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LES ARTICLES DE L'AUTEUR
La Tunisie sous le protectorat français : terre ouverte aux idées politiques nouvelles
Résumé
Il est question dans cette contribution de l'évolution des conceptions concernant le régime politique que les modernistes et ensuite les nationalistes tunisiens ont développées depuis le milieu du XIXe siècle. Pour Khereddine Pacha, fondateur du modernisme tunisien, l'idéal est la monarchie constitutionnelle. Les nationalistes, ses successeurs, donnent la priorité à l'autonomie de la Tunisie. Ils revendiquent en 1920 une constitution associée à une assemblée nationale tunisienne élue au suffrage universel masculin, sans remettre en question la monarchie.
Il faut attendre l'année 1957 pour que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour et premier ministre, mette fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey et proclame la République. La constitution promulguée en 1959 accouche d'un régime présidentiel qui, loin de suivre la voie démocratique, s'accommode d'une autocratie associée à une dictature dans laquelle, et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir.
Summary
This contribution is about the evolution of concepts concerning the political regime that the modernist followed by the tunisian nationalists developed since mid- nineteenth century. For Khereddine Pacha, the founder of the tunisian modernism, the ideal is to be found within a constitutional monarchy context. His successors, the nationalists, gave priority to the independence of Tunisia. In 1920, they claimed a constitution associated with a Tunisian national assembly elected for the male universal vote without questioning the monarchy. They had to wait for 1957 when Habib Bourguiba, chief of Neo-Destour and the first minister, put an end to the monarchy by dethroning Lamine Bey, hence, proclaiming the Republic. The constitution promulgated in 1959 gave birth to a dictatorship during which all the institutions of the state deviated from their roles to become handovers to the parties in power during the reigns of Bourguiba and Ben Ali.
Introduction
Parler d'idées nouvelles en Tunisie au temps du protectorat français, c'est chercher dans une histoire qui n'est pas très lointaine l'ébauche, non pas du modernisme sous ses aspects spéculatifs et pratiques, mais précisément des idées modernistes, en l'occurrence des idées concernant le régime politique. Cependant, ce serait une erreur de rattacher l'émergence des idées modernistes à l'établissement du protectorat en 1881, puisque la Tunisie commence à penser la modernité depuis le règne d'Ahmed Bey (1837-1855). On pourrait toutefois affirmer que ce processus devient irréversible, même s'il suit une ligne tortueuse, depuis 1881, date de l'occupation de la Tunisie par l'armée française et de sa colonisation.
Les modernistes tunisiens de l'époque avaient beaucoup d'espoir dans le changement du régime politique à l'époque où les Beys husseinites exerçaient un pouvoir absolu, autocratique et héréditaire. Ce fut l'époque de Khéreddine Pacha. La situation ne va pas changer avec la colonisation française, puisque la France va gouverner la Tunisie au nom du Bey soumis. Les nationalistes prennent le relai de la modernisation politique. À ce sujet, il convient de rappeler que le mouvement national a dû attendre plus de vingt ans pour voir le jour. Son histoire est justement celle de cette dynamique intellectuelle qui a trouvé dans le politique son terrain favori.
Les nouvelles idées provenant de l'Orient et de l'Europe trouvent une bonne réception au sein d'une partie de l'élite intellectuelle éclairée, dont l'adhésion aux idéaux nouveaux ne s'est pas faite sans éclectisme et sans inconséquences.
En revenant sur ces idées, nous allons essayer d'analyser la nature du régime politique auquel aspirent les modernistes tunisiens. Nous voulons également réfléchir sur les circonstances qui ont fait que leurs conceptions politiques ont été de fait assez limitées. Mais peut-on éluder une question qui, quoiqu'elle dépasse le cadre historique de notre étude, est très pertinente: quelle suite les deux présidents Bourguiba et Ben Ali ont-ils donnée aux aspirations des modernistes tunisiens?
I. Un précurseur du modernisme politique: Khéreddine Pacha
Khéreddine Pacha, né vers 1822, est d'origine circassienne. Il est le chef de file des premiers modernistes tunisiens, dont il est considéré comme le père fondateur. Réduit en esclavage, il fut vendu à Ahmed Pacha Bey (1837- 1855) en Tunisie, où il fit une carrière militaire. Par la suite, il occupa le poste de ministre puis de premier ministre (1873-1877). Il voyagea beaucoup à l'étranger pour de nombreuses missions dans dix-neuf pays européens, sans compter ses voyages à Istanbul. Il assumait d'autres charges : en 1861, il fut désigné vice-président puis président du Conseil suprême et en 1869, il fut nommé président de la Commission financière. Après son départ en Turquie, il obtint le titre de grand vizir du sultan Abdülhamid II. Il occupa ce poste de 1878 à 1879 et s'éteignit en 1890 à Istanbul(1).
D'après La Revue Tunisienne, Khéreddine a subi dans sa carrière deux influences très différentes qui se sont mêlées et parfois contredites, celle de la politique ottomane et celle de la civilisation occidentale(2). Il est clair que ce qui le préoccupait du côté de l'Empire ottoman,c'était son intégrité territoriale et la sauvegarde de la Tunisie contre les convoitises des puissances européennes, ainsi que la reconnaissance de son autonomie(3). Par contre, ce qui l'intéressait du côté des Européens, c'était le degré de civilisation qu'ils avaient atteint et dont il était un fervent admirateur.
Khéreddine publia en 1867 son ouvrage intitulé Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik(4). Dans la première partie, traduite en français et publiée pour la première fois à Paris chez Dupont en 1868 puis reproduite dans la Revue Tunisienne, il met l'accent sur l'importance des institutions politiques basées sur la justice et la liberté comme cause primordiale des progrès réalisés par les pays européens(5). Il incite ses coreligionnaires à suivre l'exemple des Européens dans la sécularisation du régime politique(6). Il explique, en citant Jésus Christ, que les institutions politiques européennes ne se fondent pas sur la religion comme c'est le cas chez les musulmans(7).
Dans le reste des parties de l'ouvrage, il s'étend longuement sur le bon fonctionnement des institutions politiques dans ces pays européens qu'il a visités, en se focalisant sur leurs constitutions. C'est la méthode de Khéreddine pour secouer l'apathie de ses lecteurs et pour les instruire sur le fonctionnement et les bienfaits des institutions européennes.
À vrai dire Khéreddine ne propose pas ouvertement une forme de gouvernement. Mais implicitement, il préconise la monarchie constitutionnelle, comme l'admet l'arabisant Demeerseman(8). En fait, il ne peut pas entrevoir un régime politique plus avancé, la république en l'occurrence, vu la situation de grande déchéance de la société tunisienne, notamment après la terrible répression qui a suivi la révolte populaire de 1864, l'abrutissement des Beys et la perversité de leur entourage. Il ne le peut pas également puisqu'il n'y a aucun gouvernement qui se proclame de la république en Europe, sa source d'inspiration. La France, qu'il prend pour modèle, accepte de s'incliner devant l'empereur Napoléon III et de renoncer à la jeune République en 1851. L'Italie, le pays européen le plus proche de la Tunisie, vient à peine de se libérer de la domination autrichienne et de se constituer en État-nation gouverné par le roi Victor Emmanuel en 1861. Dans tous les cas ou presque, c'est le régime de la monarchie constitutionnelle qui prévaut.
En réalité, Khéreddine n'innove pas en matière politique en ce qui concerne la Tunisie puisque Mohamed Sadok Bey (1859-1882) a déjà promulgué une constitution en 1861, laquelle a donné naissance au Grand Conseil, parlement dont les membres sont nommés et à d'autres réformes à caractère législatif et judiciaire(9). L'élite moderniste, avec Khéreddine en tête, a uvré pour les faire aboutir et a largement contribué à la rédaction de leurs textes constitutifs.
Mais toutes ces réformes ne vont pas résister à l'aversion du Bey et de son entourage pour un État quelque peu légal où le pouvoir s'exerce conformément à la loi. En effet, leBey les fait suspendre à l'occasion de la Révolte populaire de 1964.
Il serait pertinent alors de se demander si Khéreddine a voulu rappeler, par son ouvrage, les bienfaits d'un pouvoir contrôlé reposant sur une large délégation de pouvoirs ou bien s'il a essayé de réfléchir sur les conditions de réussite d'une nouvelle expérience parlementaire. Mais paradoxalement, la possibilité de reprendre cette expérience s'est présentée à lui lorsqu'il a été appelé au poste de premier ministre, qu'il a occupé de 1873 à 1877. Cependant, il n'a procédé à aucun changement au niveau de l'organisation politique à un moment où il adopte un train de réformes touchant les domaines de l'administration, de la justice, de l'enseignement, de la fiscalité, etc(10).
Les successeurs de Khéreddine se trouveront dans une situation différente qui leur imposera un changement de programme.
II. Les nationalistes tunisiens veulent une monarchie constitutionnelle
L'établissement du protectorat français en Tunisie a fait une obstruction à la continuation du projet de Khéreddine consistant à moderniser le régime des Beys husseinites. La priorité fut alors donnée à l'autonomie de la Tunisie vis-à-vis du pays colonisateur.
Mais il convient de signaler que la Tunisie, tout en continuant à recevoir les idées de l'extérieur, devient simultanément un foyer dont l'élite produit des idées nouvelles. Dans le domaine politique, cette élite accueille de l'Orient l'idée d'indépendance, surtout au sortir de la Première Guerre mondiale. En Égypte,grandit un mouvement indépendantiste, le Wafd, dirigé par Saad Zaghloul (1858-1927). Il oblige le Royaume-Uni à accorder l'autonomie interne au pays, qui se dote d'une constitution et organise des élections législatives en 1923. En Turquie Mustafa Kemal Pacha(11) (1881- 1938) libère le pays des envahisseurs occidentaux et proclame la République en 1923.
L'idée d'indépendance se fait jour par l'intermédiaire de Tunisiens émigrés,comme Mohamed Bach Hamba (1881-1920), séjournant à Genève. Les principes concernant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, repris par le président américain Woodrow Wilson, trouvent un large écho en Tunisie. L'idée de l'autodétermination est mise en avant par le Comité algéro-tunisien, dont le siège est à Genève, dans un mémoire adressé au congrès de la Paix(12) et le télégramme envoyé le 2 janvier 1919, par le même Comité au président Wilson(13). Les communistes français en Tunisie propagent l'idée d'indépendance au sein de la population tunisienne, ils en font l'axe central de leur stratégie. Pour la réaliser, ils fondent la Fédération Communiste de Tunisie en 1921(14). Cette ligne fait écho à la théorie de Lénine sur la question des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes(15) et applique la 8e condition d'admission des partis dans l'Internationale Communiste, qui consiste dans le devoir "de soutenir, non en paroles, mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole" (16).
Toutefois, le Parti Libéral Constitutionnel Tunisien (PLCT), qui est le principal parti du mouvement national tunisien, lors de sa création en 1920, limite sa stratégie à revendiquer l'autonomie dans le cadre du traité du Bardo (1881) qui institue le régime du protectorat. Le Néo-Destour, fondé en 1934 à la suite d'une scission dans le PLCT, devenu à son tour la principale formation politique, ne change pas de cap. L'indépendance de la Tunisie ne sera mise à l'ordre du jour par le Néo-Destour qu'après la signature des accords d'autonomie interne le 31 juillet 1954.
Mais pour l'heure, les nationalistes tunisiens améliorent leurs connaissances des régimes politiques en observant surtout le système français. Certains d'entre eux font leur apprentissage en politique en France, où ils font leurs études de droit ou de médecine dans la plupart des cas, et rentrent en Tunisie aussitôt qu'ils obtiennent leurs diplômes. Les autres, restés sur place, s'imprègnent des idées de participation et de gouvernance en côtoyant les Européens de gauche et lors des discussions au sein des cercles et des partis. Rappelons à ce propos que les nationalistess'organisentà leurs débuts autour du cercle tunisien connu sous le nom de mouvement "Jeunes Tunisiens", créé en 1907 par le leader Ali Bach Hamba, directeur de l'hebdomadaire Le Tunisien. Son programme politique est axé sur la participation des Tunisiens à l'administration du pays et l'égalité entre les deux éléments Français et Tunisiens(17). En un mot, les "Jeunes Tunisiens" appellent de leurs voeux "le rapprochement des deux races par une politique d'association" (18).
Le mode de gouvernement n'est pas à l'ordre du jour des "Jeunes Tunisiens", même s'ils demandent à la France d'octroyer une constitution aux Tunisiens(19). C'est juste pour revendiquer la liberté individuelle, la liberté de la presse et l'égalité devant la loi(20). La priorité n'est pas donnée à la question politique, comme l'entendait Khéreddine, mais plutôt à l'éducation, dont dépend le sort des Tunisiens. Pour commencer, l'enseignement primaire doit être gratuit, obligatoire et dispensé sur tout le territoire. Le gouvernement doit en outre faciliter l'enseignement secondaire et prendre en charge les étudiants du supérieur(21).
L'année 1920 constitue un moment important dans l'élaboration du programme politique des nationalistes tunisiens. Le mot d'ordre est pour une constitution, associée cette fois à la revendication d'une assemblée nationale tunisienne élue(22).Cela renvoie à la constitution de 1861 et au Conseil suprême qui en découle et signifie que les nationalistes restent fidèles à la monarchie constitutionnelle. Une différence essentielle mérite d'être signalée, c'est le fait que l'assemblée revendiquée en 1920 doit être élue au suffrage universel masculin.
Toutefois, suite aux dissensions qui éclatent au sein du PLCT, le programme politique se voit réduit. Désormais figure en tête l'institution d'une assemblée délibérative, composée par moitié de Français et de Tunisiens, élus au suffrage universel et ayant pour rôle de voter le budget et de confectionner les lois d'ordre intérieur(23). Cela donne une assemblée qui n'est pas tunisienne et dont les prérogatives législatives sont réduites. Il faut attendre le congrès des 12 et 13 mai 1933 pour que les nationalistes mettent en tête de leur programme l'institution d'un parlement tunisien élu au suffrage universel, maître de son ordre du jour et ayant un pouvoir législatif(24).
Quoi qu'il en soit, jusqu'en 1957, il n'a jamais été question de république dans les programmes des nationalistes(25). Ce qui nous amène à poser la question suivante : qu'est-ce qui a empêché l'élite politique tunisienne de revendiquer la république?
On pourrait apporter plusieurs réponses à cette question. Mais on se limitera ici à dire que le programme des nationalistes était timoré. Il n'est pas allé au-delà de l'autonomie. D'autre part, l'intérêt de la lutte nationale exigeait à leurs yeux de ne pas aborder les questions qui pourraient diviser les Tunisiens et d'essayer d'attirer le(s) Bey(s) dans leur camp comme cela s'était passéen avril 1922, lorsque Mohamed Naceur Bey menaça d'abdiquer, suite à une intrigue émanant de la résidence générale en Tunisie, et que le parti du Destour lui apporta son soutien ensuscitant des actions populaires en solidarité avec lui. Cela s'est reproduit pendant le règne de Moncef Bey (juin 1942- juillet 1943), qui a pris des initiatives souveraines.
Il ne faut pas oublier également que les autorités coloniales françaises ont imposé des lignes rouges à ne pas franchir. En premier lieu, elles ne permettent pas d'aborder la question de l'indépendance. La Fédération Communiste de Tunisie des années vingt en a fait les frais lorsqu'elle futinquiétée par la justice puis éliminée pour un long moment. En deuxième lieu, les mêmes autorités prirent prétexte de l'article III du traité du Bardo (1881) pour châtier sévèrement toute atteinte aux droits du Bey(26).Or, parler de république c'était attenter aux prérogatives du Bey.
Après 1956, date de la signature des conventions sur l'indépendance politique de la Tunisie, les conditions changent et le Bey ne jouit plus d'aucune protection. Le pas vers la république est alors franchi.
III. La République...mais en paroles
1) Bourguiba opte pour la république en 1957
Il n'est pas surprenant que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour à l'époque, ait opté pour la république. Ancien élève du Collège Sadiki, créé en 1885 par le premier ministre Khéreddine, puis étudiant en droit à Paris, comme beaucoup de Tunisiens, il se familiarise avec la scène politique française. Il est alors acquis à la culture française. Après la signature des conventions de 1956, il est nommé premier ministre du nouveau gouvernement. Il manoeuvre pour limiter progressivement les prérogatives du Bey(27) et ne tarde pas à mettre fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey pour ensuite proclamer la République le 25 juillet 1957(28). L'Assemblée constituante le nomme président de la République, à titre provisoire, en attendant la rédaction de la constitution(29).
Ce retournement de situation est un acte réfléchi de Bourguiba et de ses collaborateurs. Il rappelle le Code du Statut personnel, promulgué le 13 août 1956, et où Bourguiba a placé l'essentiel de la pensée de Tahar Haddad, connu pour sa défense des droits de la femme(30). Avant cette date, Bourguiba n'en avait soufflé mot. C'est dire que le colonialisme français, allié à l'aristocratie tunisienne représentée par le Bey et les fonctionnaires conservateurs(31) implantés surtout dans l'enseignement traditionnel et la justice charaïque, constitue une entrave aux débats francs et sincères et aux progrès des idées.
Lamine Bey a donné les preuves qu'il n'était qu'une marionnette, comme la plupart de ses ancêtres, entre les mains du colonialisme français(32). Contrairement à Mohammed V, roi du Maroc de 1927 à 1957, il n'a défendu ni son trône ni le peuple tunisien devant l'oppression du colonialisme français et son arrogance. C'est ce qui l'a complètement désavantagé au profit de Bourguiba, lequel ne peut souffrir de jouer un rôle de second plan.
La constitution écrite et proclamée le 1er juin 1959 institue un régime présidentiel et ouvre la voie à des élections auxquelles se présente Bourguiba en tant que seul candidat. Il est alors élu président de la République, à la quasi unanimité des suffrages.
Cet évènement est l'un des éléments qui marquèrent l'histoire de ce qu'il estactuellement convenu d'appeler la Première République. En fait, il s'agit plutôt d'une autocratie associée à une dictature, dans laquelle et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, destitué par la Révolution qui s'est déroulée entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir, à savoir le parti socialiste destourien, renommé pour la circonstance le Rassemblement Constitutionnel Démocrate (RCD) après le coup d'État de Ben Ali le 7 novembre 1987. La constitution fut à plusieurs reprises modifiée ; une fois pour accorder la présidence à vie à Bourguiba, et les fois suivantes, pour renouveler le mandat de Ben Ali. Après quatre mandats qui ont duré 28 ans, Bourguiba est écarté de la présidence par un coup d'État en 1987. Ce même coup d'État permet à Ben Ali de s'emparer du pouvoir et de se faire président grâce à des simulacres d'élections durant 5 mandats et 23 ans. Il est destitué par la Révolution qui l'oblige à fuir à l'étranger.
2) Une dictature en guise de république
Il est pertinent de s'interroger sur les causes de ce déficit démocratique en Tunisie, malgré la grande vitalité de la société tunisienne et l'éclat de sa culture.
Tenter de présenter une réflexion sur ce sujet demanderait une étude qui dépasse le cadre de cette contribution. Aussi, et pour la circonstance, nous voudrions soulever un seul point, celui du rôle des grandes puissances occidentales.
L'Occident, comme nous venons de le démontrer, est la source des grandes idées qui ont travaillé l'opinion tunisienne après la longue léthargie de la civilisation arabe, mais il est aussi à l'origine des difficultés que connaît la Tunisie après son accession à l'indépendance politique. Tout d'abord, si le colonialisme français s'écroule sous les coups du mouvement de libération nationale, qui passe aux armes pendant la dernière crise politique (1952-1956), il ne le fait que pour céder le terrain au néocolonialisme. Cette nouvelle situation est en effet le cadre dans lequel s'est créé un état de dépendance en Tunisie sur les plans économique, culturel et diplomatique. C'est la raison pour laquelle l'Occident s'immisce dans les affaires intérieures de la Tunisie et intervient constamment pour la maintenir dans sa sphère d'influence ce qui ne peut se faire que par la mise en place d'un régime politique antidémocratique.
Le régime destourien connaît une grave crise au milieu des années 80, sous le poids du surendettement. La solution recommandée par les institutions financières internationales, qui comme tout monde le sait sont les instruments d'intervention financière de l'Occident et notamment des USA, fut d'appliquer le plan d'ajustement structurel, axé sur une politique d'austérité, la libéralisation à outrance et la mobilisation des investissements étrangers.
Ben Ali, qui accède au pouvoir en 1987, fut le gardien de cette politique antinationale. Il a été soutenu par les puissances occidentales, et notamment par les USA qui l'ont recruté comme agent de renseignement, et par la France, dont la diplomatie, au temps de Nicolas Sarkozy, président de la République de 2007 à 2012, a défendu jusqu'au bout le régime contre les manifestants en janvier 2011, notamment en lui proposant une coopération policière(33).
Conclusion
Au contact de l'Europe, une élite tunisienne s'est formée depuis le milieu du XIXe. Son mot d'ordre initial est en faveur d'une monarchie constitutionnelle, à l'exemple des pays de l'Europe occidentale. Après une période d'indécision qui fait suite à l'occupation de la Tunisie par l'armée française et l'établissement du protectorat français, les nationalistes reprennent la revendication de leurs prédécesseurs, mais en l'associant au suffrage universel, en vogue à l'époque en Europe. Ce n'est qu'en se libérant du colonialisme français que Bourguiba, chef du nouveau gouvernement issu de l'indépendance politique, renverse le Bey et proclame la République, mais une république en paroles, puisque le régime politique au temps de Bourguiba et de Ben Ali est sous le joug de la dictature. Derrière ce déficit démocratique résident plusieurs facteurs, dont l'ingérence des puissances européennes.
Mais il convient de signaler que, pendant ce temps, l'opposition démocratique a milité en faveur d'une république démocratique. La Révolution du 14 janvier 2011 a balayé la dictature de Ben Ali et a effectivement ouvert la voie à une série de réalisations et de transformations qui ont été couronnées par la promulgation de la constitution de janvier 2014, laquelle édifie la république démocratique tant attendue.
Ce processus n'est toutefois pas irréversible, puisque les élections de 2014 ont donné pour la deuxième fois le pouvoir aux partis de la contre-révolution qui ont des liens forts avec la réaction mondiale. Les deux principaux partis, le parti du président et du chef du gouvernement Nida Tounès et le parti d'Ennahdha, qui fait partie de l'équipe dirigeante, sont pour le premier une reconduction du parti du Rassemblement démocratique de Ben Ali(34), et pour le second une filiale de l'organisation internationale des "Frères Musulmans" partisane du califat comme forme de gouvernement. Ces deux partis dirigent la République issue de la révolution, mais aucun d'entre eux n'a les mains libres pour instituer le régime auquel chacun d'entre eux aspire.
Notes :
Notes
1- Chenoufi (A), Le ministre Khéreddine et ses contemporains -XIXe siècle-, Notice biographique du Général Khéreddine, Tunis, Fondation Nationale Carthage, 1990.
Krieken, G. S. van, Khayral-din et la Tunisie (1850-1881), Leiden E. J. Brill, 1976.
2- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans, essai formant la première partie de l'ouvrage politique et statistique intitulé "Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"" (préface), traduit de l'arabe sous la direction de l'auteur, Revue Tunisienne, numéro 12, octobre 1896, pp. 501-522.
3- M. S. Mzali et J. Pignon, "Documents sur Khéreddine- A mes enfants Mémoire de ma vie privée et politique", Revue tunisienne, 2° trim 1934, n° 18, p. 177-212.
4- Ettounsi, Khéreddine, Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik ("Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"), préface de Mohamed Haddad, Maison du livre égyptien (le Caire) et Maison du livre libanais (Beyrouth), 2012.
5- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans", op. cit., p. 509.
6- Ibidem, p. 510.
7- D'après Khéreddine, Jésus a défendu aux apôtres de s'immiscer dans les affaires temporelles et a dit que son royaume n'est pas de ce monde. Idem.
8- Demeerseman (A), "Au berceau des premières réformes démocratiques en Tunisie", IBLA, t. 20, 1957, p. 1-12.
9- Ganiage (J), Les origines du Protectorat français en Tunisie (1861-1881), Paris, PUF, 1959.
10- Smida (M), Khéreddine ministre réformateur 1873-1877, Tunis, Maison Tunisienne de l'Edition, 1970.
11- En 1934, il lui fut attribué le patronyme Atatürk.
12- Comité algéro-tunisien, "Les revendications du peuple algéro-tunisien", La Revue du Maghreb, septembre-décembre 1918, pp. 129-137.
13- Comité algéro-tunisien, Télégramme, Idem, pp. 138-140.
14- Ben Temime (L), La Fédération Communiste de Tunisie 1921-1922 un effort précoce de tunisification, Mémoire de maîtrise, Université de Paris, 1976.
15- Lénine (V), "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes (Thèses)", uvres complètes, t. 22, Editions sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1977, pp. 155-170.
16- Thèses, manifestes et résolutions adoptés par les Ie,IIe, IIIe et IVe congrès de l'Internationale communiste (1919-1922), http://www.communisme-bolchevisme.net/download/IC_congres_1919_1922, consulté le 20 novembre 2016.
17- Julien (Ch-A), "Colons français et Jeunes Tunisiens 1882-1912", Extrait de la Revue française d'histoire d'outre- mer, t. LIV, 1967, p. 87.
18- Khairallah (Ch.), Le mouvement évolutionniste tunisien (Notes et documents), tome 1, Editions de l'Imprimerie de Tunis, sans date, p. 51.
19- Zaouche (A), "La Tunisie et le destour", Le Tunisien, du 27 août 1908.
20- Idem.
21- Anonyme, "Notre programme", Le Tunisien, du 7 février 1907.
22- "Statut organique du Destour", publié dans le journal La Voix du Tunisien, du 9 septembre 1932.
23- Farhat, Salah, "Notre programme", Le Libéral, n° 1 du 29 novembre 1924.
24- El Irada,du 8 janvier 1934.
25- Anonyme, La Tunisie martyre Ses revendications, Paris, Editions Jouve et Cie, 1920, p. 209.
26- La législation sur le délit politique en Tunisie pendant la période coloniale (1881-1926): source et teneur, Revue d'Histoire Maghrébine, n° 106- février 2002, pp 9-30.
27- Lissir (F),La politique des étapes de Bourguiba dans le processus de la proclamation de la République tunisienne (en arabe), Turess, http://www.turess.com/hakaek/94968 (visité le 24 décembre 2016).
28- JORT, n° 1 du 26 juillet 1957.
29- Ibidem..
30- Haddad, Tahar, Notre femme dans la législation musulmane et la société, traduction de Manoubia Ben Ghedahem, en voie de publication.
31- Nous disons fonctionnaires et non hommes de religion, étant donné qu'en Islam il n'y a pas de clergé comme c'est le cas dans l'Eglise.
32- Julien, Charles-André, Et la Tunisie devint indépendante (1951-1957), Tunis, Les éditions Jeune Afrique / S.T.D., 1985, p. 78.
33- http://www.lemonde.fr/international/article/2011/01/15/la-diplomatie-francaise-a-defendu-jusqu-au-bout-le-regime-tunisien_1466021_3210.html, visité le 11 décembre 2016.
34- Le parti Nidaa Tounes est constitué autour de la personne de Béji Caïd Essebsi le 20 avril 2012. Il rassemble en son sein des gens issus principalement de la mouvance destourienne mais aussi des syndicats et de la gauche réformiste.
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Il est question dans cette contribution de l'évolution des conceptions concernant le régime politique que les modernistes et ensuite les nationalistes tunisiens ont développées depuis le milieu du XIXe siècle. Pour Khereddine Pacha, fondateur du modernisme tunisien, l'idéal est la monarchie constitutionnelle. Les nationalistes, ses successeurs, donnent la priorité à l'autonomie de la Tunisie. Ils revendiquent en 1920 une constitution associée à une assemblée nationale tunisienne élue au suffrage universel masculin, sans remettre en question la monarchie.
Il faut attendre l'année 1957 pour que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour et premier ministre, mette fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey et proclame la République. La constitution promulguée en 1959 accouche d'un régime présidentiel qui, loin de suivre la voie démocratique, s'accommode d'une autocratie associée à une dictature dans laquelle, et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir.
Summary
This contribution is about the evolution of concepts concerning the political regime that the modernist followed by the tunisian nationalists developed since mid- nineteenth century. For Khereddine Pacha, the founder of the tunisian modernism, the ideal is to be found within a constitutional monarchy context. His successors, the nationalists, gave priority to the independence of Tunisia. In 1920, they claimed a constitution associated with a Tunisian national assembly elected for the male universal vote without questioning the monarchy. They had to wait for 1957 when Habib Bourguiba, chief of Neo-Destour and the first minister, put an end to the monarchy by dethroning Lamine Bey, hence, proclaiming the Republic. The constitution promulgated in 1959 gave birth to a dictatorship during which all the institutions of the state deviated from their roles to become handovers to the parties in power during the reigns of Bourguiba and Ben Ali.
Introduction
Parler d'idées nouvelles en Tunisie au temps du protectorat français, c'est chercher dans une histoire qui n'est pas très lointaine l'ébauche, non pas du modernisme sous ses aspects spéculatifs et pratiques, mais précisément des idées modernistes, en l'occurrence des idées concernant le régime politique. Cependant, ce serait une erreur de rattacher l'émergence des idées modernistes à l'établissement du protectorat en 1881, puisque la Tunisie commence à penser la modernité depuis le règne d'Ahmed Bey (1837-1855). On pourrait toutefois affirmer que ce processus devient irréversible, même s'il suit une ligne tortueuse, depuis 1881, date de l'occupation de la Tunisie par l'armée française et de sa colonisation.
Les modernistes tunisiens de l'époque avaient beaucoup d'espoir dans le changement du régime politique à l'époque où les Beys husseinites exerçaient un pouvoir absolu, autocratique et héréditaire. Ce fut l'époque de Khéreddine Pacha. La situation ne va pas changer avec la colonisation française, puisque la France va gouverner la Tunisie au nom du Bey soumis. Les nationalistes prennent le relai de la modernisation politique. À ce sujet, il convient de rappeler que le mouvement national a dû attendre plus de vingt ans pour voir le jour. Son histoire est justement celle de cette dynamique intellectuelle qui a trouvé dans le politique son terrain favori.
Les nouvelles idées provenant de l'Orient et de l'Europe trouvent une bonne réception au sein d'une partie de l'élite intellectuelle éclairée, dont l'adhésion aux idéaux nouveaux ne s'est pas faite sans éclectisme et sans inconséquences.
En revenant sur ces idées, nous allons essayer d'analyser la nature du régime politique auquel aspirent les modernistes tunisiens. Nous voulons également réfléchir sur les circonstances qui ont fait que leurs conceptions politiques ont été de fait assez limitées. Mais peut-on éluder une question qui, quoiqu'elle dépasse le cadre historique de notre étude, est très pertinente: quelle suite les deux présidents Bourguiba et Ben Ali ont-ils donnée aux aspirations des modernistes tunisiens?
I. Un précurseur du modernisme politique: Khéreddine Pacha
Khéreddine Pacha, né vers 1822, est d'origine circassienne. Il est le chef de file des premiers modernistes tunisiens, dont il est considéré comme le père fondateur. Réduit en esclavage, il fut vendu à Ahmed Pacha Bey (1837- 1855) en Tunisie, où il fit une carrière militaire. Par la suite, il occupa le poste de ministre puis de premier ministre (1873-1877). Il voyagea beaucoup à l'étranger pour de nombreuses missions dans dix-neuf pays européens, sans compter ses voyages à Istanbul. Il assumait d'autres charges : en 1861, il fut désigné vice-président puis président du Conseil suprême et en 1869, il fut nommé président de la Commission financière. Après son départ en Turquie, il obtint le titre de grand vizir du sultan Abdülhamid II. Il occupa ce poste de 1878 à 1879 et s'éteignit en 1890 à Istanbul(1).
D'après La Revue Tunisienne, Khéreddine a subi dans sa carrière deux influences très différentes qui se sont mêlées et parfois contredites, celle de la politique ottomane et celle de la civilisation occidentale(2). Il est clair que ce qui le préoccupait du côté de l'Empire ottoman,c'était son intégrité territoriale et la sauvegarde de la Tunisie contre les convoitises des puissances européennes, ainsi que la reconnaissance de son autonomie(3). Par contre, ce qui l'intéressait du côté des Européens, c'était le degré de civilisation qu'ils avaient atteint et dont il était un fervent admirateur.
Khéreddine publia en 1867 son ouvrage intitulé Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik(4). Dans la première partie, traduite en français et publiée pour la première fois à Paris chez Dupont en 1868 puis reproduite dans la Revue Tunisienne, il met l'accent sur l'importance des institutions politiques basées sur la justice et la liberté comme cause primordiale des progrès réalisés par les pays européens(5). Il incite ses coreligionnaires à suivre l'exemple des Européens dans la sécularisation du régime politique(6). Il explique, en citant Jésus Christ, que les institutions politiques européennes ne se fondent pas sur la religion comme c'est le cas chez les musulmans(7).
Dans le reste des parties de l'ouvrage, il s'étend longuement sur le bon fonctionnement des institutions politiques dans ces pays européens qu'il a visités, en se focalisant sur leurs constitutions. C'est la méthode de Khéreddine pour secouer l'apathie de ses lecteurs et pour les instruire sur le fonctionnement et les bienfaits des institutions européennes.
À vrai dire Khéreddine ne propose pas ouvertement une forme de gouvernement. Mais implicitement, il préconise la monarchie constitutionnelle, comme l'admet l'arabisant Demeerseman(8). En fait, il ne peut pas entrevoir un régime politique plus avancé, la république en l'occurrence, vu la situation de grande déchéance de la société tunisienne, notamment après la terrible répression qui a suivi la révolte populaire de 1864, l'abrutissement des Beys et la perversité de leur entourage. Il ne le peut pas également puisqu'il n'y a aucun gouvernement qui se proclame de la république en Europe, sa source d'inspiration. La France, qu'il prend pour modèle, accepte de s'incliner devant l'empereur Napoléon III et de renoncer à la jeune République en 1851. L'Italie, le pays européen le plus proche de la Tunisie, vient à peine de se libérer de la domination autrichienne et de se constituer en État-nation gouverné par le roi Victor Emmanuel en 1861. Dans tous les cas ou presque, c'est le régime de la monarchie constitutionnelle qui prévaut.
En réalité, Khéreddine n'innove pas en matière politique en ce qui concerne la Tunisie puisque Mohamed Sadok Bey (1859-1882) a déjà promulgué une constitution en 1861, laquelle a donné naissance au Grand Conseil, parlement dont les membres sont nommés et à d'autres réformes à caractère législatif et judiciaire(9). L'élite moderniste, avec Khéreddine en tête, a uvré pour les faire aboutir et a largement contribué à la rédaction de leurs textes constitutifs.
Mais toutes ces réformes ne vont pas résister à l'aversion du Bey et de son entourage pour un État quelque peu légal où le pouvoir s'exerce conformément à la loi. En effet, leBey les fait suspendre à l'occasion de la Révolte populaire de 1964.
Il serait pertinent alors de se demander si Khéreddine a voulu rappeler, par son ouvrage, les bienfaits d'un pouvoir contrôlé reposant sur une large délégation de pouvoirs ou bien s'il a essayé de réfléchir sur les conditions de réussite d'une nouvelle expérience parlementaire. Mais paradoxalement, la possibilité de reprendre cette expérience s'est présentée à lui lorsqu'il a été appelé au poste de premier ministre, qu'il a occupé de 1873 à 1877. Cependant, il n'a procédé à aucun changement au niveau de l'organisation politique à un moment où il adopte un train de réformes touchant les domaines de l'administration, de la justice, de l'enseignement, de la fiscalité, etc(10).
Les successeurs de Khéreddine se trouveront dans une situation différente qui leur imposera un changement de programme.
II. Les nationalistes tunisiens veulent une monarchie constitutionnelle
L'établissement du protectorat français en Tunisie a fait une obstruction à la continuation du projet de Khéreddine consistant à moderniser le régime des Beys husseinites. La priorité fut alors donnée à l'autonomie de la Tunisie vis-à-vis du pays colonisateur.
Mais il convient de signaler que la Tunisie, tout en continuant à recevoir les idées de l'extérieur, devient simultanément un foyer dont l'élite produit des idées nouvelles. Dans le domaine politique, cette élite accueille de l'Orient l'idée d'indépendance, surtout au sortir de la Première Guerre mondiale. En Égypte,grandit un mouvement indépendantiste, le Wafd, dirigé par Saad Zaghloul (1858-1927). Il oblige le Royaume-Uni à accorder l'autonomie interne au pays, qui se dote d'une constitution et organise des élections législatives en 1923. En Turquie Mustafa Kemal Pacha(11) (1881- 1938) libère le pays des envahisseurs occidentaux et proclame la République en 1923.
L'idée d'indépendance se fait jour par l'intermédiaire de Tunisiens émigrés,comme Mohamed Bach Hamba (1881-1920), séjournant à Genève. Les principes concernant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, repris par le président américain Woodrow Wilson, trouvent un large écho en Tunisie. L'idée de l'autodétermination est mise en avant par le Comité algéro-tunisien, dont le siège est à Genève, dans un mémoire adressé au congrès de la Paix(12) et le télégramme envoyé le 2 janvier 1919, par le même Comité au président Wilson(13). Les communistes français en Tunisie propagent l'idée d'indépendance au sein de la population tunisienne, ils en font l'axe central de leur stratégie. Pour la réaliser, ils fondent la Fédération Communiste de Tunisie en 1921(14). Cette ligne fait écho à la théorie de Lénine sur la question des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes(15) et applique la 8e condition d'admission des partis dans l'Internationale Communiste, qui consiste dans le devoir "de soutenir, non en paroles, mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole" (16).
Toutefois, le Parti Libéral Constitutionnel Tunisien (PLCT), qui est le principal parti du mouvement national tunisien, lors de sa création en 1920, limite sa stratégie à revendiquer l'autonomie dans le cadre du traité du Bardo (1881) qui institue le régime du protectorat. Le Néo-Destour, fondé en 1934 à la suite d'une scission dans le PLCT, devenu à son tour la principale formation politique, ne change pas de cap. L'indépendance de la Tunisie ne sera mise à l'ordre du jour par le Néo-Destour qu'après la signature des accords d'autonomie interne le 31 juillet 1954.
Mais pour l'heure, les nationalistes tunisiens améliorent leurs connaissances des régimes politiques en observant surtout le système français. Certains d'entre eux font leur apprentissage en politique en France, où ils font leurs études de droit ou de médecine dans la plupart des cas, et rentrent en Tunisie aussitôt qu'ils obtiennent leurs diplômes. Les autres, restés sur place, s'imprègnent des idées de participation et de gouvernance en côtoyant les Européens de gauche et lors des discussions au sein des cercles et des partis. Rappelons à ce propos que les nationalistess'organisentà leurs débuts autour du cercle tunisien connu sous le nom de mouvement "Jeunes Tunisiens", créé en 1907 par le leader Ali Bach Hamba, directeur de l'hebdomadaire Le Tunisien. Son programme politique est axé sur la participation des Tunisiens à l'administration du pays et l'égalité entre les deux éléments Français et Tunisiens(17). En un mot, les "Jeunes Tunisiens" appellent de leurs voeux "le rapprochement des deux races par une politique d'association" (18).
Le mode de gouvernement n'est pas à l'ordre du jour des "Jeunes Tunisiens", même s'ils demandent à la France d'octroyer une constitution aux Tunisiens(19). C'est juste pour revendiquer la liberté individuelle, la liberté de la presse et l'égalité devant la loi(20). La priorité n'est pas donnée à la question politique, comme l'entendait Khéreddine, mais plutôt à l'éducation, dont dépend le sort des Tunisiens. Pour commencer, l'enseignement primaire doit être gratuit, obligatoire et dispensé sur tout le territoire. Le gouvernement doit en outre faciliter l'enseignement secondaire et prendre en charge les étudiants du supérieur(21).
L'année 1920 constitue un moment important dans l'élaboration du programme politique des nationalistes tunisiens. Le mot d'ordre est pour une constitution, associée cette fois à la revendication d'une assemblée nationale tunisienne élue(22).Cela renvoie à la constitution de 1861 et au Conseil suprême qui en découle et signifie que les nationalistes restent fidèles à la monarchie constitutionnelle. Une différence essentielle mérite d'être signalée, c'est le fait que l'assemblée revendiquée en 1920 doit être élue au suffrage universel masculin.
Toutefois, suite aux dissensions qui éclatent au sein du PLCT, le programme politique se voit réduit. Désormais figure en tête l'institution d'une assemblée délibérative, composée par moitié de Français et de Tunisiens, élus au suffrage universel et ayant pour rôle de voter le budget et de confectionner les lois d'ordre intérieur(23). Cela donne une assemblée qui n'est pas tunisienne et dont les prérogatives législatives sont réduites. Il faut attendre le congrès des 12 et 13 mai 1933 pour que les nationalistes mettent en tête de leur programme l'institution d'un parlement tunisien élu au suffrage universel, maître de son ordre du jour et ayant un pouvoir législatif(24).
Quoi qu'il en soit, jusqu'en 1957, il n'a jamais été question de république dans les programmes des nationalistes(25). Ce qui nous amène à poser la question suivante : qu'est-ce qui a empêché l'élite politique tunisienne de revendiquer la république?
On pourrait apporter plusieurs réponses à cette question. Mais on se limitera ici à dire que le programme des nationalistes était timoré. Il n'est pas allé au-delà de l'autonomie. D'autre part, l'intérêt de la lutte nationale exigeait à leurs yeux de ne pas aborder les questions qui pourraient diviser les Tunisiens et d'essayer d'attirer le(s) Bey(s) dans leur camp comme cela s'était passéen avril 1922, lorsque Mohamed Naceur Bey menaça d'abdiquer, suite à une intrigue émanant de la résidence générale en Tunisie, et que le parti du Destour lui apporta son soutien ensuscitant des actions populaires en solidarité avec lui. Cela s'est reproduit pendant le règne de Moncef Bey (juin 1942- juillet 1943), qui a pris des initiatives souveraines.
Il ne faut pas oublier également que les autorités coloniales françaises ont imposé des lignes rouges à ne pas franchir. En premier lieu, elles ne permettent pas d'aborder la question de l'indépendance. La Fédération Communiste de Tunisie des années vingt en a fait les frais lorsqu'elle futinquiétée par la justice puis éliminée pour un long moment. En deuxième lieu, les mêmes autorités prirent prétexte de l'article III du traité du Bardo (1881) pour châtier sévèrement toute atteinte aux droits du Bey(26).Or, parler de république c'était attenter aux prérogatives du Bey.
Après 1956, date de la signature des conventions sur l'indépendance politique de la Tunisie, les conditions changent et le Bey ne jouit plus d'aucune protection. Le pas vers la république est alors franchi.
III. La République...mais en paroles
1) Bourguiba opte pour la république en 1957
Il n'est pas surprenant que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour à l'époque, ait opté pour la république. Ancien élève du Collège Sadiki, créé en 1885 par le premier ministre Khéreddine, puis étudiant en droit à Paris, comme beaucoup de Tunisiens, il se familiarise avec la scène politique française. Il est alors acquis à la culture française. Après la signature des conventions de 1956, il est nommé premier ministre du nouveau gouvernement. Il manoeuvre pour limiter progressivement les prérogatives du Bey(27) et ne tarde pas à mettre fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey pour ensuite proclamer la République le 25 juillet 1957(28). L'Assemblée constituante le nomme président de la République, à titre provisoire, en attendant la rédaction de la constitution(29).
Ce retournement de situation est un acte réfléchi de Bourguiba et de ses collaborateurs. Il rappelle le Code du Statut personnel, promulgué le 13 août 1956, et où Bourguiba a placé l'essentiel de la pensée de Tahar Haddad, connu pour sa défense des droits de la femme(30). Avant cette date, Bourguiba n'en avait soufflé mot. C'est dire que le colonialisme français, allié à l'aristocratie tunisienne représentée par le Bey et les fonctionnaires conservateurs(31) implantés surtout dans l'enseignement traditionnel et la justice charaïque, constitue une entrave aux débats francs et sincères et aux progrès des idées.
Lamine Bey a donné les preuves qu'il n'était qu'une marionnette, comme la plupart de ses ancêtres, entre les mains du colonialisme français(32). Contrairement à Mohammed V, roi du Maroc de 1927 à 1957, il n'a défendu ni son trône ni le peuple tunisien devant l'oppression du colonialisme français et son arrogance. C'est ce qui l'a complètement désavantagé au profit de Bourguiba, lequel ne peut souffrir de jouer un rôle de second plan.
La constitution écrite et proclamée le 1er juin 1959 institue un régime présidentiel et ouvre la voie à des élections auxquelles se présente Bourguiba en tant que seul candidat. Il est alors élu président de la République, à la quasi unanimité des suffrages.
Cet évènement est l'un des éléments qui marquèrent l'histoire de ce qu'il estactuellement convenu d'appeler la Première République. En fait, il s'agit plutôt d'une autocratie associée à une dictature, dans laquelle et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, destitué par la Révolution qui s'est déroulée entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir, à savoir le parti socialiste destourien, renommé pour la circonstance le Rassemblement Constitutionnel Démocrate (RCD) après le coup d'État de Ben Ali le 7 novembre 1987. La constitution fut à plusieurs reprises modifiée ; une fois pour accorder la présidence à vie à Bourguiba, et les fois suivantes, pour renouveler le mandat de Ben Ali. Après quatre mandats qui ont duré 28 ans, Bourguiba est écarté de la présidence par un coup d'État en 1987. Ce même coup d'État permet à Ben Ali de s'emparer du pouvoir et de se faire président grâce à des simulacres d'élections durant 5 mandats et 23 ans. Il est destitué par la Révolution qui l'oblige à fuir à l'étranger.
2) Une dictature en guise de république
Il est pertinent de s'interroger sur les causes de ce déficit démocratique en Tunisie, malgré la grande vitalité de la société tunisienne et l'éclat de sa culture.
Tenter de présenter une réflexion sur ce sujet demanderait une étude qui dépasse le cadre de cette contribution. Aussi, et pour la circonstance, nous voudrions soulever un seul point, celui du rôle des grandes puissances occidentales.
L'Occident, comme nous venons de le démontrer, est la source des grandes idées qui ont travaillé l'opinion tunisienne après la longue léthargie de la civilisation arabe, mais il est aussi à l'origine des difficultés que connaît la Tunisie après son accession à l'indépendance politique. Tout d'abord, si le colonialisme français s'écroule sous les coups du mouvement de libération nationale, qui passe aux armes pendant la dernière crise politique (1952-1956), il ne le fait que pour céder le terrain au néocolonialisme. Cette nouvelle situation est en effet le cadre dans lequel s'est créé un état de dépendance en Tunisie sur les plans économique, culturel et diplomatique. C'est la raison pour laquelle l'Occident s'immisce dans les affaires intérieures de la Tunisie et intervient constamment pour la maintenir dans sa sphère d'influence ce qui ne peut se faire que par la mise en place d'un régime politique antidémocratique.
Le régime destourien connaît une grave crise au milieu des années 80, sous le poids du surendettement. La solution recommandée par les institutions financières internationales, qui comme tout monde le sait sont les instruments d'intervention financière de l'Occident et notamment des USA, fut d'appliquer le plan d'ajustement structurel, axé sur une politique d'austérité, la libéralisation à outrance et la mobilisation des investissements étrangers.
Ben Ali, qui accède au pouvoir en 1987, fut le gardien de cette politique antinationale. Il a été soutenu par les puissances occidentales, et notamment par les USA qui l'ont recruté comme agent de renseignement, et par la France, dont la diplomatie, au temps de Nicolas Sarkozy, président de la République de 2007 à 2012, a défendu jusqu'au bout le régime contre les manifestants en janvier 2011, notamment en lui proposant une coopération policière(33).
Conclusion
Au contact de l'Europe, une élite tunisienne s'est formée depuis le milieu du XIXe. Son mot d'ordre initial est en faveur d'une monarchie constitutionnelle, à l'exemple des pays de l'Europe occidentale. Après une période d'indécision qui fait suite à l'occupation de la Tunisie par l'armée française et l'établissement du protectorat français, les nationalistes reprennent la revendication de leurs prédécesseurs, mais en l'associant au suffrage universel, en vogue à l'époque en Europe. Ce n'est qu'en se libérant du colonialisme français que Bourguiba, chef du nouveau gouvernement issu de l'indépendance politique, renverse le Bey et proclame la République, mais une république en paroles, puisque le régime politique au temps de Bourguiba et de Ben Ali est sous le joug de la dictature. Derrière ce déficit démocratique résident plusieurs facteurs, dont l'ingérence des puissances européennes.
Mais il convient de signaler que, pendant ce temps, l'opposition démocratique a milité en faveur d'une république démocratique. La Révolution du 14 janvier 2011 a balayé la dictature de Ben Ali et a effectivement ouvert la voie à une série de réalisations et de transformations qui ont été couronnées par la promulgation de la constitution de janvier 2014, laquelle édifie la république démocratique tant attendue.
Ce processus n'est toutefois pas irréversible, puisque les élections de 2014 ont donné pour la deuxième fois le pouvoir aux partis de la contre-révolution qui ont des liens forts avec la réaction mondiale. Les deux principaux partis, le parti du président et du chef du gouvernement Nida Tounès et le parti d'Ennahdha, qui fait partie de l'équipe dirigeante, sont pour le premier une reconduction du parti du Rassemblement démocratique de Ben Ali(34), et pour le second une filiale de l'organisation internationale des "Frères Musulmans" partisane du califat comme forme de gouvernement. Ces deux partis dirigent la République issue de la révolution, mais aucun d'entre eux n'a les mains libres pour instituer le régime auquel chacun d'entre eux aspire.
Notes :
Notes
1- Chenoufi (A), Le ministre Khéreddine et ses contemporains -XIXe siècle-, Notice biographique du Général Khéreddine, Tunis, Fondation Nationale Carthage, 1990.
Krieken, G. S. van, Khayral-din et la Tunisie (1850-1881), Leiden E. J. Brill, 1976.
2- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans, essai formant la première partie de l'ouvrage politique et statistique intitulé "Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"" (préface), traduit de l'arabe sous la direction de l'auteur, Revue Tunisienne, numéro 12, octobre 1896, pp. 501-522.
3- M. S. Mzali et J. Pignon, "Documents sur Khéreddine- A mes enfants Mémoire de ma vie privée et politique", Revue tunisienne, 2° trim 1934, n° 18, p. 177-212.
4- Ettounsi, Khéreddine, Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik ("Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"), préface de Mohamed Haddad, Maison du livre égyptien (le Caire) et Maison du livre libanais (Beyrouth), 2012.
5- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans", op. cit., p. 509.
6- Ibidem, p. 510.
7- D'après Khéreddine, Jésus a défendu aux apôtres de s'immiscer dans les affaires temporelles et a dit que son royaume n'est pas de ce monde. Idem.
8- Demeerseman (A), "Au berceau des premières réformes démocratiques en Tunisie", IBLA, t. 20, 1957, p. 1-12.
9- Ganiage (J), Les origines du Protectorat français en Tunisie (1861-1881), Paris, PUF, 1959.
10- Smida (M), Khéreddine ministre réformateur 1873-1877, Tunis, Maison Tunisienne de l'Edition, 1970.
11- En 1934, il lui fut attribué le patronyme Atatürk.
12- Comité algéro-tunisien, "Les revendications du peuple algéro-tunisien", La Revue du Maghreb, septembre-décembre 1918, pp. 129-137.
13- Comité algéro-tunisien, Télégramme, Idem, pp. 138-140.
14- Ben Temime (L), La Fédération Communiste de Tunisie 1921-1922 un effort précoce de tunisification, Mémoire de maîtrise, Université de Paris, 1976.
15- Lénine (V), "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes (Thèses)", uvres complètes, t. 22, Editions sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1977, pp. 155-170.
16- Thèses, manifestes et résolutions adoptés par les Ie,IIe, IIIe et IVe congrès de l'Internationale communiste (1919-1922), http://www.communisme-bolchevisme.net/download/IC_congres_1919_1922, consulté le 20 novembre 2016.
17- Julien (Ch-A), "Colons français et Jeunes Tunisiens 1882-1912", Extrait de la Revue française d'histoire d'outre- mer, t. LIV, 1967, p. 87.
18- Khairallah (Ch.), Le mouvement évolutionniste tunisien (Notes et documents), tome 1, Editions de l'Imprimerie de Tunis, sans date, p. 51.
19- Zaouche (A), "La Tunisie et le destour", Le Tunisien, du 27 août 1908.
20- Idem.
21- Anonyme, "Notre programme", Le Tunisien, du 7 février 1907.
22- "Statut organique du Destour", publié dans le journal La Voix du Tunisien, du 9 septembre 1932.
23- Farhat, Salah, "Notre programme", Le Libéral, n° 1 du 29 novembre 1924.
24- El Irada,du 8 janvier 1934.
25- Anonyme, La Tunisie martyre Ses revendications, Paris, Editions Jouve et Cie, 1920, p. 209.
26- La législation sur le délit politique en Tunisie pendant la période coloniale (1881-1926): source et teneur, Revue d'Histoire Maghrébine, n° 106- février 2002, pp 9-30.
27- Lissir (F),La politique des étapes de Bourguiba dans le processus de la proclamation de la République tunisienne (en arabe), Turess, http://www.turess.com/hakaek/94968 (visité le 24 décembre 2016).
28- JORT, n° 1 du 26 juillet 1957.
29- Ibidem..
30- Haddad, Tahar, Notre femme dans la législation musulmane et la société, traduction de Manoubia Ben Ghedahem, en voie de publication.
31- Nous disons fonctionnaires et non hommes de religion, étant donné qu'en Islam il n'y a pas de clergé comme c'est le cas dans l'Eglise.
32- Julien, Charles-André, Et la Tunisie devint indépendante (1951-1957), Tunis, Les éditions Jeune Afrique / S.T.D., 1985, p. 78.
33- http://www.lemonde.fr/international/article/2011/01/15/la-diplomatie-francaise-a-defendu-jusqu-au-bout-le-regime-tunisien_1466021_3210.html, visité le 11 décembre 2016.
34- Le parti Nidaa Tounes est constitué autour de la personne de Béji Caïd Essebsi le 20 avril 2012. Il rassemble en son sein des gens issus principalement de la mouvance destourienne mais aussi des syndicats et de la gauche réformiste.
La Tunisie sous le protectorat français : terre ouverte aux idées politiques nouvelles
Citation :
Résumé
Il est question dans cette contribution de l'évolution des conceptions concernant le régime politique que les modernistes et ensuite les nationalistes tunisiens ont développées depuis le milieu du XIXe siècle. Pour Khereddine Pacha, fondateur du modernisme tunisien, l'idéal est la monarchie constitutionnelle. Les nationalistes, ses successeurs, donnent la priorité à l'autonomie de la Tunisie. Ils revendiquent en 1920 une constitution associée à une assemblée nationale tunisienne élue au suffrage universel masculin, sans remettre en question la monarchie.
Il faut attendre l'année 1957 pour que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour et premier ministre, mette fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey et proclame la République. La constitution promulguée en 1959 accouche d'un régime présidentiel qui, loin de suivre la voie démocratique, s'accommode d'une autocratie associée à une dictature dans laquelle, et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir.
Summary
This contribution is about the evolution of concepts concerning the political regime that the modernist followed by the tunisian nationalists developed since mid- nineteenth century. For Khereddine Pacha, the founder of the tunisian modernism, the ideal is to be found within a constitutional monarchy context. His successors, the nationalists, gave priority to the independence of Tunisia. In 1920, they claimed a constitution associated with a Tunisian national assembly elected for the male universal vote without questioning the monarchy. They had to wait for 1957 when Habib Bourguiba, chief of Neo-Destour and the first minister, put an end to the monarchy by dethroning Lamine Bey, hence, proclaiming the Republic. The constitution promulgated in 1959 gave birth to a dictatorship during which all the institutions of the state deviated from their roles to become handovers to the parties in power during the reigns of Bourguiba and Ben Ali.
Introduction
Parler d'idées nouvelles en Tunisie au temps du protectorat français, c'est chercher dans une histoire qui n'est pas très lointaine l'ébauche, non pas du modernisme sous ses aspects spéculatifs et pratiques, mais précisément des idées modernistes, en l'occurrence des idées concernant le régime politique. Cependant, ce serait une erreur de rattacher l'émergence des idées modernistes à l'établissement du protectorat en 1881, puisque la Tunisie commence à penser la modernité depuis le règne d'Ahmed Bey (1837-1855). On pourrait toutefois affirmer que ce processus devient irréversible, même s'il suit une ligne tortueuse, depuis 1881, date de l'occupation de la Tunisie par l'armée française et de sa colonisation.
Les modernistes tunisiens de l'époque avaient beaucoup d'espoir dans le changement du régime politique à l'époque où les Beys husseinites exerçaient un pouvoir absolu, autocratique et héréditaire. Ce fut l'époque de Khéreddine Pacha. La situation ne va pas changer avec la colonisation française, puisque la France va gouverner la Tunisie au nom du Bey soumis. Les nationalistes prennent le relai de la modernisation politique. À ce sujet, il convient de rappeler que le mouvement national a dû attendre plus de vingt ans pour voir le jour. Son histoire est justement celle de cette dynamique intellectuelle qui a trouvé dans le politique son terrain favori.
Les nouvelles idées provenant de l'Orient et de l'Europe trouvent une bonne réception au sein d'une partie de l'élite intellectuelle éclairée, dont l'adhésion aux idéaux nouveaux ne s'est pas faite sans éclectisme et sans inconséquences.
En revenant sur ces idées, nous allons essayer d'analyser la nature du régime politique auquel aspirent les modernistes tunisiens. Nous voulons également réfléchir sur les circonstances qui ont fait que leurs conceptions politiques ont été de fait assez limitées. Mais peut-on éluder une question qui, quoiqu'elle dépasse le cadre historique de notre étude, est très pertinente: quelle suite les deux présidents Bourguiba et Ben Ali ont-ils donnée aux aspirations des modernistes tunisiens?
I. Un précurseur du modernisme politique: Khéreddine Pacha
Khéreddine Pacha, né vers 1822, est d'origine circassienne. Il est le chef de file des premiers modernistes tunisiens, dont il est considéré comme le père fondateur. Réduit en esclavage, il fut vendu à Ahmed Pacha Bey (1837- 1855) en Tunisie, où il fit une carrière militaire. Par la suite, il occupa le poste de ministre puis de premier ministre (1873-1877). Il voyagea beaucoup à l'étranger pour de nombreuses missions dans dix-neuf pays européens, sans compter ses voyages à Istanbul. Il assumait d'autres charges : en 1861, il fut désigné vice-président puis président du Conseil suprême et en 1869, il fut nommé président de la Commission financière. Après son départ en Turquie, il obtint le titre de grand vizir du sultan Abdülhamid II. Il occupa ce poste de 1878 à 1879 et s'éteignit en 1890 à Istanbul(1).
D'après La Revue Tunisienne, Khéreddine a subi dans sa carrière deux influences très différentes qui se sont mêlées et parfois contredites, celle de la politique ottomane et celle de la civilisation occidentale(2). Il est clair que ce qui le préoccupait du côté de l'Empire ottoman,c'était son intégrité territoriale et la sauvegarde de la Tunisie contre les convoitises des puissances européennes, ainsi que la reconnaissance de son autonomie(3). Par contre, ce qui l'intéressait du côté des Européens, c'était le degré de civilisation qu'ils avaient atteint et dont il était un fervent admirateur.
Khéreddine publia en 1867 son ouvrage intitulé Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik(4). Dans la première partie, traduite en français et publiée pour la première fois à Paris chez Dupont en 1868 puis reproduite dans la Revue Tunisienne, il met l'accent sur l'importance des institutions politiques basées sur la justice et la liberté comme cause primordiale des progrès réalisés par les pays européens(5). Il incite ses coreligionnaires à suivre l'exemple des Européens dans la sécularisation du régime politique(6). Il explique, en citant Jésus Christ, que les institutions politiques européennes ne se fondent pas sur la religion comme c'est le cas chez les musulmans(7).
Dans le reste des parties de l'ouvrage, il s'étend longuement sur le bon fonctionnement des institutions politiques dans ces pays européens qu'il a visités, en se focalisant sur leurs constitutions. C'est la méthode de Khéreddine pour secouer l'apathie de ses lecteurs et pour les instruire sur le fonctionnement et les bienfaits des institutions européennes.
À vrai dire Khéreddine ne propose pas ouvertement une forme de gouvernement. Mais implicitement, il préconise la monarchie constitutionnelle, comme l'admet l'arabisant Demeerseman(8). En fait, il ne peut pas entrevoir un régime politique plus avancé, la république en l'occurrence, vu la situation de grande déchéance de la société tunisienne, notamment après la terrible répression qui a suivi la révolte populaire de 1864, l'abrutissement des Beys et la perversité de leur entourage. Il ne le peut pas également puisqu'il n'y a aucun gouvernement qui se proclame de la république en Europe, sa source d'inspiration. La France, qu'il prend pour modèle, accepte de s'incliner devant l'empereur Napoléon III et de renoncer à la jeune République en 1851. L'Italie, le pays européen le plus proche de la Tunisie, vient à peine de se libérer de la domination autrichienne et de se constituer en État-nation gouverné par le roi Victor Emmanuel en 1861. Dans tous les cas ou presque, c'est le régime de la monarchie constitutionnelle qui prévaut.
En réalité, Khéreddine n'innove pas en matière politique en ce qui concerne la Tunisie puisque Mohamed Sadok Bey (1859-1882) a déjà promulgué une constitution en 1861, laquelle a donné naissance au Grand Conseil, parlement dont les membres sont nommés et à d'autres réformes à caractère législatif et judiciaire(9). L'élite moderniste, avec Khéreddine en tête, a uvré pour les faire aboutir et a largement contribué à la rédaction de leurs textes constitutifs.
Mais toutes ces réformes ne vont pas résister à l'aversion du Bey et de son entourage pour un État quelque peu légal où le pouvoir s'exerce conformément à la loi. En effet, leBey les fait suspendre à l'occasion de la Révolte populaire de 1964.
Il serait pertinent alors de se demander si Khéreddine a voulu rappeler, par son ouvrage, les bienfaits d'un pouvoir contrôlé reposant sur une large délégation de pouvoirs ou bien s'il a essayé de réfléchir sur les conditions de réussite d'une nouvelle expérience parlementaire. Mais paradoxalement, la possibilité de reprendre cette expérience s'est présentée à lui lorsqu'il a été appelé au poste de premier ministre, qu'il a occupé de 1873 à 1877. Cependant, il n'a procédé à aucun changement au niveau de l'organisation politique à un moment où il adopte un train de réformes touchant les domaines de l'administration, de la justice, de l'enseignement, de la fiscalité, etc(10).
Les successeurs de Khéreddine se trouveront dans une situation différente qui leur imposera un changement de programme.
II. Les nationalistes tunisiens veulent une monarchie constitutionnelle
L'établissement du protectorat français en Tunisie a fait une obstruction à la continuation du projet de Khéreddine consistant à moderniser le régime des Beys husseinites. La priorité fut alors donnée à l'autonomie de la Tunisie vis-à-vis du pays colonisateur.
Mais il convient de signaler que la Tunisie, tout en continuant à recevoir les idées de l'extérieur, devient simultanément un foyer dont l'élite produit des idées nouvelles. Dans le domaine politique, cette élite accueille de l'Orient l'idée d'indépendance, surtout au sortir de la Première Guerre mondiale. En Égypte,grandit un mouvement indépendantiste, le Wafd, dirigé par Saad Zaghloul (1858-1927). Il oblige le Royaume-Uni à accorder l'autonomie interne au pays, qui se dote d'une constitution et organise des élections législatives en 1923. En Turquie Mustafa Kemal Pacha(11) (1881- 1938) libère le pays des envahisseurs occidentaux et proclame la République en 1923.
L'idée d'indépendance se fait jour par l'intermédiaire de Tunisiens émigrés,comme Mohamed Bach Hamba (1881-1920), séjournant à Genève. Les principes concernant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, repris par le président américain Woodrow Wilson, trouvent un large écho en Tunisie. L'idée de l'autodétermination est mise en avant par le Comité algéro-tunisien, dont le siège est à Genève, dans un mémoire adressé au congrès de la Paix(12) et le télégramme envoyé le 2 janvier 1919, par le même Comité au président Wilson(13). Les communistes français en Tunisie propagent l'idée d'indépendance au sein de la population tunisienne, ils en font l'axe central de leur stratégie. Pour la réaliser, ils fondent la Fédération Communiste de Tunisie en 1921(14). Cette ligne fait écho à la théorie de Lénine sur la question des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes(15) et applique la 8e condition d'admission des partis dans l'Internationale Communiste, qui consiste dans le devoir "de soutenir, non en paroles, mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole" (16).
Toutefois, le Parti Libéral Constitutionnel Tunisien (PLCT), qui est le principal parti du mouvement national tunisien, lors de sa création en 1920, limite sa stratégie à revendiquer l'autonomie dans le cadre du traité du Bardo (1881) qui institue le régime du protectorat. Le Néo-Destour, fondé en 1934 à la suite d'une scission dans le PLCT, devenu à son tour la principale formation politique, ne change pas de cap. L'indépendance de la Tunisie ne sera mise à l'ordre du jour par le Néo-Destour qu'après la signature des accords d'autonomie interne le 31 juillet 1954.
Mais pour l'heure, les nationalistes tunisiens améliorent leurs connaissances des régimes politiques en observant surtout le système français. Certains d'entre eux font leur apprentissage en politique en France, où ils font leurs études de droit ou de médecine dans la plupart des cas, et rentrent en Tunisie aussitôt qu'ils obtiennent leurs diplômes. Les autres, restés sur place, s'imprègnent des idées de participation et de gouvernance en côtoyant les Européens de gauche et lors des discussions au sein des cercles et des partis. Rappelons à ce propos que les nationalistess'organisentà leurs débuts autour du cercle tunisien connu sous le nom de mouvement "Jeunes Tunisiens", créé en 1907 par le leader Ali Bach Hamba, directeur de l'hebdomadaire Le Tunisien. Son programme politique est axé sur la participation des Tunisiens à l'administration du pays et l'égalité entre les deux éléments Français et Tunisiens(17). En un mot, les "Jeunes Tunisiens" appellent de leurs voeux "le rapprochement des deux races par une politique d'association" (18).
Le mode de gouvernement n'est pas à l'ordre du jour des "Jeunes Tunisiens", même s'ils demandent à la France d'octroyer une constitution aux Tunisiens(19). C'est juste pour revendiquer la liberté individuelle, la liberté de la presse et l'égalité devant la loi(20). La priorité n'est pas donnée à la question politique, comme l'entendait Khéreddine, mais plutôt à l'éducation, dont dépend le sort des Tunisiens. Pour commencer, l'enseignement primaire doit être gratuit, obligatoire et dispensé sur tout le territoire. Le gouvernement doit en outre faciliter l'enseignement secondaire et prendre en charge les étudiants du supérieur(21).
L'année 1920 constitue un moment important dans l'élaboration du programme politique des nationalistes tunisiens. Le mot d'ordre est pour une constitution, associée cette fois à la revendication d'une assemblée nationale tunisienne élue(22).Cela renvoie à la constitution de 1861 et au Conseil suprême qui en découle et signifie que les nationalistes restent fidèles à la monarchie constitutionnelle. Une différence essentielle mérite d'être signalée, c'est le fait que l'assemblée revendiquée en 1920 doit être élue au suffrage universel masculin.
Toutefois, suite aux dissensions qui éclatent au sein du PLCT, le programme politique se voit réduit. Désormais figure en tête l'institution d'une assemblée délibérative, composée par moitié de Français et de Tunisiens, élus au suffrage universel et ayant pour rôle de voter le budget et de confectionner les lois d'ordre intérieur(23). Cela donne une assemblée qui n'est pas tunisienne et dont les prérogatives législatives sont réduites. Il faut attendre le congrès des 12 et 13 mai 1933 pour que les nationalistes mettent en tête de leur programme l'institution d'un parlement tunisien élu au suffrage universel, maître de son ordre du jour et ayant un pouvoir législatif(24).
Quoi qu'il en soit, jusqu'en 1957, il n'a jamais été question de république dans les programmes des nationalistes(25). Ce qui nous amène à poser la question suivante : qu'est-ce qui a empêché l'élite politique tunisienne de revendiquer la république?
On pourrait apporter plusieurs réponses à cette question. Mais on se limitera ici à dire que le programme des nationalistes était timoré. Il n'est pas allé au-delà de l'autonomie. D'autre part, l'intérêt de la lutte nationale exigeait à leurs yeux de ne pas aborder les questions qui pourraient diviser les Tunisiens et d'essayer d'attirer le(s) Bey(s) dans leur camp comme cela s'était passéen avril 1922, lorsque Mohamed Naceur Bey menaça d'abdiquer, suite à une intrigue émanant de la résidence générale en Tunisie, et que le parti du Destour lui apporta son soutien ensuscitant des actions populaires en solidarité avec lui. Cela s'est reproduit pendant le règne de Moncef Bey (juin 1942- juillet 1943), qui a pris des initiatives souveraines.
Il ne faut pas oublier également que les autorités coloniales françaises ont imposé des lignes rouges à ne pas franchir. En premier lieu, elles ne permettent pas d'aborder la question de l'indépendance. La Fédération Communiste de Tunisie des années vingt en a fait les frais lorsqu'elle futinquiétée par la justice puis éliminée pour un long moment. En deuxième lieu, les mêmes autorités prirent prétexte de l'article III du traité du Bardo (1881) pour châtier sévèrement toute atteinte aux droits du Bey(26).Or, parler de république c'était attenter aux prérogatives du Bey.
Après 1956, date de la signature des conventions sur l'indépendance politique de la Tunisie, les conditions changent et le Bey ne jouit plus d'aucune protection. Le pas vers la république est alors franchi.
III. La République...mais en paroles
1) Bourguiba opte pour la république en 1957
Il n'est pas surprenant que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour à l'époque, ait opté pour la république. Ancien élève du Collège Sadiki, créé en 1885 par le premier ministre Khéreddine, puis étudiant en droit à Paris, comme beaucoup de Tunisiens, il se familiarise avec la scène politique française. Il est alors acquis à la culture française. Après la signature des conventions de 1956, il est nommé premier ministre du nouveau gouvernement. Il manoeuvre pour limiter progressivement les prérogatives du Bey(27) et ne tarde pas à mettre fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey pour ensuite proclamer la République le 25 juillet 1957(28). L'Assemblée constituante le nomme président de la République, à titre provisoire, en attendant la rédaction de la constitution(29).
Ce retournement de situation est un acte réfléchi de Bourguiba et de ses collaborateurs. Il rappelle le Code du Statut personnel, promulgué le 13 août 1956, et où Bourguiba a placé l'essentiel de la pensée de Tahar Haddad, connu pour sa défense des droits de la femme(30). Avant cette date, Bourguiba n'en avait soufflé mot. C'est dire que le colonialisme français, allié à l'aristocratie tunisienne représentée par le Bey et les fonctionnaires conservateurs(31) implantés surtout dans l'enseignement traditionnel et la justice charaïque, constitue une entrave aux débats francs et sincères et aux progrès des idées.
Lamine Bey a donné les preuves qu'il n'était qu'une marionnette, comme la plupart de ses ancêtres, entre les mains du colonialisme français(32). Contrairement à Mohammed V, roi du Maroc de 1927 à 1957, il n'a défendu ni son trône ni le peuple tunisien devant l'oppression du colonialisme français et son arrogance. C'est ce qui l'a complètement désavantagé au profit de Bourguiba, lequel ne peut souffrir de jouer un rôle de second plan.
La constitution écrite et proclamée le 1er juin 1959 institue un régime présidentiel et ouvre la voie à des élections auxquelles se présente Bourguiba en tant que seul candidat. Il est alors élu président de la République, à la quasi unanimité des suffrages.
Cet évènement est l'un des éléments qui marquèrent l'histoire de ce qu'il estactuellement convenu d'appeler la Première République. En fait, il s'agit plutôt d'une autocratie associée à une dictature, dans laquelle et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, destitué par la Révolution qui s'est déroulée entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir, à savoir le parti socialiste destourien, renommé pour la circonstance le Rassemblement Constitutionnel Démocrate (RCD) après le coup d'État de Ben Ali le 7 novembre 1987. La constitution fut à plusieurs reprises modifiée ; une fois pour accorder la présidence à vie à Bourguiba, et les fois suivantes, pour renouveler le mandat de Ben Ali. Après quatre mandats qui ont duré 28 ans, Bourguiba est écarté de la présidence par un coup d'État en 1987. Ce même coup d'État permet à Ben Ali de s'emparer du pouvoir et de se faire président grâce à des simulacres d'élections durant 5 mandats et 23 ans. Il est destitué par la Révolution qui l'oblige à fuir à l'étranger.
2) Une dictature en guise de république
Il est pertinent de s'interroger sur les causes de ce déficit démocratique en Tunisie, malgré la grande vitalité de la société tunisienne et l'éclat de sa culture.
Tenter de présenter une réflexion sur ce sujet demanderait une étude qui dépasse le cadre de cette contribution. Aussi, et pour la circonstance, nous voudrions soulever un seul point, celui du rôle des grandes puissances occidentales.
L'Occident, comme nous venons de le démontrer, est la source des grandes idées qui ont travaillé l'opinion tunisienne après la longue léthargie de la civilisation arabe, mais il est aussi à l'origine des difficultés que connaît la Tunisie après son accession à l'indépendance politique. Tout d'abord, si le colonialisme français s'écroule sous les coups du mouvement de libération nationale, qui passe aux armes pendant la dernière crise politique (1952-1956), il ne le fait que pour céder le terrain au néocolonialisme. Cette nouvelle situation est en effet le cadre dans lequel s'est créé un état de dépendance en Tunisie sur les plans économique, culturel et diplomatique. C'est la raison pour laquelle l'Occident s'immisce dans les affaires intérieures de la Tunisie et intervient constamment pour la maintenir dans sa sphère d'influence ce qui ne peut se faire que par la mise en place d'un régime politique antidémocratique.
Le régime destourien connaît une grave crise au milieu des années 80, sous le poids du surendettement. La solution recommandée par les institutions financières internationales, qui comme tout monde le sait sont les instruments d'intervention financière de l'Occident et notamment des USA, fut d'appliquer le plan d'ajustement structurel, axé sur une politique d'austérité, la libéralisation à outrance et la mobilisation des investissements étrangers.
Ben Ali, qui accède au pouvoir en 1987, fut le gardien de cette politique antinationale. Il a été soutenu par les puissances occidentales, et notamment par les USA qui l'ont recruté comme agent de renseignement, et par la France, dont la diplomatie, au temps de Nicolas Sarkozy, président de la République de 2007 à 2012, a défendu jusqu'au bout le régime contre les manifestants en janvier 2011, notamment en lui proposant une coopération policière(33).
Conclusion
Au contact de l'Europe, une élite tunisienne s'est formée depuis le milieu du XIXe. Son mot d'ordre initial est en faveur d'une monarchie constitutionnelle, à l'exemple des pays de l'Europe occidentale. Après une période d'indécision qui fait suite à l'occupation de la Tunisie par l'armée française et l'établissement du protectorat français, les nationalistes reprennent la revendication de leurs prédécesseurs, mais en l'associant au suffrage universel, en vogue à l'époque en Europe. Ce n'est qu'en se libérant du colonialisme français que Bourguiba, chef du nouveau gouvernement issu de l'indépendance politique, renverse le Bey et proclame la République, mais une république en paroles, puisque le régime politique au temps de Bourguiba et de Ben Ali est sous le joug de la dictature. Derrière ce déficit démocratique résident plusieurs facteurs, dont l'ingérence des puissances européennes.
Mais il convient de signaler que, pendant ce temps, l'opposition démocratique a milité en faveur d'une république démocratique. La Révolution du 14 janvier 2011 a balayé la dictature de Ben Ali et a effectivement ouvert la voie à une série de réalisations et de transformations qui ont été couronnées par la promulgation de la constitution de janvier 2014, laquelle édifie la république démocratique tant attendue.
Ce processus n'est toutefois pas irréversible, puisque les élections de 2014 ont donné pour la deuxième fois le pouvoir aux partis de la contre-révolution qui ont des liens forts avec la réaction mondiale. Les deux principaux partis, le parti du président et du chef du gouvernement Nida Tounès et le parti d'Ennahdha, qui fait partie de l'équipe dirigeante, sont pour le premier une reconduction du parti du Rassemblement démocratique de Ben Ali(34), et pour le second une filiale de l'organisation internationale des "Frères Musulmans" partisane du califat comme forme de gouvernement. Ces deux partis dirigent la République issue de la révolution, mais aucun d'entre eux n'a les mains libres pour instituer le régime auquel chacun d'entre eux aspire.
Notes :
Notes
1- Chenoufi (A), Le ministre Khéreddine et ses contemporains -XIXe siècle-, Notice biographique du Général Khéreddine, Tunis, Fondation Nationale Carthage, 1990.
Krieken, G. S. van, Khayral-din et la Tunisie (1850-1881), Leiden E. J. Brill, 1976.
2- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans, essai formant la première partie de l'ouvrage politique et statistique intitulé "Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"" (préface), traduit de l'arabe sous la direction de l'auteur, Revue Tunisienne, numéro 12, octobre 1896, pp. 501-522.
3- M. S. Mzali et J. Pignon, "Documents sur Khéreddine- A mes enfants Mémoire de ma vie privée et politique", Revue tunisienne, 2° trim 1934, n° 18, p. 177-212.
4- Ettounsi, Khéreddine, Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik ("Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"), préface de Mohamed Haddad, Maison du livre égyptien (le Caire) et Maison du livre libanais (Beyrouth), 2012.
5- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans", op. cit., p. 509.
6- Ibidem, p. 510.
7- D'après Khéreddine, Jésus a défendu aux apôtres de s'immiscer dans les affaires temporelles et a dit que son royaume n'est pas de ce monde. Idem.
8- Demeerseman (A), "Au berceau des premières réformes démocratiques en Tunisie", IBLA, t. 20, 1957, p. 1-12.
9- Ganiage (J), Les origines du Protectorat français en Tunisie (1861-1881), Paris, PUF, 1959.
10- Smida (M), Khéreddine ministre réformateur 1873-1877, Tunis, Maison Tunisienne de l'Edition, 1970.
11- En 1934, il lui fut attribué le patronyme Atatürk.
12- Comité algéro-tunisien, "Les revendications du peuple algéro-tunisien", La Revue du Maghreb, septembre-décembre 1918, pp. 129-137.
13- Comité algéro-tunisien, Télégramme, Idem, pp. 138-140.
14- Ben Temime (L), La Fédération Communiste de Tunisie 1921-1922 un effort précoce de tunisification, Mémoire de maîtrise, Université de Paris, 1976.
15- Lénine (V), "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes (Thèses)", uvres complètes, t. 22, Editions sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1977, pp. 155-170.
16- Thèses, manifestes et résolutions adoptés par les Ie,IIe, IIIe et IVe congrès de l'Internationale communiste (1919-1922), http://www.communisme-bolchevisme.net/download/IC_congres_1919_1922, consulté le 20 novembre 2016.
17- Julien (Ch-A), "Colons français et Jeunes Tunisiens 1882-1912", Extrait de la Revue française d'histoire d'outre- mer, t. LIV, 1967, p. 87.
18- Khairallah (Ch.), Le mouvement évolutionniste tunisien (Notes et documents), tome 1, Editions de l'Imprimerie de Tunis, sans date, p. 51.
19- Zaouche (A), "La Tunisie et le destour", Le Tunisien, du 27 août 1908.
20- Idem.
21- Anonyme, "Notre programme", Le Tunisien, du 7 février 1907.
22- "Statut organique du Destour", publié dans le journal La Voix du Tunisien, du 9 septembre 1932.
23- Farhat, Salah, "Notre programme", Le Libéral, n° 1 du 29 novembre 1924.
24- El Irada,du 8 janvier 1934.
25- Anonyme, La Tunisie martyre Ses revendications, Paris, Editions Jouve et Cie, 1920, p. 209.
26- La législation sur le délit politique en Tunisie pendant la période coloniale (1881-1926): source et teneur, Revue d'Histoire Maghrébine, n° 106- février 2002, pp 9-30.
27- Lissir (F),La politique des étapes de Bourguiba dans le processus de la proclamation de la République tunisienne (en arabe), Turess, http://www.turess.com/hakaek/94968 (visité le 24 décembre 2016).
28- JORT, n° 1 du 26 juillet 1957.
29- Ibidem..
30- Haddad, Tahar, Notre femme dans la législation musulmane et la société, traduction de Manoubia Ben Ghedahem, en voie de publication.
31- Nous disons fonctionnaires et non hommes de religion, étant donné qu'en Islam il n'y a pas de clergé comme c'est le cas dans l'Eglise.
32- Julien, Charles-André, Et la Tunisie devint indépendante (1951-1957), Tunis, Les éditions Jeune Afrique / S.T.D., 1985, p. 78.
33- http://www.lemonde.fr/international/article/2011/01/15/la-diplomatie-francaise-a-defendu-jusqu-au-bout-le-regime-tunisien_1466021_3210.html, visité le 11 décembre 2016.
34- Le parti Nidaa Tounes est constitué autour de la personne de Béji Caïd Essebsi le 20 avril 2012. Il rassemble en son sein des gens issus principalement de la mouvance destourienne mais aussi des syndicats et de la gauche réformiste.
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Résumé
Il est question dans cette contribution de l'évolution des conceptions concernant le régime politique que les modernistes et ensuite les nationalistes tunisiens ont développées depuis le milieu du XIXe siècle. Pour Khereddine Pacha, fondateur du modernisme tunisien, l'idéal est la monarchie constitutionnelle. Les nationalistes, ses successeurs, donnent la priorité à l'autonomie de la Tunisie. Ils revendiquent en 1920 une constitution associée à une assemblée nationale tunisienne élue au suffrage universel masculin, sans remettre en question la monarchie.
Il faut attendre l'année 1957 pour que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour et premier ministre, mette fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey et proclame la République. La constitution promulguée en 1959 accouche d'un régime présidentiel qui, loin de suivre la voie démocratique, s'accommode d'une autocratie associée à une dictature dans laquelle, et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir.
Summary
This contribution is about the evolution of concepts concerning the political regime that the modernist followed by the tunisian nationalists developed since mid- nineteenth century. For Khereddine Pacha, the founder of the tunisian modernism, the ideal is to be found within a constitutional monarchy context. His successors, the nationalists, gave priority to the independence of Tunisia. In 1920, they claimed a constitution associated with a Tunisian national assembly elected for the male universal vote without questioning the monarchy. They had to wait for 1957 when Habib Bourguiba, chief of Neo-Destour and the first minister, put an end to the monarchy by dethroning Lamine Bey, hence, proclaiming the Republic. The constitution promulgated in 1959 gave birth to a dictatorship during which all the institutions of the state deviated from their roles to become handovers to the parties in power during the reigns of Bourguiba and Ben Ali.
Introduction
Parler d'idées nouvelles en Tunisie au temps du protectorat français, c'est chercher dans une histoire qui n'est pas très lointaine l'ébauche, non pas du modernisme sous ses aspects spéculatifs et pratiques, mais précisément des idées modernistes, en l'occurrence des idées concernant le régime politique. Cependant, ce serait une erreur de rattacher l'émergence des idées modernistes à l'établissement du protectorat en 1881, puisque la Tunisie commence à penser la modernité depuis le règne d'Ahmed Bey (1837-1855). On pourrait toutefois affirmer que ce processus devient irréversible, même s'il suit une ligne tortueuse, depuis 1881, date de l'occupation de la Tunisie par l'armée française et de sa colonisation.
Les modernistes tunisiens de l'époque avaient beaucoup d'espoir dans le changement du régime politique à l'époque où les Beys husseinites exerçaient un pouvoir absolu, autocratique et héréditaire. Ce fut l'époque de Khéreddine Pacha. La situation ne va pas changer avec la colonisation française, puisque la France va gouverner la Tunisie au nom du Bey soumis. Les nationalistes prennent le relai de la modernisation politique. À ce sujet, il convient de rappeler que le mouvement national a dû attendre plus de vingt ans pour voir le jour. Son histoire est justement celle de cette dynamique intellectuelle qui a trouvé dans le politique son terrain favori.
Les nouvelles idées provenant de l'Orient et de l'Europe trouvent une bonne réception au sein d'une partie de l'élite intellectuelle éclairée, dont l'adhésion aux idéaux nouveaux ne s'est pas faite sans éclectisme et sans inconséquences.
En revenant sur ces idées, nous allons essayer d'analyser la nature du régime politique auquel aspirent les modernistes tunisiens. Nous voulons également réfléchir sur les circonstances qui ont fait que leurs conceptions politiques ont été de fait assez limitées. Mais peut-on éluder une question qui, quoiqu'elle dépasse le cadre historique de notre étude, est très pertinente: quelle suite les deux présidents Bourguiba et Ben Ali ont-ils donnée aux aspirations des modernistes tunisiens?
I. Un précurseur du modernisme politique: Khéreddine Pacha
Khéreddine Pacha, né vers 1822, est d'origine circassienne. Il est le chef de file des premiers modernistes tunisiens, dont il est considéré comme le père fondateur. Réduit en esclavage, il fut vendu à Ahmed Pacha Bey (1837- 1855) en Tunisie, où il fit une carrière militaire. Par la suite, il occupa le poste de ministre puis de premier ministre (1873-1877). Il voyagea beaucoup à l'étranger pour de nombreuses missions dans dix-neuf pays européens, sans compter ses voyages à Istanbul. Il assumait d'autres charges : en 1861, il fut désigné vice-président puis président du Conseil suprême et en 1869, il fut nommé président de la Commission financière. Après son départ en Turquie, il obtint le titre de grand vizir du sultan Abdülhamid II. Il occupa ce poste de 1878 à 1879 et s'éteignit en 1890 à Istanbul(1).
D'après La Revue Tunisienne, Khéreddine a subi dans sa carrière deux influences très différentes qui se sont mêlées et parfois contredites, celle de la politique ottomane et celle de la civilisation occidentale(2). Il est clair que ce qui le préoccupait du côté de l'Empire ottoman,c'était son intégrité territoriale et la sauvegarde de la Tunisie contre les convoitises des puissances européennes, ainsi que la reconnaissance de son autonomie(3). Par contre, ce qui l'intéressait du côté des Européens, c'était le degré de civilisation qu'ils avaient atteint et dont il était un fervent admirateur.
Khéreddine publia en 1867 son ouvrage intitulé Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik(4). Dans la première partie, traduite en français et publiée pour la première fois à Paris chez Dupont en 1868 puis reproduite dans la Revue Tunisienne, il met l'accent sur l'importance des institutions politiques basées sur la justice et la liberté comme cause primordiale des progrès réalisés par les pays européens(5). Il incite ses coreligionnaires à suivre l'exemple des Européens dans la sécularisation du régime politique(6). Il explique, en citant Jésus Christ, que les institutions politiques européennes ne se fondent pas sur la religion comme c'est le cas chez les musulmans(7).
Dans le reste des parties de l'ouvrage, il s'étend longuement sur le bon fonctionnement des institutions politiques dans ces pays européens qu'il a visités, en se focalisant sur leurs constitutions. C'est la méthode de Khéreddine pour secouer l'apathie de ses lecteurs et pour les instruire sur le fonctionnement et les bienfaits des institutions européennes.
À vrai dire Khéreddine ne propose pas ouvertement une forme de gouvernement. Mais implicitement, il préconise la monarchie constitutionnelle, comme l'admet l'arabisant Demeerseman(8). En fait, il ne peut pas entrevoir un régime politique plus avancé, la république en l'occurrence, vu la situation de grande déchéance de la société tunisienne, notamment après la terrible répression qui a suivi la révolte populaire de 1864, l'abrutissement des Beys et la perversité de leur entourage. Il ne le peut pas également puisqu'il n'y a aucun gouvernement qui se proclame de la république en Europe, sa source d'inspiration. La France, qu'il prend pour modèle, accepte de s'incliner devant l'empereur Napoléon III et de renoncer à la jeune République en 1851. L'Italie, le pays européen le plus proche de la Tunisie, vient à peine de se libérer de la domination autrichienne et de se constituer en État-nation gouverné par le roi Victor Emmanuel en 1861. Dans tous les cas ou presque, c'est le régime de la monarchie constitutionnelle qui prévaut.
En réalité, Khéreddine n'innove pas en matière politique en ce qui concerne la Tunisie puisque Mohamed Sadok Bey (1859-1882) a déjà promulgué une constitution en 1861, laquelle a donné naissance au Grand Conseil, parlement dont les membres sont nommés et à d'autres réformes à caractère législatif et judiciaire(9). L'élite moderniste, avec Khéreddine en tête, a uvré pour les faire aboutir et a largement contribué à la rédaction de leurs textes constitutifs.
Mais toutes ces réformes ne vont pas résister à l'aversion du Bey et de son entourage pour un État quelque peu légal où le pouvoir s'exerce conformément à la loi. En effet, leBey les fait suspendre à l'occasion de la Révolte populaire de 1964.
Il serait pertinent alors de se demander si Khéreddine a voulu rappeler, par son ouvrage, les bienfaits d'un pouvoir contrôlé reposant sur une large délégation de pouvoirs ou bien s'il a essayé de réfléchir sur les conditions de réussite d'une nouvelle expérience parlementaire. Mais paradoxalement, la possibilité de reprendre cette expérience s'est présentée à lui lorsqu'il a été appelé au poste de premier ministre, qu'il a occupé de 1873 à 1877. Cependant, il n'a procédé à aucun changement au niveau de l'organisation politique à un moment où il adopte un train de réformes touchant les domaines de l'administration, de la justice, de l'enseignement, de la fiscalité, etc(10).
Les successeurs de Khéreddine se trouveront dans une situation différente qui leur imposera un changement de programme.
II. Les nationalistes tunisiens veulent une monarchie constitutionnelle
L'établissement du protectorat français en Tunisie a fait une obstruction à la continuation du projet de Khéreddine consistant à moderniser le régime des Beys husseinites. La priorité fut alors donnée à l'autonomie de la Tunisie vis-à-vis du pays colonisateur.
Mais il convient de signaler que la Tunisie, tout en continuant à recevoir les idées de l'extérieur, devient simultanément un foyer dont l'élite produit des idées nouvelles. Dans le domaine politique, cette élite accueille de l'Orient l'idée d'indépendance, surtout au sortir de la Première Guerre mondiale. En Égypte,grandit un mouvement indépendantiste, le Wafd, dirigé par Saad Zaghloul (1858-1927). Il oblige le Royaume-Uni à accorder l'autonomie interne au pays, qui se dote d'une constitution et organise des élections législatives en 1923. En Turquie Mustafa Kemal Pacha(11) (1881- 1938) libère le pays des envahisseurs occidentaux et proclame la République en 1923.
L'idée d'indépendance se fait jour par l'intermédiaire de Tunisiens émigrés,comme Mohamed Bach Hamba (1881-1920), séjournant à Genève. Les principes concernant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, repris par le président américain Woodrow Wilson, trouvent un large écho en Tunisie. L'idée de l'autodétermination est mise en avant par le Comité algéro-tunisien, dont le siège est à Genève, dans un mémoire adressé au congrès de la Paix(12) et le télégramme envoyé le 2 janvier 1919, par le même Comité au président Wilson(13). Les communistes français en Tunisie propagent l'idée d'indépendance au sein de la population tunisienne, ils en font l'axe central de leur stratégie. Pour la réaliser, ils fondent la Fédération Communiste de Tunisie en 1921(14). Cette ligne fait écho à la théorie de Lénine sur la question des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes(15) et applique la 8e condition d'admission des partis dans l'Internationale Communiste, qui consiste dans le devoir "de soutenir, non en paroles, mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole" (16).
Toutefois, le Parti Libéral Constitutionnel Tunisien (PLCT), qui est le principal parti du mouvement national tunisien, lors de sa création en 1920, limite sa stratégie à revendiquer l'autonomie dans le cadre du traité du Bardo (1881) qui institue le régime du protectorat. Le Néo-Destour, fondé en 1934 à la suite d'une scission dans le PLCT, devenu à son tour la principale formation politique, ne change pas de cap. L'indépendance de la Tunisie ne sera mise à l'ordre du jour par le Néo-Destour qu'après la signature des accords d'autonomie interne le 31 juillet 1954.
Mais pour l'heure, les nationalistes tunisiens améliorent leurs connaissances des régimes politiques en observant surtout le système français. Certains d'entre eux font leur apprentissage en politique en France, où ils font leurs études de droit ou de médecine dans la plupart des cas, et rentrent en Tunisie aussitôt qu'ils obtiennent leurs diplômes. Les autres, restés sur place, s'imprègnent des idées de participation et de gouvernance en côtoyant les Européens de gauche et lors des discussions au sein des cercles et des partis. Rappelons à ce propos que les nationalistess'organisentà leurs débuts autour du cercle tunisien connu sous le nom de mouvement "Jeunes Tunisiens", créé en 1907 par le leader Ali Bach Hamba, directeur de l'hebdomadaire Le Tunisien. Son programme politique est axé sur la participation des Tunisiens à l'administration du pays et l'égalité entre les deux éléments Français et Tunisiens(17). En un mot, les "Jeunes Tunisiens" appellent de leurs voeux "le rapprochement des deux races par une politique d'association" (18).
Le mode de gouvernement n'est pas à l'ordre du jour des "Jeunes Tunisiens", même s'ils demandent à la France d'octroyer une constitution aux Tunisiens(19). C'est juste pour revendiquer la liberté individuelle, la liberté de la presse et l'égalité devant la loi(20). La priorité n'est pas donnée à la question politique, comme l'entendait Khéreddine, mais plutôt à l'éducation, dont dépend le sort des Tunisiens. Pour commencer, l'enseignement primaire doit être gratuit, obligatoire et dispensé sur tout le territoire. Le gouvernement doit en outre faciliter l'enseignement secondaire et prendre en charge les étudiants du supérieur(21).
L'année 1920 constitue un moment important dans l'élaboration du programme politique des nationalistes tunisiens. Le mot d'ordre est pour une constitution, associée cette fois à la revendication d'une assemblée nationale tunisienne élue(22).Cela renvoie à la constitution de 1861 et au Conseil suprême qui en découle et signifie que les nationalistes restent fidèles à la monarchie constitutionnelle. Une différence essentielle mérite d'être signalée, c'est le fait que l'assemblée revendiquée en 1920 doit être élue au suffrage universel masculin.
Toutefois, suite aux dissensions qui éclatent au sein du PLCT, le programme politique se voit réduit. Désormais figure en tête l'institution d'une assemblée délibérative, composée par moitié de Français et de Tunisiens, élus au suffrage universel et ayant pour rôle de voter le budget et de confectionner les lois d'ordre intérieur(23). Cela donne une assemblée qui n'est pas tunisienne et dont les prérogatives législatives sont réduites. Il faut attendre le congrès des 12 et 13 mai 1933 pour que les nationalistes mettent en tête de leur programme l'institution d'un parlement tunisien élu au suffrage universel, maître de son ordre du jour et ayant un pouvoir législatif(24).
Quoi qu'il en soit, jusqu'en 1957, il n'a jamais été question de république dans les programmes des nationalistes(25). Ce qui nous amène à poser la question suivante : qu'est-ce qui a empêché l'élite politique tunisienne de revendiquer la république?
On pourrait apporter plusieurs réponses à cette question. Mais on se limitera ici à dire que le programme des nationalistes était timoré. Il n'est pas allé au-delà de l'autonomie. D'autre part, l'intérêt de la lutte nationale exigeait à leurs yeux de ne pas aborder les questions qui pourraient diviser les Tunisiens et d'essayer d'attirer le(s) Bey(s) dans leur camp comme cela s'était passéen avril 1922, lorsque Mohamed Naceur Bey menaça d'abdiquer, suite à une intrigue émanant de la résidence générale en Tunisie, et que le parti du Destour lui apporta son soutien ensuscitant des actions populaires en solidarité avec lui. Cela s'est reproduit pendant le règne de Moncef Bey (juin 1942- juillet 1943), qui a pris des initiatives souveraines.
Il ne faut pas oublier également que les autorités coloniales françaises ont imposé des lignes rouges à ne pas franchir. En premier lieu, elles ne permettent pas d'aborder la question de l'indépendance. La Fédération Communiste de Tunisie des années vingt en a fait les frais lorsqu'elle futinquiétée par la justice puis éliminée pour un long moment. En deuxième lieu, les mêmes autorités prirent prétexte de l'article III du traité du Bardo (1881) pour châtier sévèrement toute atteinte aux droits du Bey(26).Or, parler de république c'était attenter aux prérogatives du Bey.
Après 1956, date de la signature des conventions sur l'indépendance politique de la Tunisie, les conditions changent et le Bey ne jouit plus d'aucune protection. Le pas vers la république est alors franchi.
III. La République...mais en paroles
1) Bourguiba opte pour la république en 1957
Il n'est pas surprenant que Habib Bourguiba, chef du Néo-Destour à l'époque, ait opté pour la république. Ancien élève du Collège Sadiki, créé en 1885 par le premier ministre Khéreddine, puis étudiant en droit à Paris, comme beaucoup de Tunisiens, il se familiarise avec la scène politique française. Il est alors acquis à la culture française. Après la signature des conventions de 1956, il est nommé premier ministre du nouveau gouvernement. Il manoeuvre pour limiter progressivement les prérogatives du Bey(27) et ne tarde pas à mettre fin à la monarchie en détrônant Lamine Bey pour ensuite proclamer la République le 25 juillet 1957(28). L'Assemblée constituante le nomme président de la République, à titre provisoire, en attendant la rédaction de la constitution(29).
Ce retournement de situation est un acte réfléchi de Bourguiba et de ses collaborateurs. Il rappelle le Code du Statut personnel, promulgué le 13 août 1956, et où Bourguiba a placé l'essentiel de la pensée de Tahar Haddad, connu pour sa défense des droits de la femme(30). Avant cette date, Bourguiba n'en avait soufflé mot. C'est dire que le colonialisme français, allié à l'aristocratie tunisienne représentée par le Bey et les fonctionnaires conservateurs(31) implantés surtout dans l'enseignement traditionnel et la justice charaïque, constitue une entrave aux débats francs et sincères et aux progrès des idées.
Lamine Bey a donné les preuves qu'il n'était qu'une marionnette, comme la plupart de ses ancêtres, entre les mains du colonialisme français(32). Contrairement à Mohammed V, roi du Maroc de 1927 à 1957, il n'a défendu ni son trône ni le peuple tunisien devant l'oppression du colonialisme français et son arrogance. C'est ce qui l'a complètement désavantagé au profit de Bourguiba, lequel ne peut souffrir de jouer un rôle de second plan.
La constitution écrite et proclamée le 1er juin 1959 institue un régime présidentiel et ouvre la voie à des élections auxquelles se présente Bourguiba en tant que seul candidat. Il est alors élu président de la République, à la quasi unanimité des suffrages.
Cet évènement est l'un des éléments qui marquèrent l'histoire de ce qu'il estactuellement convenu d'appeler la Première République. En fait, il s'agit plutôt d'une autocratie associée à une dictature, dans laquelle et pendant les deux règnes de Bourguiba et de Ben Ali, destitué par la Révolution qui s'est déroulée entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, toutes les institutions de l'État se voient dévier de leurs rôles pour devenir des relais du parti au pouvoir, à savoir le parti socialiste destourien, renommé pour la circonstance le Rassemblement Constitutionnel Démocrate (RCD) après le coup d'État de Ben Ali le 7 novembre 1987. La constitution fut à plusieurs reprises modifiée ; une fois pour accorder la présidence à vie à Bourguiba, et les fois suivantes, pour renouveler le mandat de Ben Ali. Après quatre mandats qui ont duré 28 ans, Bourguiba est écarté de la présidence par un coup d'État en 1987. Ce même coup d'État permet à Ben Ali de s'emparer du pouvoir et de se faire président grâce à des simulacres d'élections durant 5 mandats et 23 ans. Il est destitué par la Révolution qui l'oblige à fuir à l'étranger.
2) Une dictature en guise de république
Il est pertinent de s'interroger sur les causes de ce déficit démocratique en Tunisie, malgré la grande vitalité de la société tunisienne et l'éclat de sa culture.
Tenter de présenter une réflexion sur ce sujet demanderait une étude qui dépasse le cadre de cette contribution. Aussi, et pour la circonstance, nous voudrions soulever un seul point, celui du rôle des grandes puissances occidentales.
L'Occident, comme nous venons de le démontrer, est la source des grandes idées qui ont travaillé l'opinion tunisienne après la longue léthargie de la civilisation arabe, mais il est aussi à l'origine des difficultés que connaît la Tunisie après son accession à l'indépendance politique. Tout d'abord, si le colonialisme français s'écroule sous les coups du mouvement de libération nationale, qui passe aux armes pendant la dernière crise politique (1952-1956), il ne le fait que pour céder le terrain au néocolonialisme. Cette nouvelle situation est en effet le cadre dans lequel s'est créé un état de dépendance en Tunisie sur les plans économique, culturel et diplomatique. C'est la raison pour laquelle l'Occident s'immisce dans les affaires intérieures de la Tunisie et intervient constamment pour la maintenir dans sa sphère d'influence ce qui ne peut se faire que par la mise en place d'un régime politique antidémocratique.
Le régime destourien connaît une grave crise au milieu des années 80, sous le poids du surendettement. La solution recommandée par les institutions financières internationales, qui comme tout monde le sait sont les instruments d'intervention financière de l'Occident et notamment des USA, fut d'appliquer le plan d'ajustement structurel, axé sur une politique d'austérité, la libéralisation à outrance et la mobilisation des investissements étrangers.
Ben Ali, qui accède au pouvoir en 1987, fut le gardien de cette politique antinationale. Il a été soutenu par les puissances occidentales, et notamment par les USA qui l'ont recruté comme agent de renseignement, et par la France, dont la diplomatie, au temps de Nicolas Sarkozy, président de la République de 2007 à 2012, a défendu jusqu'au bout le régime contre les manifestants en janvier 2011, notamment en lui proposant une coopération policière(33).
Conclusion
Au contact de l'Europe, une élite tunisienne s'est formée depuis le milieu du XIXe. Son mot d'ordre initial est en faveur d'une monarchie constitutionnelle, à l'exemple des pays de l'Europe occidentale. Après une période d'indécision qui fait suite à l'occupation de la Tunisie par l'armée française et l'établissement du protectorat français, les nationalistes reprennent la revendication de leurs prédécesseurs, mais en l'associant au suffrage universel, en vogue à l'époque en Europe. Ce n'est qu'en se libérant du colonialisme français que Bourguiba, chef du nouveau gouvernement issu de l'indépendance politique, renverse le Bey et proclame la République, mais une république en paroles, puisque le régime politique au temps de Bourguiba et de Ben Ali est sous le joug de la dictature. Derrière ce déficit démocratique résident plusieurs facteurs, dont l'ingérence des puissances européennes.
Mais il convient de signaler que, pendant ce temps, l'opposition démocratique a milité en faveur d'une république démocratique. La Révolution du 14 janvier 2011 a balayé la dictature de Ben Ali et a effectivement ouvert la voie à une série de réalisations et de transformations qui ont été couronnées par la promulgation de la constitution de janvier 2014, laquelle édifie la république démocratique tant attendue.
Ce processus n'est toutefois pas irréversible, puisque les élections de 2014 ont donné pour la deuxième fois le pouvoir aux partis de la contre-révolution qui ont des liens forts avec la réaction mondiale. Les deux principaux partis, le parti du président et du chef du gouvernement Nida Tounès et le parti d'Ennahdha, qui fait partie de l'équipe dirigeante, sont pour le premier une reconduction du parti du Rassemblement démocratique de Ben Ali(34), et pour le second une filiale de l'organisation internationale des "Frères Musulmans" partisane du califat comme forme de gouvernement. Ces deux partis dirigent la République issue de la révolution, mais aucun d'entre eux n'a les mains libres pour instituer le régime auquel chacun d'entre eux aspire.
Notes :
Notes
1- Chenoufi (A), Le ministre Khéreddine et ses contemporains -XIXe siècle-, Notice biographique du Général Khéreddine, Tunis, Fondation Nationale Carthage, 1990.
Krieken, G. S. van, Khayral-din et la Tunisie (1850-1881), Leiden E. J. Brill, 1976.
2- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans, essai formant la première partie de l'ouvrage politique et statistique intitulé "Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"" (préface), traduit de l'arabe sous la direction de l'auteur, Revue Tunisienne, numéro 12, octobre 1896, pp. 501-522.
3- M. S. Mzali et J. Pignon, "Documents sur Khéreddine- A mes enfants Mémoire de ma vie privée et politique", Revue tunisienne, 2° trim 1934, n° 18, p. 177-212.
4- Ettounsi, Khéreddine, Aqwam al-masālik fi ma'arifati ahwāl al mamālik ("Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations"), préface de Mohamed Haddad, Maison du livre égyptien (le Caire) et Maison du livre libanais (Beyrouth), 2012.
5- Khéreddine, (le Général), "Réformes nécessaires aux États Musulmans", op. cit., p. 509.
6- Ibidem, p. 510.
7- D'après Khéreddine, Jésus a défendu aux apôtres de s'immiscer dans les affaires temporelles et a dit que son royaume n'est pas de ce monde. Idem.
8- Demeerseman (A), "Au berceau des premières réformes démocratiques en Tunisie", IBLA, t. 20, 1957, p. 1-12.
9- Ganiage (J), Les origines du Protectorat français en Tunisie (1861-1881), Paris, PUF, 1959.
10- Smida (M), Khéreddine ministre réformateur 1873-1877, Tunis, Maison Tunisienne de l'Edition, 1970.
11- En 1934, il lui fut attribué le patronyme Atatürk.
12- Comité algéro-tunisien, "Les revendications du peuple algéro-tunisien", La Revue du Maghreb, septembre-décembre 1918, pp. 129-137.
13- Comité algéro-tunisien, Télégramme, Idem, pp. 138-140.
14- Ben Temime (L), La Fédération Communiste de Tunisie 1921-1922 un effort précoce de tunisification, Mémoire de maîtrise, Université de Paris, 1976.
15- Lénine (V), "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes (Thèses)", uvres complètes, t. 22, Editions sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1977, pp. 155-170.
16- Thèses, manifestes et résolutions adoptés par les Ie,IIe, IIIe et IVe congrès de l'Internationale communiste (1919-1922), http://www.communisme-bolchevisme.net/download/IC_congres_1919_1922, consulté le 20 novembre 2016.
17- Julien (Ch-A), "Colons français et Jeunes Tunisiens 1882-1912", Extrait de la Revue française d'histoire d'outre- mer, t. LIV, 1967, p. 87.
18- Khairallah (Ch.), Le mouvement évolutionniste tunisien (Notes et documents), tome 1, Editions de l'Imprimerie de Tunis, sans date, p. 51.
19- Zaouche (A), "La Tunisie et le destour", Le Tunisien, du 27 août 1908.
20- Idem.
21- Anonyme, "Notre programme", Le Tunisien, du 7 février 1907.
22- "Statut organique du Destour", publié dans le journal La Voix du Tunisien, du 9 septembre 1932.
23- Farhat, Salah, "Notre programme", Le Libéral, n° 1 du 29 novembre 1924.
24- El Irada,du 8 janvier 1934.
25- Anonyme, La Tunisie martyre Ses revendications, Paris, Editions Jouve et Cie, 1920, p. 209.
26- La législation sur le délit politique en Tunisie pendant la période coloniale (1881-1926): source et teneur, Revue d'Histoire Maghrébine, n° 106- février 2002, pp 9-30.
27- Lissir (F),La politique des étapes de Bourguiba dans le processus de la proclamation de la République tunisienne (en arabe), Turess, http://www.turess.com/hakaek/94968 (visité le 24 décembre 2016).
28- JORT, n° 1 du 26 juillet 1957.
29- Ibidem..
30- Haddad, Tahar, Notre femme dans la législation musulmane et la société, traduction de Manoubia Ben Ghedahem, en voie de publication.
31- Nous disons fonctionnaires et non hommes de religion, étant donné qu'en Islam il n'y a pas de clergé comme c'est le cas dans l'Eglise.
32- Julien, Charles-André, Et la Tunisie devint indépendante (1951-1957), Tunis, Les éditions Jeune Afrique / S.T.D., 1985, p. 78.
33- http://www.lemonde.fr/international/article/2011/01/15/la-diplomatie-francaise-a-defendu-jusqu-au-bout-le-regime-tunisien_1466021_3210.html, visité le 11 décembre 2016.
34- Le parti Nidaa Tounes est constitué autour de la personne de Béji Caïd Essebsi le 20 avril 2012. Il rassemble en son sein des gens issus principalement de la mouvance destourienne mais aussi des syndicats et de la gauche réformiste.