elle a craqué, au moment où elle a pris conscience de sa diffraction identitaire, et surtout d'un certain vide affectif. Après avoir été de partout et de nulle part, elle est revenue "chez moi", dans sa ville, là où sont ses "piliers". Elle a éprouvé un " sol qui s'effondre sous ses pieds" par déterritorialisation. Elle a pris conscience de l'importance d'un lieu qui lui donne une certaine consistance. Et elle confie avoir besoin de ses piliers "pour être créative". Ce retour auprès de ce "chez moi", localisé dans une petite ville Suisse, a cependant impliqué pour elle une reconstruction professionnelle. Camille ne sera plus styliste. Mais elle ne pouvait plus se vivre dans ce que cette carrière impliquait.

V. CONCLUSION
Certaines conclusions peuvent être tirées de nos développements. Concernant la problématique de la reconstruction des parcours, le récit fait à partir et sur le lieu semble bien la favoriser. Nous avons cependant dégagés une "loi de proximité" à partir de laquelle le récit produit change de nature. Plus le lieu - avec ce qui y est vécu - s'avère être temporellement proche du "sujet-auteur", plus il mobilise le genre de l'autoportrait. Le lieu propose alors un ensemble de caractéristiques qui vont être utilisées afin de dire quoi je suis. Le "sujet-auteur" entreprend une exposition des caractéristiques qui le définissent. Plus le lieu est éloigné, plus le "sujet-auteur" aura tendance à mobiliser le genre de l'autobiographie, entreprenant alors ce récit du "développement de sa personnalité individuelle" en configurant un sujet distant, qui souffre et agit, et à propos duquel le "sujet-auteur" formule des permanences et des changements. Cette "loi" fonctionne également relativement à la possibilité d'avoir accès à un monde partagé à l'intérieur duquel le sujet cherche une inscription. Plus le lieu est proche, plus il entreprend un récit engageant des dimensions collectives, favorisant l'étude d'un monde partagé
Concernant les liens entre lieu et identité, trois points se dégagent. Tout d'abord, dès lors que l'identité procède à son dépliage, certains lieux perdurent comme des attaches affectives et des repères subjectifs dans un processus de transformation identitaire. Les "sujets-auteurs" témoignent ici d'une identification à un lieu. Nos "matériaux biographiques" pointent ensuite l'importance d'une dimension collective attachée au lieu, et d'une énergie qui s'en dégage. Enfin, une impossibilité à vivre sans attaches, dans une mobilité exacerbée. Le lieu est investi par un besoin de stabilité et d'ancrage. Il s'oppose au "vide". Entendons-nous bien, le sujet est toujours dans un lieu, mais ce dernier est évoqué par la négative. A l'analyse de nos parcours, une identité sans une histoire déterritorialisée relève d'une vue de l'esprit. Non pas d'une impossibilité logique, mais d'une douteuse vraisemblance existentielle.

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