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Docteur en sciences du langage, enseignant chercheur en linguistique et didactique du français.

Titre(s), Diplôme(s) : Doctorat en sciences du langage, Sorbonne

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L’obstacle orthographique dans un contexte de français langue seconde, le cas des élèves tunisiens, Editions Universitaires Européennes, Sarrebruck, 2012, 396 p, ISBN: 978-3-8381-8731-0.

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Grammaticalisation et contexte

Résumé
Le changement linguistique et l'innovation qui s'en suit jouent un rôle capital dans le déclenchement des processus de grammaticalisation. L'un des caractères de cette opération est l'extension progressive des emplois d'une unité linguistique, qui entre dans des constructions où sont exprimées des notions inédites jusqu'alors et qui acquièrent de nouvelles valeurs. Ce processus est en rapport avec le contexte. En effet, l'importance de la dimension contextuelle dans les faits de grammaticalisation n'a pas à être soulignée, car c'est dans des environnements syntaxiques, sémantiques, culturels, etc. que va s'opérer ce processus. Toutefois, les divers facteurs qui justifient l'influence sur l'évolution d'une unité linguistique n'ont pas été décrits et analysés d'une manière exhaustive. Nous voudrions repenser ici ce problème de grammaticalisation et sa relation avec le contexte.

Mots clés : changement, grammaticalisation, contexte, processus

Abstract
Linguistic change and the subsequent innovation play a crucial role in triggering grammaticalization processes. One of the characteristics of this operation is the progressive extension of the uses of a linguistic unit, which enters into constructions which express previously unseen concepts and which acquire new values. This process relates to the context. Indeed, the importance of the contextual dimension in the facts of grammaticalization does not have to be stressed, because it is in syntactic, semantic, cultural environments, etc. what will this process take place. However, the various factors which justify the influence on the development of a linguistic unit have not been fully described and analyzed. We would like to rethink here this problem of grammaticalization and its relation to the context.

Key words: change, grammaticalization, context, processes

Introduction
Toutes les langues changent, on ne connaît pas d'exception ; de cet universel empirique, on peut induire qu'il s'agit d'un caractère propre non à telle ou telle langue, mais aux langues en général, et donc peut-être au langage lui-même. La mise au jour des régularités permet de formuler des lois d'évolution des langues et des systèmes linguistiques, et de mieux comprendre le fonctionnement de la faculté de langage. (Nizia, 2001)
Au cours des deux dernières décennies, c'est certainement dans le cadre théorique de la grammaticalisation que les acquis les plus considérables ont été obtenus concernant le changement linguistique.
L'essentiel des recherches effectuées dans ce cadre concerne d'une part le processus d'apparition, de naissance, de nouvelles formes ou constructions dans les langues du monde, et d'autre part les régularités repérables dans ce processus (changement par étapes, affaiblissement du sens lexical et développement des valeurs grammaticales, processus métaphorique ou métonymique, etc.) (Heine et al. 1991, Hopper et Traugott 1993, Traugott et Heine 1991). Le processus de grammaticalisation obéit à divers principes (Hopper 1991) et paramètres (Lehmann 1995). Cette grammaticalisation, en tant que processus relevant du changement linguistique, se caractérise par un mouvement diachronique au cours duquel des unités passent de la sphère lexicale vers la sphère grammaticale (par ex. le nom latin homo "être humain" qui a donné lieu au pronom impersonnel on), de la sphère grammaticale vers un emploi davantage grammatical (par ex. le verbe de mouvement aller qui a donné lieu au futur périphrastique), voire vers la sphère pragmatique (par ex. écoute donc qui a donné lieu à coudon en français québécois (Dostie 2004).
Depuis quelque temps, et sous l'influence sans doute de la théorie des principes et paramètres, on a recommencé à s'intéresser à l'en-deçà des phénomènes d'évolution, à ce qui fait qu'à un moment donné, dans une région du système, un changement se produit, en particulier par un processus de grammaticalisation. Des réponses ont été trouvées à l'extérieur du système : le contact des langues pouvait faire que telle catégorie, telle construction présente dans une langue était intégrée au système d'une langue voisine qui ne la possédait pas. D'autres voient à l'origine des changements une cause pragmatique : la fonction communicative ou expressive du langage. (Nizia, 2001)
L'importance de la dimension contextuelle dans les faits de grammaticalisation n'a pas à être soulignée. En effet, plusieurs chercheurs (Combettes 2006 ; Heine 2002 ; Diewald 2006) reconnaissent que le contexte joue un rôle crucial sur le processus évolutif des unités qui sont en cours de grammaticalisation.
Nous voulons ici reconsidérer les processus de grammaticalisation dans leur rapport à l'évolution des systèmes grammaticaux. Nous mettrons en évidence le fait que le paramètre contexte joue un rôle prépondérant dans ce processus de grammaticalisation. Pour ce faire, nous proposons tout d'abord une définition des principaux concepts en rapport avec notre réflexion avant d'accorder une attention particulière au rôle joué par le contexte dans le processus évolutif de quelques constructions.
I. Présupposés théoriques
1.Le changement des langues
Toutes les langues naturelles changent (gains / pertes / modifications de formes et de constructions). En s'alignant sur cette idée, Charles Bally souligne que :
Les langues changent sans cesse et ne peuvent fonctionner qu'en ne changeant pas. A chaque moment de leur existence, elles sont le produit d'un équilibre transitoire. Cet équilibre est donc le résultat de deux forces opposées : la tradition, qui retarde le changement, lequel est incompatible avec l'emploi régulier d'un idiome, et d'autre part les tendances actives, qui poussent cet idiome dans une direction déterminée. (1932 : 18)
1.1. Les types de changements
Plusieurs types de changement peuvent survenir. Ainsi toutes les langues connaissent :
-des phénomènes de réanalyse : La réanalyse est un concept nouveau, qui date seulement des années 1970. Il a été cependant aussi beaucoup utilisé depuis Langacker (1977) qui définissait ainsi la réanalyse : "changement dans la structure d'une expression ou d'une classe d'expressions qui ne conduit à aucune modification immédiate ou intrinsèque des manifestations de surface" (p. 58). Cette définition pouvant tout aussi bien caractériser la grammaticalisation (par opposition à l'analogie dont on a vu plus haut qu'elle conduisait à des modifications au niveau de la surface sans changement dans la structure sous-jacente), il n'est pas étonnant que les deux notions de grammaticalisation et de réanalyse aient été souvent confondues. Elles doivent pourtant être distinguées, surtout si l'on tient à conserver le principe d'unidirectionnalité pour la grammaticalisation. Si la quasi-totalité des cas de grammaticalisation sont aussi des cas de réanalyse, l'inverse est loin d'être vrai. On dispose en effet de plus en plus d'exemples de réanalyse qui vont du grammatical au lexical, et non du lexical au grammatical. On parle alors de dé-grammaticalisation ou plus volontiers de lexicalisation.
Le changement d'ordre des mots n'est manifestement pas un phénomène de grammaticalisation. Ce n'est pas non plus un cas de réanalyse, du moins si on s'en tient à la définition donnée ci-dessus de Langacker (1977). Celle de Hagège (1993 : 62) convient alors assurément mieux : "opération par laquelle le bâtisseur de langue (language builder) cesse d'analyser une structure donnée comme il le faisait précédemment, mais introduit une nouvelle distribution des unités syntaxiques qui constituent cette structure et de nouvelles relations entre elles".
On peut adopter cette dernière définition de la réanalyse et considérer la grammaticalisation comme un sous-ensemble de la réanalyse, au lieu d'identifier les deux processus l'un à l'autre (Hopper et Traugott 1993 : 50). Le principe d'unidirectionnalité que Meillet (1912) avait déjà suggéré peut alors être gardé pour la seule grammaticalisation.
-des cas d'analogie : à la suite de Meillet (1912), la notion d'analogie, popularisée par les néogrammairiens, a été aussi utilisée pour rendre compte de la naissance et du changement des formes grammaticales. Il s'agit tout simplement, pour reprendre la définition de McMahon (1994 : 71), de la généralisation d'un morphème, ou d'une relation qui existe déjà dans la langue, à de nouvelles formes ou situations. L'analogie modifie la structure de surface, mais ne modifie pas la structure sous-jacente. Elle produit de la régularité en ce sens qu'elle rend certaines formes irrégulières conformes à un modèle régulier.
-des emprunts : l'analogie et la réanalyse (y compris la grammaticalisation) sont des mécanismes internes du changement. Il en est un troisième, externe, dont Meillet n'avait pas parlé : l'emprunt externe, par le contact entre langues différentes. L'emprunt, à la différence du processus d'analogie, mais à l'instar de la réanalyse, peut introduire une structure entièrement nouvelle dans la langue et de ce fait un changement radical.
Ce dernier mécanisme, externe, serait plus à même d'expliquer le changement, d'en fournir les causes. Il peut être ainsi défini : " il s'agit de la reproduction de structures ou de formes utilisées dans d'autres langues avec lesquelles la langue qui emprunte est en contact." (McMahon, 1994 : 200).
L'emprunt externe a été sans doute jusqu'à présent le processus le moins étudié du changement syntaxique, mais aussi celui pour lequel les faits sont les moins évidents et, partant, les plus discutables. Aussi, les linguistes travaillant en diachronie ont-ils toujours privilégié l'étude des mécanismes internes du changement au détriment de celle de l'emprunt externe. Sans doute parce que le rôle et l'importance de l'emprunt, la direction qu'il prend et les formes qu'il influence dépendent beaucoup plus de facteurs culturels ou sociaux que de facteurs purement linguistiques.
Hopper et Traugott (1993 : 210) soulignent, par exemple, que l'anglais a emprunté en grand nombre, au cours de son histoire, des items lexicaux, mais pratiquement pas de formes morphologiques ou de structures syntaxiques. Et de conclure que la plus grande partie des changements morpho-syntaxiques sont actionnés par des mécanismes internes à la langue anglaise.
-des phénomènes de grammaticalisation : il s'agit de l'évolution d'une forme d'un statut lexical vers un statut grammatical.
1.2. Motivations du changement grammatical
La recherche de motivations ou de facteurs qui contribuent aux motivations du changement grammatical est, depuis plusieurs années, l'objet d'étude principal des spécialistes de diachronie qui travaillent dans le cadre de l'approche fonctionnelle.
Le changement sémantique (semantic shift) et l'inférence pragmatique (pragmatic inferencing) étaient reconnus comme étant de telles motivations, fortes. Il en est de même, sans aucun doute, du changement phonologique. Les exemples sont nombreux de changements phonologiques qui ont entraîné d'importantes modifications dans la structure grammaticale des langues (Harris et Campbell 1995 : 76). On a aussi identifié des opérations récurrentes (structurales ou typologiques) dans des langues diverses comme pré-conditions du changement. Les notions, de métaphorisation, de métonymisation, de subjectification, d'iconicité, etc. ont aussi été couramment mises en avant comme incitatrices du changement.
Il existe une confusion sur l'importance à accorder à toutes ces notions et sur leur hiérarchisation. On peut admettre que les motivations du changement grammatical sont d'ordre sémantico-pragmatique, typologique, structural et phonologique. Elles relèvent des changements intervenus dans ces seuls quatre domaines. On s'en tiendra ci-dessous au changement sémantico-pragmatique, primordial. Il pourrait être régulier, au même titre que le changement phonologique ou le changement morpho-syntaxique. Il comprend les trois mécanismes de métaphorisation, de métonymisation (inférence pragmatique) et de subjectification.(Peyraube, 2002)
La métaphorisation, qui a longtemps été considérée comme le facteur essentiel, voire unique, du changement sémantique, est une stratégie de type analogique et iconique. Elle consiste dans un transfert de sens (d'un domaine conceptuel à un autre) par substitution analogique.
La métonymisation (inférence pragmatique) relève d'une stratégie de type associatif. Consistant à exprimer un concept au moyen d'un terme désignant un autre concept qui lui est uni par une relation nécessaire, elle opère à l'intérieur du même domaine conceptuel.
La subjectification a été beaucoup utilisée dans les études sur la grammaticalisation, quand a été découverte la tendance des langues à accroître la subjectivité dans les processus de grammaticalisation, quand on passe systématiquement, par exemple, du déontique à l'épistémique (Traugott 1982, Traugott 1989, Peyraube 1999b).
2. La théorie de la grammaticalisation
2.1. Ses concepts et sa terminologie.
Le but de ce paragraphe sera celui de fournir, avant tout, une définition du concept de grammaticalisation, tel qu'il sera adopté dans ce travail1.
D'après le Petit Robert, grammaticaliser signifie "donner (à un élément linguistique) le caractère grammatical, une fonction grammaticale, morphosyntaxique (opposé à lexicaliser)". Cette notion est assez récente puisque le verbe transitif apparaît en 1962 et que le nom grammaticalisation est quant à lui daté de 1912. Le phénomène de grammaticalisation concerne toutes les langues. Comme le fait remarquer Marcello-Nizia : "on a coutume, dès l'origine, de le décrire par son résultat : c'est le processus par lequel les lexèmes deviennent des morphèmes", (2005 : 15). Elle reconnaît d'ailleurs deux fonctions de codage possibles à ces nouvelles unités grammaticales puisqu'elles peuvent coder des relations qui n'étaient pas codées grammaticalement avant ou qui l'étaient déjà, mais différemment.
Pour le concept de grammaticalisation, Hopper & Traugott fournissent la définition suivante :
"grammaticalization" refers to that part of the study of language change that is concerned with such questions as how lexical items and constructions come in certain linguistic contexts to serve grammatical functions or how grammatical items develop new grammatical functions. (...) When a content word assumes the grammatical characteristics of a function word, the form is said to be "grammaticalized". Quite often what is grammaticalized is not a single content word but an entire construction that includes that word... (1993: 4)
La grammaticalisation étudie donc la façon dont certains éléments lexicaux sont promus au rang d'outils grammaticaux, ou bien celle dont certains outils grammaticaux acquièrent un statut encore plus grammatical. Dans les deux cas, la grammaticalisation produit soit des formes grammaticales inédites capables de coder une fonction grammaticale pour laquelle il n'existait aucun outil disponible, soit des formes nouvelles capables de coder une fonction grammaticale donnée de façon différente par rapport aux outils existants.
2.2. Origine de la grammaticalisation
Comme Heine, Claudi & Hünnemeyer (1991 : 8) le confirment, le premier savant à utiliser le terme de grammaticalisation, et à jeter les bases des études en la matière a été Antoine Meillet (1912).
Antoine Meillet est le premier à employer le terme grammaticalisation. Notons que le Petit Robert date l'apparition du terme en 1912, date de publication de l'ouvrage dans lequel il expose sa théorie. Ainsi propose-t-il:
Tandis que l'analogie peut renouveler le détail des formes, mais laisse le plus souvent intact le plan d'ensemble des systèmes existant, la "grammaticalisation" de certains mots crée des formes neuves, introduit des catégories qui n'avaient pas d'expression linguistique, transforme l'ensemble du système. Ce type d'innovations résulte d'ailleurs, comme les innovations analogiques, de l'usage qui est fait de la langue, il en est une conséquence immédiate et naturelle. (1912: 133)
Meillet souligne que c'est un besoin, un manque dans la langue qui crée l'apparition d'une forme neuve. Il souligne également l'influence de cet apport sur l'ensemble du système.
Dans son article "L'évolution des formes grammaticales", Meillet met au point les deux processus responsables, à son avis, du changement linguistique : "L'un de ces procédés est l'analogie", dit-il, qui "consiste à faire une forme nouvelle sur le modèle d'une autre" (Meillet 1982 (1912) : Tome I : 130), et le second est, justement, la grammaticalisation, que Meillet définit comme :"le passage d'un mot autonome au rôle d'élément grammatical". D'autres auteurs ont présenté des définitions de la grammaticalisation, nous en citerons quelques unes :
-"Grammaticalization [...] is that subset of linguistic changes whereby lexical material in highly constrained pragmatic and morphosyntactic contextes becomes grammatical, and grammatical material becomes more grammatical" Traugott (1996: 183). Cette définition insiste sur l'importance des constructions et des contextes : une forme n'évolue pas de manière isolée.
-"Le terme de grammaticalisation désigne d'une part un processus et son résultat et d'autre part un cadre d'analyse, voire une théorie." (Prévost, 2006 : 122)
- "From the diachronic point of view, it is a process which turns lexemes into grammatical formatives and renders grammatical formatives still more grammatical". (Lehmann, 1982)
3. Le Contexte
Du point de vue étymologique, contexte est emprunté au latin classique contextus, "assemblage, réunion", de contexere, "assembler, rattacher", également employé au sens de "contexture d'un discours". Sa signification principale est attestée en 1539, comme
"ensemble ininterrompu des parties d'un texte". Le sens de contexte, encore aujourd'hui, est largement tributaire de ce point de vue, qui lui confère un statut d'extériorité. Le contexte se réduirait alors à une sorte d'environnement, influençant le contenu de ce qu'il entoure.
Leonard Bloomfild (1933) qui ne définit pas le terme, l'emploie pour désigner des phénomènes relevant du domaine syntaxiques, sémantiques ou expérientiel. André Martinet (1985) définit le contexte comme "ce qui suit ou précède" un segment (unité ou séquence) à un quelconque niveau de structure linguistique. Le contexte d'un segment est l'ensemble des éléments qui l'accompagnent dans l'énoncé.(Mahmoudian, 1997). Pour William Labov (1976), le contexte couvre aussi les relations sociales, alors que chez John Searle(1979), il s'agit de l'expérience du monde.
Le contexte peut faire l'objet d'autant de distinctions qu'il ya de niveaux linguistiques : contexte phonologique, contexte morphologique, contexte syntaxique, contexte sémantique, etc. Nous pouvons avancer l'exemple suivant :
Un segment comme va subit divers types d'influences dans le contexte d'un énoncé aussi simple que : / ӡãvabiɛ/ Jean va bien
-Le niveau phonologique
La réalisation des unités phonologiques dont est constitué le signifiant de va est conditionné par ce qui précède/ӡã/ et ce qui suit /biɛ/̃.
-Le niveau morphologique
Que le sujet soit Jean a pour effet que le monème aller se réalise par sa variante morphologique va. Un autre sujet (je ou vous) aurait appelé une autre variante (vais ou allez, respectivement)
-Le niveau syntaxique
Les contraintes qui régissent la combinaison des monèmes-entre autres, la présence du sujet Jean- implique que la séquence /va/ comporte le monème "indicatif" (dans d'autres contextes syntaxiques la même séquence comporterait "l'impératif").
-Le niveau sémantique
Sous l'effet du contexte, se réalise parmi les sens possibles du lexème aller, celui qui renvoie à "l'état de santé" (et non à la locomotion)
II. La dimension contextuelle dans les faits de grammaticalisation
La notion de contexte fait en quelque sorte partie de la définition même de ce type de changement linguistique. C'est en effet dans des environnements syntaxiques et sémantiques particuliers que va s'effectuer l'opération de réanalyse, la réinterprétation de certaines constructions, et c'est également par le transfert d'une des interprétations à d'autres contextes que le processus d'analogie prend toute sa signification (Heine et al., 1991, Hopper et Traugott, 1993, Heine, 2002).
1. Le processus de grammaticalisation: les quatre phases
Le processus de grammaticalisation est en rapport étroit avec le contexte qui a un rôle très important dans le processus évolutif des unités en cours de grammaticalisation (Heine 2002 ; Diewald 2006). Ainsi, selon Heine, quatre phases caractérisent le processus de grammaticalisation. Ces phases peuvent coexister durant une même période.
Il s'agit d'abord d'un stade initial où l'unité candidate à une grammaticalisation est employée dans son sens originel dans tous ses emplois. Le deuxième stade correspond au contexte de transition ("bridging context") durant lequel le mot est utilisé dans un contexte nouveau avec un nouveau sens. Dans ce cas, on assiste à une coexistence de plusieurs réalisations sémantiques d'une même unité dans un contexte nouveau ambigu. Ces contextes nouveaux ambigus favorisent l'apparition de sens nouveaux comme le signale Nizia : "C'est donc d'abord par la modification des contextes dans lesquels le mot se rencontre que le changement apparaît" (Marchello-Nizia, 2006 : 23). Dans le troisième stade, appelé contexte de passage ("switch context"), le sens nouveau s'éloigne du sens initial dans certains contextes. Au quatrième stade, l'usage ancien de l'unité est encore présent mais "n'est plus senti comme ayant aucune parenté avec le nouveau morphème" (Marchello-Nizia, 2006 : 22). Il y a primauté du sens nouveau sur l'ancienne signification.
2. Processus de grammaticalisation et contexte : L'exemple des périphrases verbales (ex: aller + infinitif : Futur ou présent prospectif?)
Chacune des formes possède sa propre place dans la langue française et imposera par conséquent ses propres règles de fonctionnement. On peut se demander dans quelle mesure le contexte intervient dans le sens et dans l'emploi de ces formes.
L'analyse de certains énoncés hésite souvent entre une approche temporelle ou aspectuelle d'aller, autrement dit entre un futur et un présent prospectif.
Vet propose une règle qui permet de trancher, et cela en fonction du contexte. Constatant que les grammaires françaises entretiennent l'imprécision entre futur simple et présent prospectif, Vet (2007 : 18) déclare : "the Periphrastic Future and the Simple Future only compete in future context. In present contexts the Periphrastic Future has to be interpreted as a Prospective Present and cannot be replaced by a Simple Future and vice versa." Ainsi, il propose également deux interprétations possibles pour une même forme: la différence d'interprétation pour un même énoncé tient au fait que l'interprétation prospective ne contient que la référence au temps présent alors que l'interprétation future comporte en plus la référence au temps futur (Vet 1993). L'élément du futur est représenté par un circonstant de temps, lequel élimine par là même toute interprétation prospective.
Exemples:
"Mais il y a sur le tien une promesse d'orage : un jour la passion va le brûler jusqu'à l'os." (Les Mouches, I, 5)
"Regardez, ses yeux s'agrandissent : bientôt ses nerfs vont résonner comme les cordes d'une harpe sous les harpèges exquis de la terreur." (Les Mouches, III, 4) Le futur périphrastique est un présent prospectif lorsqu'il y a référence au contexte présent, et qu'il est un futur lorsqu'il y a référence à un contexte futur, lequel est souligné par un circonstant.
La périphrase verbale exprime bien le futur proche lorsqu'il y a référence à un contexte futur souligné par un circonstant. C'est donc le contexte qui permet d'opter pour l'une ou l'autre des appellations.
Conclusion
Comme nous l'avons mentionné supra, toutes les langues changent, on ne connaît pas d'exception ; de cet universel empirique, on peut induire qu'il s'agit d'un caractère propre non à telle ou telle langue, mais aux langues en général. En tant que processus relevant du changement linguistique, la grammaticalisation désigne un mouvement diachronique qui voit certaines unités migrer de la sphère lexicale vers la sphère grammaticale. L'importance de la dimension contextuelle dans les faits de grammaticalisation est évidente. La notion de contexte fait en quelque sorte partie de la définition même de ce type de changement linguistique.
Références
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Signature :
Lassaad KALAI ISEAHK, Université de Jendouba Laboratoire de recherche: Langues, Discours et Cultures(LDC) E-mail : lassaadka2016@gmail.com

Lassaad Kalai
Titulaire d'un doctorat en sciences du langage de l'Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, il est spécialiste en didactique et linguistique et compte plusieurs publications dans ce domaine. Il est enseignant-chercheur à l'Université de Jendouba (Tunisie) et membre du laboratoire de recherche Langues, Discours et Cultures (LDC). Il est responsable du mastère de Français professionnel "Communication et Culture" à l'ISEAH Kef. Il effectue des recherches en linguistique et en didactique du français langue étrangère. Il travaille plus précisément sur la question de la contextualisation de l'enseignement de la grammaire française.

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