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Lottin Wekape

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Lottin Wekape

Descriptif auteur


1. Le Perroquet d’Afrique, Paris, L’Harmattan, 2005. (Roman)
2. www.romeoetjuliette.com, Paris, L’Harmattan, 2006. (Recueil de nouvelles)
3. Chasse à l’étranger, Paris, L’ Harmattan, 2008. (Recueil de nouvelles).
4. Je ne sifflerai pas deux fois, Paris, l’Harmattan, 2010, (Roman)
5. Montréal, mon amour, Paris, l’Harmattan, 2011 (Recueil de nouvelles)
6. J’appartiens au monde, Paris, L’Harmattan, 2012, (Roman)

Pièces de théâtre écrites et représentées
1. La Pomme de discorde (Théâtre) ;
2. Le Bal des cocus (Théâtre) ;
3. Le Salaire du Tyran (Théâtre) ;
4. La Promesse de mariage (Théâtre) ;
5. Le Cadeau empoisonné (Théâtre) ;
6. Vive l’Empereur ! (Théâtre)

Structure professionnelle : Commission scolaire de Montréal, MICC

Fonction(s) actuelle(s) : Enseignant

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LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

Articles de presse

Mutations / Cameroun

Articles de presse

Le livre du jour : Fraude électorale : mode d'emploi

Articles de presse

Parfait Tabapsi (Stagiaire)

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Lecture sémiotique du roman Le poids des mots de Lottin Wekape

J'ai pris part à la cérémonie de dédicace du tout dernier roman de l'écrivain Lottin Wekape, intitulé "Le Poids des mots", jeudi le 6 juillet 2023, de 16h30 à 19h, à l'Institut Français du Cameroun, à Yaoundé, en qualité de paneliste. Outre l'auteur lui-même, j'ai eu la joie de partager la haute table avec deux autres de mes illustres camarades, lauréats de la 40e Promotion Lettres Modernes Françaises de l'Ecole Normale Supérieure du Cameroun. Il s'agissait du Dr Charles Sylvain Eloundou Mvondo, Chargé de Cours à l'Université de Dschang et Alphonse Tankhu, haut responsable à la Délégation des Enseignements Secondaires du Sud (Ebolowa). Celui-ci a assuré le rôle de modérateur avec brio. Comme il fallait s'y attendre naturellement.
À l'occasion, je me suis proposé de lire ce beau texte, publié en 2023 chez L'Harmattan, comme une variante moderne du mythe osirien (I) et un roman philosophique sur le vivre-ensemble harmonieux (Il).
Le mythe d'Osiris raconte l'histoire de cette figure emblématique de la civilisation pharaonique. Comme le relève Christian Jacq, ce mythe apparaît comme la victoire de l'Amour sur la mort. Du coup, il est loin de s'agir d'une fiction. Bien interprété, il réfracte notre pensée vers les formes les plus hautes de la vérité. Seth tue Osiris, comme le Colonel Ndoko tue sa femme moralement, psychologiquement et physiquement, par sa soif inextinguible de pouvoir et son arrivisme urticant et aveuglant. Celle qui a fait de lui un homme est sacrifiée à l'autel de ses intérêts égoïstes, fruits d'un carriérisme déroutant nourri à la mamelle des plus hautes compromissions possibles. Osiris ressuscité est la parfaite représentation de la divinité et de l'intelligence créatrice. La mère de Luc/ Marcel est ressuscitée par l'Amour de son fils qui joue le rôle d'Isis dans ce contexte.
"Le Poids des mots" trahit la logique narratologique d'un roman philosophique. L'auteur livre une narration de haute tension. Un roman de la philosophie du Verbe. Le Verbe, qui guide la totalité des vertus, est ici Osiris. Luc/Marcel prolonge la vie de sa mère en se faisant Osiris, c'est-à-dire l'incarnation de l'Amour et du Pardon. Cependant, le Colonel, incarnation de Seth, c'est-à-dire de la haine et de la mort par l'usage de la force excessive, insensée et instable, obtient le pardon de son fils rejeté et pourchassé hier. Aia, la fiancée de Luc, va reprendre pleinement la figure maternelle pour la reconstitution du couple Osiris/Isis, qui sont d'abord frère et soeur. Luc/Marcel retrouve ses sœurs perdues à travers elle ainsi que sa mère. Le colonel retrouve en elle ses filles et sa femme, dans une certaine mesure.
Lu sous le prisme de l'actualité, le roman de Lottin Wekape porte une forte valeur sociopolitique. Un cri du cœur dans un monde où l'amour a disparu au profit et toutes les formes d'égoïsme invétéré.
Ce roman est une sorte d'opposition diachronique entre les dieux de l'Olympe représentés par Luc/Marcel et compagnie, d'une part, et les Titans et les géants du mont Othrys, dont la figure de proue dans le texte est le colonel. Après le chaos, la fin dévoile le cosmos.

Signature :
Pr Gerard Marie Messina

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Vive le métissage

Littérature

Un habitat collectif dans une rue malfamée de Montréal sert de cadre au récit de Lottin Wekapé sur la tolérance identitaire.

Il y a un peu plus de quatre ans et alors qu'il émigrait pour les Amériques, ceux qui avaient lu ses premières saillies chez L'Harmattan dans la collection Encres Noires avaient craint que ce départ ne soit l'hallali de sa créativité littéraire. Ce d'autant plus qu'il allait y rejoindre sa famille et poursuivre son activité principale d'enseignant de langue française. C'était visiblement un peu aller vite en besogne tout en ignorant que le changement d'atmosphère ne pouvait en aucun cas avoir gain de cause sur l'inspiration et la capacité d'adaptation de celui-là qui au fil des livraisons s'affirme comme l'un des narrateurs sur lequel il va falloir compter désormais.
Après donc'Chasse à l'étranger','Je ne sifflerai pas deux fois' ou encore'Montréal mon amour', voici'J'appartiens au monde'. Une fresque de la vie africaine à Montréal, cette destination rêvée pour nombre d'Africains, mais qui visiblement a du mal à recaser le trop plein de migrants qui s'y amoncelle au quotidien. Et pour bien évoquer la situation sans verser dans la flagornerie, Wekape a choisi une fillette d'une dizaine d'années pour nous faire vivre une ambiance que l'on peut situer aussi bien dans une capitale africaine, tant les histoires de chaque membre de la collectivité africaine ressemblent à s'y méprendre à ce qui se passe sur le continent berceau de l'humanité.
L'histoire est celle d'une brillante camerounaise qui débarque à Montréal pour y poursuivre ses études avant que sa naïveté ne lui joue des tours. Elle rencontre en effet un homme marié qui, l'instant de l'absence de son épouse, tombe sous le charme de sa bonne à mi-temps. Alors que Mlle Ngassam pensait avoir trouvé une épaule par moment difficile et un soutien dans cet univers qu'elle apprend à connaître, voilà que débarque l'épouse qui reprend son bien quand la voleuse de mari se retrouve à la rue, une grossesse sur les bras. Elle accouchera d'une petite fille intelligente qu'elle va commencer à détester. Car au fur et à mesure que la fille grandit, son sort à elle se détériore au point où elle échoue dans la déprime avant d'être à la fin du roman renvoyé dans son pays natal.
Au-delà du récit qui n'a rien d'original, c'est la qualité de la narration et l'art des rebondissements qu'il faut saluer chez Wekape. Son récit flirte parfois le polar avant de nous ramener dans les méandres de la vie difficile des émigrés. Où le bon (Slim) côtoie le moins bon (Rodriguez). Dans le roman, l'auteur prend également le parti de la diversité. En faisant de son héroïne une hybride qui réussit, il plaide en faveur d'une meilleure considération et acceptation de l'étranger qui, loin des clichés et des stéréotypes est un être comme tout le monde. Il pose également par là la question de l'identité de ceux qui sont nés de la rencontre de plusieurs cultures au carrefour desquelles ils finissent par trouver leur voie, pour peu qu'on veuille simplement les laisser vivre en paix.
Avec l'issue heureuse de Lucifer-Espoir, l'auteur clame aussi une vérité qui dans sa culture d'origine continue d'avoir cours malgré les affres de la modernité et qui veut que l'enfant n'appartienne pas seulement à ses parents, mais à tout le village. A charge pour celui-ci de s'impliquer dans son évolution avec chacun sa sensibilité et son talent. Une vérité qui renvoie le lecteur où qu'il se trouve à questionner sa propre humanitude par ces temps où les valeurs de tolérance et de compréhension claudiquent sous les coups de boutoir d'un village global de plus en plus individualisé. Mais est-on seulement prêt à suivre cette voie ? Wekape lui ne demande que cela.
Lottin Wekape, J'appartiens au monde, France, L'Harmattan, 2012, 172 pages, 17 euros

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La voix "métisse" de Lottin Wekape

Pour la deuxième fois, avec J'appartiens au monde, Lottin Wekape écrit de Montréal. Il faut entendre cette préposition autant au sens objectif (il a écrit ce roman ici, dans la ville où il s'est installé depuis maintenant quelques années), qu'au sens subjectif (celui du "de" latin qui servait à nommer les traités). Après un recueil de nouvelles, Montréal, mon amour, paru en juillet 2011 toujours chez L'Harmattan, ce nouveau roman "traite de" Montréal, de sa population chamarrée, de ses quartiers déshérités, de sa rage de vivre, de survivre et d'être heureux

Pour la deuxième fois, avec J'appartiens au monde, Lottin Wekape écrit de Montréal. Il faut entendre cette préposition autant au sens objectif (il a écrit ce roman ici, dans la ville où il s'est installé depuis maintenant quelques années), qu'au sens subjectif (celui du "de" latin qui servait à nommer les traités). Après un recueil de nouvelles, Montréal, mon amour, paru en juillet 2011 toujours chez L'Harmattan, ce nouveau roman "traite de" Montréal, de sa population chamarrée, de ses quartiers déshérités, de sa rage de vivre, de survivre et d'être heureux. Il aborde avec franchise et bienveillance l'un des défis majeurs lancé aux habitants de cette ville toujours entre deux tendances, entre deux cultures, entre deux langues, entre deux modes de vie : répondre sans trouble à la question "Qui es-tu ?"

Le déchirement identitaire
Arrivant à Montréal, nous nous trouvons surpris, happés par l'incroyable métissage de sang, de mœurs, de corps et de temps que nous offre la première ville francophone d'Amérique. Le trouble identitaire qui envahit Lucie-Espoir, la jeune héroïne de l'histoire, peut envahir tout nouveau venu dans les vastes espaces canadiens. Ce trouble, la petite fille le vit dans sa chair, déchirée entre deux identités, deux cultures : la Camerounaise, héritée de sa mère venue chercher l'espoir au Canada et ne trouvant que Désespoir, et la Québécoise, survenue accidentellement par l'entremise succincte d'un père toujours attendu, et toujours absent.
Amin Maalouf a écrit Les Identités meurtrières en réaction à une question similaire, d'apparence banale, mais embarrassante pour le penseur franco-libanais : "que de fois m'a-t-on demandé, avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais "plutôt français" ou "plutôt libanais"", rapporte-t-il. Dans son essai, il affirme le droit à l'unité dans la pluralité en matière d'identité personnelle. Lottin Wekape pose sur ce débat un regard neuf, actuel, avec autant de pertinence que Maalouf : que faire, semble-t-il nous demander, si je suis deux mondes à la fois ? Sa réponse : recrée-toi un seul monde, et appartiens-y. Lottin - heureux homme ! - a réalisé, avec ce livre, cet ambitieux projet.
Son héroïne doit subir quotidiennement un déséquilibre identitaire et affectif, et le subir même doublement : née ici et non ailleurs, il lui faut vivre à l'heure québécoise, aller à l'école, affronter les hivers glacés et les étés torrides, confronter la réalité de la rue qui défile devant le balcon de son appartement ; il y a urgence pour elle à apprendre cet environnement, pour grandir et s'épanouir, d'autant plus que son père, ses racines québécoises, ont été trop tôt arrachées.
Mais il y a l'autre côté, l'Étranger, celui qui lui est "resté" de sa mère comme une tare, et qui, grâce aux efforts conjugués de ses amis immigrants, tous réunis dans l'étonnant cocon-taudis de la rue Vézina, l'aide à croître dans un monde inconnu et a priori hostile. Slim, le professeur tunisien, lui offre la culture avec un grand "C", celle qui permet d'être à l'aise partout, en toutes circonstances, d'être en accord avec soi-même ; Alain-Didier, le journaliste gabonais, ne cesse de lui chanter les beautés et vertus de l'Afrique, le continent oublié et rêvé de l'identité. L'Étranger, dans l'immeuble de la rue Vézina, est une identité de formation et de résistance : contre la frustration, le cœur, contre les cauchemars et les coups durs, la mémoire, contre la violence, la culture, contre les ténèbres, la lumière, contre l'infortune, l'espoir. Et la planète Vézina devient dans le roman cette rue des miracles, cet espace plus mental ou onirique que physique, où tous les contraires, tous les mondes différents se retrouvent, sous un même toit, sous de mêmes draps, sous un même ciel : Québec et Cameroun, Inde et Gabon, Portugal et Suède, Sri-Lanka et Irak, Vietnam et Chili, pour une nuit, une journée de travail, ou pour la vie.
Mais accuser l'auteur d'angélisme béat devant la "mix-cité" de Montréal serait tout à fait injuste. S'il reconnaît la puissance de l'idée de métissage et son accord avec le monde tel qu'il va ici, Lottin Wekape fait sentir à son lecteur, avec une acuité incomparable, ce que peuvent penser et vivre ces gouttes d'immigrants précipitées dans la solution franco-canadienne : elles flottent, suspendues dans la soupe du melting pot, sans vouloir, ni pouvoir toujours peut-être, s'y dissoudre.
Car il n'est pas facile de conquérir un nouveau territoire - les gens d'ici le savent bien. Une conquête est un acte de violence, même sans intention de nuire de la part des conquérants - ou du moins il est ressenti comme tel par les habitants de ce territoire. Dans le roman, la relation à la Terre promise se fait dans la violence. L'immeuble de la rue Vézina, oublié des gouvernements et du reste de la Terre, en offre un condensé : mépris du propriétaire de l'immeuble envers ses locataires (qui le lui rendent bien), agressivité instinctive et vite émoussée du seul "natif" déclassé, arrogance ridicule à force d'être déplacée du Français, violence des parents envers les enfants, ou du conjoint envers le conjoint, à coups de tromperies, de disputes houleuses, de cris enragés, de pleurs déchirants, et, parfois, de réconciliations bruyantes. Bien sûr, il serait faux d'affirmer prosaïquement que la violence est le lot commun de tout immigré, et bon nombre de nouveaux arrivants installés dans des quartiers plus tranquilles pourront en témoigner. Ce qui compte ici, c'est ce que nous raconte cette violence, et surtout comment elle se raconte.

Construire un monde de mots
Lottin Wekape est un conteur hors pair : sa prose luxuriante, corne d'abondance de joie et de douleur qui ensemence l'imagination de son lecteur, gonfle sa parole d'une violence inouïe. Mais cette violence se transmet par les mots, mieux : elle se transforme en littérature. Le personnage le plus marquant de ce point de vue est peut-être Stéphanie Ngassam, la mère de Lucie-Espoir : étudiante promis à un brillant avenir, victime d'un sort malheureux, devenue alcoolique et quasi prostituée, son langage, malgré sa vulgarité et son amertume, fait parfois miroiter une identité plus nuancée, et surtout un esprit des plus affûtés. Que le lecteur en juge :
Nourrissez bien ce monstre sans âge de mirages, [menace-t-elle les amis de sa fille,] bercez-la de rêves colorés, gavez-la de miel onctueux de vos outres d'illusion, qu'importe mon cher ! Le séjour prolongé d'un bambou de Chine dans le fleuve ne le transformera jamais en poisson. […] Quand cet adorable crotale vous mordra, ne courez pas à mes pieds quémander une goutte d'antidote …
Cette langue hybride (alors que Stéphanie se vante d'être 100% Camerounaise), étrange mélange de fiel et de poésie, sèche comme un coup de trique et pourtant fleurie, suggère bien le lien de parenté de la mère naturelle avec Slim, le père d'adoption, le véritable pédagogue de la jeune fille, être soucieux des bonnes manières, et du beau langage. Mais tandis que pour Stéphanie la langue, maniée avec l'agilité d'une vipère, sert une vengeance personnelle et forme un exutoire désespéré, chez Slim elle est synonyme de discernement, de raison, de clarté, ou encore d'action politique, ou de cri d'amour. Les autres personnages font aussi preuve d'une verve insoupçonnée, chacun selon son talent ou sa nature. La dive bouteille rend lyrique le médecin poivrot français, renversant ironiquement le piédestal sur lequel il s'était lui-même posé ; le souffle du journaliste-taxi gabonais s'emballe à l'évocation de son Afrique natale ; le réfugié sri-lankais compose des vers enflammés pour séduire sa bien aimée, une superbe créature "Égypto-Irako-Suédoise ". Le langage de la petite Lucie se façonne auprès de ces parrains excellents, et c'est un peu grâce à eux que nous voyons s'écrire, d'abord une première nouvelle qui gagnera un concours, puis le roman que nous avons sous les yeux.

Réécrire son propre monde, et y appartenir
Que penser de la littérature aux pays des déshérités de la rue Vézina ? Si les personnages parlent souvent "comme dans des livres", c'est qu'ils sont le livre ouvert du choc des cultures.
"Toute culture", dit Octavio Paz, "naît du mélange, de la rencontre, des chocs. À l'inverse, c'est de l'isolement que meurent les civilisations " : ce n'est pas par hasard que ces mots figurent en exergue au roman. Dans la rue, les passants ne sont qu'une collection d'individus solitaires, souvent désœuvrés, que Lucie observe de son balcon, spectacle fascinant pour une petite fille en mal d'aventures et de reconnaissance, mais aussi inquiétant reflet d'un avenir lugubre, auquel elle va échapper grâce à son petit monde.
La profusion et la précision des mots nous révèlent, avec un humour jamais corrosif et très roboratif dans ce monde de violences, la gravité du "choc", l'effondrement des illusions, le découragement, la perte des repères généralisée, l'espérance d'une vie meilleure, ensemble ou chacun pour soi. Mais la création d'un langage propre à chacun et pourtant commun, compréhensible par tous, porte Lucie, Slim et leurs amis à passer outre leurs différences et leurs différends. Les mots qui les lient sont l'ultime bastion de leur identité tendue entre deux mondes. C'est ainsi que Lottin Wekape dépasse la question identitaire, l'élève au-dessus des querelles de la race, de la couleur, de la patrie et de la nation, sans pourtant se soustraire à leur imminence. Il trouve une réponse juste, car sincère, à la question de l'identité dans une ville métisse comme Montréal, elle-même partie prenante d'une globosphère hybride et multiculturelle. L'identité se construit ici non pas sur le modèle d'un édifice - dont les fondations sont peut-être gâtées et les murs mangés par les mites et les souris -, mais sur le modèle d'une écriture, phrase après phrase, tout comme trois pages d'une nouvelle de concours scolaire, ou 168 pages de roman. L'identité de la petite Lucie-Espoir s'élabore ainsi à travers une meilleure image d'elle-même, des manières plus soignées, une expression et une orthographe parfaites, une soif de culture et une faim de l'autre. Mais surtout, elle se tisse en temps réel dans le roman, avec et grâce à notre lecture, dans une parole jaillie comme un foudre du silence du déchirement identitaire pour nous conter son histoire, avec son propre souffle, son propre rythme, sa propre littérature. Le chapitre VII se focalise sur l'apprentissage par la petite héroïne d'une écriture à elle, dont le roman à la première personne est l'accomplissement. Dès le début, et plusieurs fois au fil des pages, elle insiste :
… j'ai appris à donner une voix, un timbre, un débit, une émotion et même une énergie aux mots […] Aujourd'hui que j'ai bouté le mutisme hors du territoire de ma langue, aujourd'hui que j'ai cassé ma voix longtemps en berne, aujourd'hui que j'ai mis le verbe en liberté, convaincue que jamais plus je ne souffrirais des baillons froids du musèlement, je peux enfin, sans trembler, te raconter toute mon histoire, oh étranger !
Autrement dit, suivons la voie des textes, la voix "métisse", celle qui jette un pont vers soi-même, cet éternel Étranger.

J'appartiens au monde marque à n'en pas douter un tournant important dans l'œuvre de Lottin Wekape, dans son écriture et son imaginaire. En tant qu'amie de l'auteur, il m'a particulièrement ému car il me montre, peut-être mieux qu'aucun autre de ses livres, le patient travail de son identité d'écrivain. Emil Cioran affirmait : "On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre ". Je n'hésiterai pas à reprendre cette sentence pour l'appliquer à Lottin Wekape : sa patrie, c'est la littérature, ce sont ses romans, ses nouvelles et ses pièces de théâtre. À travers eux, il est partout chez lui. Passeport camerounais ou passeport canadien, peu importe à quelle douane il se trouve, Lottin Wekape porte avec lui les mots de sa langue, cette langue universelle, cette langue bigarrée, cette langue métisse qui sait parler au cœur.

Tatiana Burtin


*J'appartiens au monde, roman de Lottin WEKAPE, Paris, L'Harmattan, coll. "Encres noires" n°356, 2012

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